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06/02/2025 | FRANCE | N°24TL02176

France | France, Cour administrative d'appel de TOULOUSE, 1ère chambre, 06 février 2025, 24TL02176


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 20 octobre 2023 par lequel le préfet de la Haute-Garonne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi, d'enjoindre, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, au préfet de la Haute-Garonne de lui délivrer une carte de séjour portant la mention " salarié " ou " travailleur tem

poraire " ou de procéder au réexamen de sa situation et de mettre à la charge de l'État ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 20 octobre 2023 par lequel le préfet de la Haute-Garonne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi, d'enjoindre, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, au préfet de la Haute-Garonne de lui délivrer une carte de séjour portant la mention " salarié " ou " travailleur temporaire " ou de procéder au réexamen de sa situation et de mettre à la charge de l'État une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Par un jugement n° 2307065 du 16 juillet 2024, le tribunal administratif de Toulouse a annulé cet arrêté, enjoint au préfet de la Haute-Garonne de délivrer à l'intéressé une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " ou " travailleur temporaire " dans un délai d'un mois et de le munir, dans l'attente, d'une autorisation provisoire de séjour, mis à la charge de l'État la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et rejeté le surplus des conclusions de sa demande.

Procédure devant la cour :

I - Par une requête, enregistrée le 9 août 2024 sous le n° 24TL02176, le préfet de la Haute-Garonne demande à la cour d'annuler ce jugement, en tant qu'il a fait droit à la demande de M. A....

Il soutient que M. A... ne justifie pas avoir été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans.

Par un mémoire en défense, enregistré le 21 novembre 2024, M. A..., représenté par Me Bouix, conclut :

1°) au rejet de la requête ;

2°) par la voie de l'appel incident, à ce que l'injonction prononcée par le tribunal soit assortie d'une astreinte de 100 euros par jour de retard ;

3°) à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de l'État en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- le moyen soulevé par le préfet de la Haute-Garonne n'est pas fondé ;

- il remplit les conditions prévues par l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire français est privée de base légale ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

M. A... a bénéficié du maintien de plein droit de l'aide juridictionnelle totale par décision du 27 septembre 2024.

II. Par une requête, enregistrée le 9 août 2024 sous le n° 24TL02177, le préfet de la Haute-Garonne demande à la cour de prononcer le sursis à exécution du jugement n° 2307065 du tribunal administratif de Toulouse, sur le fondement de l'article R. 811-15 du code de justice administrative, en tant qu'il a fait droit à la demande de M. A....

Il soutient que le moyen d'annulation soulevé dans sa requête au fond présente un caractère sérieux.

Par un mémoire en défense, enregistré le 21 novembre 2024, M. A..., représenté par Me Bouix, conclut :

1°) au rejet de la requête ;

2°) à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de l'État en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- le moyen soulevé par le préfet de la Haute-Garonne n'est pas fondé ;

- il remplit les conditions prévues par l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire français est privée de base légale ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

M. A... a bénéficié du maintien de plein droit de l'aide juridictionnelle totale par décision du 27 septembre 2024.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Lafon a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., de nationalité guinéenne, a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 20 octobre 2023 par lequel le préfet de la Haute-Garonne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi, d'enjoindre, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, au préfet de la Haute-Garonne de lui délivrer une carte de séjour portant la mention " salarié " ou " travailleur temporaire " et de mettre à la charge de l'État une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique. Par la requête n° 24TL02176, le préfet de la Haute-Garonne fait appel du jugement du 16 juillet 2024 du tribunal administratif de Toulouse en tant qu'il a annulé cet arrêté, lui a enjoint de délivrer à M. A... le titre de séjour sollicité dans un délai d'un mois et de le munir, dans l'attente, d'une autorisation provisoire de séjour et a mis à la charge de l'État la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique. Par la requête n° 24TL02177, le préfet de la Haute-Garonne demande à la cour, sur le fondement de l'article R. 811-15 du code de justice administrative, de prononcer le sursis à exécution de ce jugement dans cette mesure.

2. Les requêtes n° 24TL02176 et n° 24TL02177 présentées par le préfet de la Haute-Garonne étant dirigées contre un même jugement, il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.

Sur la requête n° 24TL02176 :

En ce qui concerne l'appel principal du préfet de la Haute-Garonne :

3. D'une part, aux termes de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " À titre exceptionnel, l'étranger qui a été confié à l'aide sociale à l'enfance ou à un tiers digne de confiance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans et qui justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle peut, dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " ou " travailleur temporaire ", sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil ou du tiers digne de confiance sur l'insertion de cet étranger dans la société française. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable ".

4. D'autre part, aux termes de l'article R. 431-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui demande la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour présente à l'appui de sa demande : / 1° Les documents justifiants de son état civil ; / 2° Les documents justifiants de sa nationalité (...) ". Aux termes de l'article L. 811-2 du même code : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies à l'article 47 du code civil ". L'article 47 du code civil dispose que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. Celle-ci est appréciée au regard de la loi française ".

5. Les dispositions de l'article 47 du code civil posent une présomption de validité des actes d'état civil établis par une autorité étrangère. Il résulte également de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis.

6. Il ressort des termes de l'arrêté contesté que la demande de titre de séjour que M. A... a présentée sur le fondement de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile a été rejetée au motif que l'intéressé ne satisfaisait pas aux conditions d'âge prévues par ces dispositions. Après avoir constaté que M. A... a déclaré être né le 9 mai 2004 et entré en France en mai 2021 et qu'il a été pris en charge par les services de l'aide sociale à l'enfance du département de la Haute-Garonne à la suite d'un jugement en assistance éducative, rendu le 30 novembre 2021 par le juge des enfants près le tribunal judiciaire de Toulouse, le préfet de la Haute-Garonne s'est fondé sur la consultation du fichier Visabio, qui a révélé que M. A... avait déposé, le 2 avril 2019, une demande de visa de court séjour au consulat de France à Abidjan (Côte d'Ivoire), sous l'identité de B... A..., né le 25 décembre 1992, pour en conclure que l'intéressé n'est pas en mesure de justifier ni de son identité, ni de son âge réel.

7. Il ressort toutefois des pièces du dossier que M. A... a présenté, à l'appui de sa demande de titre de séjour, un acte de naissance n° 816 établi le 7 juin 2021 à la suite d'un jugement supplétif n° 1744 du 19 mai 2021 du tribunal de première instance de Pita (République de Guinée) et une carte d'identité consulaire de la République de Guinée délivrée le 21 juillet 2021, au vu desquels il serait né le 9 mai 2004. Les deux documents d'état civil ont été légalisés par un juriste au ministère des affaires étrangères, de la coopération internationale, de l'intégration africaine et des guinéens de l'étranger le 9 juin 2022 et ont ensuite fait l'objet d'une légalisation, le 22 juin 2022, par les services de l'ambassade de Guinée en France. Par ailleurs, la cellule fraude documentaire et à l'identité de la direction interdépartementale de la police aux frontières de Blagnac n'a conclu, dans un rapport d'examen technique du 18 août 2022, à l'existence d'obtentions indues de plusieurs documents d'état civil que pour tenir compte d'une contrariété avec les résultats de la consultation du fichier Visabio. Cette même cellule a, par ailleurs, admis, dans un second rapport établi le 28 août 2023, l'authenticité d'un passeport émis le 24 janvier 2023 au nom de l'intimé et mentionnant une date de naissance du 9 mai 2004. Enfin, M. A... expose que les demandes de visas sous la fausse identité d'une personne majeure sont une pratique courante des passeurs pour faciliter la sortie du pays d'origine et que l'obtention d'un visa sous une autre identité ne suffit pas à remettre en cause la date de naissance du 9 mai 2004 indiquée dans les documents qu'il a produits à l'appui de sa demande de titre de séjour. Dans ces conditions, alors d'ailleurs que sa date de naissance n'a pas été remise en cause par le juge des enfants dans son jugement du 30 novembre 2021, en dépit des doutes mentionnés dans un rapport d'évaluation émis le 7 juin 2021 par les services du dispositif départemental d'accueil, d'évaluation et d'orientation pour les mineurs isolés, le préfet de la Haute-Garonne, qui ne pouvait se fonder uniquement sur les éléments repris dans le fichier Visabio, à défaut d'avoir consulté l'autorité étrangère compétente sur l'authenticité des actes présentés, ne peut être regardé comme renversant la présomption d'exactitude des mentions figurant dans l'acte d'état civil produit par l'intéressé. Par suite, en rejetant la demande de titre de séjour présentée par M. A... au motif qu'il ne justifiait pas de son état civil par des documents probants et qu'il ne remplissait pas, par voie de conséquence, les conditions d'âge prévues à l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet de la Haute-Garonne a méconnu les dispositions citées aux points 3 et 4 ci-dessus.

8. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Haute-Garonne n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a annulé l'arrêté du 20 octobre 2023, enjoint au préfet de la Haute-Garonne de délivrer à M. A... une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " ou " travailleur temporaire " dans un délai d'un mois et de le munir, dans l'attente, d'une autorisation provisoire de séjour et mis à la charge de l'État la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

En ce qui concerne l'appel incident de M. A... :

9. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir d'une astreinte l'injonction prononcée par le jugement attaqué.

Sur la requête n° 24TL02177 :

10. Le présent arrêt statuant sur la demande d'annulation partielle du jugement n° 2307065 du 16 juillet 2024 du tribunal administratif de Toulouse, les conclusions de la requête n° 24TL02177 tendant au sursis à exécution de ce jugement, dans cette mesure, sont devenues sans objet.

Sur les frais liés au litige :

11. M. A... a bénéficié du maintien de plein droit de l'aide juridictionnelle totale par décision du 27 septembre 2024. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et des articles 37 et 75 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État le versement au conseil de l'intimé, sous réserve qu'il renonce à la contribution de l'État à l'aide juridictionnelle dans ces affaires, de la somme de 1 200 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : La requête n° 24TL02176 du préfet de la Haute-Garonne est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de M. A... présentées par la voie de l'appel incident sont rejetées.

Article 3 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 24TL02177 du préfet de la Haute-Garonne tendant au sursis à exécution du jugement du tribunal administratif de Toulouse du 16 juillet 2024.

Article 4 : L'État versera au conseil de M. A..., sous réserve qu'il renonce à percevoir la contribution de l'État à l'aide juridictionnelle dans les présentes affaires, la somme de 1 200 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et des articles 37 et 75 de la loi du 10 juillet 1991.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. B... A....

Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Garonne.

Délibéré après l'audience du 23 janvier 2025, où siégeaient :

M. Rey-Bèthbéder, président,

M. Lafon, président-assesseur,

Mme Fougères, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 février 2025.

Le rapporteur,

N. Lafon

Le président,

É. Rey-Bèthbéder

Le greffier,

F. Kinach

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

Nos 24TL02176, 24TL02177


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de TOULOUSE
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 24TL02176
Date de la décision : 06/02/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Étrangers - Séjour des étrangers - Refus de séjour.

Étrangers - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. Rey-Bèthbéder
Rapporteur ?: M. Nicolas Lafon
Rapporteur public ?: Mme Restino
Avocat(s) : BOUIX ANITA;BOUIX ANITA;BOUIX ANITA

Origine de la décision
Date de l'import : 09/02/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-02-06;24tl02176 ?
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