Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Nîmes l'annulation de la décision du 26 novembre 2020 par laquelle la ministre du travail a annulé la décision de l'inspectrice du travail du 24 février 2020 rejetant la demande d'autorisation de le licencier pour faute présentée par la société Owens Corning Fiberglas France, et a autorisé ce licenciement.
Par un jugement n° 2100126 du 16 février 2023, le tribunal administratif de Nîmes a annulé la décision du 26 novembre 2020 par laquelle la ministre du travail a autorisé le licenciement pour faute de M. A....
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 13 avril 2023, et un mémoire en réplique du 28 août 2023, la société Owens Corning Fiberglas France, représentée par Me Perilli, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 16 février 2023 du tribunal administratif de Nîmes ;
2°) de rejeter les demandes de M. A... ;
3°) d'autoriser le licenciement pour faute de M. A... ;
4°) de mettre à la charge de M. A... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761- 1 du code de justice administrative.
La société Owens Corning Fiberglas France soutient que :
- en vertu de la jurisprudence du Conseil d'Etat, les dispositions de l'article R. 2421-14 du code du travail selon lesquelles la consultation du comité social et économique doit avoir lieu dans un délai de dix jours à compter de la date de la mise à pied du salarié ne sont pas prescrites à peine de nullité de la procédure de licenciement ; il en est de même du délai de quarante-huit heures suivant la délibération du comité social et économique dans lequel doit être présentée la demande d'autorisation de licenciement ;
- c'est à tort en l'espèce, que les premiers juges ont retenu des manquements aux dispositions de l'article R. 2421-14 du code du travail, pour procéder à l'annulation de la décision du 26 novembre 2020 par laquelle le ministre du travail a autorisé le licenciement de M. A... ; en effet, la société justifie des circonstances particulières qui l'ont contrainte à dépasser les délais légaux ; pour ce qui est de la consultation du comité social et économique, ces circonstances tiennent au fait que le secrétaire du comité était en congés de maladie, et que le secrétaire-adjoint seul habilité, en l'absence du secrétaire, à signer l'ordre du jour de la réunion du comité social et économique, était en congés jusqu'au 7 janvier 2020, et que dès lors l'ordre du jour n'a pu être signé qu'à cette date du 7 janvier 2020 ; par ailleurs, la réunion du comité social et économique initialement fixée le 13 janvier 2020 a été reportée au 17 janvier 2020 afin de permettre aux membres suppléants du comité de prendre connaissance de la note d'information sur la question soumise à l'ordre du jour, qui ne leur avait pas été communiquée ; à la suite de l'avis rendu le 17 janvier 2020 par le comité social et économique, la société a sollicité le 21 janvier 2020, l'autorisation de licenciement , soit, compte tenu du week-end qui s'était écoulé entre-temps, dans les délais impartis par les textes ;
- par ailleurs le respect de ces délais doit être apprécié au regard de la nécessité pour la société de mettre à pied M. A..., compte tenu de la faute grave qu'il avait commise, cette mise à pied étant intervenue le 30 décembre 2019, alors que la société n'a eu connaissance des faits fautifs commis par M. A... que le 12 décembre 2019 ;
- l'article L. 2421-1 du code du travail relatif à la notification par l'employeur de la mise à pied dans le délai de 48 heures à l'inspection du travail n'est pas applicable aux salariés détenant un mandat de membre titulaire du comité d'hygiène, de sécurité, et des conditions de travail, et un mandat de candidat en qualité de membre suppléant du comité économique et social aux élections à venir d'octobre 2019 ;
- en ce qui concerne l'application de la prescription de l'article L. 1332-4 du code du travail, compte tenu de ce que la société n'a eu connaissance des faits que le 4 décembre 2019, au plus tôt, date à laquelle le dossier pénal de M. A... a été transmis à son conseil, et qu'elle a présenté la demande d'autorisation le 21 janvier 2020, aucune prescription ne peut lui être opposée ;
- les faits de vols reprochés à M. A... ont été reconnus par celui-ci ; ils étaient d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement pour faute.
Par un mémoire en défense enregistré le 28 juillet 2023, M. A..., représenté par Me Soulier, demande à la cour de rejeter la requête de la société Owens Corning Fiberglas France et de mettre à la charge de l'Etat et de la société Owens Corning Fiberglas France la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Par un mémoire en défense enregistré le 25 juillet 2024, la ministre du travail, de la santé et des solidarités conclut à l'annulation du jugement attaqué du tribunal administratif de Nîmes.
Elle déclare s'associer aux écritures présentées par la société Owens Corning Fiberglas France.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Pierre Bentolila, président-assesseur,
- les conclusions de Mme Françoise Perrin, rapporteure publique
- et les observations de Me Paliargues pour la société Owens Corning Fiberglas France.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... A... a été embauché le 3 avril 2006 par la société Owens Corning Fiberglas France en qualité d'ouvrier fileur permanent affecté au poste d'opérateur de fabrication. Il détenait, depuis le 18 juillet 2019, un mandat de membre titulaire du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, et était candidat en qualité de membre suppléant du comité économique et social aux élections d'octobre 2019. Le 21 janvier 2020, la société Owens Corning Fiberglas France a sollicité de l'inspection du travail l'autorisation de licencier pour faute M. A.... M. A... a demandé au tribunal administratif de Nîmes l'annulation de la décision du 26 novembre 2020 par laquelle le ministre du travail a annulé la décision du 24 février 2020 de l'inspectrice du travail rejetant la demande d'autorisation de licenciement, et a autorisé son licenciement pour faute.
2. La société Owens Corning Fiberglas France relève appel du jugement du 16 février 2023 par lequel le tribunal administratif de Nîmes a annulé la décision du ministre du travail prise le 26 novembre 2020.
Sur le bien-fondé du moyen d'annulation retenu par le tribunal :
3. Aux termes de l'article R. 2421-14 du code du travail : " En cas de faute grave, l'employeur peut prononcer la mise à pied immédiate de l'intéressé jusqu'à la décision de l'inspecteur du travail. / La consultation du comité d'entreprise a lieu dans un délai de dix jours à compter de la date de la mise à pied. / La demande d'autorisation de licenciement est présentée dans les quarante-huit heures suivant la délibération du comité social et économique (...) ".
4. Ces délais ne sont pas prescrits à peine de nullité de la procédure de licenciement. Ils doivent cependant être aussi courts que possible eu égard à la gravité de la mesure de mise à pied et de ses conséquences potentielles pour le salarié en termes de maintien de sa relation de travail avec son employeur.
5. Pour annuler, sur le fondement des dispositions précitées de l'article R. 2421-14 du code du travail, la décision du 26 novembre 2020 par laquelle le ministre du travail a autorisé le licenciement pour faute de M. A..., les premiers juges se sont fondés sur les circonstances selon lesquelles, d'une part, alors que la mise à pied conservatoire de M. A... est intervenue le 30 décembre 2019, la consultation du comité social et économique n'est intervenue que le 17 janvier 2020, soit au-delà du délai de dix jours prescrit par l'article R. 2421-14 précité, et, d'autre part, que la demande d'autorisation de licenciement n'a été présentée à l'inspection du travail que le 21 janvier 2020, par un courrier parvenu à l'administration le 22 janvier 2020, soit postérieurement au délai de quarante-huit heures suivant la consultation du comité social et économique. Après avoir relevé que les deux délais fixés à l'article R. 2124-14 du code du travail avaient été dépassés sur une durée cumulée de onze jours, qu'ils ont regardée comme excessive, les premiers juges ont estimé que la société ne justifiait pas de circonstances particulières autorisant un tel dépassement et annulé en conséquence l'autorisation de licenciement délivrée par le ministre du travail.
6. Il ressort toutefois des pièces du dossier que le délai de 18 jours qui s'est écoulé entre la mise à pied conservatoire de M. A..., intervenue le 30 décembre 2019, et la consultation du comité social et économique le 17 janvier 2020, au lieu des 10 jours prévus à l'article R. 2421-14 du code du travail, ne présente pas de caractère excessif dès lors qu'il s'explique, dans les circonstances de l'espèce, par les absences conjuguées pour cause de congés de maladie du secrétaire du comité social et économique et, jusqu'au 7 janvier 2020, du secrétaire-adjoint de ce comité pour cause de congé, puis de congés de maladie et de repos. Ces absences, qui sont justifiées au dossier, n'ont permis la signature de l'ordre du jour de la réunion du comité social et économique que le 7 janvier 2020, date à laquelle le secrétaire-adjoint a repris son travail. Par ailleurs, la réunion du comité social et économique, initialement fixée le 13 janvier 2020, a été reportée au 17 janvier 2020 pour permettre aux membres de cette instance de prendre connaissance d'une note d'information qui ne leur avait pas été communiquée. Compte tenu des circonstances de l'espèce, le délai de 18 jours au lieu de 10 qui s'est écoulé avant la consultation du comité social et économique n'est pas excessif.
7. Par ailleurs, à la suite de l'avis rendu le vendredi 17 janvier 2020 par le comité social et économique, la société a sollicité, par un courrier daté du mardi 21 janvier 2020 reçu le 22 janvier, l'autorisation de licenciement pour faute de M. A... auprès de l'inspection du travail. Dans ces conditions, et dès lors que, pour le calcul du délai de 48 heures prévu à l'article R. 2421-14 du code du travail il convient de tenir compte des jours chômés, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article R. 2421-14 du code du travail doit être écarté contrairement à ce qu'a jugé le tribunal.
8. Il résulte de ce qui est dit aux points 6 et 7, que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nîmes a annulé la décision du ministre du travail autorisant le licenciement de M. A... au motif que les délais prescrits à l'article R. 2421-14 du code du travail avaient été dépassés sur une durée cumulée de onze jours, regardée comme excessive.
9. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A... tant devant le tribunal administratif que devant la cour.
Sur les autres moyens soulevés à l'encontre de la décision attaquée :
10. En premier lieu, si M. A... fait valoir que la notification par l'employeur à l'inspection du travail de sa mise à pied n'est pas intervenue dans le délai de 48 heures requis par l'article L. 2421-1 du code du travail, la méconnaissance de ce délai, qui n'est susceptible d'avoir des incidences que sur la mise à pied elle-même, ne peut être utilement invoquée à l'appui de la contestation de la régularité de l'autorisation de licenciement.
11. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 1332-4 du code du travail : " Aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales ". Il résulte de ces dispositions que l'employeur ne peut fonder une demande d'autorisation de licenciement sur des faits prescrits. À cet égard, le point de départ du délai de deux mois doit s'apprécier à compter du jour où l'employeur a eu une connaissance exacte et complète de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits reprochés. Il appartient à la partie qui entend contester la délivrance d'une autorisation de licenciement d'apporter la preuve, à l'appui de son recours devant la juridiction administrative, de la méconnaissance du délai de prescription. Par ailleurs, ainsi qu'en dispose l'article L. 1332-4 précité du code du travail, l'engagement de poursuites pénales interrompt le délai de deux mois de la prescription de l'action disciplinaire.
12. Pour autoriser le licenciement pour faute de M. A..., le ministre du travail s'est fondé sur la circonstance que ce dernier avait subtilisé un anémomètre de l'entreprise et que les faits ont été établis par l'enquête de gendarmerie menée à la suite d'une plainte déposée par l'employeur.
13. Il ressort des pièces du dossier qu'alors que la société Owens Corning Fiberglas France a déposé plainte pour vol le 3 septembre 2019 auprès de la gendarmerie, M. A... soutient qu'elle aurait eu connaissance des faits dès le 4 septembre 2019, date à laquelle elle aurait été informée par un gendarme du classement sans suite de sa plainte, et à tout le moins à compter du 6 septembre 2019, date à laquelle l'anénomètre volé lui a été restitué. Il en déduit qu'au 30 décembre 2019, date d'engagement des poursuites à son encontre, l'action disciplinaire était atteinte par la prescription. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que ce n'est que par la transmission, le 4 décembre 2019, du dossier pénal, dont elle avait sollicité la communication les 16 et 28 octobre 2019 sur le fondement de l'article R. 155 du code de procédure pénale, et qui contenait le procès-verbal d'audition de M. A... reconnaissant les faits, que la société doit être regardée comme ayant eu une connaissance exacte et complète de la nature et des faits reprochés à l'intéressé. Dans ces conditions, le délai de prescription de l'action disciplinaire, qui a couru à compter du 4 décembre 2019, n'était pas prescrit au 30 décembre 2019, date d'engagement des poursuites disciplinaires. Le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 1332-4 du code du travail doit être écarté.
14. Il résulte de tout ce qui précède que la société Owens Corning Fiberglas France est fondée à soutenir que c'est à tort que par son jugement du 16 février 2023 le tribunal administratif de Nîmes a annulé la décision du 26 novembre 2020 par laquelle la ministre du travail a autorisé le licenciement pour faute de M. A.... Par voie de conséquence, la demande de première instance de M. A... et ses conclusions d'appel doivent être rejetées.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
15. L'annulation par le présent arrêt du jugement du 16 février 2023 par lequel le tribunal administratif de Nîmes a annulé la décision du 26 novembre 2020 du ministre du travail autorisant le licenciement pour faute de M. A..., a pour effet de faire revivre cette décision et donc de permettre à la société Owens Corning Fiberglas France de procéder au licenciement demandé. Dans ces conditions, les conclusions à fin d'injonction présentées par la société Owens Corning Fiberglas France tendant à ce qu'il soit enjoint à la ministre du travail de l'autoriser à licencier M. A... doivent être rejetées.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de la société Owens Corning Fiberglas France et de l'Etat qui ne sont pas, dans la présente instance, la partie perdante. En revanche, il y a lieu de faire application de ces dispositions en mettant à la charge de M. A... la somme de 1 500 euros à verser à la société Owens Corning Fiberglas France au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2100126 du tribunal administratif de Nîmes du 16 février 2023 est annulé.
Article 2 : La demande de première instance de M. A... et ses conclusions présentées en appel sont rejetées.
Article 3 : M. A... versera à la société Owens Corning Fiberglas France une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de la société Owens Corning Fiberglas France est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Owens Corning Fiberglas, à la ministre du travail et de l'emploi et à M. B... A....
Délibéré après l'audience du 15 octobre 2024 à laquelle siégeaient :
M. Faïck,président,
M. Bentolila, président-assesseur,
Mme El Gani-Laclautre première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 novembre 2024.
Le rapporteur,
P. Bentolila
Le président,
F. Faïck
La greffière,
C. Lanoux
La République mande et ordonne à la ministre du travail et de l'emploi, en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23TL00859