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18/02/2025 | FRANCE | N°22TL22180

France | France, Cour administrative d'appel de TOULOUSE, 2ème chambre, 18 février 2025, 22TL22180


Vu la procédure suivante :



Procédures contentieuse antérieures :



Sous le n° 2002047, Mme G... B... veuve A..., M. D... H... A..., M. E... A..., M. C... A... et M. F... A..., en leur qualité d'ayants droit de ... et en leur nom personnel, ont notamment demandé au tribunal administratif de Montpellier de mettre à la charge de l'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, au titre de la solidarité nationale, la somme de 32 367,12 euros, en réparation des préjudices subis p

ar leur mari et père du fait de son décès et les sommes respectives de 304 200,96 e...

Vu la procédure suivante :

Procédures contentieuse antérieures :

Sous le n° 2002047, Mme G... B... veuve A..., M. D... H... A..., M. E... A..., M. C... A... et M. F... A..., en leur qualité d'ayants droit de ... et en leur nom personnel, ont notamment demandé au tribunal administratif de Montpellier de mettre à la charge de l'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, au titre de la solidarité nationale, la somme de 32 367,12 euros, en réparation des préjudices subis par leur mari et père du fait de son décès et les sommes respectives de 304 200,96 euros, 10 300 euros, 23 113,08 euros, 40 170 euros et 8 300 euros en réparation de leur préjudice personnel.

Sous le n° 2002291, Mme G... B... veuve A..., M. D... H... A..., M. E... A..., M. C... A... et M. F... A..., en leur qualité d'ayants-droits de ... et en leur nom personnel, ont notamment demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner le contre hospitalier universitaire de Montpellier à verser la somme de 32 367,12 euros, en réparation des préjudices subis par leur mari et père du fait de son décès et les sommes respectives de 304 200,96 euros, 10 300 euros, 23 113,08 euros, 40 170 euros et 8 300 euros en réparation de leur préjudice personnel.

Par un jugement n°2002047 et n°2002291 du 3 octobre 2022, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté leurs demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée, le 2 novembre 2022, Mme G... B... veuve A..., M. D... H... A..., M. E... A..., M. C... A... et M. F... A..., en leur qualité d'ayants droit de ... et en leur nom personnel, représentés par Me Vidal de la société civile professionnelle Trias - Vérine -Vidal - Gardier, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement n°2002047 et n°2002291, rendu le 3 octobre 2022 ;

2°) de fixer le préjudice de la victime, ..., à la somme totale de 36 268,08 euros, dont les frais d'obsèques à hauteur de 3 900,96 euros, la perte de revenus à hauteur de 18 867,12 euros et souffrances physiques et morales endurées à hauteur de 13 500 euros, le préjudice de Mme A... à la somme totale de 285 300 euros dont la somme de 285 000 euros au titre de son préjudice économique et celle de 300 euros au titre du préjudice d'accompagnement, le préjudice de M. D... A... à la somme totale de 10 300 euros, dont 10 000 euros au titre du préjudice d'affection et 300 euros au titre du préjudice d'accompagnement, le préjudice de M. E... A... à la somme totale de 23 113,08 euros, dont 2 813,08 euros au titre du préjudice économique, 20 000 euros au titre du préjudice d'affection et 300 euros au titre du préjudice d'accompagnement, le préjudice de M. C... A... à la somme totale de 17 724,78 euros dont 2 424,78 euros au titre du préjudice économique, 15 000 euros au titre du préjudice d'affection et 300 euros au titre du préjudice d'accompagnement et le préjudice de M. F... A... à la somme totale de 15 300 euros, dont 15 000 euros au titre du préjudice d'affection et 300 euros au titre du préjudice d'accompagnement ;

3°) de condamner le centre hospitalier universitaire de Montpellier ou l'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, en tant que de besoin, à leur verser ces sommes.

Ils soutiennent que :

Sur la responsabilité :

- c'est à tort que le tribunal a rejeté leurs conclusions à fin d'indemnisation présentées contre le centre hospitalier universitaire de Montpellier, alors que l'expert mandaté par la commission de conciliation et d'indemnisation a notamment retenu un manquement dans l'organisation du suivi immédiat de leur mari et père, à savoir un défaut d'organisation de la surveillance immédiatement post-hospitalière ; cette faute est de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier universitaire de Montpellier, nonobstant le fait que l'expert a également retenu la circonstance qu'une infection nosocomiale avait contribué à proportion de 30% à son décès ;

Sur les préjudices :

- les souffrances physiques et morales de leur mari et père ont été estimées à 5 sur une échelle de 7 et doivent être indemnisées par une juste somme de 13 500 euros ;

- ils ont tous subi un préjudice économique ;

- un préjudice d'affection doit également être fixé entre 8 000 euros et 20 000 euros selon l'âge respectif des quatre enfants ;

- ils doivent tous se voir allouer un préjudice d'accompagnement à hauteur de 300 euros chacun.

Par mémoire en défense, enregistré le 17 janvier 2023, le centre hospitalier universitaire de Montpellier, représenté par Me Le Prado, de la société à responsabilité limitée Le Prado - Gilbert, conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

Sur la responsabilité :

- aucune faute médicale ne saurait être retenue à son encontre ;

- en admettant même les manquements allégués, leur lien avec le décès de la victime n'est pas davantage établi ; en effet, sa sortie de l'établissement public de santé, le 3 février 2017, neuf jours après l'intervention et plus d'une semaine après sa prise en charge au sein du service de réanimation et de réveil sans qu'un quelconque évènement soit intervenu, ne saurait être qualifiée de prématurée ;

- il convient de relever que des soins post-opératoires ainsi que des séances de kinésithérapie, au demeurant, non mises en place, ont été prescrits ;

- l'expert désigné par la commission de conciliation et d'indemnisation a seulement fait état d'hésitations sans, pour autant, relever une faute dans la prise en charge de ... ; au demeurant, en admettant qu'une détresse respiratoire ait pu contribuer à son décès, l'absence de suivi des séances de kinésithérapie ne saurait lui être imputable ;

- au demeurant, la cause du décès, selon le certificat médical, établi le 14 février 2017, est un choc septique initial ayant entraîné un arrêt cardio-respiratoire et non une détresse respiratoire majeure ;

- enfin, aucune infection nosocomiale n'a pu être identifiée et, en tout état de cause, ce fondement de responsabilité relève, au regard du décès de la victime, de l'indemnisation au titre de la solidarité nationale ;

- à titre subsidiaire, dans l'hypothèse où sa responsabilité serait retenue, la perte de chance pour la victime d'échapper à son décès, au regard de son état de santé et de l'affection dont il était atteint, à la date de l'intervention, ne peut qu'être minime ;

Sur les préjudices :

- les souffrances physiques et morales de la victime sont fixées sans référence à une nomenclature ;

- les pertes de revenus sont particulièrement élevées et non justifiées ;

- il en va de même des préjudices d'affection au regard de l'état de santé de la victime.

Par un mémoire en défense, enregistré le 8 février 2023, l'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, représenté par la société d'exercice libéral à responsabilité limitée de la Grange et Fitoussi avocats, conclut à la confirmation du jugement du tribunal administratif de Montpellier, rendu le 3 octobre 2022, à sa mise hors de cause et au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de tout succombant la somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :

- la demande d'indemnisation, qui ne vise ni ne cite les dispositions de l'article L.1142-1 du code de la santé publique, ni celles de l'article L.1142-1-1 ni encore celles de L.1142-15 du même code, n'identifie pas le fondement au titre duquel la solidarité nationale est sollicitée et ne peut qu'être rejetée ;

- il ne peut être condamné solidairement avec le centre hospitalier universitaire de Montpellier ;

- il ne peut se substituer à un assureur défaillant d'un établissement public de santé dans le cadre d'une procédure juridictionnelle ;

- en tout état de cause, les conditions légales requises pour une indemnisation au titre de la solidarité nationale n'apparaissent pas réunies ; en effet, le décès de ... n'a pour origine ni un accident médical non fautif ni une infection nosocomiale.

Par ordonnance du 15 avril 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 14 mai 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Delphine Teuly-Desportes, présidente-assesseure,

- et les conclusions de Mme Michèle Torelli, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. ..., alors âgé de 62 ans, a été pris en charge initialement au centre hospitalier universitaire de Nîmes pour un carcinome épidermoïde du lobe inférieur du poumon diagnostiqué en octobre 2016. Après réalisation de deux cures de chimiothérapie et dans les suites d'un scanner, l'équipe pluridisciplinaire a, le 23 décembre 2016, décidé une prise en charge chirurgicale. L'intervention chirurgicale consistant en une lobectomie inférieure gauche et lingulectomie a été réalisée, le 25 janvier 2017, dans le service de chirurgie thoracique et vasculaire de l'hôpital Arnaud de Villeneuve, établissement relevant du centre hospitalier universitaire de Montpellier. ... a été placé en réanimation jusqu'au 1er février 2017, avant d'être transféré en hospitalisation conventionnelle jusqu'au 3 février 2017, date à laquelle il a regagné son domicile, où il est décédé le 13 février suivant. Les ayant-droits de ..., son épouse et leurs quatre enfants, ont alors saisi la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux afin d'obtenir réparation des conséquences dommageables liées au décès. La commission, après avoir diligenté une expertise, dont les conclusions ont été remises, le 23 mars 2019, a rendu, le 14 mai suivant, un avis aux termes duquel elle a estimé que les manquements dans le suivi post-hospitalisation imputables au centre hospitalier universitaire de Montpellier étaient à l'origine d'une perte de chance pour la victime d'éviter le décès à hauteur de 50 % et a invité l'assureur du centre hospitalier à présenter une offre d'indemnisation. Le 10 septembre 2019, la société hospitalière d'assurance mutuelle, assureur de l'établissement public de santé, a refusé de faire une offre d'indemnisation. Les consorts ... ayant alors saisi l'office d'une demande de substitution en application de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique, ils ont vu leur demande rejetée, le 12 mars 2020. Les consorts ... relèvent appel du jugement, rendu le 3 octobre 2022, rejetant leurs demandes d'indemnisation présentées contre l'établissement public de santé et l'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.

Sur la mise en cause de l'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales :

2. Selon l'article L. 1142-1-1 du code de la santé publique : " Sans préjudice des dispositions du septième alinéa de l'article L. 1142-17, ouvrent droit à réparation au titre de la solidarité nationale : 1° Les dommages résultant d'infections nosocomiales dans les établissements, services ou organismes mentionnés au premier alinéa du I de l'article L. 1142-1 correspondant à un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à 25 % déterminé par référence au barème mentionné au II du même article, ainsi que les décès provoqués par ces infections nosocomiales (...) ".

3. Lorsque, en l'absence de présentation d'une offre de l'assureur ou de l'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales ou à défaut d'acceptation de cette offre, la procédure de règlement amiable prévue par les dispositions rappelées ci-dessus n'a pu aboutir, la victime conserve le droit d'agir en justice devant la juridiction compétente contre un établissement public de santé, si elle estime que sa responsabilité est engagée, ou contre l'office, si elle estime que son dommage est indemnisable au titre de la solidarité nationale.

4. Si les consorts ... ont, outre leurs conclusions à fin d'indemnisation présentées contre le centre hospitalier universitaire de Montpellier, également attrait l'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, dans cette instance, ainsi qu'il sont recevables à le faire à l'issue de l'échec de la procédure amiable, conformément au principe rappelé au point précédent, ils se bornent à solliciter une indemnisation au titre de la solidarité nationale, sans citer ni viser un quelque fondement de leur demande et ne forment aucune critique utile du jugement contesté, qui écarte, aux points 11 et 12, en l'absence de donnée objective, toute infection nosocomiale au sens de l'article L. 11421-1 du code de la santé publique et met hors de cause l'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales. Dans ces conditions, ainsi que le fait valoir à bon droit, en défense, l'office, les conclusions tenant à l'indemnisation au titre de la solidarité nationale ne peuvent qu'être rejetées.

Sur la responsabilité du centre hospitalier universitaire de Montpellier :

5. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. / (...). ".

6. ... était atteint d'une bronchopneumopathie chronique obstructive et d'un carcinome épidermoïde du lobe inférieur du poumon, classé c T3N1MO, diagnostiqué en octobre 2016, soit, selon la classification des tumeurs bronchiques, une tumeur avec extension à la cage thoracique et aux ganglions péri-bronchiques. Après les deux cures de chimiothérapie, l'équipe pluridisciplinaire a, le 23 décembre 2016, décidé une prise en charge chirurgicale consistant en une pneumonectomie, modifiée, après examens complémentaires réalisés, le 24 janvier 2017, ayant mis en évidence un volumineux syndrome de masse sous-pleural du lobe inférieur gauche associé à une lyse de la 7ème côte gauche, en une technique opératoire de type lobectomie inférieure gauche étendue à la lingula et à la paroi thoracique avec curage ganglionnaire. Les suites immédiates de l'intervention ont été simples, le patient ayant été pris en charge par le service de réanimation du 25 janvier au 1er février 2017, date de son transfert dans le service de chirurgie thoracique jusqu'au vendredi 3 février suivant, jour où il a regagné son domicile en fin d'après-midi et est décédé dix jours après. Le certificat de décès, rédigé le 14 février 2017, indique une mort naturelle avec l'annotation suivante : " choc septique + arrêt cardio-respiratoire ".

7. D'une part, si, selon les conclusions du rapport de l'expertise, diligentée par la commission de conciliation et d'indemnisation, le choix de l'intervention était adapté aux indications thérapeutiques en matière de tumeurs bronchiques et ses conditions de réalisation conformes et aux règles de l'art, il résulte cependant de l'instruction et notamment de ce même rapport, que la sortie de ..., le 3 février 2017, un vendredi en fin d'après-midi sans qu'un suivi soit organisé avec le médecin traitant, lequel ne l'a examiné que près de quatre jours après son retour à domicile, ou, tout au moins avec la famille, pour coordonner les soins et la kinésithérapie respiratoire, prescrite à raison de cinq séances par semaines durant trois semaines, dans un contexte de résection pulmonaire élargie chez un patient présentant une incapacité respiratoire obstructive et souffrant de douleurs thoraciques post-opératoires, constitue une faute dans l'organisation et le fonctionnement du service, et ce, alors qu'une radiographie post-opératoire avait révélé la persistance d'une opacité du lobe gauche résiduel et que sa sortie, quarante-huit heures seulement après la fin de la surveillance post-opératoire et à la veille d'un week-end, n'a pas rendu possible une mise en place rapide des séances de kinésithérapie respiratoire active, c'est-à-dire dans les premières heures suivant la fin de l'hospitalisation. Or, l'absence de rééducation a entraîné, ainsi que l'a relevé la commission de conciliation et d'indemnisation, dans son avis émis le 14 mai 2019, une hypoventilation et donc des complications respiratoires majeures chez un sujet, qui avait une fonction respiratoire déjà altérée et venait de subir, en outre, deux protocoles de chimiothérapie, alors que sa bronchopneumopathie chronique obstructive post-tabagique était, ainsi que cela a été noté, partiellement réversible notamment sous bronchodilatateur et nécessitait d'être contenue par de telles séances.

8. D'autre part, si l'expert, mandaté par la commission de conciliation et d'indemnisation, n'a pu obtenir de donnée clinique objective dans le sens d'une infection nosocomiale, il a cependant relevé que le bilan sanguin, réalisé le jour de sortie, avait révélé un niveau très élevé de protéine C réactive, signe d'un syndrome inflammatoire et que les cicatrices de la thoracotomie, ainsi que l'a constaté son épouse à domicile, étaient boursouflées et dégageaient une odeur nauséabonde laissant suspecter une infection. Dans ces conditions, l'absence de suivi extrahospitalier et notamment de liaison avec le médecin généraliste, relevée au point précédent, n'a pas davantage permis, ainsi que l'a retenu la commission de conciliation et d'indemnisation, une prise en charge efficace du syndrome infectieux, qui n'a fait que se développer à domicile, avant la première consultation du généraliste, quatre jours après la fin de l'hospitalisation, et a empêché l'adaptation du traitement par corticoïdes prescrit au terme de l'hospitalisation par l'établissement public de santé. Ce défaut de suivi est également fautif.

9. Il résulte de ce qui précède que les appelants sont fondés à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont dénié tout lien de causalité entre le décès de ... et les manquements fautifs relevés aux points 7 et 8 pour écarter la responsabilité du centre hospitalier universitaire de Montpellier dans sa prise en charge. Il y a lieu pour la cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par les ayants droit de la victime, tant devant elle que devant le tribunal administratif de Montpellier.

10. Dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou le traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu. La réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue.

11. L'absence de suivi post-hospitalisation dans les suites d'une résection pulmonaire étendue incluant, d'une part, le défaut de liaison avec le médecin référent de ..., qui a conduit à une consultation médicale au domicile du patient plus de quatre jours après la fin de l'hospitalisation laissant s'installer l'asthénie de la victime et n'a pas permis une mise en place rapide de manœuvres respiratoires actives indispensables pour la victime et, d'autre part, l'absence de suivi du syndrome infectieux, qui a également contribué au décès, constituent des manquements qui, au regard de la nature de la tumeur et de l'espérance de vie à cinq années du patient et donc de l'absence de pronostic vital engagé à très court terme, sont à l'origine d'une perte de chance pour la victime d'éviter le décès qu'il convient de fixer à 50%.

Sur les préjudices :

En ce qui concerne le préjudice de la victime :

12. Le droit à la réparation d'un dommage, quelle que soit sa nature, s'ouvre à la date à laquelle se produit le fait qui en est directement la cause. Si la victime du dommage décède sans que ses droits aient été définitivement fixés, c'est-à-dire, en cas de litige, avant qu'une décision juridictionnelle définitive ait fixé le montant de l'indemnisation, son droit, entré dans son patrimoine avant son décès, est transmis à ses héritiers. Cependant, le préjudice subi par la victime, ayant cessé au moment du décès, doit être évalué à la date de cet événement, y compris lorsque le décès est lié au fait ouvrant droit à indemnisation, auquel cas d'ailleurs ce décès peut être pris en compte au titre du droit à réparation des proches de la victime.

13. ... a enduré des souffrances physiques et morales, évaluées à 5 sur une échelle de 7. Il résulte de l'instruction qu'à son retour à domicile, le 3 février 2017, il est resté alité en permanence, très asthénique, et jusqu'à son décès, le 13 février 2017, avec pour seul anti-douleur le paracétamol prescrit à sa sortie. Au vu de ces éléments, le montant de l'estimation des souffrances endurées par ce dernier peut être évalué à la somme de 15 000 euros.

14. Compte tenu du taux de perte de chance retenu, le centre hospitalier universitaire doit être condamné à verser aux ayants droit de ... la somme de 7 500 euros au titre des souffrances subies par ce dernier.

En ce qui concerne les préjudices des ayants droit :

S'agissant des préjudices patrimoniaux :

15. Le préjudice économique subi, du fait du décès d'un patient, par les ayants droit appartenant au foyer de celui-ci, est constitué par la perte des revenus de la victime qui étaient consacrés à l'entretien de chacun d'eux, en tenant compte notamment du montant, évalué à la date du décès, de leurs propres revenus éventuels, à moins que l'exercice de l'activité professionnelle dont ils proviennent ne soit la conséquence de cet événement et, enfin, des prestations à caractère indemnitaire susceptibles d'avoir été perçues par les membres survivants du foyer en compensation du préjudice économique qu'ils subissent. En outre, l'indemnité allouée aux enfants de la victime décédée est déterminée en tenant compte de la perte de la fraction des revenus de leur parent décédé qui aurait été consacrée à leur entretien jusqu'à ce qu'ils aient atteint au plus l'âge de 25 ans.

Quant au préjudice économique de M. E... A... :

16. Les seules allégations des consorts ... selon lesquelles M. E... A... vivait encore, à la date du décès de son père, au domicile parental, ne permettent pas d'établir que ce dernier, alors âgé de 24 ans, était toujours financièrement à la charge de ses parents à cette date, alors, au surplus, qu'il ne fait pas l'objet d'un rattachement au foyer fiscal. Il suit de là que M. E... A... n'établit pas avoir subi de pertes de revenus en lien direct avec le décès de son père.

Quant au préjudice économique de Mme B... et de M. C... A... de la date du décès jusqu'à la date de mise à disposition de l'arrêt de la cour :

17. Il résulte de l'avis de situation déclarative à l'impôt sur le revenu pour 2017, que le revenu annuel du foyer, composé de la victime, de son épouse et de leur enfant mineur, C... A..., alors âgé de 15 ans, et alors constitué de la pension de retraite de ... d'un montant de 20 693 euros et des revenus de Mme B... épouse A... d'un montant de 12 718 euros, s'élevait à 33 411 euros. Compte tenu notamment des revenus de chacun, la consommation personnelle de ... doit être fixée à 20 % du revenu annuel moyen du couple, soit à la somme de 6 682,20 euros. Le revenu annuel disponible pour la famille aurait donc dû s'élever à 26 728,80 euros, somme dont il y a lieu de déduire le revenu annuel subsistant de Mme B... veuve A... de 12 718 euros, ainsi que la pension de réversion perçue pour un montant annuel de 7 861,68 euros, pour obtenir un solde de 6 149,12 euros correspondant à la perte annuelle de la conjointe survivante et de son fils, M. C... A..., encore au foyer.

18. Le préjudice économique global du foyer doit être déterminé en prenant en compte, les arrérages échus de cette somme entre la date du décès de la victime, le 13 février 2017, et la date de mise à disposition de l'arrêt de la cour, soit 8 années et 5 jours, ce qui représente la somme de 49 277,19 euros.

19. Eu égard à ce qui a été dit au point 16, il convient de répartir le préjudice économique uniquement entre Mme B... veuve A..., conjointe du défunt, et M. C... A..., fils de ce dernier, alors âgé de 15 ans et à charge à la date du décès, à hauteur de 50% chacun, soit une somme de 24 638,60 euros chacun, ce qui, compte tenu de la perte de chance retenue, donne, sur cette période, un montant indemnisable respectif de 12 319,30 euros.

Quant au préjudice économique de Mme B... et de M. C... A... postérieurement à la date de mise à disposition de l'arrêt de la cour :

20. Pour la période postérieure à la date de mise à disposition de l'arrêt de la cour, la détermination du préjudice économique doit également tenir compte de la capitalisation de la perte annuelle de 6 149,12 euros, soit une base respective de 3 074,56 euros pour Mme B... veuve A... et M. C... A....

21. D'une part, M. C... A... étant âgé de 23 ans à la date de mise à disposition au greffe du présent arrêt et ayant vocation à être considéré comme à la charge du foyer jusqu'à l'âge de 25 ans, il convient d'appliquer le coefficient du barème de la Gazette du Palais pour 2022, au taux d'actualisation de 0, de 1,998 sur la somme annuelle de 3 074,56 euros, pour un montant total de 6 142,97 euros. Par suite, compte tenu de l'ampleur de perte de chance retenue, la somme à allouer à M. C... A... au titre de cette période est de 3 071,49 euros.

22. D'autre part, Mme B... veuve A..., étant âgée de 58 ans, à la date de la liquidation par la cour, il y a lieu de se fonder sur le barème de capitalisation publié à la Gazette du Palais en 2022, barème femme au taux d'actualisation de 0, avec un prix de l'euro de rente viagère de 28,951 euros et de l'appliquer à la perte annuelle de 3 074,56 euros, soit une somme de 89 011,59 euros. Par suite, compte tenu de l'ampleur de perte de chance retenue, la somme à allouer au titre de cette période à Mme B... veuve A... est de 44 505,80 euros.

Quant aux frais d'obsèques :

23. Les frais d'obsèques, au regard de la facture produite et acquittée par Mme B... veuve A..., doivent être retenus à hauteur de 3 900,96 euros, soit après application du taux de perte de chance, une somme de 1 950,48 euros que le centre hospitalier universitaire de Montpellier versera à cette dernière.

S'agissant des préjudices extra-patrimoniaux :

Quant au préjudice d'accompagnement :

24. D'une part, les consorts ... ont chacun subi un préjudice d'accompagnement qui sera fixé à une juste somme respective de 300 euros, soit, au regard du taux de perte de chance retenu, une indemnité respective allouée de 150 euros.

Quant au préjudice d'affection :

25. D'autre part, MM. D... et F... ..., enfants majeurs vivant hors du domicile de la victime à la date de son décès et M. E... A..., enfant majeur âgé de 24 ans, qui, ainsi qu'il a été dit au point 16, n'établit pas qu'il y avait sa résidence, ont subi un préjudice d'affection, qui peut être évalué à la somme de 6 000 euros chacun, soit, après application du taux de perte de chance, une somme de 3 000 euros. Leur frère, M. C... A..., enfant mineur résidant au domicile parental, a également subi un tel préjudice, qui peut être fixé à la juste somme de 15 000 euros, soit, compte tenu du taux de perte de chance retenu, un montant indemnisable de 7 500 euros.

26. Il résulte de tout ce qui précède que le centre hospitalier universitaire de Montpellier, outre la somme de 7 500 euros à verser aux ayants droit de la victime en réparation du préjudice de cette dernière passé dans leur patrimoine, doit être condamné à verser à Mme B... veuve A... la somme totale de 58 925, 58 euros, à MM. F..., E... et Antony ... la somme totale, à chacun d'eux, de 3 150 euros et à M. C... A... la somme totale de 23 040,79 euros.

Sur les frais liés au litige :

27. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge d'une des parties la somme sollicitée par l'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n°2002047 et n°2002291 du 3 octobre 2022 du tribunal administratif de Montpellier est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions à fin d'indemnisation présentées par les consorts B... A... dirigées contre le centre hospitalier universitaire de Montpellier.

Article 2 : Le centre hospitalier universitaire de Montpellier est condamné à verser aux ayants droit de ... la somme de 7 500 euros en réparation du préjudice personnel de ce dernier.

Article 3 : Le centre hospitalier universitaire de Montpellier est condamné à verser la somme de 58 925,58 euros à Mme B... veuve A... en réparation de son préjudice.

Article 4 : Le centre hospitalier universitaire de Montpellier est condamné à verser la somme de 23 040,79 euros à M. C... A... en réparation de son préjudice.

Article 5 : Le centre hospitalier universitaire de Montpellier est condamné à verser à MM. F..., E... et Antony ... la somme de 3 150 euros à chacun d'eux.

Article 6 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 7 : Les conclusions présentées par l'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales en application de l'article L. 761-1 du code justice administrative sont rejetées.

Article 8 : Le présent arrêt sera notifié à Mme G... B... veuve A..., première dénommée au sens de l'article R. 751-3 du code de justice administrative, au centre hospitalier universitaire de Montpellier et à l'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.

Délibéré après l'audience du 4 février 2025, à laquelle siégeaient :

Mme Geslan-Demaret, présidente,

Mme Teuly-Desportes, présidente-assesseure,

Mme Dumez-Fauchille, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 février 2025.

La rapporteure,

D. Teuly-Desportes

La présidente,

A. Geslan-Demaret

La greffière,

M-M. Maillat

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles, en ce qui la concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N°22TL22180 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de TOULOUSE
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22TL22180
Date de la décision : 18/02/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

60-02-01-01 Responsabilité de la puissance publique. - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. - Service public de santé. - Établissements publics d'hospitalisation.


Composition du Tribunal
Président : Mme Geslan-Demaret
Rapporteur ?: Mme Delphine Teuly-Desportes
Rapporteur public ?: Mme Torelli
Avocat(s) : DE LA GRANGE ET FITOUSSI AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 23/02/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-02-18;22tl22180 ?
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