Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. et Mme C... ont demandé au tribunal administratif de Montpellier par deux demandes distinctes, mais au contenu identique, de condamner l'Etat à leur verser les sommes de 30 000 euros en réparation du préjudice moral subi par leur fils D..., 10 000 euros en réparation de leur propre préjudice moral, ainsi que 20 000 euros en raison des pertes de revenus subies au titre de leurs activités professionnelles.
Par un jugement n° 2100090,2102131 du 29 novembre 2022, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté ces demandes.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 13 janvier 2023, M. et Mme C..., représentés par Me Nakache, demandent à la cour, en leur nom et au nom de leur enfant mineur, D... :
1°) d'annuler ce jugement du 29 novembre 2022 du tribunal administratif de Montpellier ;
2°) de condamner l'Etat à leur verser les sommes de 30 000 euros en réparation du préjudice moral subi par leur fils, de 10 000 euros en réparation de leur propre préjudice moral, et la somme de 20 000 euros à Mme C... au titre de ses pertes de revenus professionnels ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
M.et Mme C... soutiennent que :
- l' État a manqué à ses obligations qui sont fixées par le droit international, ainsi que par les articles L 111-1, L 111-2 , L 112-1, L 112-2, L 351-1 du code de l'éducation et par l'article L 246-1 du code de l'action sociale et des familles, ces dispositions donnant aux enfants handicapés un droit égal aux autres enfants à bénéficier d'un enseignement scolaire adapté à leurs compétences et à leurs besoins, destiné à leur permettre en milieu scolaire d'élever leur niveau de formation initiale, le cas échéant grâce à des actions de soutien individualisé ;
- les obligations auxquelles l'Etat est soumis sont sanctionnées par la jurisprudence ; ainsi, la cour européenne des droits de l'homme, par un arrêt du 10 septembre 2020, a condamné l'Italie pour ne pas avoir proposé à une jeune autiste, un soutien scolaire spécialisé ;
- en l'espèce, le jugement de première instance refuse d'engager la responsabilité de l'Etat du fait des manquements de l'administration de l'éducation nationale, alors qu'ils avaient versé de nombreux éléments établissant la réalité de ces manquements ;
- alors qu'ils rencontraient de longue date des difficultés dans la prise en charge de leur enfant D... par l'éducation nationale, les conditions de cette prise en charge se sont considérablement aggravées à la rentrée scolaire de septembre 2018, lors de l'entrée de leur fils D... en cours élémentaire 1ère année, du fait de la présence d'une nouvelle enseignante ;
- le bulletin de compétences de leur enfant pour l'année scolaire 2018-2019, mentionne des difficultés de leur enfant qui sont en réalité imputables aux méthodes de l'enseignante contraires aux préconisations des spécialistes qui suivent D... ; ils ont versé les pièces justifiant de la réalisation par celui-ci des différents exercices scolaires ;
- ils produisent par ailleurs différents courriels adressés par Mme C... entre 2018 et 2020, à différents enseignants et membres de la communauté éducative, faisant état des difficultés rencontrées par leur enfant et de la nécessité qu'il puisse bénéficier d'un matériel pédagogique spécifique ;
- les difficultés se sont accrues jusqu'à susciter ainsi qu'il en est attesté une véritable animosité de l'enseignante et de la directrice envers la famille C..., ce qui a eu pour effet de pénaliser leur enfant ; des attestations sont produites en ce sens et notamment celle du 14 août 2019 de l'assistante de vie scolaire, et celles des 9 septembre et 21 octobre 2019, de l'éducatrice spécialisée ;
- l'administration de l'éducation nationale a été fautive en ne mettant pas effectivement en œuvre le projet personnalisé de scolarisation, en refusant de mettre en place une équipe de suivi de la scolarisation en concertation avec les professionnels de santé chargés de leur enfant, en refusant de mettre en place le protocole d'accompagnement rendu nécessaire par les troubles de leur enfant, et préconisé par les intervenants spécialisés, et en laissant l'institutrice mettre en œuvre des pratiques contraires aux préconisations des spécialistes, ce qui a eu pour effet d'aggraver l'angoisse et le manque de confiance en lui dont souffre leur fils D... ;
- plusieurs témoignages font état de la difficulté de l'enseignante à assurer ses fonctions alors que, par ailleurs, la psychologue scolaire n'a jamais rencontré leur enfant D... ; le livret scolaire numérique pour l'année 2020-2021 fait état des difficultés rencontrées, de même que le bilan de compétences et ces difficultés sont également établies par différents échanges de courriels ;
- leur enfant a été privé de son droit à l'éducation du fait de l'absence de modalités d'accompagnement adaptées qu'il incombait au corps enseignant de mettre en œuvre ; les difficultés et les besoins de leur enfant, n'ont pas été indiqués par le personnel enseignant lors de l'élaboration du guide d'évaluation des besoins de compensation en matière de scolarisation (GEVA-sco), et les mesures définies par la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées n'ont été mises en œuvre que partiellement ; le matériel informatique n'a pas été acheté par l'administration, contrairement à ce qu'elle affirme ;
- si le comportement de Mme C... a été mis en cause, les plaintes déposées à son encontre par des membres de la communauté éducative, notamment celles relatives à des faits de harcèlement, ont fait l'objet d'un classement sans suite ; par ailleurs, des attestations d'enseignants infirment les reproches adressés à Mme C... ;
- en ce qui concerne la déscolarisation de leur enfant intervenue en 2016, elle était liée à la nécessité de prendre en charge ses troubles de langage, et la souffrance engendrée par l'absence d'accompagnement adapté ;
- l'administration ne saurait se soustraire à ses obligations, en faisant valoir qu'aucune obligation de scolarisation D... C... n'existait avant qu'il ait atteint l'âge de six ans, les enfants handicapés ayant droit à une prise en charge éducative dans des conditions au moins équivalentes à celle des autres enfants ;
- leur enfant a subi des préjudices importants, à raison du retard qu'il a pris dans ses apprentissages et dans sa socialisation, du fait de l'absence de respect de son droit à l'éducation et de la discrimination dont il a été victime ; les parents ont été contraints, à compter de juin 2019, à recourir à une psychologue du développement ; ces difficultés sont également mentionnées dans une évaluation psychométrique qui est intervenue le 30 septembre 2019 ;
- ils ont subi des préjudices moraux et matériels ; ils sont en droit de se prévaloir du " complément de catégorie 4 " pouvant être attribué lorsque le handicap de l'enfant contraint l'un des parents à n'exercer aucune activité professionnelle ; la mère D... n'a pas été en mesure, comme elle le souhaitait, de reprendre une activité professionnelle ; les parents ont été contraints d'assurer des tâches éducatives normalement confiées à des professionnels.
Par un mémoire en défense, enregistré le 30 août 2024, la rectrice de la région académique Occitanie, rectrice de l'académie de Montpellier, conclut au rejet de la requête de M.et Mme C....
Elle soutient qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code de l'éducation ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Pierre Bentolila, président-assesseur,
- et les conclusions de Mme Françoise Perrin, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. Le jeune D... C..., né le 10 juin 2011 et souffrant de différents handicaps, a été scolarisé à l'école de la commune de Claira (Pyrénées-Orientales) en petite section au titre de l'année scolaire 2014/2015, puis en moyenne section au titre de l'année 2015/2016. Après une année d'instruction à domicile, l'enfant a de nouveau été scolarisé au sein de la même école en cours préparatoire durant l'année 2017/2018, en cours élémentaire première année en 2018/2019, puis en cours élémentaire deuxième année et en cours moyen première année au titre des années 2019/2020 et 2020/2021. Estimant que les services de l'éducation nationale ont commis différentes fautes dans la prise en charge de leur fils handicapé au cours de sa scolarité, M. et Mme C... ont demandé au tribunal administratif de Montpellier la condamnation de l'Etat à verser la somme de 30 000 euros en réparation du préjudice moral subi par leur fils D..., la somme de 10 000 euros en réparation de leur propre préjudice moral, ainsi que la somme de 20 000 euros en réparation du préjudice financier de Mme C..., contrainte de cesser ses activités professionnelles pour s'occuper de son fils.
2. Par la présente requête, M. et Mme C... relèvent appel du jugement du 29 novembre 2022 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté leur demande.
Sur les conclusions indemnitaires :
3. Aux termes de l'article L. 111-1 du code de l'éducation : " (...) Le droit à l'éducation est garanti à chacun (...) ". Aux termes de l'article L. 112-1 du même code : " Pour satisfaire aux obligations qui lui incombent en application des articles L. 111-1 et L. 111-2, le service public de l'éducation assure une formation scolaire, professionnelle ou supérieure aux enfants, aux adolescents et aux adultes présentant un handicap ou un trouble de la santé invalidant. Dans ses domaines de compétence, l'Etat met en place les moyens financiers et humains nécessaires à la scolarisation en milieu ordinaire des enfants, adolescents ou adultes en situation de handicap. ". Aux termes de l'article L. 112-2 de ce même code : " Afin que lui soit assuré un parcours de formation adapté, chaque enfant, adolescent ou adulte en situation de handicap a droit à une évaluation de ses compétences, de ses besoins et des mesures mises en œuvre dans le cadre de ce parcours, selon une périodicité adaptée à sa situation. Cette évaluation est réalisée par l'équipe pluridisciplinaire mentionnée à l'article L. 146-8 du code de l'action sociale et des familles. Les parents ou le représentant légal de l'enfant sont obligatoirement invités à s'exprimer à cette occasion. En fonction des résultats de l'évaluation, il est proposé à chaque enfant (...) en situation de handicap, ainsi qu'à sa famille, un parcours de formation qui fait l'objet d'un projet personnalisé de scolarisation assorti des ajustements nécessaires en favorisant, chaque fois que possible, la formation en milieu scolaire ordinaire. Le projet personnalisé de scolarisation constitue un élément du plan de compensation visé à l'article L. 146-8 du code de l'action sociale et des familles. Il propose des modalités de déroulement de la scolarité coordonnées avec les mesures permettant l'accompagnement de celle-ci figurant dans le plan de compensation ".
4. Il résulte de l'ensemble de ces dispositions, d'une part, que le droit à l'éducation étant garanti à chacun quelles que soient les différences de situation et, d'autre part, que l'obligation scolaire s'appliquant à tous, les difficultés particulières que rencontrent les enfants en situation de handicap ne sauraient avoir pour effet ni de les priver de ce droit, ni de faire obstacle au respect de cette obligation. Ainsi, il incombe à l'Etat, au titre de sa mission d'organisation générale du service public de l'éducation, et, le cas échéant, de ses responsabilités à l'égard des établissements sociaux et médico-sociaux, de prendre l'ensemble des mesures et de mettre en œuvre les moyens nécessaires pour que ce droit et cette obligation aient, pour les enfants en situation de handicap, un caractère effectif.
5. Il s'ensuit que la carence de l'Etat à assurer effectivement le droit à l'éducation des enfants soumis à l'obligation scolaire est, lorsqu'elle est avérée, constitutive d'une faute de nature à engager sa responsabilité. La responsabilité de l'Etat doit toutefois être appréciée en tenant compte, s'il y a lieu, du comportement des responsables légaux de l'enfant, lequel est susceptible de l'exonérer, en tout ou partie, de sa responsabilité.
6. Aux termes de l'article L. 351-1 du code de l'éducation : " Les enfants (...) présentant un handicap ou un trouble de santé invalidant sont scolarisés dans les écoles maternelles et élémentaires (...), si nécessaire au sein de dispositifs adaptés, lorsque ce mode de scolarisation répond aux besoins des élèves. (...) Dans tous les cas et lorsque leurs besoins le justifient, les élèves bénéficient des aides et accompagnements complémentaires nécessaires ". Aux termes de l'article L. 351-3 de ce même code : " Lorsque la commission mentionnée à l'article L. 146-9 du code de l'action sociale et des familles constate que la scolarisation d'un enfant dans une classe de l'enseignement public (...) requiert une aide individuelle dont elle détermine la quotité horaire, cette aide peut notamment être apportée par un accompagnant des élèves en situation de handicap (...). Si cette scolarisation n'implique pas une aide individuelle mais que les besoins de l'élève justifient qu'il bénéficie d'une aide mutualisée, la commission mentionnée à l'article L. 146-9 du code de l'action sociale et des familles en arrête le principe et en précise les activités principales. Cette aide mutualisée est apportée par un accompagnant des élèves en situation de handicap (...) ".
7. Les fautes des services de l'éducation nationale, invoquées par M. et Mme C..., se rapportent à des faits qui se sont produits à compter de l'année 2018/2019, au cours de laquelle leur enfant a été scolarisé en cours élémentaire première année, jusqu'en 2020.
8. Il résulte de l'instruction que le jeune D... C... a, en application des dispositions précitées du code de l'éducation nationale, bénéficié d'un ensemble de dispositifs d'accompagnement destinés à permettre un bon déroulement de sa scolarité en dépit de son handicap. Ainsi, en exécution d'une décision du 12 juin 2015 de la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées des Pyrénées-Orientales, les services de l'éducation nationale ont accordé à l'enfant le bénéfice de l'assistance d'une auxiliaire de vie scolaire mutualisée dès l'année 2015/2016, puis de l'assistance d'une auxiliaire de vie scolaire individualisée à hauteur de 20 heures par semaine à compter de la rentrée scolaire 2016/2017 à la suite d'une nouvelle décision de la commission rendue le 27 juin 2016. Il est par ailleurs constant que l'enfant a bénéficié du maintien de cette assistance tout le long de sa scolarité, y compris, donc, durant la période au cours de laquelle M. et Mme C... entendent rechercher la responsabilité de l'administration, soit à compter de septembre 2018 ainsi qu'il a été dit. Il résulte encore de l'instruction que la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées a, le 3 mai 2019, accordé au jeune D... l'attribution d'un matériel pédagogique adapté comprenant notamment un ordinateur portable, un micro et des logiciels spécifiques. Il résulte de l'instruction, et notamment des guides d'évaluation des besoins de compensation en matière de scolarisation, que le jeune D... a effectivement bénéficié de ce matériel destiné à faciliter la poursuite de sa scolarité.
9. De même, l'enfant D... a bénéficié d'un emploi du temps scolaire adapté à ses rendez-vous avec des professionnels de santé et de l'assistance d'un enseignant spécialisé dans les troubles de l'audition. En outre, conformément à l'article L. 112-2 du code de l'éducation, un projet personnalisé de scolarisation a été mis en place au bénéfice du jeune D... lors de la rentrée scolaire 2018/2019. Une prise en charge individualisée de l'enfant a été assurée ainsi qu'en témoignent les deux guides d'évaluation des besoins de compensation en matière de scolarisation établis pour les années scolaires 2018/2019 et 2019/2020, à l'élaboration desquels ont participé l'orthophoniste qui suit l'enfant depuis 2014 et plusieurs professionnels de santé, ainsi qu'un psychologue scolaire.
10. Au demeurant, la responsabilité de l'Etat doit être appréciée en tenant compte du comportement des responsables légaux de l'enfant, lequel est susceptible de l'exonérer, en tout ou partie, de sa responsabilité. Il résulte à cet égard de l'instruction que Mme C... s'est signalée par diverses récriminations adressées à la communauté éducative à laquelle elle faisait savoir qu'elle n'était pas satisfaite de la prise en charge de son fils en dépit des mesures d'assistance et d'adaptation donc celui-ci a bénéficié, ainsi qu'il a été dit. Aucun élément au dossier ne permet d'estimer que climat de tension qui s'est progressivement s'installé serait imputable à l'administration alors que Mme C..., qui a parfois vivement critiqué certains enseignants, a pu mal ressentir certaines réponses qui ont pu lui être adressées. En outre, ce climat tendu a nécessairement été accentué par Mme C... elle-même qui a pris l'initiative de diffuser, en juin 2020, sur un site internet, une vidéo mettant en cause l'école de Claira en employant les termes suivants " témoignage de l'enfant (D... C...) : une seule peur, ouvrir la porte de l'école ... j'ai peur de la maitresse ".
11. Il résulte de ce qui précède que l'Etat n'a pas manqué à son obligation de prendre les mesures et de mettre en œuvre les moyens nécessaires pour garantir le droit à l'éducation de l'enfant D... malgré son handicap et donc commis aucune faute de nature à engager sa responsabilité vis-à-vis de M. et Mme C.... Dès lors, ces derniers ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort, que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté leurs demandes.
Sur les frais liés au litige :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat, qui n'a pas la qualité de partie perdante, verse à M. et Mme C... la somme qu'ils réclament au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. et Mme C... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... épouse C..., à M. E... C... et à la ministre de l'éducation nationale.
Copie en sera délivrée à la rectrice de la région académique Occitanie, rectrice de l'académie de Montpellier.
Délibéré après l'audience du 15 octobre 2024 à laquelle siégeaient :
M. Faïck,président,
M. Bentolila, président-assesseur,
Mme El Gani-Laclautre première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 novembre 2024.
Le rapporteur,
P. Bentolila
Le président,
F.Faïck
La greffière,
C. Lanoux
La République mande et ordonne à la ministre de l'éducation nationale en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23TL00187