La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

27/03/2025 | FRANCE | N°23TL00711

France | France, Cour administrative d'appel de TOULOUSE, 1ère chambre, 27 mars 2025, 23TL00711


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société par actions simplifiée unipersonnelle Orcom a demandé au tribunal administratif de Montpellier de prononcer la décharge du complément de taxe sur la valeur ajoutée qui lui a été réclamé au titre de la période du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2016 ainsi que de l'amende prévue au I de l'article 1737 du code général des impôts qui lui a été infligée au titre de la période du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2017.



Par un jugement n°

2101454 du 30 janvier 2023, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.



Procédur...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société par actions simplifiée unipersonnelle Orcom a demandé au tribunal administratif de Montpellier de prononcer la décharge du complément de taxe sur la valeur ajoutée qui lui a été réclamé au titre de la période du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2016 ainsi que de l'amende prévue au I de l'article 1737 du code général des impôts qui lui a été infligée au titre de la période du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2017.

Par un jugement n° 2101454 du 30 janvier 2023, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 26 mars 2023, la société Orcom, représentée par Me Creac'h, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 30 janvier 2023 du tribunal administratif de Montpellier ;

2°) de prononcer la décharge du complément de taxe sur la valeur ajoutée qui lui a été réclamé au titre de la période du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2016 ainsi que de l'amende prévue au I de l'article 1737 du code général des impôts qui lui a été infligée au titre de la période du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2017 ;

3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'administration n'établit pas le caractère de complaisance des factures litigieuses dès lors qu'elle ne rapporte la preuve ni de la réalisation des prestations par un tiers, ni de son absence de bonne foi ;

- l'amende prévue au I de l'article 1737 du code général des impôts ne lui est pas applicable.

Par un mémoire en défense, enregistré le 10 août 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par la société Orcom ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 4 mars 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 5 avril 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Chalbos,

- les conclusions de Mme Restino, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. La société Orcom, qui exerce une activité de travaux de maçonnerie générale et de gros œuvre de bâtiment, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur les exercices clos les 31 décembre 2015, 2016 et 2017. Par des propositions de rectification du 19 décembre 2018 et du 15 juillet 2019, l'administration fiscale l'a informée de son intention de mettre à sa charge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée, et des amendes sur le fondement du I de l'article 1737 du code général des impôts, en raison du caractère complaisant de plusieurs factures présentées au cours des opérations de contrôle. La société Orcom fait appel du jugement du 30 janvier 2023 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant à la décharge du complément de taxe sur la valeur ajoutée qui lui a été réclamé au titre de la période du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2016 ainsi que de l'amende prévue au I de l'article 1737 du code général des impôts mise à sa charge au titre de la période du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2017.

Sur les rappels de taxe sur la valeur ajoutée :

2. En vertu des dispositions combinées des articles 271, 272 et 283 du code général des impôts, un contribuable n'est pas en droit de déduire de la taxe sur la valeur ajoutée dont il est redevable à raison de ses propres opérations la taxe mentionnée sur une facture établie à son nom par une personne qui n'est pas le fournisseur réel de la marchandise ou de la prestation effectivement livrée ou exécutée. Dans le cas où l'auteur de la facture est régulièrement inscrit au registre du commerce et des sociétés, assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée et se présente comme tel à ses clients, il appartient à l'administration, si elle entend refuser à celui qui a reçu la facture le droit de déduire la taxe qui y est mentionnée, d'établir qu'il s'agit d'une facture de complaisance et que le contribuable le savait ou ne pouvait l'ignorer. Si l'administration apporte des éléments suffisants en ce sens, il appartient alors au contribuable d'apporter toutes justifications utiles sur cette opération, sans qu'il puisse être exigé de lui des vérifications qui ne lui incombent pas.

3. Il résulte de l'instruction que le service a procédé, à partir des comptes " fournisseurs " de la société, au rapprochement entre les factures et les débits reprenant les moyens de paiement, et à la comparaison de ces derniers avec les bénéficiaires effectifs des chèques dont les copies ont été obtenues dans le cadre de l'exercice de son droit de communication. Constatant un nombre important d'anomalies, l'administration a considéré, en particulier pour les factures n'ayant pas été réglées auprès des sociétés les ayant émises, que celles-ci revêtaient un caractère de complaisance et n'avaient été éditées qu'en vue de couvrir des débits bancaires destinés à régler d'autres personnes que les fournisseurs inscrits en comptabilité.

S'agissant des factures de location d'équipement ou d'achat de matériaux :

4. Il résulte de l'instruction que les factures émises par la société Cilgin 8, pour lesquelles le dossier " sous-traitant " correspondant, au demeurant non à jour, a été remis tardivement au service, ont été réglées au moyen de nombreux flux financiers et divers modes de paiement, au profit de personnes tierces, tant morales que physiques, ces dernières étant pour l'essentiel sans lien avec la société fournisseur, voire, pour certaines, salariées de la société appelante. De même, les factures de location de matériel émises par la société AKS Bat 79, laquelle est dirigée par une ancienne salariée de la société Orcom, ont été réglées auprès de tiers. Il résulte encore de l'instruction que la facture de la société Protec Etanche 17 a été émise postérieurement à la radiation de cette dernière et indique une adresse correspondant à un établissement fermé depuis plus de deux ans. En outre, les règlements correspondants ont en partie été effectués auprès de salariés de la société appelante. Il résulte enfin de l'instruction que les factures émises par les sociétés Eau Tec TP 41, Tradi Façades 20, AJS Façade 11 et Cubero 8 ont été pour l'essentiel réglées en plusieurs paiements effectués auprès de personnes physiques liées juridiquement avec les sociétés concernées, à savoir leur dirigeant, ou, pour la dernière, un salarié, ainsi que, en partie pour certaines, de personnes tierces, des chèques ayant été encaissés par la compagne du dirigeant de la société Tradi Façades 20, ou encore, dans le cadre des règlements des factures AJS Façade 11, par le dirigeant d'un autre fournisseur. L'élément matériel de la facturation de complaisance au sens des principes rappelés au point 2 est ainsi établi.

5. Par ailleurs, il résulte de l'instruction que les factures émises par les différents fournisseurs officiels ont été réglées, dans une très large mesure, par des paiements multiples, au moyen notamment d'espèces ou de chèques encaissés par des personnes physiques ou morales autres que les sociétés émettrices des factures. Pour expliquer ces incohérences, la société Orcom explique avoir établi des chèques sans indication de l'ordre. Toutefois, eu égard au caractère quasi-systématique d'une telle pratique, ainsi qu'à la circonstance qu'une part non négligeable des chèques a été encaissée par ses propres salariés, l'administration établit suffisamment que la société Orcom ne pouvait ignorer le caractère de complaisance des factures.

S'agissant des factures de prêt de main d'œuvre :

6. Il résulte de l'instruction qu'au cours des opérations de contrôle, la société appelante a présenté plusieurs factures émises par les fournisseurs Etablissement Tachedjian, DYO 13, Carrelex Sol 29, MGT 8 et NMC Etanch' 758, correspondant à des prestations de prêt de main d'œuvre. Ces factures, accompagnées pour la plupart de dossiers administratifs relatifs au respect des obligations fiscales et sociales incomplets ou non tenus à jour, mentionnent, à l'exception de celles émises par la société Etablissement Tachedjian, un nombre de salariés mis à disposition de la société Orcom supérieur au nombre de personnes effectivement employées par les fournisseurs de main d'œuvre, déterminé par le service à partir des dossiers administratifs ainsi que des informations publiques disponibles sur Internet. Il apparaît, au vu de ces éléments, que les fournisseurs de main d'œuvre ayant émis les factures n'avaient pas les moyens humains d'assurer les prestations correspondantes. Si la société fait valoir qu'une telle discordance pourrait s'expliquer par du salariat dissimulé de la part des fournisseurs, ce qui ne pourrait lui être reproché, ou encore par le recours par les fournisseurs eux-mêmes à d'autres sous-traitants mettant à disposition du personnel, elle n'apporte aucun élément à l'appui de ces suppositions. Dans ces conditions, et alors que les opérations de vérification ont permis de révéler qu'une part significative des chèques émis en règlement de ces factures ont été encaissés par des personnes physiques sans lien avec les fournisseurs allégués et dont certaines s'avèrent de surcroît être des salariés de la société appelante, les éléments sur lesquels s'est fondée l'administration sont de nature à établir l'élément matériel de la facturation de complaisance. Enfin, et pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 5, l'administration fiscale rapporte suffisamment la preuve de l'absence de bonne foi de la société appelante et de ce qu'elle n'ignorait pas participer à un système de facturation de complaisance.

7. Il résulte de ce qui précède que l'administration fiscale a pu, à bon droit, remettre en cause le droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée figurant sur les factures présentées par la société Orcom, en se fondant sur le caractère de complaisance de celles-ci. La circonstance que de telles factures n'aient pas été émises par une société de facturation, susceptible de révéler la participation à un circuit frauduleux de grande ampleur, n'est pas de nature à remettre en cause la caractérisation faite par le service.

Sur l'amende pour factures de complaisance :

8. Aux termes de l'article 1737 du code général des impôts : " I. - Entraîne l'application d'une amende égale à 50 % du montant : / 1. Des sommes versées ou reçues, le fait de travestir ou dissimuler l'identité ou l'adresse de ses fournisseurs ou de ses clients, les éléments d'identification mentionnés aux articles 289 et 289 B et aux textes pris pour l'application de ces articles ou de sciemment accepter l'utilisation d'une identité fictive ou d'un prête-nom (...) ". Il résulte de ces dispositions que l'administration peut mettre l'amende ainsi prévue à la charge de la personne qui a délivré la facture ou à la charge de la personne destinataire de la facture si elle établit que la personne concernée a soit travesti ou dissimulé l'identité, l'adresse ou les éléments d'identification de son client ou de son fournisseur, soit accepté l'utilisation, en toute connaissance de cause, d'une identité fictive ou d'un prête-nom. En revanche, cet article ne sanctionne pas le seul paiement effectué au profit de tiers, bénéficiaires effectifs des sommes mentionnées sur les factures concernées.

9. Il résulte de ce qui précède que l'administration fiscale a pu établir, pour certaines factures, que les prestations correspondantes ne pouvaient matériellement avoir été réalisées par les sociétés qui les ont émises, soit du fait de la cessation d'activité de la société en question, soit du fait d'une insuffisance de moyens humains s'agissant des prestations de prêt de main d'œuvre. Elle était dès lors fondée à appliquer l'amende prévue par les dispositions précitées sur les sommes versées en règlement de telles factures.

10. En revanche, il résulte de ce qui a été dit au point 8 que l'administration fiscale n'établit pas le caractère de complaisance, au sens de l'article 1737 du code général des impôts, des factures pour lesquelles elle se fonde sur la seule circonstance que celles-ci ont fait l'objet de paiements, non pas auprès des sociétés qui les ont émises, mais auprès de tiers. Il s'ensuit que la société Orcom est fondée à demander la décharge de l'amende pour facturation de complaisance dans la mesure où elle a été appliquée sur les sommes correspondant aux factures émises par les sociétés Ciglin 8, Eau Tec TP 41, Tradi Façades 20, Etablissements Tachedjian, AKS Bat 79, AJS Façades 11 et Cubero 8.

11. Il résulte de tout ce qui précède que la société Orcom est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier ne lui a pas accordé une réduction de l'amende prévue au I de l'article 1737 du code général des impôts qui lui a été infligée au titre de la période du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2017.

Sur les frais liés au litige :

12. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de l'État la somme demandée par la société Orcom sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D É C I D E :

Article 1er : L'assiette de l'amende prévue au I de l'article 1737 du code général de l'impôt est réduite dans les conditions prévues au point 10 du présent arrêt.

Article 2 : La société Orcom est déchargée de l'amende correspondant à la réduction de son assiette.

Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Montpellier n° 2101454 du 30 janvier 2023 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de la société Orcom est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société par actions simplifiée unipersonnelle et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal Occitanie.

Délibéré après l'audience du 13 mars 2025, à laquelle siégeaient :

M. Rey-Bèthbéder, président,

M. Lafon, président-assesseur,

Mme Chalbos, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 mars 2025.

La rapporteure,

C. Chalbos

Le président,

É. Rey-Bèthbéder

Le greffier,

F. Kinach

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23TL00711


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de TOULOUSE
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 23TL00711
Date de la décision : 27/03/2025
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

19-06-02-08-03-02 Contributions et taxes. - Taxes sur le chiffre d'affaires et assimilées. - Taxe sur la valeur ajoutée. - Liquidation de la taxe. - Déductions. - Conditions de la déduction.


Composition du Tribunal
Président : M. Rey-Bèthbéder
Rapporteur ?: Mme Camille Chalbos
Rapporteur public ?: Mme Restino
Avocat(s) : CREAC'H

Origine de la décision
Date de l'import : 30/03/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-03-27;23tl00711 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award