Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... M'mah A... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 20 octobre 2023 par lequel le préfet de la Haute-Garonne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans délai un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi, d'enjoindre, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, au préfet de la Haute-Garonne de lui délivrer le titre de séjour sollicité dans un délai d'un mois ou de procéder au réexamen de sa situation et de mettre à la charge de l'État une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Par un jugement n° 2307821 du 23 mai 2024, le tribunal administratif de Toulouse a annulé cet arrêté, enjoint au préfet de la Haute-Garonne de délivrer à M. A..., dans un délai de deux mois, un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, mis à la charge de l'État la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et rejeté le surplus des conclusions de sa demande.
Procédure devant la cour :
I. Par une requête, enregistrée le 17 juin 2024 sous le n° 24TL01541, le préfet de la Haute-Garonne demande à la cour d'annuler ce jugement, en tant qu'il fait droit à la demande de M. A....
Il soutient que M. A... ne démontre pas avoir été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans.
Par un mémoire en défense, enregistré le 5 novembre 2024, M. A..., représenté par Me Ducos-Mortreuil, conclut :
1°) au rejet de la requête ;
2°) par la voie de l'appel incident, à ce que l'injonction prononcée par le tribunal soit assortie d'un délai d'exécution limité à un mois et d'une astreinte de 100 euros par jour de retard ;
3°) à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de l'État en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que le moyen soulevé par le préfet de la Haute-Garonne n'est pas fondé.
Par une ordonnance du 6 novembre 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 26 novembre 2024.
M. A... a bénéficié du maintien de plein droit de l'aide juridictionnelle totale par décision du 29 novembre 2024.
II. Par une requête, enregistrée le 17 juin 2024 sous le n° 24TL01542, le préfet de la Haute-Garonne demande à la cour de prononcer le sursis à exécution du jugement n° 2307821 du 23 mai 2024 du tribunal administratif de Toulouse, sur le fondement de l'article R. 811-15 du code de justice administrative, en tant qu'il a fait droit à la demande de M. A....
Il soutient que le moyen d'annulation soulevé dans sa requête au fond présente un caractère sérieux.
Par un mémoire en défense, enregistré le 5 novembre 2024, M. A..., représentée par Me Ducos-Mortreuil, conclut :
1°) au rejet de la requête ;
2°) à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de l'État en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que le moyen soulevé par le préfet de la Haute-Garonne ne présente pas un caractère sérieux.
Par une ordonnance du 6 novembre 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 26 novembre 2024.
M. A... a bénéficié du maintien de plein droit de l'aide juridictionnelle totale par décision du 29 novembre 2024.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Lafon a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., de nationalité guinéenne, a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 20 octobre 2023 par lequel le préfet de la Haute-Garonne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans délai un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi, d'enjoindre, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, au préfet de la Haute-Garonne de lui délivrer le titre de séjour sollicité dans un délai d'un mois ou de procéder au réexamen de sa situation et de mettre à la charge de l'État une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique. Par la requête n° 24TL01541, le préfet de la Haute-Garonne fait appel du jugement du 23 mai 2024 du tribunal administratif de Toulouse en tant qu'il a annulé cet arrêté, lui a enjoint de délivrer à M. A..., dans un délai de deux mois, un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et a mis à la charge de l'État la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique. Par la requête n° 24TL01542, le préfet de la Haute-Garonne demande à la cour, sur le fondement de l'article R. 811-15 du code de justice administrative, de prononcer le sursis à exécution de ce jugement dans cette mesure.
2. Les requêtes n° 24TL01541 et n° 24TL01542 présentées par le préfet de la Haute-Garonne étant dirigées contre un même jugement, il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.
Sur la requête n° 24TL01541 :
En ce qui concerne l'appel principal du préfet de la Haute-Garonne :
3. D'une part, aux termes de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " |À titre exceptionnel, l'étranger qui a été confié à l'aide sociale à l'enfance ou à un tiers digne de confiance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans et qui justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle peut, dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention "salarié" ou "travailleur temporaire", sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil ou du tiers digne de confiance sur l'insertion de cet étranger dans la société française. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable ".
4. D'autre part, aux termes de l'article R. 431-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui demande la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour présente à l'appui de sa demande : / 1° Les documents justifiants de son état civil ; / 2° Les documents justifiants de sa nationalité (...) ". Aux termes de l'article L. 811-2 du même code : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies à l'article 47 du code civil ". L'article 47 du code civil dispose que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. Celle-ci est appréciée au regard de la loi française ".
5. Les dispositions de l'article 47 du code civil posent une présomption de validité des actes d'état civil établis par une autorité étrangère. Il résulte également de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis.
6. Il ressort des termes de l'arrêté contesté que la demande de titre de séjour que M. A... a présentée sur le fondement de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile a été rejetée au motif que l'intéressé, qui a déclaré être né le 12 mars 2004 et être entré en France le 14 septembre 2020 et qui a été pris en charge par les services de l'aide sociale à l'enfance du département de la Haute-Garonne à la suite d'un jugement en assistance éducative, rendu le 20 avril 2021 par le juge des enfants près le tribunal judiciaire de Toulouse, ne satisfaisait pas aux conditions d'âge prévues par ces dispositions.
7. Il ressort des pièces du dossier que M. A... a présenté, à l'appui de sa demande de titre de séjour, un jugement supplétif n° 6296 tenant lieu d'acte de naissance, rendu le 11 septembre 2020 par le tribunal de première instance de Conakry III - Mafanco, un extrait n° 9394 du registre d'état civil du 16 novembre 2020 de la commune de Matoto, portant transcription de ce jugement, et une carte d'identité consulaire de la République de Guinée délivrée le 28 avril 2021, au vu desquels il serait né le 12 mars 2004. Pour contester la valeur probante de ces pièces, le préfet de la Haute-Garonne s'est fondé sur un rapport d'examen technique, établi le 13 décembre 2022, à l'issue duquel la cellule fraude documentaire de la direction interdépartementale de la police aux frontières de Toulouse a émis un avis défavorable quant à l'authenticité de ces documents. Ce rapport indique que le jugement supplétif et l'extrait du registre de transcription ne comportent pas les sécurités de base, comme l'utilisation de papier fiduciaire ou de l'offset, de sorte qu'une simple imprimante suffit à les éditer, que ces documents comportent des fautes d'orthographe et que le premier document présente une incohérence concernant la date du jugement et est dépourvu de mention de transcription. Le préfet s'est également fondé sur la consultation du fichier " Eurodac ", qui a révélé que M. A... est connu des autorités allemandes sous les identités de B... Sidiki A..., né le 31 décembre 2000 ou le 12 juillet 2003, auprès desquelles il a présenté une demande d'asile le 19 août 2019, pour en conclure que l'intéressé n'est pas en mesure de justifier ni de son identité, ni de son âge réel.
8. Toutefois, il ressort également des pièces du dossier que les documents d'état civil produits par M. A... ont été légalisés par un juriste au ministère des affaires étrangères et des guinéens de l'étranger le 1er février 2022 et ont ensuite fait l'objet d'une légalisation, le 19 mai 2022, par les services de l'ambassade de Guinée en France. Dans ces conditions, les éléments relevés par le préfet de la Haute-Garonne apparaissent insuffisants pour écarter ces documents comme étant dépourvus de toute force probante quant à l'identité et l'âge de l'intéressé. Ainsi, la circonstance qu'ils sont démunis de tout élément sur les sécurités que de tels documents doivent comporter selon la législation guinéenne ne permet pas de démontrer qu'ils ne sont pas authentiques. Tel est également le cas des incohérences, insuffisances ou fautes d'orthographe qu'ils comportent et qui sont marginales. En outre, la circonstance, invoquée pour la première fois dans les écritures d'appel du préfet, selon laquelle le jugement supplétif du 11 septembre 2020, qui serait peu motivé, a été rendu sans la présence de M. A..., sur la base des témoignages de deux personnes qui ne sont pas membres de sa famille, ne suffit pas à établir son caractère frauduleux. Enfin, la date de naissance revendiquée par M. A... est confirmée par les mentions d'un acte de naissance biométrique, dressé le 20 février 2024 et versé au dossier de première instance. Par ailleurs, M. A... expose que sa demande d'asile a été présentée auprès des autorités allemandes à partir d'une identité reposant sur des données purement déclaratives. L'absence d'explications fournies par M. A... s'agissant de la chronologie de son parcours migratoire, alors même qu'elle conduit à considérer que sa demande d'asile a été présentée à l'âge de 15 ans seulement, ne saurait remettre en cause le caractère probant des documents dont il se prévaut. Sa date de naissance n'a d'ailleurs pas été remise en cause par le juge des enfants, dans son jugement du 20 avril 2021, en dépit des doutes mentionnés dans un rapport d'évaluation émis par les services du dispositif départemental d'accueil, d'évaluation et d'orientation pour les mineurs isolés. Dans l'ensemble de ces conditions, le préfet de la Haute-Garonne, qui ne peut justifier sa décision uniquement sur les éléments issus de la consultation du fichier " Eurodac ", à défaut d'avoir consulté l'autorité étrangère compétente sur l'authenticité des actes présentés, ne peut être regardé comme renversant la présomption d'exactitude des mentions figurant dans les actes d'état civil produits par l'intéressé. Par suite, en rejetant la demande de titre de séjour présentée par M. A... au motif qu'il ne justifiait pas de son état civil par des documents probants et qu'il ne remplissait pas, par voie de conséquence, les conditions d'âge prévues à l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet de la Haute-Garonne a méconnu les dispositions citées aux points 3 et 4 ci-dessus.
9. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Haute-Garonne n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a annulé l'arrêté du 20 octobre 2023, enjoint au préfet de la Haute-Garonne de délivrer à M. A... le titre de séjour sollicité dans un délai de deux mois et mis à la charge de l'État la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
En ce qui concerne l'appel incident de M. A... :
10. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, ni de limiter à un mois le délai laissé au préfet de la Haute-Garonne pour procéder à la délivrance à M. A... d'un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ni d'assortir d'une astreinte l'injonction prononcée par le jugement attaqué.
Sur la requête n° 24TL01542 :
11. Le présent arrêt statuant sur la demande d'annulation partielle du jugement n° 2307821 du 23 mai 2024 du tribunal administratif de Toulouse, les conclusions de la requête n° 24TL01542 tendant au sursis à exécution de ce jugement, dans cette mesure, sont devenues sans objet.
Sur les frais liés au litige :
12. M. A... a bénéficié du maintien de plein droit de l'aide juridictionnelle totale par décisions du 29 novembre 2024. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et des articles 37 et 75 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État le versement au conseil de l'intimé, sous réserve qu'il renonce à la contribution de l'État à l'aide juridictionnelle dans ces affaires, de la somme de 1 200 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : La requête n° 24TL01541 du préfet de la Haute-Garonne est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de M. A... présentées par la voie de l'appel incident sont rejetées.
Article 3 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 24TL01542 du préfet de la Haute-Garonne tendant au sursis à exécution du jugement du tribunal administratif de Toulouse du 23 mai 2024.
Article 4 : L'État versera au conseil de M. A..., sous réserve qu'il renonce à percevoir la contribution de l'État à l'aide juridictionnelle dans les présentes affaires, la somme de 1 200 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et des articles 37 et 75 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à M. B... M'mah A... et à Me Saskia Ducos-Mortreuil.
Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Garonne.
Délibéré après l'audience du 12 décembre 2024, où siégeaient :
M. Rey-Bèthbéder, président,
M. Lafon, président-assesseur,
Mme Fougères, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 décembre 2024.
Le rapporteur,
N. Lafon
Le président,
É. Rey-Bèthbéder
Le greffier,
F. Kinach
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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Nos 24TL01541, 24TL01542