Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société par actions simplifiée Domaine de Massillan a demandé au tribunal administratif de Nîmes de prononcer la décharge, en droits et pénalités, de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2014.
Par un jugement n° 2003887 du 10 mars 2023, le tribunal administratif de Nîmes a déchargé la société Domaine de Massillan de la majoration de 40 % prévue par le a. de l'article 1729 du code général des impôts et rejeté le surplus de sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés le 28 avril 2023 et le 29 juillet 2024, la société Domaine de Massillan, représentée par Me Chetail, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement, en tant qu'il n'a pas fait droit à l'ensemble de sa demande ;
2°) de prononcer la décharge, en droits et pénalités, de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2014 ;
3°) de rejeter les conclusions présentées par la voie de l'appel incident ;
4°) de mettre à la charge de l'État une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la mention, sur la proposition de rectification, du cachet de la direction départementale des finances publiques de l'Ardèche constitue une erreur substantielle qui a été de nature à la priver de ses garanties ;
- les avances en compte courant qui lui ont été consenties par la société Kadi ne peuvent être qualifiées ni de distribution, ni d'avantage occulte ;
- la majoration pour manquement délibéré n'est pas justifiée.
Par deux mémoires en défense, enregistrés le 24 août 2023 et le 14 août 2024, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut :
1°) au rejet de la requête ;
2°) par la voie de l'appel incident, à l'annulation du jugement du 10 mars 2023, en tant qu'il a déchargé la société Domaine de Massillan de la majoration de 40 % prévue par le a. de l'article 1729 du code général des impôts ;
3°) de rétablir cette majoration dont la décharge a été accordée à tort par les premiers juges.
Il soutient que :
- les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés ;
- il établit l'intention délibérée de la société Domaine de Massillan de minorer l'impôt dû.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Lafon,
- les conclusions de Mme Restino, rapporteure publique,
- et les observations de Me Chetail pour la société Domaine de Massillan.
Considérant ce qui suit :
1. La société Domaine de Massillan, qui exerce à Uchaux (Vaucluse) une activité d'hôtel-restaurant, traiteur et vente de plats à emporter, a demandé au tribunal administratif de Nîmes de prononcer la décharge, en droits et pénalités, de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2014. Ce supplément procède de l'imposition, comme produits financiers sur le fondement du 1 de l'article 38 du code général des impôts, de dix versements d'un montant total de 685 000 euros, effectués par la société Kadi et inscrits dans les écritures de cette dernière au débit du compte courant ouvert au nom de la société Domaine de Massillan et qui ont été regardés par le service comme des avantages occultes au sens du c. de l'article 111 du code général des impôts. Par un jugement du 10 mars 2023, le tribunal a déchargé la société Domaine de Massillan de la majoration de 40 % prévue par le a. de l'article 1729 du code général des impôts et rejeté le surplus de sa demande. Elle fait appel de ce jugement en ce qu'il n'a pas fait droit à l'ensemble de sa demande. Par la voie de l'appel incident, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique demande l'annulation de ce jugement, en tant qu'il a déchargé la société Domaine de Massillan de la majoration de 40 % prévue par le a. de l'article 1729 du code général des impôts.
Sur l'appel principal :
En ce qui concerne la régularité de la procédure d'imposition :
2. Il résulte de l'instruction que la proposition de rectification qui a été adressée le 1er août 2016 à la société Domaine de Massillan comporte par erreur le cachet et l'adresse de la direction départementale des finances publiques de l'Ardèche et non de celle de Vaucluse, qui avait procédé au contrôle de sa situation fiscale. Cette erreur n'est pas à elle-seule de nature à vicier la procédure d'imposition. Au surplus, la société appelante, dont les observations du 20 octobre 2016 ont été transmises au service compétent de la direction départementale des finances publiques de Vaucluse, qui y a répondu par lettre du 12 décembre 2016, ne justifie pas avoir été privée d'une quelconque garantie. En outre, l'erreur relevée n'a pu avoir d'influence sur la décision de rectification. Dans ces conditions, elle n'est pas fondée à soutenir que la procédure d'imposition serait entachée d'irrégularité.
En ce qui concerne le bien-fondé de l'imposition :
3. Aux termes du 1 de l'article 38 du code général des impôts : " Sous réserve des dispositions des articles 33 ter, 40 à 43 bis et 151 sexies, le bénéfice imposable est le bénéfice net, déterminé d'après les résultats d'ensemble des opérations de toute nature effectuées par les entreprises, y compris notamment les cessions d'éléments quelconques de l'actif, soit en cours, soit en fin d'exploitation ". L'article 111 du même code dispose que : " Sont notamment considérés comme revenus distribués : / (...) / c. Les rémunérations et avantages occultes (...) ". Lorsqu'une société se dessaisit d'une somme au profit d'un tiers sans que la comptabilisation de cette opération révèle, par elle-même, l'octroi d'un avantage, il appartient à l'administration, si elle entend faire application des dispositions du c. de l'article 111 du code général des impôts pour imposer, dans les mains du tiers, cette somme, d'établir, d'une part, que cette opération ne comportait pas de contrepartie pour la société, et d'autre part, qu'il existait une intention, pour celle-ci, d'octroyer, et pour le tiers, de recevoir, une libéralité. L'intention libérale est présumée en présence de liens familiaux.
4. Il résulte de l'instruction que les dix versements effectués entre le 18 avril 2014 et le 28 novembre 2014 pour un montant total de 685 000 euros au profit de la société Domaine de Massillan ont été retracés sur les relevés bancaires fournis par la société Kadi et inscrits dans sa comptabilité au débit du compte courant d'associé 45520000 libellé " C/C Domaine de Massillan ". En se bornant à produire un contrat de prêt dépourvu de signature et de date certaine, mentionnant une date du 2 janvier 2015, postérieure à ces versements, et prévoyant une première échéance de remboursement au 1er février 2015, dont l'exécution n'a pas été vérifiée, ainsi qu'un rapport de gérance de la société Kadi faisant état d'une avance de trésorerie, mais également dépourvu de date certaine, et à se prévaloir de la comptabilisation réciproque des sommes en cause comme des avances en compte courant, la société appelante ne justifie pas que la somme de 685 000 euros correspondait au déblocage d'un prêt ou d'une avance financière que la société Kadi lui aurait consenti en qualité de société mère, dans le but de financer des travaux de rénovation et de modernisation de son hôtel. L'avantage sans contrepartie ainsi octroyé à la société Domaine de Massillan, dont le gérant et actionnaire principal est également le gérant et usufruitier de la totalité des parts de la société Kadi, doit être qualifié comme une libéralité et révèle l'intention libérale des intéressées. Il résulte également de l'instruction que les dix versements en cause, bien qu'inscrits dans les deux comptabilités, en particulier celle de la société Kadi avec la désignation de leur bénéficiaire, n'ont pas été comptabilisés dans un compte de prêt consenti à une entité dans laquelle le prêteur détient une participation, mais au débit d'un compte courant d'associé. Par suite, la comptabilisation invoquée par la société requérante ne révélait pas, par elle-même, la libéralité qui lui a été consentie. Dans l'ensemble de ces conditions, l'administration doit être regardée comme apportant la preuve de ce que cette libéralité représentait un avantage occulte constitutif d'une distribution de bénéfices au sens des dispositions précitées du c. de l'article 111 du code général des impôts. Par suite, c'est à bon droit qu'elle a réintégré les revenus distribués correspondants dans les résultats de la société Domaine de Massillan au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2014.
5. Il résulte de ce qui précède que la société Domaine de Massillan n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté le surplus de sa demande.
Sur l'appel incident :
6. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'État entraînent l'application d'une majoration de : / a. 40 % en cas de manquement délibéré (...) ".
7. En relevant l'absence de contrat de prêt ou même de convention de trésorerie conclu entre les sociétés, la comptabilisation erronée des dix versements en cause, les liens existants entre les deux sociétés, membres d'un groupe informel ayant le même dirigeant, l'importance des sommes transférées et des montants éludés et le caractère répété des versements, l'administration établit le manquement délibéré de la contribuable. Par suite, l'application de la majoration prévue au a. de l'article 1729 du code général des impôts était fondée.
8. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique est fondé à soutenir, par la voie de l'appel incident, que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nîmes a déchargé la société Domaine de Massillan de la majoration de 40 % prévue par le a. de l'article 1729 du code général des impôts.
Sur les frais liés au litige :
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'État, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, le versement de quelque somme que ce soit sur leur fondement.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de la société Domaine de Massillan est rejetée.
Article 2 : L'article 1er du jugement n° 2003887 du 10 mars 2023 du tribunal administratif de Nîmes est annulé.
Article 3 : La demande présentée par la société Domaine de Massillan devant le tribunal administratif de Nîmes, tendant à la décharge de la majoration de 40 % prévue par le a. de l'article 1729 du code général des impôts qui avait été appliquée à la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2014, est rejetée.
Article 4 : Cette majoration est remise à la charge de la société Domaine de Massillan.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société par actions simplifiée Domaine de Massillan et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal Sud-Pyrénées.
Délibéré après l'audience du 26 septembre 2024, où siégeaient :
M. Rey-Bèthbéder, président,
M. Lafon, président-assesseur,
Mme Fougères, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 octobre 2024.
Le rapporteur,
N. Lafon
Le président,
É. Rey-Bèthbéder
Le greffier,
F. Kinach
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 23TL00991 2