Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Toulouse, l'annulation de la décision du 9 mars 2021 par laquelle l'inspecteur du travail de l'unité de contrôle du Lot a autorisé son licenciement pour motif économique.
Par un jugement n° 2122564 du 21 juin 2023, le tribunal administratif de Montpellier auquel l'affaire avait été transmise par ordonnance du président de la section du contentieux du Conseil d'Etat, a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 18 août 2023 et un mémoire du 24 janvier 2025, M. B..., représenté par Me Pobeda-Thomas, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 21 juin 2023 du tribunal administratif de Montpellier ;
2°) d'annuler la décision du 9 mars 2021 par laquelle l'inspecteur du travail de l'unité de contrôle du Lot a autorisé son licenciement pour motif économique ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761- 1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- en ce qui concerne la légalité externe, la décision contestée est insuffisamment motivée dès lors qu'elle ne mentionne pas le fait qu'à la suite de propositions de reclassement qui lui ont été faites, il a présenté sa candidature au poste de directeur des ventes pour le secteur " Moyenne Tension " au sein de la société Transfix, et ce, dans le délai qui lui était imparti ; il a été informé du rejet de sa candidature, le 9 mars 2021, soit le jour de la décision de l'inspecteur du travail en litige ; ce dernier n'a donc pas pu apprécier à la date de sa décision si un reclassement était ou non encore possible ; la décision de l'inspecteur du travail se fonde par erreur sur le fait qu'il n'avait pas donné suite à la proposition de reclassement ; en tout état de cause, il appartenait à l'inspecteur du travail de motiver sa décision en analysant les éléments avancés par son employeur pour refuser de donner suite à son acceptation de la proposition de reclassement et d'apprécier si ce refus de reclassement était justifié en recueillant ses observations ;
- en ce qui concerne la légalité interne, il ne peut être considéré que l'employeur a satisfait à son obligation de reclassement en proposant un seul poste; l'inspecteur du travail aurait dû apprécier si les postes proposés au reclassement étaient suffisants ; par ailleurs, l'employeur a manqué à son obligation de loyauté concernant le reclassement dès lors que la liste des postes que lui a transmise le mandataire liquidateur ne comprend pas les postes qui ont fait l'objet d'annonces publiées par les sociétés d'intérim Manpower et Adecco dès le 11 mars 2021 ; ces postes, qui sont situés à Cahors, étaient occupés antérieurement par des salariés de la société Cahors International, et qui ont été licenciés ; le fait de recruter des intérimaires sur des postes vacants dédiés à l'activité permanente de l'entreprise constitue une violation de l'obligation de reclassement au sein du groupe auquel appartient la société liquidée ; par ailleurs, l'inspecteur du travail aurait dû apprécier les efforts de reclassement au regard des possibilités existantes dans l'ensemble des sociétés du groupe ; le refus qui a été opposé à sa candidature au poste de directeur des ventes du secteur " Moyenne Tension " au sein de la société Transfix au motif qu'il ne détenait pas un diplôme " Bac plus 5 " n'est pas pertinent compte tenu de l'expérience professionnelle dont il justifie ; de plus, le " groupe Cahors " n'exigeait pas un tel niveau de diplôme ; l'inspecteur du travail, compte tenu de son erreur quant au fait qu'il n'avait pas répondu à des offres de reclassement, n'a donc pas apprécié le refus qui lui a été opposé à cet égard, ni entendu ses explications ; contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, l'erreur commise par l'inspecteur du travail, qui a considéré qu'il n'avait donné suite à aucune proposition de reclassement, n'est pas restée sans incidence sur le sens de la décision attaquée dès lors que l'inspecteur devait apprécier le bien-fondé du refus de reclassement ;
- par ailleurs, la société anonyme Groupe Cahors, société-mère de Cahors International, doit être regardée comme étant son véritable employeur, le contrôle de la cessation d'activité pour motif économique, au regard de l'article L. 1233-3 du code du travail, nécessitant de déterminer le véritable employeur du salarié ; la société Groupe Cahors a en effet un pouvoir d'immixtion dans la gestion sociale de la société Cahors International dès lors qu'aucun des salariés de cette dernière n'était investi de missions particulières en matière de gestion administrative et sociale, cette gestion étant assurée par la société Groupe Cahors.
Par une ordonnance du 13 janvier 2025, la clôture d'instruction a été fixée au 18 février 2025 à 12h00.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Bentolila, président-assesseur,
- les conclusions de Mme Perrin, rapporteure publique,
- et les observations de Me Podeba-Thomas pour M. B....
Considérant ce qui suit :
1. M. B... exerçait, depuis 2017, des fonctions de cadre responsable du " marché Moyen-Orient " au sein de la société Cahors International, filiale du Groupe Cahors, laquelle avait pour activité la prospection commerciale et la vente de produits de ce groupe, lui-même spécialisé dans le domaine des réseaux de distribution d'énergie et de télécommunications. Par jugement du 15 décembre 2020, le tribunal de commerce de Paris a prononcé la liquidation judiciaire de la société Cahors International. A la suite d'un nouveau jugement du 3 février 2021 du tribunal de commerce prononçant la fin du maintien de l'activité de la société Cahors International, le mandataire liquidateur de cette société a, par courrier du 22 février 2021, demandé à l'administration du travail l'autorisation de licencier pour motif économique M. B..., lequel détenait un mandat de membre du comité social et économique de l'entreprise. Par une décision de l'inspecteur du travail du 9 mars 2021 de l'unité de contrôle du Lot, cette autorisation a été accordée.
2. M. B... relève appel du jugement du 21 juin 2023 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision du 9 mars 2021.
Sur la légalité de la décision attaquée :
3. En vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail dont dépend l'établissement. Pour apprécier si l'employeur ou le liquidateur judiciaire a satisfait à son obligation en matière de reclassement, l'autorité administrative doit s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, qu'il a procédé à une recherche sérieuse des possibilités de reclassement du salarié protégé, en tenant compte de l'ensemble des circonstances de fait qui lui sont soumises, notamment de ce que les recherches de reclassement ont débouché sur des propositions précises de reclassement, de la nature et du nombre de ces propositions, ainsi que des motifs de refus avancés par le salarié.
4. Il ressort des pièces du dossier que le 10 février 2021, le mandataire liquidateur de la société Cahors International a, au titre de son obligation de reclassement, adressé à M. B... un courrier auquel était joint un tableau énumérant tous les postes disponibles au sein des filiales du groupe Cahors situées sur le territoire national. Parmi les postes ainsi proposés figurait un emploi de " Directeur des ventes Moyenne Tension France " au sein de la société Transfix située à La Garde (Var). Il ressort des pièces du dossier que M. B... a présenté sa candidature à ce poste, laquelle n'a toutefois pas été retenue au motif qu'il ne remplissait pas les conditions de diplôme requises pour occuper un tel poste, faute de justifier d'un niveau d'études " bac + 5 ".
5. Il ressort des pièces du dossier, et notamment des écritures mêmes du directeur régional du travail devant le tribunal administratif de Montpellier, que le 8 mars 2021, M. B..., auditionné par l'inspecteur du travail, a fait savoir à ce dernier qu'il avait présenté sa candidature au poste précité de " Directeur des ventes Moyenne Tension France " et déjà passé un entretien à cet effet avec le responsable de la société, mais qu'il lui avait été oralement indiqué que sa candidature ne serait pas retenue.
6. Or dans les motifs de sa décision accordant l'autorisation de licencier pour motif économique, laquelle a été prise le lendemain de l'entretien que M. B... a eu avec un responsable de la société, l'inspecteur du travail a relevé que l'intéressé avait refusé tous les postes qui lui avaient été proposés au titre du reclassement, dont celui, ci-dessus mentionné, disponible au sein de la société Transfix. C'est en se fondant sur ce refus de M. B... que l'inspecteur du travail a estimé que la société avait satisfait à son obligation de reclassement. Or, ainsi qu'il vient d'être dit, M. B... avait accepté le poste de " Directeur des ventes Moyenne Tension France " figurant sur la liste des postes offerts au reclassement qui lui avait été transmise. Si la société a justifié son refus par le fait que M. B... ne possédait pas de diplôme de niveau " Bac + 5 ", cette condition ne ressort pas explicitement, pour le poste concerné, de la liste des emplois offerts au reclassement produite au dossier, laquelle exige, en outre, des conditions d'expérience, sachant que M. B... exerçait des fonctions de cadre responsable du " marché Moyen-Orient " au sein de la société depuis 2017. Ainsi, il n'est pas établi que la société aurait été dans l'impossibilité de procéder au reclassement de M. B... sur le poste en question qu'elle lui avait elle-même proposé. Dans ces conditions, en relevant que M. B... avait refusé les propositions de reclassement qui lui avaient été adressées, l'inspecteur du travail n'a pas commis une simple erreur matérielle, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif, mais entaché sa décision d'une erreur de fait et d'appréciation quant à l'existence d'une possibilité de reclassement du salarié au sein de l'entreprise.
7. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête, que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 9 mars 2021 par laquelle l'inspecteur du travail de l'unité de contrôle du Lot a autorisé son licenciement pour motif économique. Dès lors, le jugement attaqué, et la décision du 9 mars 2021 en litige, doivent être annulés.
Sur les frais liés au litige :
8. Il y a lieu de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative en mettant à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au profit de M. B... au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 21 juin 2023 du tribunal administratif de Montpellier et la décision du 9 mars 2021 par laquelle l'inspecteur du travail de l'unité de contrôle du Lot a autorisé le licenciement pour motif économique de M. B... sont annulés.
Article 2 : L'Etat versera la somme de 1 500 euros à M. B... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... à la société Mandataires judicaires Associés et à la ministre du travail et de l'emploi.
Délibéré après l'audience du 1er avril 2025 à laquelle siégeaient :
M. Faïck président,
M. Bentolila, président-assesseur,
Mme El Gani-Laclautre, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 avril 2025.
Le rapporteur,
P. Bentolila
Le président,
F. Faïck
La greffière,
C. Lanoux
La République mande et ordonne à la ministre du travail et de l'emploi en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N°23TL02122 2