Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... C... a demandé au tribunal administratif de Toulouse de condamner le département du Tarn à lui verser la somme de 65 000 euros en réparation des préjudices qu'elle estimait avoir subis, d'enjoindre au département du Tarn de lui accorder la protection fonctionnelle et de mettre à sa charge la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par une ordonnance n° 462171 du 4 avril 2022, le président de la Section du contentieux du Conseil d'Etat a transmis au tribunal administratif de Nîmes le dossier de la requête de Mme C....
Par un jugement n°2021248 du 9 mars 2023, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 9 mai 2023, et un mémoire complémentaire enregistré le 22 mars 2024, qui n'a pas été communiqué, Mme B... C..., représentée par le cabinet d'avocats Bonnecarrère-Servières-Gil-Genest-Meyer-Soullier, demande à la cour :
1°) de réformer ce jugement du tribunal administratif de Nîmes du 9 mars 2023 ;
2°) de condamner le département du Tarn à lui verser la somme totale de 102 199 euros en réparation des préjudices subis du fait du harcèlement moral dont elle estime avoir été victime ;
3°) d'annuler la décision du 7 janvier 2020 portant rejet de sa demande indemnitaire préalable ;
4°) d'enjoindre au département du Tarn de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle ;
5°) de mettre à la charge du département du Tarn la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la responsabilité du département du Tarn est engagée du fait des agissements constitutifs de harcèlement moral dont elle a été victime ; ces agissements ont été commis à compter de l'année 2013 par trois agents du service " insertion sociale " dans lequel elle était affectée ;
- elle a subi un préjudice financier résultant de sa perte de rémunération durant son placement en congé de maladie ordinaire et en disponibilité d'office pour raison de santé, puis de sa mise à la retraite pour invalidité ; jusqu'en février 2020, ce préjudice est de 19 040 euros et, pour la période comprise entre février 2020 et février 2021, ce préjudice doit être évalué à la somme de 25 968 euros ;
- elle a également subi un préjudice financier résultant de l'absence d'avancement d'échelon résultant de sa mise en disponibilité d'office pour raison de santé, pour un montant total de 2 772 euros ;
- elle a aussi subi un préjudice financier résultant du remboursement à la société Sofaxis d'un trop-perçu de 4 419 euros pour la période comprise entre le 2 février 2019 et le 31 juillet 2019 ;
- elle a subi une minoration de sa pension de retraite ; ce préjudice doit être évalué à la somme forfaitaire de 30 000 euros ;
- elle a subi un préjudice moral, qu'elle évalue à 20 000 euros.
Par un mémoire en défense et un mémoire en production de pièces, enregistrés les 17 janvier et 28 février 2024, le département du Tarn, représenté par le cabinet d'avocats VPNG, agissant par Me Constans, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de Mme C... la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- Mme C..., qui ne se prévaut d'aucun évènement ou fait précis, n'établit pas l'existence de faits constitutifs de harcèlement moral ; si elle indique avoir été en contact avec la médecine du travail et la psychologue du travail durant la période au cours de laquelle elle soutient avoir été victime de harcèlement moral, aucun de ces acteurs n'a effectué de signalement auprès de la direction des ressources humaines ; ses évaluations professionnelles pour les années 2013, 2014 et 2015 ne font pas état de problèmes relationnels avec ses collègues ; si elle tente d'établir un lien entre la dégradation de son état de santé et le harcèlement moral qu'elle soutient avoir subi, le syndrome anxiodépressif dont elle souffre n'a pas été reconnu imputable au service et les certificats médicaux qu'elle produit ont été établis sur la base de ses seules déclarations ;
- à titre subsidiaire, sa demande était irrecevable dès lors que le courrier du 7 janvier 2020 ne constitue pas une décision de rejet de sa demande indemnitaire préalable mais une demande d'informations complémentaires ;
- en l'absence de demande tendant à ce que lui soit accordée la protection fonctionnelle, les conclusions de l'appelante tendant à ce qu'il soit enjoint au département de lui accorder cette protection constituent une demande d'injonction à titre principal et sont par suite irrecevables ;
- à titre infiniment subsidiaire, les conclusions indemnitaires présentées par l'appelante sont irrecevables dès lors qu'elle demande réparation de préjudices distincts de ceux dont elle s'est prévalue en première instance ;
- le lien de causalité et les préjudices dont Mme C... demande réparation ne sont pas établis.
Par une ordonnance du 26 février 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 26 mars 2024 à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général de la fonction publique ;
- la loi n°83-634 du 13 juillet 1983 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Hélène Bentolila, conseillère,
- les conclusions de Mme Michèle Torelli, rapporteure publique,
- et les observations de Me Duarte, représentant le département du Tarn.
Considérant ce qui suit :
1. Mme C... a intégré la fonction publique de l'Etat en 1982 et a exercé ses fonctions notamment au sein de France Telecom. A compter du 19 septembre 2005, elle a été détachée, puis intégrée dans le cadre d'emplois des rédacteurs territoriaux au département du Tarn, où elle a occupé les fonctions de référente technique au sein du service " personnes âgées ", puis de gestionnaire de dossiers au service " habitat logement " à compter de juillet 2007. Souhaitant changer d'affectation, elle a été affectée provisoirement, en surnombre, au service " jeunesse et sport " en novembre 2011, avant d'être affectée à compter du 16 janvier 2013 au service " insertion professionnelle " du département. Elle a ensuite été placée en congé de maladie ordinaire du 3 février 2016 au 2 février 2017, puis en disponibilité d'office pour raison de santé du 3 février 2017 au 2 février 2020. Par une décision du 26 décembre 2019, le président du conseil départemental du Tarn l'a reconnue comme étant inapte de façon totale et définitive à ses fonctions et l'a mise à la retraite pour invalidité à compter du 3 février 2020, avec un taux d'invalidité permanente partielle imputable au service de 7% au titre de la maladie professionnelle n°57C et un taux d'invalidité partielle non imputable au service de 10%. Cette décision a été annulée par un jugement du tribunal administratif de Nîmes n°2021119 du 9 mars 2023, qui a également condamné le département à verser à Mme C... la somme de 3 000 euros en réparation des préjudices subis du fait de l'illégalité de cette décision. Estimant avoir été victime de harcèlement moral, Mme C... a demandé au département du Tarn, par un courrier du 29 octobre 2019, réparation des préjudices subis du fait de cette situation, pour un montant total de 65 000 euros. Cette demande indemnitaire préalable a été rejetée par une décision du 7 janvier 2020. Par un jugement n°2021248 du 9 mars 2023, dont Mme C... relève appel, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande tendant à la condamnation du département du Tarn à réparer les préjudices subis du fait du harcèlement moral dont elle s'estime victime.
Sur la légalité de la décision rejetant la demande indemnitaire préalable :
2. La décision de rejet de la demande indemnitaire préalable formée par Mme C... le 29 octobre 2019 a pour seul effet de lier le contentieux à l'égard de l'objet de sa demande. Eu égard à l'objet d'une telle demande, qui conduit le juge à se prononcer sur le droit de l'intéressé à percevoir la somme qu'il réclame, les vices propres dont serait, le cas échéant, entachée la décision qui a lié le contentieux, sont sans incidence sur la solution du litige. Par suite, les conclusions de l'appelante tendant à l'annulation de cette décision ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les conclusions indemnitaires :
3. Aux termes du premier alinéa de l'article 6 quinquiès de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, désormais reprises à l'article L. 133-2 du code général de la fonction publique : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel (...) ".
4. Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour être qualifiés de harcèlement moral, ces agissements doivent être répétés et excéder les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique.
5. En l'espèce, Mme C... soutient qu'à compter de son affectation dans le service " insertion professionnelle ", au début de l'année 2013, et jusqu'à son placement en congé de maladie ordinaire en février 2016, elle été victime d'une mise à l'écart, de la prolifération de rumeurs infondées à son égard, de moqueries, de railleries et de dénigrement réguliers par trois de ses collègues de travail précisément identifiées. Toutefois, l'appelante se borne à faire état de ces agissements dans des termes très généraux, sans décrire précisément des faits qui, par leur caractère répété, seraient susceptibles d'être qualifiés de harcèlement moral. Si elle produit des courriels échangés avec sa hiérarchie et la direction des ressources humaines entre 2013 et 2016, ceux-ci sont par la plupart rédigés par ses soins et ne font pas davantage état de faits précis qui auraient été commis à son égard dans le cadre de l'exercice de ses fonctions. De plus, les attestations versées au dossier, qui font état de difficultés relationnelles au sein du service, sont soit rédigées par ses proches, soit par d'anciens agents du service " insertion professionnelle " dans des termes très similaires et peu circonstanciés et ne concernent pour l'essentiel pas sa propre situation. En outre, la déclaration de main courante qu'elle a faite le 19 avril 2016 au commissariat d'Albi, selon laquelle les trois collègues l'ayant selon elle harcelée depuis trois ans ouvraient sans cesse son courrier, sortaient de la salle de repos lorsqu'elle y entrait, la dénigraient ou colportaient des rumeurs infondées à son égard, repose sur ses seules déclarations. Par ailleurs, Mme C... soutient que le syndrome anxio-dépressif réactionnel dont elle souffre depuis février 2016, en raison duquel elle a été placée en congé de maladie ordinaire, puis en disponibilité d'office, avant d'être mise à la retraite pour invalidité, résulte du harcèlement moral qu'elle a subi. Toutefois, contrairement à ce que soutient l'appelante, les pièces médicales dont elle se prévaut, qui mentionnent qu'elles se fondent sur les dires de l'intéressée, ne sauraient par elles-mêmes établir que son état de santé découlerait d'une situation de harcèlement moral subie dans le cadre de l'exercice de ses fonctions, alors qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise médicale du docteur A... en date du 29 juillet 2019, que cet expert a retenu au titre de cette pathologie un taux d'invalidité de 10% non imputable au service. Ainsi, les éléments dont se prévaut Mme C..., pris isolément ou ensemble, ne permettent pas de présumer l'existence d'un harcèlement moral. Par suite, la requérante n'est pas fondée, à ce titre, à rechercher la responsabilité du département du Tarn.
6. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les fins de non-recevoir opposées par le département du Tarn, que Mme C... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande indemnitaire.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
7. Il résulte de tout ce qui précède que Mme C... n'établit pas avoir subi une situation de harcèlement moral dans le cadre de l'exercice de ses fonctions. Par suite, et en tout état de cause, ses conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint au département du Tarn de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle, ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
8. D'une part, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du département du Tarn, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme que la requérante demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. D'autre part, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions du département du Tarn présentées en application des mêmes dispositions.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de Mme C... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par le département du Tarn au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... C... et au département du Tarn.
Délibéré après l'audience du 20 mai 2025, à laquelle siégeaient :
Mme Geslan-Demaret, présidente de chambre,
Mme Teuly-Desportes, présidente-assesseure,
Mme Bentolila, conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 juin 2025.
La rapporteure,
H. Bentolila
La présidente,
A. Geslan-DemaretLa greffière,
M-M. Maillat
La République mande et ordonne au préfet du Tarn en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N°23TL01079