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26/11/2024 | FRANCE | N°22TL21145

France | France, Cour administrative d'appel de TOULOUSE, 2ème chambre, 26 novembre 2024, 22TL21145


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler la décision implicite et la décision expresse du 27 mai 2019 par lesquelles le directeur du centre hospitalier de Rodez a refusé de lui accorder la protection fonctionnelle, de l'indemniser des préjudices subis, de reconnaître imputable au service l'accident qu'il a déclaré et de saisir le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail de l'établissement, d'enjoindre à l'établissement de s

anté de mettre en œuvre cette protection et de prendre en charge ses frais et honoraires ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler la décision implicite et la décision expresse du 27 mai 2019 par lesquelles le directeur du centre hospitalier de Rodez a refusé de lui accorder la protection fonctionnelle, de l'indemniser des préjudices subis, de reconnaître imputable au service l'accident qu'il a déclaré et de saisir le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail de l'établissement, d'enjoindre à l'établissement de santé de mettre en œuvre cette protection et de prendre en charge ses frais et honoraires à hauteur d'un montant de 9 151,55 euros à parfaire, de le condamner à lui verser une indemnité de 20 000 euros en réparation des préjudices subis et de mettre à sa charge la somme de 2 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1904365 du 10 mars 2022, le tribunal administratif de Toulouse a annulé la décision du 27 mai 2019 en tant qu'elle a rejeté sa demande de protection fonctionnelle, a condamné le centre hospitalier de Rodez à verser à M. C... une somme de 3 000 euros au titre des préjudices subis, a mis à la charge de l'établissement de santé une somme de 1 500 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus des conclusions de la demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 12 mai 2022 et les 22 février et 11 avril 2024, M. A... C..., représenté par Me Mazza, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler les articles 2 et 4 du dispositif du jugement rendu le 10 mars 2022 par lesquels le tribunal administratif de Toulouse a fixé à 3 000 euros l'indemnité au titre des préjudices subis et a rejeté le surplus de ses demandes ;

2°) de condamner le centre hospitalier de Rodez à la mise en œuvre de la protection fonctionnelle et à la prise en charge intégrale de ses frais et honoraires, arrêtés à la date de la requête à la somme de 10 820,90 euros toutes taxes comprises, soit un montant de 9 017,42 euros hors taxe, montant à parfaire à l'issue des procédures en cours ;

3°) de condamner le centre hospitalier de Rodez au versement d'un montant de 350 028 euros du fait du préjudice de carrière distinct issu de la méconnaissance de l'obligation de protection et de prévention prévue à l'article L. 4121-1 du code du travail ;

4°) de condamner le centre hospitalier de Rodez à lui verser une indemnité de 10 000 euros au titre de son préjudice moral et de ses troubles de santé ;

5°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Rodez la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement attaqué, qui a retenu un désinvestissement de sa part, pour atténuer la responsabilité de son employeur, est entaché d'une erreur de fait ;

- sa demande de première instance, contrairement à ce qui est allégué, était parfaitement recevable ;

- c'est à tort que le tribunal n'a pas retenu qu'il avait subi des faits constitutifs de harcèlement moral ;

Sur la responsabilité :

- la situation de harcèlement moral constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'établissement de santé ;

- son employeur a également manqué à l'obligation de protection et de prévention, prévue à l'article L. 4121-1 du code du travail, ce qui relève d'un dysfonctionnement du service ;

Sur les préjudices :

- il n'a pu reprendre son activité et a donc subi un préjudice de carrière dans la mesure où il perçoit seulement une pension d'invalidité depuis le mois de février 2021 ; ce préjudice peut être évalué à un montant de 120 028 euros au titre de son activité de praticien hospitalier et de 230 000 euros au titre de son activité libérale ;

- il y a également lieu de retenir un préjudice de santé et de dignité qu'il y a lieu de fixer à la somme totale de 10 000 euros ;

Sur l'appel incident :

- il n'est pas recevable ; en effet, le moyen tiré de ce que la décision lui refusant la protection fonctionnelle n'avait pas à être motivée, soulevé par le centre hospitalier de Rodez, vise à obtenir, de manière incidente, l'annulation de l'article 1er du dispositif et soumet à la cour un litige distinct.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 7 février 2023 et le 21 mars 2024, et un mémoire, non communiqué, enregistré le 2 mai 2024, le centre hospitalier de Rodez, représenté par Me Poudampa, conclut, à titre principal, au rejet de la requête, demande, par la voie de l'appel incident, de réformer le jugement attaqué en ce qu'il retient la responsabilité pour méconnaissance de l'obligation de protection et de prévention et accorde une indemnité de 3 000 euros à M. C... en réparation de ses préjudices et sollicite le versement de la somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les entiers dépens.

Il fait valoir que :

- la prise en charge de ses frais et honoraires à hauteur d'un montant de 15 000 euros toutes taxes comprises, le préjudice de carrière et le préjudice de santé et de dignité constituent une demande nouvelle en appel et donc irrecevable ; au surplus, ces préjudices ne sont pas justifiés ;

- le tribunal a déclaré à tort recevable la demande de première instance alors que M. C... n'avait pas présenté une demande préalable soumise à l'obligation de motivation et ne pouvait bénéficier de la prorogation du délai de recours contentieux ;

- en l'absence de faits de harcèlement moral, les demandes d'octroi de la protection fonctionnelle et de prise en charge des honoraires d'avocat ne sont pas fondés ;

- en l'absence de méconnaissance de l'obligation de protection et de prévention prévue à l'article L. 4121-1 du code du travail, la faute ne peut être retenue ;

- la demande de remboursement des frais de justice en lien avec la protection fonctionnelle n'a jamais été chiffrée ;

- son appel incident ne vise pas à obtenir l'annulation de l'article 1er du dispositif du jugement contesté mais seulement l'annulation de son article 2.

Par une ordonnance du 11 avril 2024, la clôture de l'instruction a été reportée et fixée au 3 mai 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code du travail ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Delphine Teuly-Desportes, présidente-assesseure,

- les conclusions de Mme Michèle Torelli, rapporteure publique,

- les observations de Me Mazza, représentant M. C...,

- et les observations de Me Poudampa représentant le centre hospitalier de Rodez.

Considérant ce qui suit :

1. M. C..., est praticien hospitalier depuis 2002, dans le service de médecine nucléaire au centre hospitalier de Rodez (Aveyron) où il exerce, dans le même temps, une activité de médecine libérale. Estimant subir une dégradation de ses conditions de travail depuis 2014, accentuée depuis 2017, et constitutive de harcèlement moral, il a saisi le centre hospitalier, le 15 février 2019, d'une demande tendant à l'octroi de la protection fonctionnelle, à la reconnaissance d'un accident de service et à l'indemnisation de préjudices subis en raison des fautes commises par son employeur. En l'absence de réponse de l'établissement de santé, M. C... a demandé la communication des motifs du rejet implicite opposé à ses demandes. Par une lettre du 27 mai 2019, le centre hospitalier a rejeté expressément ses demandes. M. C... a demandé l'annulation du rejet implicite opposé à ses demandes et de la décision expresse du 27 mai 2019, ainsi que la condamnation du centre hospitalier de Rodez à prendre en charge ses frais d'avocat au titre de la protection fonctionnelle et à lui verser une indemnité de 20 000 euros en réparation des préjudices subis. Par un jugement rendu le 10 mars 2022, le tribunal administratif de Toulouse a annulé la décision du 27 mai 2019 en tant qu'elle a rejeté sa demande de protection fonctionnelle, a condamné, à l'article 2 du dispositif, le centre hospitalier de Rodez à verser à M. C... une somme de 3 000 euros au titre des préjudices subis au regard de la méconnaissance par son employeur de l'obligation de protection prévue à l'article L. 4121-1 du code du travail et a rejeté, à l'article 4 du même dispositif, le surplus des conclusions de la requête. M. C... relève appel de ce jugement et doit être regardé comme demandant la réformation du jugement en tant qu'il n'a pas fait droit à l'ensemble de ses prétentions et la condamnation du centre hospitalier de Rodez à lui verser une somme de 10 820,90 euros au titre de la prise en charge de ses frais de justice et une indemnité totale de 360 028 euros en réparation de ses préjudices. Par la voie de l'appel incident, le centre hospitalier de Rodez, qui persiste à soutenir qu'il n'a commis aucun manquement à l'obligation de santé et sécurité au travail, sollicite la réformation de l'article 2 du jugement.

Sur l'appel principal :

En ce qui concerne la fin de non-recevoir tirée de ce que des demandes nouvelles sont présentées en appel :

2. La personne qui a demandé en première instance la réparation des conséquences dommageables d'un fait qu'elle impute à une administration est recevable à détailler ces conséquences devant le juge d'appel, en invoquant le cas échéant des chefs de préjudice dont elle n'avait pas fait état devant les premiers juges, dès lors que ces chefs de préjudice se rattachent au même fait générateur. Cette personne n'est toutefois recevable à majorer ses prétentions en appel que si le dommage s'est aggravé ou s'est révélé dans toute son ampleur postérieurement au jugement qu'elle attaque. Il suit de là qu'il appartient au juge d'appel d'évaluer, à la date à laquelle il se prononce, les préjudices invoqués, qu'ils l'aient été dès la première instance ou pour la première fois en appel, et de les réparer dans la limite du montant total demandé devant les premiers juges. Il ne peut mettre à la charge du responsable une indemnité excédant ce montant que si le dommage s'est aggravé ou révélé dans toute son ampleur postérieurement au jugement attaqué.

3. D'une part, contrairement à ce que fait valoir le centre hospitalier de Rodez, la circonstance que M. C... n'a, ni dans sa réclamation préalable, ni en première instance, présenté de demande d'indemnisation de son préjudice de carrière ne fait pas obstacle à ce que, ses prétentions demeurant dans la limite du montant de l'indemnité chiffrée devant les premiers juges, il sollicite en appel l'indemnisation de ce préjudice. Au surplus, le remboursement des frais et honoraires dans le cadre de la protection fonctionnelle et le préjudice, désormais dénommé " de santé et de dignité ", avaient été sollicités en première instance respectivement à l'appui des conclusions à fin d'annulation présentées contre le refus de protection fonctionnelle qui lui avait été opposé et des conclusions à fin d'indemnisation du manquement de son employeur à l'obligation d'assurer la santé et la sécurité de ses agents.

4. D'autre part, dans un mémoire, enregistré le 18 septembre 2020, constituant le dernier état de ses écritures devant le tribunal, M. C... a limité ses prétentions indemnitaires à la somme de 9 151, 55 euros, au titre du remboursement des frais et honoraires et à la somme de 20 000 euros au titre du préjudice distinct lié à la méconnaissance par son employeur de l'article L. 4121-1 du code du travail. Alors que le dommage ne s'est ni aggravé, ni révélé dans toute son ampleur postérieurement au jugement attaqué, les demandes présentées en appel sont irrecevables en ce qu'elles excèdent ces sommes.

Sur la régularité du jugement :

5. Hormis dans le cas où les juges de première instance ont méconnu les règles de compétence, de forme ou de procédure qui s'imposaient à eux et ont ainsi entaché leur jugement d'irrégularité, il appartient au juge d'appel, non d'apprécier le bien-fondé des motifs par lesquels les juges de première instance se sont prononcés sur les moyens qui leur étaient soumis, mais de se prononcer directement sur les moyens dirigés contre la décision administrative contestée dont il est saisi dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel. Par suite, M. C... ne peut, en tout état de cause, utilement se prévaloir de ce que le jugement attaqué serait entaché d'une erreur de fait.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne la recevabilité de la demande première instance :

6. Aux termes de l'article R. 421-2 du code de justice administrative : " Sauf disposition législative ou réglementaire contraire, dans les cas où le silence gardé par l'autorité administrative sur une demande vaut décision de rejet, l'intéressé dispose, pour former un recours, d'un délai de deux mois à compter de la date à laquelle est née une décision implicite de rejet. Toutefois, lorsqu'une décision explicite de rejet intervient avant l'expiration de cette période, elle fait à nouveau courir le délai de recours ". Les dispositions de l'article L. 112-3 du code des relations entre le public et l'administration aux termes desquelles : " Toute demande adressée à l'administration fait l'objet d'un accusé de réception ", de même que celles de son article L. 112-6 qui dispose que : " les délais de recours ne sont pas opposables à l'auteur d'une demande lorsque l'accusé de réception ne lui a pas été transmis (...) " ne sont pas applicables aux relations entre l'administration et ses agents en vertu des dispositions de l'article L. 112-2 du même code. Enfin, le 5° de l'article L. 231-4 du code des relations entre le public et l'administration prévoit que le silence gardé par l'administration pendant deux mois vaut décision de rejet dans les relations entre les autorités administratives et leurs agents.

7. Il résulte de l'ensemble de ces dispositions qu'en cas de naissance d'une décision implicite de rejet du fait du silence gardé par l'administration pendant la période de deux mois suivant la réception d'une demande, le délai de deux mois pour se pourvoir contre une telle décision implicite court dès sa naissance à l'encontre d'un agent public, alors même que l'administration n'a pas accusé réception de la demande de cet agent, les dispositions de l'article L. 112-3 du code des relations entre le public et l'administration n'étant ainsi qu'il a été indiqué au point précédent pas applicables aux agents publics. Ce n'est qu'au cas où, dans le délai de deux mois ainsi décompté, l'auteur de la demande adressée à l'administration reçoit notification d'une décision expresse de rejet qu'il dispose alors, à compter de cette notification, d'un nouveau délai pour se pourvoir.

8. M. C... a adressé, le 15 février 2019 à l'établissement de santé, qui l'emploie, une demande tendant à l'attribution de la protection fonctionnelle, la reconnaissance de l'imputabilité au service de son accident et l'indemnisation des préjudices résultant du manquement de son employeur à son obligation de sécurité. Si ce courrier, reçu le 18 février 2019 par le centre hospitalier de Rodez, a fait naître une décision implicite de rejet, le 18 avril 2019, l'établissement de santé a toutefois, par une décision du 27 mai 2019, notifiée le lendemain, a expressément rejeté l'ensemble de ces demandes. Cette décision, intervenue avant l'expiration du délai de recours contentieux contre la décision implicite, a fait à nouveau courir, pour une durée de deux mois, le délai de recours, qui expirait le 29 juillet 2019 à minuit. Par suite, ainsi que l'ont estimé les premiers juges, la requête de M. C..., enregistrée le 29 juillet 2019 à 18 heures 02 n'était pas tardive.

En ce qui concerne les faits de harcèlement moral allégués :

9. Aux termes de l'article 6 quinquies de la loi susvisée du 13 juillet 1983 alors en vigueur : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel (...) ".

10. Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral.

11. D'une part, l'illégalité de la décision de refus du bénéfice de la protection fonctionnelle ne saurait constituer, par elle-même, un agissement révélant l'existence d'un harcèlement moral.

12. D'autre part, pour être qualifiés de harcèlement moral, de tels faits répétés doivent excéder les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique. Dès lors que la répétition de faits n'excède pas ces limites, une simple diminution des attributions justifiée par l'intérêt du service, en raison d'une manière de servir inadéquate ou de difficultés relationnelles, n'est pas constitutive de harcèlement moral.

13. M. C... reproche à la direction du centre hospitalier de Rodez, à compter de 2013, une dégradation de ses conditions de travail en lien avec des choix d'équipement de santé et notamment de la tomographie à émission de positons (TEP), ou TEP scan, qui a généré un surcroît d'activité et a fait peser sur lui, compte tenu de son statut de praticien hospitalier, une surcharge de travail injustifiée, ainsi qu'une mise à l'écart en lien avec le recrutement concomitant de deux médecins à statut libéral, des intimidations et une intention délibérée de nuire de la part de ses collègues.

14. En premier lieu, il convient de relever que la surcharge de travail, alléguée à compter de l'année 2012, ne saurait être regardée en tant que telle, indépendamment de celle des autres médecins, comme constituant un harcèlement moral à son égard. En outre, alors même que, selon le rapport d'inspection de l'agence régionale de santé Occitanie, établi le 4 juillet 2017, M. C... assurait une présence minimale au sein du service, ce dernier n'apporte pas d'éléments suffisamment précis laissant présumer que la seule installation de cet équipement sanitaire l'aurait conduit à dépasser son temps de service obligatoire.

15. En deuxième lieu, si M. C..., qui assure une activité libérale à raison de deux demi-journées par semaine, estime qu'en recrutant deux médecins de médecine nucléaire exerçant au sein de l'hôpital en libéral, par l'intermédiaire d'un groupement de coopération sanitaire, le centre hospitalier lui a fait subir un traitement discriminatoire et supporter seul les contraintes de la permanence des soins et a contribué à la dégradation de ses conditions de travail, de telles contraintes sont toutefois inhérentes au statut de praticien hospitalier et relèvent de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique, étant précisé, qu'elles n'ont été effectives, au surplus, qu'à partir de 2016, lorsque la direction a imposé à M. C... de rester dans l'enceinte de l'établissement pendant la pause méridienne. A cet égard, s'il soutient également qu'il a été mis à l'écart et évincé de ses fonctions, il résulte cependant de l'instruction que la nomination, en 2017, de sa collègue comme chef du service de médecine nucléaire, malgré son statut de médecin libéral, de même que le retrait de son habilitation de l'autorité de sûreté nucléaire au profit de cette dernière ont été décidés dans l'intérêt du service dès lors que M. C..., en désaccord avec les choix stratégiques de l'établissement, s'était peu à peu désinvesti de l'exercice de ses fonctions et avait notamment refusé d'élaborer les plannings de l'activité de médecine nucléaire. De même, l'appelant ne peut sérieusement soutenir que les refus de formation ou de participation à un congrès qui lui ont été opposés par la cheffe de service, à compter de 2017, s'expliqueraient par le conflit qui les oppose tous deux depuis 2013, alors qu'il ne conteste pas les motifs de gestion du service qui les ont fondés. Il convient également de retenir que les mesures prises par le centre hospitalier de Rodez, notamment à la suite des prescriptions et préconisations de l'agence régionale de santé Occitanie, pour s'assurer de la présence de M. C... au sein du service, n'ont, au regard de la faible présence de ce dernier particulièrement étayée par les pièces versées aux débats de première instance et d'appel, nullement dépassé les limites du pouvoir hiérarchique. Par ailleurs, M. C... n'établit pas que sa collègue aurait capté sa clientèle libérale en procédant à une répartition inégalitaire des patients, son activité libérale n'ayant, au demeurant, subi aucune inflexion nonobstant la présence de deux autres médecins, en exercice exclusivement libéral, dans le service. Enfin, les pièces produites en première instance comme en appel n'établissent pas que M. C... aurait été systématiquement désavantagé dans le choix des congés. Ainsi, aucun de ces agissements ne relève de faits constituant un harcèlement moral à l'encontre de M. C....

16. En dernier lieu, si les allégations de M. C... selon lesquelles sa collègue aurait procédé, sans échange préalable, à des relectures de ses examens et à leur communication aux prescripteurs, en mettant en cause ses compétences en public lors d'une visite d'inspection, le 6 novembre 2015, incident qui a donné lieu à une plainte de M. C... auprès du conseil de l'ordre des médecins, sont corroborées, l'atteinte à la réputation professionnelle n'est pas établie, en l'absence de diffusion des éléments liés aux visites d'inspection. En outre, le rapport d'inspection de l'agence régionale de santé Occitanie relève que M. C... dispose d'une solide formation en médecine nucléaire conventionnelle, est reconnu localement en cardiologie nucléaire, et que ses compétences techniques ne sont pas en cause. Enfin, l'absence de relations confraternelles et les profondes dissensions au sein du service et notamment le comportement vindicatif du troisième médecin, qui a déposé plainte contre lui, trouvent au moins, pour partie, leur origine dans le comportement de M. C.... Il ne résulte pas, par ailleurs, de l'instruction, que les propos dénigrants ou non confraternels de ses collègues auraient eu un impact négatif sur la réputation de M. C... ou auraient participé au syndrome de stress au travail post-réactionnel dont il est atteint et relié, selon ses écritures, au mode de management mis en place par la direction du centre hospitalier.

17. Il résulte de ce qui précède que les éléments de fait soumis par M. C... dans la présente instance, même pris dans leur ensemble, s'ils révèlent une situation éminemment conflictuelle au sein du service de médecine nucléaire de l'établissement de santé, ne sont pas susceptibles de caractériser l'existence d'agissements répétés de harcèlement moral à son encontre. Par suite, l'appelant n'est pas fondé à soutenir que la protection fonctionnelle aurait dû lui être accordée pour ces faits, ni, par là même, que la responsabilité du centre hospitalier de Rodez serait engagée du fait de tels agissements.

En ce qui concerne la méconnaissance de l'obligation de santé et sécurité au travail et la faute exonératoire de l'agent public :

18. Aux termes de l'article 23 de la loi du 13 juillet 1983, relative aux droits et obligations des fonctionnaires, applicable à la date du fait générateur du dommage, et dont les dispositions sont aujourd'hui reprises à l'article L. 136-1 du code général de la fonction publique : " Des conditions d'hygiène et de sécurité de nature à préserver leur santé et leur intégrité physique sont assurées aux fonctionnaires durant leur travail ". Aux termes de l'article L. 4111-1 du code du travail : " Sous réserve des exceptions prévues à l'article L. 4111-4, les dispositions de la présente partie sont applicables aux employeurs de droit privé ainsi qu'aux travailleurs. / Elles sont également applicables : (...) 3° Aux établissements de santé, sociaux et médico-sociaux mentionnés à l'article 2 de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière (...) ". Aux termes de l'article L. 4121-1 du code du travail : " L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. (...). "

19. Il appartient aux autorités administratives, qui ont l'obligation de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et morale de leurs agents, d'assurer, sauf à commettre une faute de service, la bonne exécution des dispositions législatives et réglementaires qui ont cet objet.

20. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport de l'agence régionale de santé Occitanie du 4 juillet 2017 que le centre hospitalier de Rodez s'est abstenu d'organiser l'intervention de deux médecins exerçant exclusivement en libéral auprès de l'équipe hospitalière du service de médecine nucléaire jusqu'en 2017, alors que la coexistence de médecins aux statuts, obligations et rémunérations différents s'est avérée difficile, puis conflictuelle, laissant ainsi s'installer une ambiance particulièrement délétère au sein du service, et favorisant le développement entre les médecins d'animosités personnelles et de comportements inappropriés. Il est ainsi relevé l'absence de règlement intérieur du groupement sanitaire de coopération, qui aurait permis de faire participer les médecins libéraux à la permanence des soins, l'absence de protocole de répartition des compétences entre les médecins et les personnels paramédicaux et l'absence de contrôle des obligations de service de M. C.... De même, il est également relevé l'absence de saisine du conseil départemental de l'ordre des médecins à des fins de sanction des comportements non confraternels des médecins entre eux et notamment de la lettre de signalement au procureur de la République dont M. C... a fait l'objet à la suite d'un incident lié à des erreurs de préparation de produits radiopharmaceutiques. Ainsi, alors même que M. C... n'a cessé d'alerter le centre hospitalier depuis l'année 2013, sur l'absence de régulation ou de médiation des conflits internes entre les médecins, et que ces demandes, relayées par le président de la commission médicale d'établissement, sont restées sans réponse, ces carences managériales graves constituent des manquements du centre hospitalier à l'obligation de protection de la santé physique et psychique à l'égard de M. C..., qui a souffert des conflits au sein de l'équipe médicale du service entretenus par cette inertie fautive.

21. Par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse, relevant cette faute de service que constitue le manquement à l'obligation de protection et de prévention, rappelée au point 19, a toutefois retenu une faute exonératoire, pour moitié, de M. C... et condamné l'employeur à lui verser la somme de 3 000 euros en réparation de son préjudice moral.

22. Si l'appelant conteste cette faute retenue à son encontre pour exonérer partiellement le centre hospitalier de Rodez des condamnations prononcées, il résulte cependant de l'instruction qu'il a contribué, par son comportement et ses actes, à la situation qu'il dénonce. En effet, il résulte de l'instruction que M. C... ne s'impliquait pas dans le fonctionnement du service, s'étant replié sur son activité libérale, que son rythme de travail avec une longue pause méridienne n'est pas compatible avec le développement de nouvelles techniques nécessitant une journée continue, et qu'en dépit des alertes de ses collègues, il n'assurait pas correctement la présence médicale pendant la durée totale des examens radiographiques. Si l'intéressé conteste ces griefs, il ne produit aucun élément matériel contredisant les constats de ses collègues, de la direction et de l'agence régionale de santé. Il résulte également de l'instruction que le comportement de M. C... à l'égard de sa collègue a donné lieu à une plainte de cette dernière auprès du conseil départemental de l'ordre en 2013, celle-ci lui reprochant une attitude agressive et menaçante réitérée à son égard. Enfin, les rares tentatives de résolution des conflits et d'apaisement des tensions de la direction de l'établissement se sont heurtées à l'attitude peu coopérative de M. C..., qui, a, au surplus, toujours fait obstacle au contrôle de ses obligations de service en qualité de praticien hospitalier. Ainsi que l'ont jugé à bon droit les premiers juges, son comportement était de nature à atténuer la responsabilité du centre hospitalier de Rodez à hauteur de 50%.

En ce qui concerne les préjudices :

23. D'une part, ainsi qu'il est relevé au point 15 du jugement attaqué, M. C..., à partir de la fin de l'année 2015, a commencé à souffrir de stress au travail, diagnostiqué par le médecin de prévention, le 4 avril 2017, ayant nécessité un suivi psychologique, à compter du mois d'avril 2018. L'abstention fautive de l'établissement de santé incluant l'absence de saisine du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail a nécessairement entraîné un préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence. Il en sera fait une juste appréciation du préjudice moral à le fixant à la somme de 6 000 euros. Compte tenu du partage de responsabilité indiqué au point précédent, une indemnité de 3 000 euros doit lui être allouée. Il suit de là que les premiers juges n'ont pas procédé à une évaluation insuffisante de ce poste de préjudice.

24. Si, compte tenu de ce qui a été dit au point 4, le requérant est recevable à solliciter la réparation d'un préjudice de carrière dans la limite de 20 000 euros, il n'établit pas que la méconnaissance par son employeur de l'obligation de protection prévue à l'article L. 4121-1 du code du travail serait en lien direct et certain avec le préjudice de carrière allégué sur une période de 2013 à 2018, alors que la situation de harcèlement moral invoquée, n'a, au demeurant, pas été retenue. En conséquence, M. C... n'est pas fondé à solliciter l'indemnisation de ce préjudice.

25. Il résulte de ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a limité l'indemnisation de son préjudice à la somme de 3 000 euros et a rejeté le surplus de ses conclusions à fin d'indemnisation.

Sur l'appel incident :

26. Compte tenu de ce qui a été dit au point 20, l'intimé n'est pas fondé à soutenir qu'il n'a commis aucun manquement à l'obligation de santé et sécurité prévue à l'article L. 4121-1 du code du travail et à contester le montant de l'indemnisation accordée à ce titre.

27. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir tirée du litige distinct qu'il soulèverait, que l'appel incident doit être rejeté comme non fondé.

Sur les frais liés au litige :

28. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la somme demandée par M. C... au titre des frais exposés et non compris dans les dépens soit mise à la charge du centre hospitalier de Rodez, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de M. C... la somme que sollicite le centre hospitalier de Rodez sur ce même fondement.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions d'appel incident et les conclusions présentées en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative par le centre hospitalier de Rodez sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C... et au centre hospitalier de Rodez.

Délibéré après l'audience du 12 novembre 2024 à laquelle siégeaient :

Mme Geslan-Demaret, présidente de chambre,

Mme Teuly-Desportes, présidente-assesseure,

Mme Bentolila, conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 novembre 2024.

La rapporteure,

D. Teuly-Desportes

La présidente,

A. Geslan-Demaret

La greffière,

M-M. Maillat

La République mande et ordonne à la ministre de la santé et de l'accès aux soins, en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N°22TL21145 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de TOULOUSE
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22TL21145
Date de la décision : 26/11/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

36-05-04-01-03 Fonctionnaires et agents publics. - Positions. - Congés. - Congés de maladie. - Accidents de service.


Composition du Tribunal
Président : Mme Geslan-Demaret
Rapporteur ?: Mme Delphine Teuly-Desportes
Rapporteur public ?: Mme Torelli
Avocat(s) : POUDAMPA

Origine de la décision
Date de l'import : 18/05/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-11-26;22tl21145 ?
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