Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société d'exercice libéral à responsabilité limitée Pourciel et Associés a demandé au tribunal administratif de Toulouse l'annulation de la décision du 27 août 2020 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a refusé de faire droit à sa demande d'ouverture d'un bureau annexe sur le territoire de la commune de Lacroix-Falgarde (Haute-Garonne), et de la décision implicite de rejet de son recours gracieux présenté le 27 octobre 2020 à l'encontre de la décision précitée.
Par un jugement n° 2100473 du 30 mars 2023, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 26 mai 2023, la société Pourciel et Associés, représentée par Me Gasquet, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 30 mars 2023 du tribunal administratif de Toulouse ;
2°) l'annulation de la décision du 27 août 2020 par laquelle le ministre de la justice a refusé de faire droit à sa demande d'ouverture d'un bureau annexe sur le territoire de la commune de Lacroix-Falgarde, et l'annulation de la décision implicite de rejet de son recours gracieux présenté à l'encontre de cette décision ;
3°) d'enjoindre au ministre de la justice de l'autoriser à ouvrir un bureau annexe sur le territoire de la commune de Lacroix-Falgarde dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, et sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- c'est à tort que les premiers juges ont refusé d'admettre qu'elle était, sur le fondement de l'article L. 231-1 du code des relations entre le public et l'administration, bénéficiaire d'une décision implicite d'acception de sa demande d'ouverture d'un bureau annexe présentée le 13 septembre 2018, et sur laquelle le ministre de la justice a gardé le silence pendant plus de deux mois ;
- la décision expresse de rejet de sa demande, intervenue le 27 août 2020, soit au-delà du délai de deux mois prévu par les dispositions de l'article L. 231-1 du code des relations entre le public et l'administration, a illégalement procédé à l'abrogation de la décision implicite d'acceptation de sa demande, laquelle était créatrice de droits, dès lors qu'elle est intervenue au-delà du délai de quatre mois prévu à l'article L. 242-1 du même code ;
- compte tenu de ce que cette décision expresse de rejet de sa demande, intervenue le 27 août 2020, doit être regardée comme ayant procédé au retrait de la décision implicite d'acception, elle devait être précédée d'une procédure contradictoire ;
- cette décision du 27 août 2020 est dépourvue de base légale dès lors que l'article 52 de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015, dont cette décision fait application en lui opposant le fait que, dans la " zone d'installation libre " où elle souhaite installer le bureau annexe, est programmée la création d'au moins 13 nouveaux offices de notaire et la nomination d'au moins 22 nouveaux professionnels libéraux, n'est pas applicable à l'ouverture de bureaux annexes ;
- la décision attaquée est par ailleurs entachée d'une erreur de droit et d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors qu'elle ne procède pas à l'examen des trois critères dégagés par la jurisprudence du Conseil d'Etat tenant à l'appréciation, s'agissant d'une zone dans laquelle la création d'un bureau annexe est demandée, des besoins du public, de la situation géographique et de l'évolution démographique et économique ;
- en l'espèce, la création d'un bureau annexe sur le territoire de la commune de Lacroix-Falgarde se justifie par le fait qu'elle a traité 157 dossiers dans cette commune au cours des sept dernières années, et 723 dossiers dans les communes avoisinantes que sont Aureville, Goyrans, Pins-Justaret, Pinsaguel, Vigoulet-Auzil.
Par un mémoire en défense, enregistré le 17 septembre 2024, le garde des sceaux, ministre de la justice conclut au rejet de la requête de la société Pourciel et Associés.
Il soutient qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Par une ordonnance du 18 septembre 2024, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 22 octobre 2024 à 12h00.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 ;
- le décret n° 71-942 du 26 novembre 1971 ;
- le décret n° 2016-661 du 20 mai 2016 ;
- l'arrêté du 3 décembre 2018 pris en application de l'article 52 de la loi n° 2015-990 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques pour la profession de notaire ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Bentolila, président assesseur,
- les conclusions de Mme Perrin, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. La société Pourciel et Associés, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, titulaire d'un office notarial à Venerque (Haute-Garonne), a sollicité le 13 septembre 2018, sur le site internet du ministère de la justice, l'ouverture d'un bureau annexe dans la commune de Lacroix-Falgarde (Haute-Garonne). Par une décision du 27 août 2020, le garde des sceaux, ministre de la justice, a rejeté cette demande. La société Pourciel a introduit un recours gracieux à l'encontre de cette décision, par un courrier du 27 octobre 2020, qui a été implicitement rejeté par le ministre de la justice.
2. La société Pourciel relève appel du jugement du 30 mars 2023 par lequel le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 27 août 2020, par laquelle le ministre de la justice a refusé de faire droit à sa demande d'ouverture d'un bureau annexe sur le territoire de la commune de Lacroix-Falgarde, et de la décision implicite de rejet de son recours gracieux présenté à l'encontre de cette décision.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
En ce qui concerne l'existence d'une décision implicite d'acceptation :
3. Aux termes de l'article L. 100-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Le présent code régit les relations entre le public et l'administration en l'absence de dispositions spéciales applicables (...) ". Aux termes de l'article L. 231-1 du même code : " Le silence gardé pendant deux mois par l'administration sur une demande vaut décision d'acceptation. ".
4. La procédure d'ouverture d'un bureau annexe à un office de notaire relève de dispositions spéciales qui impliquent que les décisions d'acceptation soient prises de manière expresse. Elle n'entre pas, en conséquence, dans le champ du principe posé à l'article L. 231-1 du code des relations entre le public et l'administration, de sorte que le silence gardé pendant deux mois par le ministre de la justice, sur une demande d'ouverture d'un bureau annexe, ne peut faire naître une décision implicite d'acceptation.
5. Par suite, le moyen soulevé par la société appelante, tiré de ce qu'elle a été implicitement autorisée à ouvrir un bureau annexe, compte tenu du silence gardé pendant plus de deux mois sur sa demande par le ministre de la justice, doit être écarté.
6. Il s'ensuit encore que la décision du 27 août 2020, par laquelle le ministre de la justice a expressément refusé de faire droit à la demande de la société Pourciel, ne saurait être regardée comme procédant au retrait d'une décision créatrice de droits. Ainsi, le moyen tiré de l'irrégularité de cette décision, en l'absence de respect d'une procédure contradictoire préalable, ne peut qu'être écarté. Pour les mêmes motifs, le moyen tiré de ce que cette décision aurait illégalement procédé au retrait d'une décision créatrice de droits au-delà du délai de quatre mois, prévu à l'article L. 242-1 du code des relations entre le public et l'administration, doit être écarté.
En ce qui concerne la légalité de la décision du 27 août 2020 :
7. Aux termes de l'article 10 du décret du 26 novembre 1971 relatif aux créations, transferts et suppressions d'offices de notaire, à la compétence d'instrumentation et à la résidence des notaires, à la garde et à la transmission des minutes et registres professionnels des notaires, dans sa rédaction résultant de l'article 16 du décret du 20 mai 2016 relatif aux officiers publics et ministériels, applicable en l'espèce : " (...) il est interdit aux notaires de recevoir eux-mêmes ou de faire recevoir par une personne à leur service leurs clients à titre habituel dans un local autre que leur étude (...). / Le garde des sceaux, ministre de la justice peut, à la demande du titulaire de l'office, prendre un arrêté autorisant l'ouverture d'un ou plusieurs bureaux annexes soit à l'intérieur du département, soit à l'extérieur du département dans un canton ou une commune limitrophe du canton où est établi l'office. Le ou les bureaux annexes ainsi ouverts restent attachés à l'office sans qu'il soit besoin, lors de la nomination d'un nouveau titulaire, de renouveler l'autorisation accordée ". Aux termes de l'article 2-7 du même décret, dans sa rédaction applicable au litige : " La création ou la suppression d'un office, la transformation d'un bureau annexe en office distinct et l'ouverture ou la suppression d'un bureau annexe font l'objet d'un arrêté du garde des sceaux, ministre de la justice. / Le siège de l'office créé est précisé par l'arrêté qui nomme le titulaire ". Sur le fondement de ces dispositions, la société Pourciel a demandé à être autorisée à ouvrir un bureau annexe sur le territoire de la commune de Lacroix-Falgarde, située à 12 km environ de la commune de Venerque où se trouve le siège de son office notarial.
8. Aux termes de l'article 52 de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques : " I. - Les notaires (...) peuvent librement s'installer dans les zones où l'implantation d'offices apparaît utile pour renforcer la proximité ou l'offre de services. / Ces zones sont déterminées par une carte établie conjointement par les ministres de la justice et de l'économie (...). Elles sont définies de manière détaillée au regard de critères précisés par décret, parmi lesquels une analyse démographique de l'évolution prévisible du nombre de professionnels installés. / A cet effet, cette carte identifie les secteurs dans lesquels, pour renforcer la proximité ou l'offre de services, la création de nouveaux offices de notaire (...) apparaît utile. / Afin de garantir une augmentation progressive du nombre d'offices à créer, de manière à ne pas bouleverser les conditions d'activité des offices existants, cette carte est assortie de recommandations sur le rythme d'installation compatible avec une augmentation progressive du nombre de professionnels dans la zone concernée. / Cette carte est rendue publique et révisée tous les deux ans. / II.- Dans les zones mentionnées au I, lorsque le demandeur remplit les conditions de nationalité, d'aptitude, d'honorabilité, d'expérience et d'assurance requises pour être nommé en qualité de notaire, (...) le ministre de la justice le nomme titulaire de l'office de notaire (...) créé. (...) / Si, dans un délai de six mois à compter de la publication de la carte mentionnée au I, le ministre de la justice constate un nombre insuffisant de demandes de créations d'office au regard des besoins identifiés, il procède (...) à un appel à manifestation d'intérêt en vue d'une nomination dans un office vacant ou à créer ou de la création d'un bureau annexe par un officier titulaire. / Si l'appel à manifestation d'intérêt est infructueux, le ministre de la justice confie la fourniture des services d'intérêt général en cause (...) à la chambre départementale des notaires (...) / III. - Dans les zones autres que celles mentionnées au I, il ne peut être créé de nouveaux offices qu'à la condition de ne pas porter atteinte à la continuité de l'exploitation des offices existants et à la qualité du service rendu. (...) ".
9. En premier lieu, il résulte des dispositions précitées de l'article 52 de la loi du 6 août 2015, que le législateur a entendu améliorer l'accès aux offices publics ou ministériels dans la perspective de renforcer la cohésion territoriale des prestations et d'augmenter de façon progressive le nombre d'offices sur le territoire, la réalisation de cet objectif devant toutefois se faire dans des conditions permettant de ne pas bouleverser les conditions d'activité des offices existants. Pour ce faire, le législateur a substitué à un régime d'autorisation préalable un principe de liberté d'installation des offices, encadré par une procédure permettant de s'assurer que le nombre, la localisation, les caractéristiques et la viabilité économique des offices à créer, tout comme les motifs de leur création, reposent sur des critères objectifs et répondent aux besoins du service public notarial. Dans les zones où l'implantation d'offices apparaît utile pour renforcer la proximité ou l'offre de services, dites zones d'installation libre, les nominations sont ainsi prononcées par le garde des sceaux, ministre de la justice, au regard des recommandations de la carte arrêtée par les ministres de la justice et de l'économie et suivant l'ordre d'enregistrement de leur demande et, lorsque le nombre de demandes de création d'office est supérieur aux recommandations, par tirage au sort.
10. La procédure d'ouverture d'un bureau annexe à un office de notaire doit tenir compte de la procédure d'instruction des demandes de création d'offices de notaire, prévue notamment par l'article 52 de la loi du 6 août 2015, et, en tout état de cause, ne pas la remettre en cause, par ses effets. Dans ces conditions, le moyen invoqué par la société appelante, tiré de ce que la décision du 27 août 2020 en litige, qui fait application des dispositions précitées du décret du 26 novembre 1971, serait entachée d'une erreur de droit dès lors que, pour instruire la demande de la société Pourciel, elle se réfère aussi à l'article 52 de la loi du 6 août 2015, doit être écarté.
11. En second lieu, dans l'exercice des pouvoirs qui lui sont conférés par les dispositions citées au point 7, en matière d'autorisation d'une demande d'ouverture de bureau annexe formée par un office de notaire, le ministre de la justice doit se fonder, dans l'intérêt du service public, sur les besoins du public, la situation géographique et l'évolution démographique et économique, et ce dans l'objectif d'assurer un maillage territorial équilibré du service public notarial et, dans les zones qui en sont dépourvues ou insuffisamment pourvues, de permettre l'ouverture de bureaux annexes. Il doit tenir compte, pour cela, du nombre et de la localisation des offices existants ou à créer. Il lui appartient encore de veiller à ce que, par ses effets, l'ouverture d'un bureau annexe ne remette pas en cause la création d'offices, particulièrement lorsque le nombre de demandes de création de ces offices est supérieur aux recommandations.
12. Ainsi, et comme il a été dit au point 10, la procédure d'ouverture d'un bureau annexe à un office de notaire doit tenir compte de la procédure d'instruction des demandes de création d'offices de notaire et, en tout état de cause, ne pas la remettre en cause, par ses effets, et constitue ainsi, comme cette dernière, une procédure spécifique, eu égard tant à la qualité d'officier public des notaires et aux prérogatives qui leur sont conférées qu'à la nécessité pour le nombre et la localisation de ces offices et bureaux annexes de correspondre aux besoins du service public notarial. En outre, l'ouverture d'un bureau annexe constitue un avantage ou une autorisation que le garde des sceaux, ministre de la justice, ne peut accorder qu'à un nombre prédéfini et limité de personnes du fait de la procédure de nomination dans les offices créés dans une zone d'installation libre.
13. La loi du 6 août 2015 dispose, dans son article 52, qu'est établie une carte déterminant, pour une période de deux ans, les différentes zones dans lesquelles l'implantation d'offices apparaît utile. A la date de la décision attaquée, cette carte a été établie par un arrêté interministériel du 3 décembre 2018 qui crée, dans son article 2, 306 zones d'installation (229 zones d'installation libre et 77 zones d'installation contrôlée). L'arrêté fixe, pour chacune de ces zones, une recommandation sur le nombre de créations d'offices notariaux afin de garantir une augmentation progressive des offices à créer et de ne pas bouleverser les conditions d'activité des offices existants. Cet arrêté prévoit, dans son annexe n° 286, que la commune de Lacroix-Falgarde, dans laquelle la société Pourciel souhaite installer un bureau annexe, se trouve dans la zone d'installation libre 00-61 de Toulouse.
14. Il ressort des pièces du dossier que la commune de Lacroix-Falgarde est située à seulement 12 kilomètres de Toulouse, laquelle fait partie des communes les plus attractives de France sur le plan économique et démographique. Par ailleurs, dans la zone d'installation libre à laquelle appartient la commune de Lacroix-Falgarde, où l'implantation d'offices apparaît utile pour renforcer la proximité ou l'offre de services, l'arrêté du 3 décembre 2018 prévoit la création de 13 offices et la nomination d'au moins 22 nouveaux professionnels. Ces professionnels sont ainsi susceptibles de s'installer sur le territoire de la commune de Lacroix-Falgarde où la société Pourciel projette d'ouvrir son bureau annexe. Dans ces conditions, en refusant à la société Pourciel de faire droit à sa demande d'ouverture d'un bureau annexe sur le territoire de la commune de Lacroix-Falgarde, le ministre de la justice, qui a veillé à un maillage territorial équilibré du service public notarial dans la zone considérée, n'a pas entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation.
15. Il résulte de tout ce qui précède que la société Pourciel n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.
Sur les conclusions en injonction :
16. Compte tenu du rejet des conclusions en annulation, les conclusions à fin d'injonction présentées par la société Pourciel ne peuvent être que rejetées.
Sur l'application de l'article L.761-1 du code de justice administrative :
17. Ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas partie perdante dans la présente instance, la somme demandée par la société Pourciel.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société Pourciel est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Pourciel et Associés et au garde des sceaux, ministre de la justice.
Délibéré après l'audience du 17 décembre 2024 à laquelle siégeaient :
M. Faïck, président,
M. Bentolila, président-assesseur,
Mme El Gani-Laclautre, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 31 décembre 2024.
Le rapporteur
P. Bentolila
Le président,
F.Faïck
La greffière,
C. Lanoux
La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 23TL01244 2