La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

04/11/2024 | FRANCE | N°23TL02490

France | France, Cour administrative d'appel de TOULOUSE, Juge des référés, 04 novembre 2024, 23TL02490


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Grand Deltat Habitat, venant aux droits de Vallis Habitat, a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nîmes, sur le fondement des dispositions de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, de condamner solidairement les société Selmac et Ingeflux à lui verser une provision de 201 200 euros hors taxes au titre des désordres affectant le réseau de production d'eau chaude et d'eau froide sanitaire de l'établissement d'hébergement des personnes âgées dépe

ndantes (EHPAD) de l'Ile-sur-la-Sorgue. Grand Deltat Habitat a également demandé au juge ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Grand Deltat Habitat, venant aux droits de Vallis Habitat, a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nîmes, sur le fondement des dispositions de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, de condamner solidairement les société Selmac et Ingeflux à lui verser une provision de 201 200 euros hors taxes au titre des désordres affectant le réseau de production d'eau chaude et d'eau froide sanitaire de l'établissement d'hébergement des personnes âgées dépendantes (EHPAD) de l'Ile-sur-la-Sorgue. Grand Deltat Habitat a également demandé au juge des référés du tribunal de condamner la société Massilia Etanchéité à lui verser la somme de 12 189 euros hors taxes pour les désordres causés au dispositif d'isolation de la toiture-terrasse du bâtiment.

Par une ordonnance n° 2301415 du 6 octobre 2023, le juge des référés du tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 23 octobre 2023 et 23 octobre 2024, Grand Deltat Habitat, venant aux droits de Vallis Habitat, représentée par Me Pilone, demande au juge des référés de la cour :

1°) d'annuler cette ordonnance du 6 octobre 2023 du juge des référés du tribunal administratif de Nîmes ;

2°) au regard des conclusions de la première expertise, de condamner solidairement les sociétés Selmac et Ingeflux à lui verser la somme de 201 100 euros hors taxes au titre des désordres qui leur sont imputables, et de condamner la société Massilia Etanchéité à lui verser la somme de 12 189 euros hors taxes au titre des désordres qui lui sont imputables ; de condamner solidairement les trois sociétés précitées à lui verser la somme de 34 642,80 euros au titre des frais d'expertise et autres frais engagés au cours des opérations d'expertise ;

3°) au regard des conclusions de la seconde expertise, de condamner solidairement les sociétés Selmac et Ingeflux à lui verser la somme de 69 700 euros hors taxes ;

4°) de condamner solidairement les sociétés Selmac, Ingeflux et Massilia Etanchéité à lui verser la somme de 50 000 euros au titre du préjudice d'image ;

5°) de mettre à la charge des trois sociétés précitées une somme de 4 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'origine, les causes des désordres en litige, ainsi que la nature et le coût des travaux de réparation, ont été établis par le rapport d'expertise déposé en 2021 ; il s'agit d'importantes fuites sur le réseau de distribution d'eau de l'EHPAD dues aux phénomènes de corrosion qui affectent les dispositif de circulation ; ces désordres trouvent leur origine dans un défaut de conception de l'installation imputables aux notes de calcul erronées établies par le bureau d'études Selmac qui a mal dimensionné l'installation ; ces désordres, qui sont amenés à se répéter et à s'aggraver à l'avenir comme l'a relevé le rapport d'expertise, rendent l'ouvrage impropre à sa destination et engagent la garantie décennale de la société Selmac et de la société Ingeflux titulaire d'une mission VISA et des missions DET et AOR ;

- s'agissant des désordres affectant le dispositif d'étanchéité de la toiture-terrasse du bâtiment, ils trouvent leur origine dans une déchirure de la membrane de protection ; cette déchirure est due à une discontinuité de l'isolant posé sur une surface non plane ; le désordre en cause, qui rend l'ouvrage impropre à sa destination, est imputable à la société Massilia Etanchéité chargée notamment des travaux d'isolation du bâtiment ;

- le second rapport d'expertise a mis en évidence un autre désordre, dû au mauvais positionnement de la chaudière qui ne permet pas d'intervenir efficacement lors des opérations de maintenance de cet appareil, lesquelles doivent être effectuées périodiquement ; il y a ainsi un défaut de conception qui rend l'ouvrage impropre à sa destination et engage ainsi la garantie décennale des sociétés Selmac et Ingeflux ;

- les constructeurs dont la garantie décennale est ainsi engagée au titre des désordres en litige doivent indemniser le requérant de l'ensemble de ses préjudices.

Par un mémoire en défense, enregistré le 6 septembre 2024, la société Selmac Exploitation, représentée par la SELAS Angle Droit agissant par Me Sacchet, conclut :

1°) à la confirmation de l'ordonnance attaquée ;

2°) au rejet de toutes les conclusions formées par Grand Deltat Habitat à son encontre ;

3°) et à ce qu'il soit mis à la charge de Grand Deltat Habitat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de la justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par Grand Deltat Habitat ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 3 octobre 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 24 octobre 2024 à 12h00.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de justice administrative.

Vu la décision du 2 septembre 2024 par laquelle le président de la cour a désigné M. Frédéric Faïck, président de la 3ème chambre, pour statuer sur les demandes en référé en application des dispositions de l'article L. 555-1 du code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. Dans le cadre des travaux d'extension de l'établissement d'hébergement des personnes âgées dépendantes (EHPAD), situé avenue Jean Bouin sur le territoire de la commune de l'Ile-sur-la-Sorgue, l'Office public de l'habitat d'Avignon a, en 2013, conclu un marché confiant une mission de maîtrise d'œuvre complète à un groupement conjoint composé, notamment, de la société Architecture Environnement, architecte mandataire, et de la société Ingeflux. Les marchés de travaux comportaient un lot n° 4 " Etanchéité Isolation Toiture Terrasse " confié à l'entreprise Massilia Etanchéité, tandis que les lots n° 13 " Climatisation Ventilation Chauffage " et 14 " Plomberie Sanitaires " ont été attribués à la société Selmac. La réception des travaux a été prononcée le 28 octobre 2015 avec des réserves qui ont été levées le 18 novembre suivant, à l'exception d'une réserve concernant des fuites constatées dans le hall d'accueil de l'établissement.

2. Après avoir constaté diverses fuites sur le réseau de production d'eau chaude et d'eau froide sanitaire à compter de l'année 2017, Grand Avignon Résidence, devenu Grand Delta Habitat, gestionnaire de l'EHPAD, a sollicité du juge des référés du tribunal administratif de Nîmes l'organisation d'une expertise portant sur les conditions d'exécution des lots n° 4, 13 et 14 du marché. L'expert, désigné par ordonnance du 18 janvier 2019, a rendu son rapport le 23 janvier 2021. Au cours des opérations d'expertise, d'autres désordres situés au niveau du système de chauffage de l'établissement ont été constatés, ce qui a conduit Grand Delta Habitat à solliciter en référé une nouvelle expertise. Par une ordonnance du 1er avril 2021, le juge des référés du tribunal a désigné, au titre des désordres affectant le système de chauffage, le même expert qui a remis un second rapport le 1er août 2022.

3. Grand Delta Habitat a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nîmes, sur le fondement des dispositions de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, notamment, de condamner solidairement les sociétés Selmac et Ingeflux à lui verser une provision en réparation des désordres relevés aux cours de la première expertise, de condamner la société Massilia Etanchéité à lui verser une provision au titre des désordres lui revenant identifiés dans cette même expertise, de condamner les société Selmac et Ingeflux à lui verser une somme provisionnelle en réparation des désordres décrits dans la seconde expertise, et enfin de condamner les trois sociétés précitées à lui verser une somme provisionnelle en réparation de ses autres préjudices, notamment son préjudice d'image. Par une ordonnance rendue le 6 octobre 2023, dont Grand Delta Habitat relève appel, le juge des référés du tribunal administratif de Nîmes a rejeté ces demandes.

4. Aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie ". Il résulte de ces dispositions qu'il appartient au juge des référés, dans le cadre de cette procédure qu'elles instituent, de rechercher si, en l'état du dossier qui lui est soumis, l'obligation du débiteur éventuel de la provision est ou n'est pas sérieusement contestable sans avoir à trancher ni de questions de droit se rapportant au bien-fondé de cette obligation ni de questions de fait soulevant des difficultés sérieuses et qui ne pourraient être tranchées que par le juge du fond éventuellement saisi.

Sur la garantie décennale des constructeurs :

5. Il résulte des principes qui régissent la garantie décennale des constructeurs que des désordres apparus dans le délai d'épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent leur responsabilité, même s'ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l'expiration du délai de dix ans. Le constructeur dont la responsabilité est recherchée sur ce fondement ne peut en être exonéré, outre les cas de force majeure et de faute du maître d'ouvrage, que lorsque, eu égard aux missions qui lui étaient confiées, il n'apparaît pas que les désordres lui soient en quelque manière imputables. Il incombe au juge administratif, lorsqu'est recherchée devant lui la responsabilité décennale des constructeurs, d'apprécier, au vu de l'argumentation que lui soumettent les parties sur ce point, si les conditions d'engagement de cette responsabilité sont ou non réunies et d'en tirer les conséquences, le cas échéant d'office, pour l'ensemble des constructeurs. La responsabilité décennale du constructeur peut être recherchée pour des dommages survenus sur des éléments d'équipement dissociables de l'ouvrage s'ils rendent celui-ci impropre à sa destination. La circonstance que les désordres affectant un élément d'équipement fassent obstacle au fonctionnement normal de cet élément n'est pas de nature à engager la responsabilité décennale du constructeur si ces désordres ne rendent pas l'ouvrage lui-même impropre à sa destination.

En ce qui concerne les lots n° 13 et 14 (chauffage et plomberie) :

S'agissant de l'origine, de la nature et de l'imputabilité des désordres :

6. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, qu'en 2017, d'importantes fuites sur le réseau d'eau de l'établissement ont été constatées, ce désordre s'étant répété et aggravé au cours des années suivantes.

7. En premier lieu, l'expert a constaté que les fuites apparaissaient en chaufferie sur les réseaux en cuivre, lesquels étaient affectés par un phénomène de corrosion interne allant jusqu'à la perforation des parois. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que ce phénomène de corrosion-érosion du réseau de bouclage d'eau chaude sanitaire est le résultat d'une circulation trop rapide des fluides dont le débit est trop élevé par rapport au diamètre du collecteur de retour de bouclage. Il était ainsi nécessaire, pour obtenir la température réglementaire au sein de l'EHPAD, d'augmenter les débits de circulation de l'eau, ce qui a fini par provoquer les phénomènes de corrosion observés. Il résulte de l'instruction que les réseaux de bouclage d'eau chaude sanitaire de l'EHPAD ne remplissent pas leurs fonctions, que les fuites observées ont vocation à se reproduire, et qu'en définitive le dimensionnement insuffisant de l'installation ne permet pas de respecter les vitesses réglementaires de circulation d'eau dans le réseau ni de garantir les températures minimales de l'eau nécessaires pour éviter une prolifération de légionelles, lesquelles présentent un risque pour la santé, en particulier celle des personnes âgées résidentes. Dans ces conditions, les désordres affectant le réseau de bouclage d'eau chaude sanitaire de l'EHPAD sont de nature à compromettre la destination de cet établissement.

8. Il résulte, certes, du rapport d'expertise que l'installation mise en place par la société Selmac, titulaire des lots n° 13 et 14, a été modifiée par la mise en place d'un nouveau disconnecteur permettant de doubler la pression dans le réseau. Toutefois, ce remplacement s'explique par le fait que l'ancien disconnecteur était équipé d'un limiteur de pression à 3 bars pour le circuit en aval, induisant une pression trop faible du robinet. Ce constat rejoint les conclusions de l'expertise selon lesquelles l'installation mise en place par la société Selmac était, dès l'origine, insuffisamment dimensionnée pour obtenir les températures d'eau réglementaires, si bien que le maître d'ouvrage n'avait d'autre choix que de faire installer un nouveau disconnecteur, lequel n'a pas en outre permis de régler le problème des fuites. En outre, les désordres en litige provenant, ainsi qu'il a déjà été dit, d'un sous-dimensionnement de l'installation, ils se seraient nécessairement produits et répétés même en l'absence d'installation d'un nouveau disconnecteur. Dans ces conditions, la société Selmac n'est pas fondée à soutenir que la pose de ce dispositif serait de nature à l'exonérer de sa responsabilité au titre de la garantie décennale des constructeurs.

9. Enfin, il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que ce désordre est imputable à la société Selmac qui a conçu le dimensionnement de l'installation dans ses notes de calcul et à la société Ingeflux chargée, au sein de la maîtrise d'œuvre, d'une mission VISA (visa des pièces d'exécution), DET (direction de l'exécution des travaux) et AOR (assistance au maître d'ouvrage lors des opérations de réception).

10. En second lieu, l'expert a constaté, en ce qui concerne les fuites affectant l'ensemble du réseau d'adduction d'eau chaude et froide sanitaire conçu en matière synthétique, que les collages de raccordement du réseau de l'EHPAD ont cédé les uns après les autres. Il résulte de l'instruction que ces désordres ont pour origine un dimensionnement insuffisant de l'installation, de sorte que les efforts engendrés par les effets de contraction et de retrait ont conduit, faute de système de compensation de dilatation tel qu'une lyre, à une rupture des brides. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que le réseau ne remplit pas ses fonctions, les fuites observées ayant vocation à se reproduire en raison de la conception même de l'installation. Dans ces conditions, les désordres en litige sont de nature à rendre l'ouvrage impropre à sa destination.

11. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que le désordre décrit au point précédent est imputable à la société Selmac qui a conçu le dimensionnement de l'installation dans ses notes de calcul et à la société Ingeflux chargée, au sein de la maîtrise d'œuvre, des mission VISA, DET et AOR précitées.

12. Il résulte de ce qui précède que la créance invoquée par Grand Deltat Habitat à l'encontre des société Selmac et Ingeflux, au titre de la garantie décennale des constructeurs à raison des désordres en cause, n'est pas sérieusement contestable, contrairement à ce qu'a estimé le juge des référés du tribunal administratif de Nîmes.

S'agissant de la réparation :

13. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que la réparation des désordres en litige nécessite une reprise des études de dimensionnement de l'installation, la reprise des réseaux mêmes avec une mission de maîtrise d'œuvre complète. Il est également nécessaire de reprendre l'installation de production de chaleur afin que celle-ci puisse produire la température règlementaire attendue d'un réseau d'eau chaude, ainsi que le réseau d'adduction d'eau chaude et froide sanitaire de la partie hébergement. Au regard des conclusions de l'expertise, le coût de ces travaux peut être évalué à la somme de 168 500 euros hors taxes, à laquelle il convient d'ajouter la somme de 8 500 euros hors taxes pour les travaux sur les réseaux d'eau de la partie cuisine de l'établissement, la somme de 2 200 euros hors taxes au titre des contrôles et réglages des dispositifs anti-brûlure des robinetteries, ainsi qu'une somme de 22 000 euros hors taxes représentant les honoraires d'une mission de maîtrise d'œuvre complète. Dans ces conditions, la société Selmac et la société Ingeflux doivent être condamnées solidairement à verser à Grand Deltat Habitat une provision d'un montant total de 201 200 euros hors taxes au titre des désordres en litige.

En ce qui concerne le lot n° 13 (chaudière) :

S'agissant de l'origine, de la nature et de l'imputabilité des désordres :

14. Ainsi qu'il a été dit précédemment, une seconde expertise a été organisée dans le but de savoir si le positionnement de la chaudière dans le local dédié était de nature à faire obstacle à sa maintenance. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que l'espace séparant les préparateurs ECS (eau chaude sanitaire) et le plafond de la chaufferie est de 150 mm au lieu des 300 mm préconisés par le fabricant de l'appareil. La hauteur ainsi constatée, qui est insuffisante, ne permet pas d'obtenir un espace de dégagement suffisant pour une intervention de maintenance sur les brûleurs qui ne peuvent être retirés d'un bloc verticalement. Il est ainsi nécessaire de retirer les capots de l'appareil, ce qui conduit à une inclinaison des brûleurs avec un risque de dégradation de l'isolant. Or, ainsi que l'a constaté l'expert, la chaudière nécessite une maintenance au moins une fois par an. Ces désordres, s'ils étaient de nature à empêcher toute maintenance de l'appareil, seraient de nature à engager la garantie décennale de la société Selmac, chargée du lot " chauffage " du marché de travaux, et de la société Ingeflux responsable, au sein de la maîtrise d'œuvre, des mission VISA, DET et AOR.

15. Selon l'expert, toutefois, le retrait et la maintenance des brûleurs restent possibles selon la méthodologie proposée par la société Selmac, consistant à retirer les capots de l'appareil en prenant comme précaution de garder en stock l'isolant thermique. Dans son dire du 11 juillet 2022, la société Selmac a ainsi précisé qu'un de ses techniciens se déplacerait pour procéder au démontage et au remontage des brûleurs, tandis que l'opérateur chargé de la maintenance de l'appareil interviendrait sur le brûleur. Cette solution, qui ne nécessite aucun travaux, n'a pas été contestée sur le plan technique par l'expert qui a seulement relevé qu'elle impliquerait l'intervention de la société Selmac jusqu'à la fin de la garantie attachée à l'appareil. Dans ces circonstances, il n'apparaît pas que la réalisation périodique des opérations de maintenance nécessiterait le remplacement de la chaudière, de sorte que la somme de 69 700 hors taxes euros que demande Grand Delta Habitat, au titre de ces travaux de remplacement, ne peut être regardée comme n'étant pas sérieusement contestable. Ses conclusions tendant à la condamnation solidaire des sociétés Selmac et Ingeflux doivent, dans ces conditions, être rejetées.

Sur la responsabilité contractuelle :

En ce qui concerne le principe de la responsabilité :

16. Le juge des référés du tribunal administratif de Nîmes a rejeté les conclusions de Grand Delta Habitat dirigées contre la société Massilia Etanchéité, titulaire du lot n° 4 " Etanchéité Isolation Toiture terrasse ", au motif qu'il n'était pas établi que les réserves portées sur le procès-verbal de réception des travaux, dressé le 28 octobre 2015, auraient été ultérieurement maintenues. Il en a déduit que la responsabilité contractuelle de cette société ne pouvait plus être engagée.

17. S'il est vrai que le procès-verbal de réception comportait plusieurs réserves dont une relative aux fuites constatées dans le hall d'accueil, il résulte toutefois de l'instruction que cette dernière réserve a été explicitement maintenue dans le procès-verbal établi le 18 novembre 2015 pour le lot n° 4 en litige, contrairement à ce qu'a relevé le juge des référés du tribunal administratif de Nîmes. La persistance de cette réserve a pour effet de maintenir la responsabilité contractuelle à laquelle la société Massilia Etanchéité peut être tenue vis-à-vis du maître d'ouvrage. Par suite, c'est à tort que le premier juge a estimé que Grand Delta Habitat n'était plus fondé à rechercher la responsabilité de la société Massilia Etanchéité sur le fondement du contrat.

18. Il résulte de l'instruction que des fuites en provenance de la toiture ont été constatées dans le hall d'accueil de l'EHPAD. Les opérations d'expertise ont montré qu'elles provenaient de la toiture-terrasse et qu'elles trouvaient leur origine dans une déchirure, sur une dizaine de centimètre, de la membrane d'étanchéité posée en surface. Cette déchirure est elle-même due à la discontinuité de l'isolant, ainsi qu'aux efforts subis par la membrane.

19. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que les désordres en cause sont le résultat d'une mise en œuvre défaillante de l'isolant et de la membrane d'étanchéité, laquelle aurait dû être posée sur une surface plane. Il est constant que l'installation de ce dispositif d'étanchéité était au nombre des missions contractuelles confiées à la société Massilia Etanchéité dans le cadre du lot n° 4 du marché de travaux. Dans ces conditions, la responsabilité contractuelle de cette société est engagée envers Grand Delta Habitat.

20. Il résulte de ce qui précède que la créance invoquée par Grand Deltat Habitat à l'encontre de la société Massilia Etanchéité, au titre de la responsabilité contractuelle, n'est pas sérieusement contestable.

En ce qui concerne la réparation :

21. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que la réparation des désordres affectant la toiture-terrasse de l'établissement nécessite la reprise de l'isolation de la membrane d'étanchéité afin que la surface de l'isolant reste plane, et le remplacement de la totalité du revêtement bitumineux de la toiture. Le coût de ces travaux peut être évalué, au vu des conclusions de l'expertise, à la somme de 12 189 euros hors taxes, qu'il y a lieu de mettre à la charge de la société Massilia Etanchéité à titre de provision.

Sur les autres préjudices invoqués par Grand Delta Habitat :

22. En premier lieu, Grand Deltat Habitat ne produit aucun élément permettant d'estimer que les désordres en litige lui auraient fait subir, notamment auprès des usagers de l'établissement ou de leurs familles, le préjudice d'image qu'il invoque. Dans ces conditions, la somme de 50 000 euros qu'il demande à ce titre ne peut être regardée comme n'étant pas sérieusement contestable.

23. En second lieu, Grand Deltat Habitat a été amené à exposer au cours des opérations d'expertise des frais d'études qui ont servi à l'expert et des frais de conseils qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'évaluer à la somme provisionnelle de 10 000 euros, laquelle sera mise à la charge solidaire des sociétés Selmac, Ingeflux et Massilia Etanchéité.

24. Il résulte de tout ce qui précède que Grand Deltat Habitat est fondé à demander l'annulation de l'ordonnance attaquée, la condamnation solidaire des sociétés Selmac et Ingeflux à lui verser une provision de 201 200 euros hors taxes au titre des désordres affectant le système de chauffage et d'adduction d'eau, et la condamnation de la société Massilia Etanchéité à lui verser une provision de 12 189 euros hors taxes au titre du défaut d'étanchéité de la toiture-terrasse de l'EHPAD. Enfin, Grand Deltat Habitat est fondée à demander la condamnation solidaire des trois sociétés précitées à lui verser une provision de 10 000 euros HT au titre de ses autres préjudices mentionnés au point 23.

Sur les frais d'expertise :

25. Aux termes de l'article R. 621-13 du code de justice administrative : " Lorsque l'expertise a été ordonnée (...), le président du tribunal ou de la cour (...) en fixe les frais et honoraires par une ordonnance prise conformément aux dispositions des articles R. 621-11 et R. 761-4. Cette ordonnance désigne la ou les parties qui assumeront la charge de ces frais et honoraires. (...) Elle peut faire l'objet, dans le délai d'un mois à compter de sa notification, du recours prévu à l'article R. 761-5. / Dans le cas où les frais d'expertise mentionnés à l'alinéa précédent sont compris dans les dépens d'une instance principale, la formation de jugement statuant sur cette instance peut décider que la charge définitive de ces frais incombe à une partie autre que celle qui a été désignée par l'ordonnance mentionnée à l'alinéa précédent ou par le jugement rendu sur un recours dirigé contre cette ordonnance (...) ". Aux termes de l'article R. 761-5 du même code : " Les parties (...) peuvent contester l'ordonnance mentionnée à l'article R. 761-4 devant la juridiction à laquelle appartient l'auteur de l'ordonnance. / (...) / Le recours mentionné au précédent alinéa est exercé dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'ordonnance sans attendre l'intervention de la décision par laquelle la charge des frais est attribuée ".

26. L'ordonnance par laquelle le président du tribunal administratif liquide et taxe les frais et honoraires d'expertise, qui revêt un caractère administratif, peut faire l'objet, en vertu des dispositions précitées des articles R. 621-13 et R. 761-5 du code de justice administrative, d'un recours de plein contentieux par lequel le juge détermine les droits à rémunération de l'expert ainsi que les parties devant supporter la charge de cette rémunération. En vertu de l'avant-dernier alinéa de ce même article R. 621-13, ce n'est que lorsque les frais d'expertise sont compris dans les dépens d'une instance principale que la formation de jugement statuant sur cette instance peut décider que ces frais seront mis définitivement à la charge d'une partie autre que celle qui est désignée par l'ordonnance de taxation ou le jugement rendu sur un recours dirigé contre cette ordonnance. Dès lors que la partie désignée par l'ordonnance de taxation comme devant supporter les frais d'expertise dispose d'une voie de droit spéciale pour contester cette désignation et que le juge du référé provision n'est pas saisi de l'instance principale, cette partie ne peut demander à ce juge l'octroi d'une provision au titre de ces frais.

27. D'une part, il résulte de l'instruction que le président du tribunal administratif de Nîmes a, par ordonnances des 4 février 2021 et 20 septembre 2022, mis à la charge de l'Office public d'habitations à loyer modéré Mistral Habitat, aux droits et obligations de laquelle est venu Grand Deltat Habitat. En application de l'article R. 621-13 du code de justice administrative, il disposait de la faculté de contester les frais et honoraires de l'expert par le recours spécifique prévu par l'article R. 761-5 du code de justice administrative. Par suite, les conclusions de Grand Deltat Habitat tendant à ce que les sociétés intimées soient condamnées à lui verser une provision correspondant aux frais et honoraires d'expertise ne peuvent qu'être rejetées.

28. D'autre part, à supposer que les conclusions de Grand Deltat Habitat puissent être regardées comme tendant à ce que le juge des référés mette à la charge définitive des sociétés intimées les frais et honoraires de l'expertise, celles-ci ne se rapportent pas au versement d'une provision. Partant, n'entrant pas dans l'office du juge des référés de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, elles ne peuvent qu'être rejetées.

Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

29. Il y a lieu, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge solidaire des sociétés Selmac, Ingeflux et Massilia Etanchéité une somme de 1 500 euros à verser à Grand Deltat Habitat au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Les dispositions du même article L. 761-1 font en revanche obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions de la société Selmac à l'encontre de l'appelant.

ORDONNE :

Article 1er : L'ordonnance n° 2301415 du juge des référés du tribunal administratif de Nîmes du 6 octobre 2023 est annulée.

Article 2 : Les sociétés Selmac et Ingeflux sont condamnées solidairement à verser à Grand Deltat Habitat une provision de 201 200 euros hors taxes en réparation des désordres relatifs aux lots n° 13 et 14 du marché.

Article 3 : La société Massilia Etanchéité est condamnée à verser à Grand Deltat Habitat une provision de 12 189 euros hors taxes en réparation des désordres relatifs au lot n° 4 du marché.

Article 4 : Les sociétés Selmac, Ingeflux et Massilia Etanchéité sont condamnées solidairement à verser à Grand Deltat Habitat une provision de 10 000 euros en réparation des préjudices mentionnés au point 23 de la présente ordonnance.

Article 5 : Les sociétés Selmac, Ingeflux et Massilia Etanchéité verseront solidairement à Grand Deltat Habitat la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : Le surplus des conclusions de Grand Deltat Habitat est rejeté.

Article 7 : Les conclusions présentées par la société Selmac au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 8 : La présente ordonnance sera notifiée à la Grand Deltat Habitat, à la société Selmac Exploitation, à la société Ingeflux et à la société Massilia Etanchéité. Copie pour information en sera délivrée à M. A..., expert.

Fait à Toulouse le 4 novembre 2024.

Le juge d'appel des référés,

Frédéric Faïck

La République mande et ordonne au préfet de Vaucluse, en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.

N°23TL02490 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de TOULOUSE
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 23TL02490
Date de la décision : 04/11/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

54-03-015 Procédure. - Procédures de référé autres que celles instituées par la loi du 30 juin 2000. - Référé-provision.


Composition du Tribunal
Avocat(s) : PILONE

Origine de la décision
Date de l'import : 10/11/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-11-04;23tl02490 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award