Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 24 mai 2022 par lequel le préfet de la Haute-Garonne a refusé de lui délivrer un certificat de résidence en qualité d'étranger malade, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de cette mesure d'éloignement , d'enjoindre au préfet de la Haute-Garonne de lui délivrer le certificat de résidence sollicité , de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler, ainsi qu' à titre subsidiaire, de procéder au réexamen de sa situation.
Par un jugement n° 2203669 du 21 septembre 2023, le tribunal administratif de Toulouse a annulé l'arrêté du 24 mai 2022 du préfet de la Haute-Garonne, et lui a enjoint de réexaminer le droit au séjour de M. A....
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 17 octobre 2023, et un mémoire en régularisation de requête , enregistré le 14 novembre 2023, le préfet de la Haute-Garonne demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 21 septembre 2023 du tribunal administratif de Toulouse ;
2°) de rejeter la demande de M. A....
Le préfet de la Haute-Garonne soutient que :
- c'est à tort que les premiers juges ont considéré, pour annuler l'arrêté du 24 mai 2022 portant refus de délivrance d'un certificat de résidence sur le fondement du 7° de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968, que la privation de la prise en charge médicale dont bénéficie M. A... exposerait celui-ci à des conséquences d'une exceptionnelle gravité ;
- en effet, le collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration a estimé, au vu du dossier médical de l'intéressé et notamment du rapport rédigé par le médecin rapporteur, que le défaut de prise en charge médicale n'aurait pas de conséquences d'une exceptionnelle gravité ;
- le collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration s'était, dans une composition différente, déjà prononcé dans le même sens par un précédent avis du 20 juin 2019 ;
- la circonstance que M.A... ait effectué des tentatives de suicide n'est pas de nature à établir l'existence de conséquences d'une exceptionnelle gravité en cas d'arrêt des traitements dès lors que plusieurs médecins psychiatres ont nuancé le lien, que les premiers juges ont retenu à tort, entre ces tentatives et l'état de santé de l'intéressé ; les premiers juges ne pouvaient ainsi se fonder uniquement sur les certificats médicaux des 21 février et 12 août 2022 du médecin généraliste de l'intéressé qui établissent un lien entre ces tentatives de suicide et les douleurs que M.A... subit ; il apparaît au contraire qu'il existe un lien entre ces tentatives de suicide et la précarité des conditions de vie en France de M.A... qui n'a notamment aucune attache familiale en France ; en toute hypothèse, les traitements suivis par M. A... sont disponibles en Algérie au regard de la liste des médicaments disponibles en Algérie établie par le ministère de l'industrie pharmaceutique. Cette liste mentionne l'essentiel des médicaments prescrits à M.A..., à savoir, la " gabapentine " (antiépileptique), l' " amitriptyline " (antidépresseur) et le paracétamol (antalgique) ; si le " néfopam " prescrit pour lutter contre les douleurs sévères ou post-opératoires ne figure pas dans cette liste , celle-ci comprend des médicaments ayant le même objet, tel que le " tramadol " ;
- par ailleurs, M. A... a vécu l'essentiel de sa vie en Algérie, où se trouve sa famille.
Par un mémoire en défense et des pièces, enregistrés les 14 février 2 et 23 juillet 2024, ces dernières n'ayant pas été communiquées, M. A..., représenté par Me Pougault, conclut :
1°) à l'admission au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ;
2°) au rejet de la requête du préfet de la Haute-Garonne ;
3°) à ce qu'il soit enjoint au préfet de lui délivrer le certificat de résidence sollicité dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et sous astreinte de 100 euros par jour de retard ou à tout le moins de procéder au réexamen de sa situation ;
4°) et à ce que soit mis à la charge de l'État le paiement de la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient qu'aucun des moyens de la requête du préfet n'est fondé , que notamment, contrairement à ce que fait valoir le préfet, son défaut de prise en charge médicale aurait des conséquences d'une exceptionnelle gravité et que par ailleurs, un grand nombre de médicaments, tels que le " Nefopam ", la " Mirtazapine ", et le " Tercian " n'apparaissent pas dans la nomenclature nationale algérienne des produits pharmaceutiques à usage de la médecine humaine établie à la date du 31 décembre 2019, comme se trouvant disponibles ; par ailleurs le " Nefopam " ne peut être substitué par le " Tramadol ", ainsi que l'établit un certificat médical qu'il produit.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Bentolila a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant algérien né le 7 janvier 1976, est entré sur le territoire français le 28 août 2017 sous couvert d'un passeport revêtu d'un visa court séjour valable du 31 mars 2017 au 30 mars 2018. A la suite du rejet définitif de sa demande d'asile, M. A... a sollicité son admission au séjour en qualité d'étranger malade. Par un arrêté du 9 juin 2020, le préfet de la Haute-Garonne a refusé de lui délivrer un certificat de résidence, l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination de cette mesure d'éloignement. La demande d'annulation de cet arrêté a été rejetée par le tribunal administratif de Toulouse par un jugement du 14 septembre 2020 confirmé par un arrêt de la cour administrative de Bordeaux du 20 mai 2021. Le 31 janvier 2022, M. A... a de nouveau sollicité l'octroi d'un certificat de résidence au titre de son état de santé. Par un avis du 6 mai 2022, le collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration a estimé que, si l'état de santé de M. A... nécessitait une prise en charge médicale, le défaut d'une telle prise en charge ne devrait pas entraîner pour l'intéressé des conséquences d'une exceptionnelle gravité, et qu'il pourrait voyager sans risque vers son pays d'origine. Par un arrêté du 24 mai 2022, le préfet de la Haute-Garonne a refusé de délivrer le certificat de résidence sollicité par M. A..., a obligé ce dernier à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixé le pays de destination de cette mesure d'éloignement.
2. Le préfet de la Haute-Garonne relève appel du jugement du 21 septembre 2023 par lequel le tribunal administratif de Toulouse a annulé l'arrêté du 24 mai 2022.
Sur la demande l'aide juridictionnelle provisoire :
3. Aux termes de de l'article 20 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique : " Dans les cas d'urgence, (...) l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle peut être prononcée par la juridiction compétente ou son président. (...) ". Aux termes de l'article 61 du décret du 28 décembre 2020 portant application de cette loi : " L'admission provisoire peut être accordée dans une situation d'urgence, (...). L'admission provisoire est accordée par (...) le président de la juridiction saisie, soit sur une demande présentée sans forme par l'intéressé, soit d'office si celui-ci a présenté une demande d'aide juridictionnelle ou d'aide à l'intervention de l'avocat sur laquelle il n'a pas encore été statué. ".
4. M. A... ne justifie pas, à ce jour, avoir déposé une demande d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Toulouse. Dans ces conditions, sa demande d'admission provisoire à l'aide juridictionnelle ne peut être accueillie.
Sur l'appel principal du préfet de la Haute-Garonne :
5. Aux termes du 7° de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 : " Le certificat de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale " est délivré de plein droit : (...) 7) au ressortissant algérien, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve qu'il ne puisse effectivement bénéficier d'un traitement approprié dans son pays. (...) ".
6. Sous réserve des cas où la loi attribue la charge de la preuve à l'une des parties, il appartient au juge administratif, au vu des pièces du dossier, et compte tenu, le cas échéant, de l'abstention d'une des parties à produire les éléments qu'elle est seule en mesure d'apporter et qui ne sauraient être réclamés qu'à elle-même, d'apprécier si l'état de santé d'un étranger nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve de l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi, sauf circonstance humanitaire exceptionnelle. La partie qui justifie d'un avis du collège de médecins de l'office français de l'immigration et de l'intégration qui lui est favorable doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence ou l'absence d'un état de santé de nature à justifier la délivrance ou le refus d'un titre de séjour. Dans ce cas, il appartient à l'autre partie, dans le respect des règles relatives au secret médical, de produire tous éléments permettant d'apprécier l'état de santé de l'étranger et, le cas échéant, l'existence ou l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si l'état de santé d'un étranger justifie la délivrance d'un titre de séjour dans les conditions ci-dessus rappelées, se détermine au vu de ces échanges contradictoires.
7. Pour refuser à M. A... la délivrance d'un certificat de résidence en qualité d'étranger malade, le préfet de la Haute-Garonne a fondé son appréciation sur l'avis rendu le 6 mai 2022 par le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration selon lequel l'état de santé de l'intéressé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut ne devrait pas entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, le préfet s'étant au surplus fondé sur la circonstance selon laquelle M. A... ne pourrait bénéficier de soins en cas de retour en Algérie.
8. Pour annuler le refus de certificat de résidence opposé à M. A..., les premiers juges ont estimé que l'état de santé psychique de M. A..., particulièrement fragile en raison de la persistance de douleurs chroniques depuis plusieurs années, l'avait conduit à trois tentatives de suicide en quelques mois. Ils en ont déduit que la privation des soins médicaux dont M. A... bénéficiait en France l'exposerait à des conséquences d'une exceptionnelle gravité, contrairement à ce qu'avait estimé le préfet, au prix d'une erreur d'appréciation.
9. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier, et notamment des certificats médicaux produits par l'intéressé et de ceux composant son dossier médical, communiqué à l'Office français de l'immigration et de l'intégration, que M. A... souffre d'une impotence fonctionnelle du membre inférieur droit, constitutive d'une séquelle de poliomyélite, avec des complications secondaires au plan ostéoarticulaire et neuropathique. Il a subi également des interventions chirurgicales de la cheville en 2003 et en 2017 à la suite d'une fracture malléolaire traitée orthopédiquement. Depuis 2021, année au cours de laquelle ses douleurs se sont aggravées sans facteur déclenchant, M. A... fait l'objet d'hospitalisations régulières pour des troubles psychiques, entraînant des idées suicidaires, consécutifs à ses douleurs chroniques. A cet égard, il est constant que M. A... a effectué trois tentatives de suicide entre août 2021 et janvier 2022. Il ressort des pièces du dossier, et notamment du certificat établi le 21 février 2022 par le médecin traitant de M. A... qu'il existe un lien entre les douleurs chroniques dont ce dernier est la victime, ses troubles psychiques et les tentatives de suicide qu'il a commises. La circonstance qu'un certificat médical établi le 11 février 2022 par un médecin-psychiatre du centre hospitalier Gérard Marchant de Toulouse évoque la précarité de la situation sociale et personnelle de M. A... comme ayant pu contribuer à ses tentatives de suicide n'est pas de nature à remettre en cause le lien identifié dans le premier certificat médical précité dès lors qu'il peut être déduit des termes du second certificat que les douleurs chroniques endurées par l'intéressé sont la cause principale de ses idées et actes suicidaires. Dans ces conditions, contrairement à ce que soutient le préfet devant la cour, la privation de la prise en charge médicale dont M. A... bénéficie en France est de nature à entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, comme l'a jugé à bon droit le tribunal administratif de Toulouse.
10. Il ressort, en second lieu, des pièces du dossier que l'état de santé de M. A... nécessite, ainsi que l'établit un certificat médical du 22 mars 2022 du médecin psychiatre de la clinique Aufrery de Pin-Balma, un traitement incluant la " Mirtazapine " et le " Tercian ", et, comme l'établit un autre certificat du même médecin, rédigé lors d'une hospitalisation de l'intéressé dans la même clinique à compter du 15 mars 2022, un traitement incluant le " Nefopam " (antalgique non opioïde).
11. Si le préfet produit, en appel, des documents émanant du ministère algérien de l'industrie pharmaceutique portant sur la liste des médicaments disponibles en Algérie, les trois médicaments cités au point 10 n'y figurent pas. Quant au " Nefopam ", dont le préfet admet l'indisponibilité en Algérie, ses affirmations selon lesquelles ce médicament pourrait être substitué par le " Tramadol ", disponible en Algérie, sont contredites par le certificat médical du 24 janvier 2024, produit par M. A..., lequel, bien que postérieur à la décision attaquée, permet d'estimer, en l'absence d'éléments contraires au dossier, que le " Nefopam " n'est pas substituable.
12. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Haute-Garonne n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a annulé son arrêté du 24 mai 2022 portant refus de délivrance à M. A... d'un certificat de résidence en qualité d'étranger malade, obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, et fixation du pays de destination de la mesure d'éloignement.
Sur l'appel incident présenté par M. A... :
13. Dès lors que, par l'article 3 du jugement du 21 septembre 2023, le tribunal administratif de Toulouse, saisi par M. A... de conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint au préfet de la Haute-Garonne de lui délivrer un certificat de résidence en qualité d'étranger malade, a seulement ordonné au préfet de réexaminer sa situation, M. A..., en demandant en appel qu'il soit enjoint au préfet de lui délivrer un tel certificat de résidence, doit être regardé comme présentant un appel incident sur ce point.
14. Compte tenu de ce qui est indiqué aux points 9 à 11 du présent arrêt, à la fois quant aux conséquences d'une exceptionnelle gravité qui résulteraient de l'absence de poursuite de la prise en charge médicale de M. A..., et à l'indisponibilité en Algérie de certains traitements médicaux nécessaires, il y a lieu, en application de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, de faire droit aux conclusions présentées par M. A..., et d'enjoindre au préfet de la Haute-Garonne de délivrer à ce dernier un certificat de résidence en qualité d'étranger malade, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, et sans qu'il y ait lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte. Le jugement attaqué doit ainsi être réformé en tant qu'il a seulement enjoint au préfet de la Haute-Garonne de réexaminer le droit au séjour de M. A....
Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
15. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La demande de M. A... tendant à son admission à l'aide juridictionnelle provisoire est rejetée.
Article 2 : La requête du préfet de la Haute-Garonne est rejetée.
Article 3 : Il est enjoint au préfet de la Haute-Garonne de délivrer à M. A... un certificat de résidence dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : Le jugement du tribunal administratif de Toulouse du 21 septembre 2023 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 5 : Le surplus des conclusions de M. A... est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Garonne.
Délibéré après l'audience du 1er octobre 2024 à laquelle siégeaient :
M. Faïck, président,
M. Bentolila, président-assesseur,
Mme Beltrami, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 octobre 2024
Le président-assesseur,
P. Bentolila
Le président,
F.Faïck
La greffière,
C. Lanoux
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 23TL02444 2