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17/06/2025 | FRANCE | N°24TL00408

France | France, Cour administrative d'appel de TOULOUSE, 2ème chambre, 17 juin 2025, 24TL00408


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La présidente de la région Occitanie a déféré au tribunal administratif de Montpellier la société de droit espagnol Varadero Vinaròs comme prévenue d'une contravention de grande voirie prévue et réprimée par les articles L. 2132-4 du code général de la propriété des personnes publiques et L. 5337-1 du code des transports, sur la base d'un procès-verbal, dressé le 20 mars 2019, constatant l'occupation sans autorisation du domaine public portuaire par le navire dénomm

" Rio Tagus ", accosté au quai Paul Riquet à Sète (Hérault).



Par un jugement n° 19...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La présidente de la région Occitanie a déféré au tribunal administratif de Montpellier la société de droit espagnol Varadero Vinaròs comme prévenue d'une contravention de grande voirie prévue et réprimée par les articles L. 2132-4 du code général de la propriété des personnes publiques et L. 5337-1 du code des transports, sur la base d'un procès-verbal, dressé le 20 mars 2019, constatant l'occupation sans autorisation du domaine public portuaire par le navire dénommé " Rio Tagus ", accosté au quai Paul Riquet à Sète (Hérault).

Par un jugement n° 1902576, rendu le 2 novembre 2020, le tribunal administratif de Montpellier a condamné la société Varadero Vinaròs à deux amendes de 3 000 euros, a enjoint à cette société de libérer et remettre sans délai les lieux en l'état sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter de l'expiration d'un délai de deux mois à compter de la notification du jugement, a autorisé la région Occitanie à procéder d'office à la libération du domaine public, aux frais et risques de cette société, et au démantèlement de ce navire à l'issue de ce délai et a rejeté le surplus des conclusions des parties.

Par un arrêt n° 21TL01463 du 18 avril 2023, la cour administrative d'appel de Toulouse a, sur appel de la société Varadero Vinaròs, annulé ce jugement et relaxé cette société des fins des poursuites engagées à son encontre.

Par une décision n° 475220 du 16 février 2024, le Conseil d'Etat, saisi d'un pourvoi formé par la région Occitanie, a annulé l'arrêt de la cour, rendu le 18 avril 2023, a renvoyé l'affaire à la cour et a rejeté les conclusions des parties présentées en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 18 avril 2021, au greffe de la cour administrative d'appel de Marseille et attribuée à la cour administrative d'appel de Toulouse, par une ordonnance du président de la Section du contentieux du Conseil d'État du 11 avril 2022, des mémoires, enregistrés les 14 décembre et 27 décembre 2022 et les 3 janvier et 10 mars 2023, et, après cassation, un mémoire, enregistré le 18 octobre 2024, et un mémoire, enregistré le 29 novembre 2024, non communiqué, la société Varadero Vinaròs, représentée par Me Najjar et Me Gibon, demande à la cour, dans le dernier état de ses conclusions :

1°) d'annuler ce jugement du 2 novembre 2020 du tribunal administratif de Montpellier ;

2°) de la relaxer des fins de la poursuite engagée contre elle, par la contravention de grande voirie du 20 mars 2019 ;

3°) de mettre à la charge de la région Occitanie, la somme de 10 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative outre les entiers dépens.

Elle soutient que :

Sur la régularité du jugement :

- le jugement de première instance est entaché d'irrégularité dès lors que le tribunal n'a pas appelé en la cause la direction départementale des territoires et de la mer et la direction des affaires juridiques de la région Occitanie ;

- il est également entaché d'irrégularité pour ne pas avoir appelé en la cause l'établissement public industriel et commercial Port Sud de France ;

Sur la régularité de la saisine du tribunal :

- la saisine du tribunal administratif par la région Occitanie est irrégulière dès lors qu'elle a été effectuée par une autorité incompétente, la requête ayant été signée par le directeur des affaires juridiques de la région, alors que l'article L. 5337-3-1 du code des transports exige qu'elle soit signée par la présidente de région, qui ne peut déléguer en la matière sa signature qu'à un vice-président ;

- les poursuites engagées par la région Occitanie sont également devenues irrégulières au regard de l'intervention en cours d'instance du protocole d'accord transactionnel, conclu le 30 septembre 2029 entre elle-même et l'établissement public régional Port Sud de France, aux termes duquel les parties renoncent à toute action contentieuse, ce qui rend caduque l'action répressive ainsi introduite ;

Sur l'action répressive :

- le procès-verbal de contravention de grande voirie, établi le 20 mars 2019, lui a été notifié le 22 mai 2019, soit plus de deux mois après qu'il a été dressé, alors que l'article L. 774-2 du code de justice administrative impose une notification dans le délai de dix jours ; il ne peut donc lui être reproché d'avoir laissé le Rio Tagus à quai, alors que les poursuites ont été engagées avec retard ;

- cette communication tardive est de nature à porter atteinte aux droits de la défense ; il est par ailleurs prévu par l'article L. 774-2 du code de justice administrative un délai de quinze jours pour fournir " des défenses écrites ", ce dont elle n'a pas bénéficié alors qu'elle a son siège en Espagne ;

- le procès-verbal de contravention de grande voirie ne mentionne aucun texte légal susceptible de s'appliquer aux faits retenus par ce procès-verbal ;

- elle n'est pas le propriétaire du navire contrairement à ce qui a été retenu ;

- les mesures et sanctions ordonnées sont fondées sur un texte légal non invoqué par la région Occitanie et, au surplus, inapplicable en l'espèce ;

Sur l'action domaniale :

- l'établissement public régional Port Sud de France s'étant opposé au transfert du navire pour démantèlement en Espagne qu'elle avait organisé le 6 avril 2018, il ne saurait donc lui être opposé l'absence d'un tel transfert, une telle opposition de l'administration constituant, pour elle, un cas de force majeure, ainsi qu'un comportement fautif ;

- le tribunal lui a enjoint de libérer et de remettre sans délai les lieux en état, notamment, en procédant au déplacement du bateau vers un autre port acceptant de l'accueillir, après avoir réalisé les travaux de flottabilité nécessaires à un tel transfert, a donc ordonné des mesures non requises par l'autorité gestionnaire du port et a donc statué ultra petita y compris dans le montant de l'astreinte prononcée ;

- l'astreinte est infondée ;

- l'astreinte est disproportionnée ;

- la région Occitanie n'est pas fondée à demander le remboursement des frais dépensés pour l'enlèvement de l'épave, en l'absence de justificatifs en ce sens.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 15 novembre 2022 et le 7 février 2023, des pièces complémentaires, enregistrées le 13 mars 2023, et, après cassation, le 24 septembre et le 8 novembre 2024, la région Occitanie, représentée par Me Constans, de la société civile professionnelle Vinsonneau-Paliès Noy Gauer et Associés, conclut, dans le dernier état de ses écritures, à la confirmation du jugement de première instance, au rejet de la requête de la société Varadero Vinaròs, et à ce qu'une somme de 4 000 euros soit mise à la charge de la société sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- la requête est tardive et par là même irrecevable ;

- au surplus, aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Par une ordonnance du 12 novembre 2024, la date de clôture d'instruction a été reportée au 29 novembre 2024.

Un mémoire, enregistré le 29 mai 2025, soit postérieurement à la clôture d'instruction, a été présenté pour la société Varadero Vinaròs.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code général de la propriété des personnes publiques ;

- le code pénal ;

- le code de procédure civile ;

- le code des transports ;

- le décret n° 2003-172 du 25 février 2003 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Delphine Teuly-Desportes, présidente-assesseure,

- les conclusions de Mme Michèle Torelli, rapporteure publique,

- les observations de Me Najjar, représentant la société Varadero Vinaròs,

- et les observations de Me Constans, représentant la région Occitanie.

Considérant ce qui suit :

1. Le navire " Rio Tagus ", abandonné par son armateur panaméen, en 2010, dans le port de Sète (Hérault), a été acquis aux enchères, le 3 octobre 2016, par la société de droit espagnol Varadero Vinaròs. Un procès-verbal de contravention de grande voirie a été dressé, le 20 mars 2019, à son encontre, au motif que ce bateau stationnait sans autorisation au quai Paul Riquet et que son état de délabrement risquait de porter atteinte au bon état et à la propreté du port de Sète. Le 22 mai 2019, la société Varadero Vinaròs a été déférée par la présidente de la région Occitanie, au tribunal administratif de Montpellier comme prévenue d'une contravention de grande voirie. Par un jugement, rendu le 2 novembre 2020, ce tribunal a condamné la société à deux amendes de 3 000 euros, lui a enjoint de libérer et de remettre, sans délai, les lieux en l'état, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à l'expiration du délai de deux mois à compter de la notification du jugement et a autorisé la région Occitanie, à l'issue de ce délai, à procéder d'office à la libération du domaine public aux frais et risques de la société contrevenante ainsi qu'au démantèlement du navire. La cour a, par un arrêt rendu le 18 avril 2023, sur appel de la société Varadero Vinaròs, annulé ce jugement et relaxé cette dernière des fins de la poursuite engagée à son encontre pour contravention de grande voirie. A la suite du pourvoi en cassation de la région Occitanie, le Conseil d'Etat a annulé l'arrêt, rendu le 18 avril 2023 et renvoyé l'affaire à la cour.

Sur la fin de non-recevoir opposée à la requête d'appel :

2. En application des dispositions des articles L. 774-2 et L 774-6 du code de justice administrative, il appartenait à la région Occitanie, ainsi que lui a demandé le tribunal, par lettre du 3 novembre 2020, de procéder à la notification du jugement attaqué à la société Varadero Vinaròs.

3. Aux termes de l'article L. 774-7 du code de justice administrative, applicable en matière de contravention de grande voirie : " Le délai d'appel est de deux mois. Il court contre l'administration du jour du jugement et, contre la partie poursuivie, du jour de la notification du jugement à cette partie ". Selon l'article R. 421-7 du même code applicable aux requêtes d'appel en vertu de l'article R. 811-5 de ce code, le délai d'appel " est augmenté de deux mois pour les personnes qui demeurent à l'étranger ". Il résulte de ces dispositions combinées que le délai d'appel ouvert à la société Varadero Vinaròs, société de droit espagnol, était de quatre mois.

4. Par ailleurs, aux termes de l'article 647-1 du code de procédure civile : " La date de notification d'un acte judiciaire ou extrajudiciaire, (...) à l'étranger est, à l'égard de celui qui y procède, la date d'expédition de l'acte par l'huissier de justice ou le greffe, ou, à défaut, la date de réception par le parquet compétent ".

5. En l'absence de preuve de ce que le jugement attaqué du 12 novembre 2020 aurait été notifié à la société appelante, la fin de non-recevoir opposée à la requête ne peut qu'être écartée, alors même qu'elle n'a été enregistrée que le 18 avril 2021, soit au-delà du délai de quatre mois, rappelé au point 3, courant à compter de l'expédition du jugement par voie d'huissier le 25 novembre 2020. Sont à cet égard sans influence les dispositions précitées de l'article 647-1 du code de procédure civile, invoquées par la région, qui concernent la preuve - notamment quant au point de départ des délais de prescription - de la notification d'un acte judiciaire à l'égard de celui qui y procède et non de la personne à qui cet acte est notifié.

Sur la régularité du jugement :

6. Selon le 3° de l'article L. 5331-5 du code des transports, dans les ports maritimes de commerce, de pêche ou de plaisance relevant des collectivités territoriales et de leurs groupements, l'autorité portuaire, qui exerce la police de la conservation du domaine public du port en vertu de l'article L. 5331-7 du même code, est l'exécutif de la collectivité territoriale ou du groupement compétent. Aux termes de la convention de transfert, conclue le 22 décembre 2006, le port de Sète a été transféré à la région Languedoc Roussillon, devenue Occitanie.

7. D'une part, en l'absence d'obligation légale imposant de l'appeler à l'instance, le tribunal administratif de Montpellier, contrairement aux allégations de la société appelante, n'avait pas à mettre en cause l'établissement public industriel et commercial Port Sud de France, qui est, au demeurant, seulement chargé de la gestion de l'exploitation et de l'entretien des ouvrages, bâtiments, matériels réseaux et services nécessaires au fonctionnement des activités commerce et pêche du port de Sète et de l'activité de plaisance.

8. D'autre part, la société Varadero Vinaròs ne saurait sérieusement invoquer l'absence de mise en cause de la direction départementale des territoires et de la mer de l'Hérault et de la direction des affaires juridiques de la région Occitanie, services qui ne sont pas dotés de la personnalité morale.

9. Il résulte de ce qui précède que les moyens tirés de l'irrégularité du jugement doivent être écartés.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne l'action publique :

S'agissant de l'engagement des poursuites :

10. En premier lieu, aux termes de l'article L. 774-2 du code de justice administrative, dans sa rédaction applicable au litige : " Dans les dix jours qui suivent la rédaction d'un procès-verbal de contravention, le préfet fait faire au contrevenant notification de la copie du procès-verbal (...) / Pour les contraventions de grande voirie mentionnées au chapitre VII du titre III du livre III de la cinquième partie [du code des transports], les autorités mentionnées aux articles L. 5337-3-1 et L. 5337-3-2 du même code sont compétentes concurremment avec le représentant de l'Etat dans le département (...) / Il est dressé acte de la notification ; cet acte doit être adressé au tribunal administratif et y être enregistré comme les requêtes introductives d'instance ".

11. Le 3° de l'article L. 5331-5 du code des transports prévoit que, dans les ports maritimes de commerce, de pêche ou de plaisance relevant des collectivités territoriales et de leurs groupements, l'autorité portuaire, qui exerce la police de la conservation du domaine public du port en vertu de l'article L. 5331-7 du même code, est l'exécutif de la collectivité territoriale ou du groupement compétent. Aux termes de l'article L. 5337-3-1 de ce code : " Dans les ports maritimes relevant des collectivités territoriales et de leurs groupements mentionnés au 3° de l'article L. 5331-5, dans le cas où une contravention de grande voirie a été constatée, le président de l'organe délibérant de la collectivité ou du groupement saisit le tribunal administratif territorialement compétent, dans les conditions et suivant les procédures prévues au chapitre IV du titre VII du livre VII du code de justice administrative, sans préjudice des compétences dont dispose le préfet en la matière. Il peut déléguer sa signature à un vice-président ".

12. Enfin, aux termes de l'article L. 4231-4 du code général des collectivités territoriales : " Le président du conseil régional gère le domaine de la région ". Aux termes du dernier alinéa de l'article L. 4231-3 du même code : " Le président du conseil régional est le chef des services de la région. Il peut, sous sa surveillance et sa responsabilité, donner délégation de signature en toute matière aux responsables desdits services ".

13. Il résulte de l'ensemble de ces dispositions qu'en cas d'atteinte au domaine public d'un port maritime relevant d'une région, il incombe au président du conseil régional de notifier au contrevenant la copie du procès-verbal constatant les faits puis d'adresser l'acte de notification au juge des contraventions de grande voirie. Si l'article L. 5337-3-1 du code des transports prévoit que ce président peut, pour ce faire, déléguer sa signature à un vice-président, cette disposition ne fait pas obstacle à ce que le président du conseil régional puisse, en application de l'article L. 4231-3 du code général des collectivités territoriales, également déléguer sa signature à cette fin au responsable d'un des services de la région.

14. Il résulte de l'instruction que le procès-verbal constatant les faits susceptibles de constituer une contravention de grande voirie, dressé le 20 mars 2019, a été notifié à la société Varadero Vinaròs le 22 mai 2019 par le directeur des affaires juridiques de la région Occitanie, auquel la présidente de la région Occitanie avait délégué sa signature, par un arrêté du 5 février 2018. Ce directeur a adressé le même jour ce procès-verbal au tribunal administratif de Montpellier. Eu égard au principe rappelé au point précédent, la présidente de la région Occitanie pouvait légalement déléguer sa signature à ce directeur pour introduire les requêtes liées aux contraventions de grande voirie sur le domaine public portuaire. Il suit de là que le moyen tiré de ce que le tribunal administratif aurait été saisi par une autorité incompétente doit être écarté.

15. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction que la région Occitanie n'était pas partie au protocole transactionnel, conclu le 30 septembre 2019, entre la société appelante et l'établissement public industriel et commercial Port Sud de France et aux termes duquel les parties fixaient les modalités techniques et financières de l'enlèvement du port du navire et s'engageaient à renoncer à leur action contentieuse. Dans ces conditions, ce protocole ne saurait, en tout état de cause, avoir eu pour effet de rendre caduque et par là même irrégulière la procédure de saisine du tribunal administratif sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la caducité prévue par ses stipulations, au 1er mars 2020, en l'absence de transport du navire à cette date.

16. En dernier lieu, si la société Varadero Vinaròs reprend, en des termes similaires, les moyens tirés de l'irrégularité des poursuites en raison, d'une part, de l'absence de mention des dispositions auxquelles les personnes ont contrevenu et, d'autre part, de l'absence de respect du délai de dix jours de notification du procès-verbal de contravention après sa rédaction en méconnaissance des dispositions de l'article L. 774-2 du code de justice administrative, qu'elle a invoqués en première instance, sans pièce nouvelle ni critique utile du jugement. Par suite, il y a lieu d'écarter ces moyens par adoption des motifs pertinents retenus par les premiers juges aux points 3 à 5 du jugement contesté.

S'agissant du bien-fondé des poursuites :

Quant à la matérialité des infractions :

17. D'une part, aux termes de l'article L. 2122-1 du code général de la propriété des personnes publiques : " Nul ne peut, sans disposer d'un titre l'y habilitant, occuper une dépendance du domaine public d'une personne publique mentionnée à l'article L. 1 ou l'utiliser dans des limites dépassant le droit d'usage qui appartient à tous. ".

18. D'autre part, aux termes de l'article L. 5335-1 du code des transports : " Le propriétaire et l'armateur du navire, bateau ou autre engin flottant qui se trouve hors d'état de naviguer ou de faire mouvement procède à sa remise en état ou à son enlèvement. ". Selon l'article L. 5335-2 du même code : " Il est interdit de porter atteinte au bon état et à la propreté du port et de ses installations, notamment de jeter dans les eaux du port tous déchets, objets, terre, matériaux ou autres. ".

19. La personne qui peut être poursuivie pour contravention de grande voirie est soit celle qui a commis ou pour le compte de laquelle a été commise l'action qui est à l'origine de l'infraction, soit celle sous la garde de laquelle se trouvait l'objet qui a été la cause de la contravention.

20. Il résulte de l'instruction, et en particulier du procès-verbal, établi le 20 mars 2019, d'une part, que le navire dénommé " le Rio Tagus ", acquis le 3 octobre 2016, par la société appelante par voie d'adjudication, amarré dans le port de Sète ne bénéficiait d'aucun titre d'occupation du domaine public maritime et, d'autre part, que ce navire, eu égard notamment à la rouille recouvrant sa coque, se trouvait dans un état de dégradation avancée de nature à compromettre sa flottabilité, qu'il contenait également des parties en amiante et que les ballasts situés sous les cales de chargement étaient remplis d'eau de mer, les mises en demeure adressées à la société Varadero Vinaròs, les 4 et 10 septembre 2018, afin de procéder à la réparation de la coque de la cale des machines, de nommer un gardien pour assurer une surveillance appropriée et de prendre toutes dispositions pour assurer sa flottabilité et éviter tous risques de pollution portuaire étant restées sans effets. La société appelante, qui ne saurait utilement invoquer le caractère dolosif de la vente devant le juge administratif, a conclu un protocole d'accord pour son transport en vue d'un démantèlement en Espagne, et ne saurait sérieusement soutenir qu'elle n'en est pas le propriétaire. En outre, dès lors que le navire Rio Tagus est la cause des contraventions, la circonstance que ce dernier pourrait être qualifié d'épave est sans incidence sur la désignation de la personne qui en a la garde, en l'espèce, la société Varadero Vinaròs, qui n'est pas fondée à soutenir que ces condamnations ne pouvaient être prononcées à son encontre. Dans ces conditions, et dès lors que le procès-verbal ainsi dressé fait foi jusqu'à la preuve contraire, les faits constatés, d'une part, d'occupation sans droit ni titre du domaine public et, d'autre part, d'atteinte à la propreté du port, qui sont matériellement établis et non prescrits, constituent des contraventions de grande voirie.

Quant aux amendes :

21. D'une part, aux termes de l'article L. 2132-26 du code général de la propriété des personnes publiques : " Sous réserve des textes spéciaux édictant des amendes d'un montant plus élevé, l'amende prononcée pour les contraventions de grande voirie ne peut excéder le montant prévu par le 5° de l'article 131-13 du code pénal (...) ". Aux termes de l'article L. 2132-27 du même code : " Les contraventions définies par les textes mentionnés à l'article L. 2132-2, qui sanctionnent les occupants sans titre d'une dépendance du domaine public, se commettent chaque journée et peuvent donner lieu au prononcé d'une amende pour chaque jour où l'occupation est constatée, lorsque cette occupation sans titre compromet l'accès à cette dépendance, son exploitation ou sa sécurité ". Selon l'article 1er du décret du 25 février 2003 relatif aux peines d'amende applicables aux infractions de grande voirie commises sur le domaine public maritime en dehors des ports : " Toute infraction en matière de grande voirie commise sur le domaine public maritime en dehors des ports, et autres que celles concernant les amers, feux, phares et centres de surveillance de la navigation maritime prévues par la loi du 27 novembre 1987 susvisée, est punie de la peine d'amende prévue par l'article 131-13 du code pénal pour les contraventions de la 5e classe. (...). " Aux termes de l'article 131-13 du code pénal : " Constituent des contraventions les infractions que la loi punit d'une amende n'excédant pas 3 000 euros. Le montant de l'amende est le suivant : (...) 5° 1 500 euros au plus pour les contraventions de la 5e classe (...). "

22. Ni l'article L. 2132-26 du code général de la propriété des personnes publiques, ni l'article 1er du décret susvisé du 25 février 2003, qui sont d'interprétation stricte, ne prévoient la possibilité de prononcer sur leur fondement des amendes dont le montant excède ceux mentionnés au 5° de l'article 131-13 du code pénal ou ne renvoient explicitement à l'article 131-41 du code pénal qui prévoit que le montant maximal des amendes pénales encourues par les personnes morales est égal au quintuple de celui prévu pour les personnes physiques.

23. Lorsqu'il retient la qualification de contravention de grande voirie s'agissant de faits qui lui sont soumis, le juge est tenu d'infliger une amende au contrevenant. Alors même que les textes ne prévoient pas de modulation des amendes, le juge, qui est le seul à les prononcer, peut toutefois moduler leur montant dans la limite du plafond que constitue le montant de l'amende prévu par ces textes et du plancher que constitue le montant de la sanction directement inférieure, pour tenir compte de la gravité de la faute commise, laquelle est appréciée au regard de la nature du manquement et de ses conséquences.

24. Ainsi qu'il a été dit aux points 17 à 20, la matérialité des infractions aux dispositions de l'article L. 2122-1 du code général de la propriété des personnes publiques et des articles L. 5335-1 et 5335-2 du code des transports est établie. Ces faits constituent notamment des atteintes à la conservation du domaine public maritime. La société Varadero Vinaròs ne peut utilement invoquer la circonstance qu'elle aurait été empêchée, le 6 avril 2018, par l'établissement public industriel et commercial Port Sud de France, de transférer le navire en Espagne pour opérer son démantèlement dès lors qu'il résulte de l'instruction que c'est à la demande du pôle national de transferts transfrontaliers de déchets qu'il a été fait obstacle à un tel transfert en raison de l'absence de travaux permettant d'assurer la flottabilité du Rio Tagus. En outre, elle se borne à soutenir que les peines sont fondées sur un texte légal non invoqué par la région Occitanie et, au surplus, inapplicable sans apporter de critique utile du montant des amendes retenues à son encontre.

25. Pour autant, au regard de la circonstance que les dispositions de l'article 131-13 du code pénal sont d'interprétation stricte, ainsi qu'il a été rappelé au point 22, et ne prévoient pas la possibilité de prononcer sur leur fondement des amendes dont le montant excède ceux mentionnés à leur 5° ou ne renvoient explicitement à l'article 131-41 du code pénal qui prévoit que le montant maximal des amendes pénales encourues par les personnes morales est égal au quintuple de celui prévu pour les personnes physique, il y a lieu de fixer le montant de chacune des amendes à la somme de 1 500 euros et de ramener par là même le montant dû par la société Varadero Vinaròs à la somme de 3 000 euros.

En ce qui concerne l'action domaniale :

26. Lorsqu'il qualifie de contravention de grande voirie des faits d'occupation irrégulière d'une dépendance du domaine public, il appartient au juge administratif, saisi d'un procès-verbal accompagné ou non de conclusions de l'administration tendant à l'évacuation de cette dépendance, d'enjoindre au contrevenant de libérer sans délai le domaine public et, s'il l'estime nécessaire et au besoin d'office, de prononcer une astreinte. Il ne peut légalement décharger le contrevenant de l'obligation de réparer les atteintes portées au domaine public qu'au cas où le contrevenant produit des éléments de nature à établir que le dommage est imputable, de façon exclusive, à un cas de force majeure ou à un fait de l'administration assimilable à un cas de force majeure.

27. Il résulte de l'instruction que s'il a été procédé au transfert du navire vers le port de Brest (Finistère) en vue de son démantèlement de sorte qu'il y a eu évacuation du domaine public portuaire, ce n'est que, le 25 juin 2022, et à l'initiative de l'autorité gestionnaire du port. Ainsi, une telle remise en état du domaine public maritime n'ayant été établie que postérieurement à la date du jugement attaqué et dès lors, ainsi qu'il a été dit au point 24, que la région Occitanie ne s'est pas opposée à ce que le transfert soit réalisé par la société appelante elle-même, cette dernière n'est pas fondée à invoquer le fait de l'administration assimilable à la force majeure. Par suite, la société Varadero Vinaròs, qui ne saurait utilement invoquer la circonstance que les premiers juges auraient fixé le montant de l'astreinte à un montant supérieur à celui demandé par la région, au regard de l'office du juge, rappelé au point 26, n'est pas fondée à contester l'astreinte prononcée à son encontre.

28. Il résulte de tout ce qui précède que la société Varadero Vinaròs est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal lui a infligé deux amendes d'un montant respectif de 3 000 euros.

Sur les frais liés au litige :

29. D'une part, en l'absence de dépens au sens de l'article R. 761-1 du code de justice administrative, la société appelante n'est pas fondée, en tout état de cause, à en solliciter le remboursement.

30. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société Varadero Vinaròs, qui n'est pas, dans cette instance, la partie perdante, la somme que sollicite la région Occitanie au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de la région Occitanie la somme que sollicite la société Varadero Vinaròs sur ce même fondement.

D E C I D E :

Article 1er : L'amende de 6 000 euros que la société Varadero Vinaròs a été condamnée à verser au titre de l'action publique est ramenée à un montant de 3 000 euros.

Article 2 : L'article 1er du jugement n° 1902576 du tribunal administratif de Montpellier du 2 novembre 2020 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 4 : Les conclusions présentées par la région Occitanie en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Varadero Vinaròs et à la région Occitanie.

Copie en sera adressée au préfet de l'Hérault et à l'établissement public Port Sud de France.

Délibéré après l'audience du 3 juin 2025, à laquelle siégeaient :

Mme Geslan-Demaret, présidente de chambre,

Mme Teuly-Desportes, présidente-assesseure,

Mme Dumez-Fauchille, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 juin 2025.

La rapporteure,

D. Teuly-Desportes

La présidente,

A. Geslan-Demaret La greffière,

M-M. Maillat

La République mande et ordonne au préfet de l'Hérault en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N° 24TL00408 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de TOULOUSE
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 24TL00408
Date de la décision : 17/06/2025
Type de recours : Contentieux répressif

Analyses

Actes législatifs et administratifs - Validité des actes administratifs - Compétence - Délégations - suppléance - intérim - Délégation de signature.

Domaine - Domaine public - Protection du domaine - Contraventions de grande voirie - Poursuites.


Composition du Tribunal
Président : Mme Geslan-Demaret
Rapporteur ?: Mme Delphine Teuly-Desportes
Rapporteur public ?: Mme Torelli
Avocat(s) : GIBON

Origine de la décision
Date de l'import : 22/06/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-06-17;24tl00408 ?
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