Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La SNC Sarcelles Investissements a demandé au Tribunal administratif de Cergy-Pontoise de renvoyer l'affaire au Tribunal des conflits aux fins de décider des questions de compétence soulevées et de surseoir à statuer dans l'attente de la décision, ou, à défaut, à titre principal, d'annuler avec toutes conséquences de droit le titre exécutoire n° 009243 en date du 19 septembre 2011 d'un montant de 7 056 811,24 euros ayant pour objet le remboursement des travaux de dévoiement des réseaux de chauffage urbain, et, à titre subsidiaire, de diminuer le montant du titre exécutoire n° 009243 en date du 19 septembre 2011.
Par un jugement n° 1602208 du 12 juillet 2018, le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a, d'une part, rejeté les conclusions tendant à ce que l'affaire soit renvoyée devant le Tribunal des conflits et à ce qu'il soit sursis à statuer, et, d'autre part, annulé le titre exécutoire n° 009243 en date du 19 septembre 2011 d'un montant de 7 056 811, 24 euros ayant pour objet le remboursement des travaux de dévoiement des réseaux de chauffage urbain.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 22 août 2018, le 2 mai 2019, les 18 et 26 mars 2021, le département du Val-d'Oise, représenté par Me C..., avocat, demande à la cour :
1° d'annuler ce jugement ;
2° de rejeter la demande présentée par la SNC Sarcelles Investissements devant le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise ;
3° de mettre à la charge de la SNC Sarcelles Investissements les entiers dépens et le versement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la compétence de la juridiction administrative pour statuer sur le litige est établie ;
- c'est à tort que les premiers juges ont admis la recevabilité de la demande, alors qu'elle était tardive ;
- c'est à tort que le tribunal administratif a estimé que la société Sarcelles Investissements n'était pas titulaire d'une autorisation d'occupation temporaire du domaine public ;
- c'est à tort que le tribunal a considéré que la société bénéficiaire d'une servitude privée n'était pas tenue de supporter le coût du déplacement des ouvrages implantés sur les terrains occupés, après leur incorporation dans le domaine public routier ;
- les autres moyens soulevés en première instance doivent être écartés : défaut de mention des bases de liquidation ; absence de bien-fondé de la créance litigieuse ; existence d'une voie de fait caractérisée par l'émission du titre exécutoire litigieux ; inexistence d'un intérêt pour le domaine public occupé des travaux réalisés ; portée de la réserve de l'article 11 du protocole d'accord du 15 juillet 2009.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général de la propriété des personnes publiques ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de l'énergie ;
- le code de la voirie routière ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...,
- les conclusions de M. Bouzar, rapporteur public,
- et les observations de Me C... pour le département du Val-d'Oise et de Me B... pour la société Sarcelles Investissements.
Considérant ce qui suit :
1. Le département du Val-d'Oise relève régulièrement appel du jugement n° 1602208 du 12 juillet 2018 par lequel le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé le titre exécutoire n° 009243 émis et rendu exécutoire le 19 septembre 2011 à l'encontre de la SNC Sarcelles Investissements pour un montant de 7 056 811,24 euros, en vue du recouvrement de la créance représentative des dépenses de travaux de dévoiement des réseaux de chauffage urbain appartenant à cette société que le département a engagées. La société Sarcelles Investissements présente des conclusions incidentes tendant à ce que la Cour retienne l'incompétence de la juridiction administrative pour connaître du litige, renvoie l'affaire au Tribunal des conflits afin qu'il détermine l'ordre juridictionnel compétent et sursoie à statuer dans cette attente.
Sur la compétence de la juridiction administrative :
2. D'une part, il résulte de l'instruction que les travaux de dévoiement du réseau de chaleur urbain enfoui dans le tréfonds du domaine public routier appartenant à la commune de Sarcelles ont été exécutés par le département du Val-d'Oise sur des installations privées dont la société Sarcelles Investissements est propriétaire, en application d'un protocole d'accord du 15 juillet 2009, en vue de l'aménagement d'une ligne de tramway sur pneus en site propre entre Saint-Denis et Garges-Sarcelles, projet déclaré d'utilité publique par arrêté du 4 février 2005 et dont le département est maître d'ouvrage. Ces travaux, réalisés par une personne publique dans un but d'intérêt général, présentent le caractère de travaux publics. Dès lors, la créance correspondant au montant des travaux ci-dessus revêt une nature publique. D'autre part, le titre exécutoire litigieux ne constitue pas un acte d'exécution forcée et les travaux exécutés par le département n'ont pas porté atteinte à la liberté individuelle de quiconque, ni abouti à l'extinction du droit de propriété de la société Sarcelles Investissements sur les installations déplacées. Ainsi, ils n'ont emporté ni emprise irrégulière, ni davantage voie de fait. Dans ces conditions, la contestation du titre exécutoire n° 009243 émis et rendu exécutoire le 19 septembre 2011 à l'encontre de la SNC Sarcelles Investissements pour un montant de 7 056 811,24 euros relève de la compétence de la juridiction administrative. Par suite, les conclusions incidentes présentées par la société intimée doivent être rejetées.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué et du titre exécutoire litigieux :
En ce qui concerne la recevabilité de la demande de première instance :
3. En premier lieu, aux termes de l'article R. 421-5 du code de justice administrative : " Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision ". Aux termes du 2° de l'article L. 1617-5 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction applicable : " L'action dont dispose le débiteur d'une créance assise et liquidée par une collectivité territoriale ou un établissement public local pour contester directement devant la juridiction compétente le bien-fondé de ladite créance se prescrit dans le délai de deux mois suivant la réception du titre exécutoire ou, à défaut, du premier acte procédant de ce titre ou de la notification d'un acte de poursuite ".
4. Il résulte de l'instruction que le titre exécutoire du 19 septembre 2011 mentionne que le débiteur de la créance peut procéder à la " saisine dans le délai de deux mois du Tribunal judiciaire ou du tribunal administratif compétent, selon la nature de la créance ". Une telle mention, ambiguë, des voies et délais de recours n'a pu faire courir à l'encontre de la société Sarcelles Investissements le délai de forclusion de deux mois prévu par les dispositions du 2° de l'article L. 1617-5 du code général des collectivités territoriales.
5. En second lieu, le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l'effet du temps, fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire, ou dont il est établi, à défaut d'une telle notification, que celui-ci a eu connaissance. S'agissant des titres exécutoires, sauf circonstances particulières dont se prévaudrait son destinataire, le délai raisonnable ne saurait excéder un an à compter de la date à laquelle le titre, ou à défaut, le premier acte procédant de ce titre ou un acte de poursuite a été notifié au débiteur ou porté à sa connaissance. Un débiteur qui saisit la juridiction judiciaire, alors que la juridiction administrative était compétente, conserve le bénéfice de ce délai raisonnable dès lors qu'il a introduit cette instance avant son expiration. Un nouveau délai de deux mois est décompté à partir de la notification ou de la signification du jugement par lequel la juridiction judiciaire s'est déclarée incompétente. Dans la mesure où le terme jugement doit être interprété comme désignant toute décision juridictionnelle, le délai de recours est prorogé autant de fois qu'une juridiction incompétente est saisie.
6. En l'espèce, la société Sarcelles Investissements a formé opposition à l'encontre du titre exécutoire litigieux devant le Tribunal de grande instance de Pontoise qui a décliné la compétence de la juridiction judiciaire par jugement du 2 septembre 2014, lequel a été confirmé par un arrêt du 16 novembre 2015 de la cour d'appel de Versailles, puis, de manière définitive, par une décision du 29 mars 2017 de la cour de cassation. Dans ces conditions, la demande présentée le 7 mars 2016 par la société Sarcelles Investissements devant le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise, et ayant une identité de parties, d'objet et de cause avec la saisine du juge judiciaire, n'était pas tardive. La fin de non-recevoir opposée à la demande de première instance par le département du Val-d'Oise ne saurait être accueillie.
En ce qui concerne le moyen d'annulation retenu par le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise :
7. En premier lieu, aux termes de l'article R. 113-10 du code de la voirie routière : " L'occupation du domaine public routier par les canalisations de transport de chaleur est soumise aux dispositions des articles 32, 33 et 34 du décret n° 81-542 du 13 mai 1981 pris pour l'application des titres Ier, II et III de la loi n° 80-531 du 15 juillet 1980 relative aux économies d'énergie et à l'utilisation de la chaleur. ". Selon les dispositions de l'article 34 du décret n° 81-542 du 13 mai 1981, lequel a été abrogé à compter du 31 décembre 2015 par le décret n° 2015-1823 du 30 décembre 2015 relatif à la codification de la partie réglementaire du code de l'énergie, reprises en substance à l'article R. 721-16 du code de l'énergie, le transporteur ou le distributeur doit, dès qu'il en est requis par l'autorité compétente pour un motif de sécurité ou dans l'intérêt du domaine public concerné, opérer à ses frais et sans indemnité le déplacement des canalisations établies par lui sur ou sous ce domaine.
8. Il résulte de l'instruction que la société Sarcelles Investissements, si elle est propriétaire du réseau de chaleur urbain souterrain dont le dévoiement a été opéré, ne réalise pas le transport ni la distribution de ce fluide, ces activités incombant à la société Sarcelles Energie, exploitante de ce réseau.
9. En deuxième lieu, le bénéficiaire d'une autorisation d'occupation temporaire du domaine public doit, quelle que soit sa qualité, supporter sans indemnité les frais de déplacement ou de modification des installations aménagées en vertu de cette autorisation lorsque ce déplacement est la conséquence de travaux entrepris dans l'intérêt du domaine public occupé et que ces travaux constituent une opération d'aménagement conforme à la destination de ce domaine.
10. Il résulte de l'instruction que les travaux de construction de la ligne de tramway en site propre sur la voirie communale ont pour objet d'améliorer la circulation sur le domaine public routier et que cette opération constitue un aménagement réalisé dans l'intérêt de la voirie et est conforme à la destination de ce domaine. Par ailleurs, il ressort des délibérations du 3 juillet 2006 et du 23 novembre 2009 du conseil municipal de la commune de Sarcelles ainsi que d'un rapport du 18 décembre 2008, versés à l'instance, que la société Sarcelles Energie, exploitante du réseau, acquitte une redevance d'occupation du domaine public. Cette société a donc la qualité d'occupant du domaine public communal. Si le département du Val-d'Oise se prévaut de ce que la délibération précitée de 2006 prévoit que cette redevance sera payée par la société Sarcelles Energie ou toute société qui viendrait à la remplacer ou s'y substituer, il ne résulte pas de l'instruction que la société Sarcelles Investissements aurait effectivement remplacé la société Sarcelles Energie ou laissé accroire qu'elle s'y substituait. Si la collectivité départementale se prévaut également de l'article 34 de l'acte d'acquisition du 26 juin 2006 du réseau de chauffage par la société Sarcelles Investissement, ces stipulations, antérieures à la délibération précitée du 3 juillet 2006, si elles prévoient que l'acte est conclu sous la condition résolutoire de l'absence de fourniture par le vendeur à l'acquéreur, au plus tard le 7 juillet 2006, d'un extrait de la délibération du conseil municipal de la ville de Sarcelles prenant acte que le montant de la redevance pour occupation du domaine public due par l'acquéreur ou l'exploitant sera fixée à la somme de 222 500 euros par année civile, ne tranchent pas la question du débiteur de la redevance d'occupation domaniale et, partant, du bénéficiaire de l'autorisation d'occupation temporaire du domaine public.
11. En troisième lieu, il résulte de l'instruction que les installations de chauffage ont été réalisées dans les années 1960 sur des terrains privés, à la faveur de servitudes conventionnelles de droit privé créées pour une durée de 99 ans à compter du 21 mars 1963, ces servitudes permettant le passage des canalisations desservant les immeubles raccordés à la chaufferie. Ces fonds privés ont, après enquête publique préalable, été classés dans la voirie communale à compter du 1er janvier 1976. Dans la mesure où elles ont été constituées antérieurement à l'incorporation des parcelles dans le domaine public, que celle-ci est intervenue avant l'entrée en vigueur du code général de la propriété des personnes publiques, le 1er juillet 2006, et qu'elles sont compatibles avec l'affectation du domaine public, ces servitudes doivent être regardées comme ayant été maintenues. Si la nature de ces servitudes " diffère de celle d'une autorisation d'occupation temporaire " comme l'a retenu le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise au point 9 du jugement attaqué, leur existence ne fait pas obstacle, par elle-même, à l'attribution d'une autorisation d'occupation temporaire à leur bénéficiaire, ainsi que le soutient le département du Val-d'Oise. En revanche, contrairement à ce qu'affirme celui-ci, il ne résulte d'aucune disposition législative ou réglementaire ni d'aucun principe général que le bénéficiaire d'une servitude privée serait nécessairement considéré comme titulaire d'une autorisation d'occupation temporaire ou tenu de supporter à ses frais et sans indemnité le coût d'une opération de déplacement des ouvrages implantés sur les terrains concernés après leur incorporation dans le domaine public routier, lorsque cette opération est la conséquence de travaux entrepris dans l'intérêt du domaine public occupé et que ces travaux constituent une opération d'aménagement conforme à la destination de ce domaine.
12. En quatrième et dernier lieu, la société Sarcelles Investissements, propriétaire du réseau de chauffage urbain, a, par le protocole d'accord du 15 juillet 2009 mentionné au point 2, autorisé le département du Val-d'Oise à procéder ou faire procéder aux travaux de cinq " traversées " situées à Sarcelles (une sous l'avenue du 8 mai 1945, une sous le boulevard Edouard-Branly, trois sous l'avenue Paul-Valéry). Le département s'y engage à financer l'intégralité du coût des travaux de dévoiement " tout en se réservant expressément le droit d'en solliciter le remboursement en justice comme indiqué à l'article 11.1 ", lequel mentionne que la société reconnaît expressément que le protocole " n'emporte aucune renonciation du département à toute demande en justice de quelque nature que ce soit notamment aux fins de voir mettre à la charge de la société Sarcelles Investissements les coûts et frais exposés pour financer les travaux de dévoiement du réseau ".
13. Contrairement aux allégations du département du Val-d'Oise, ces stipulations, si elles ouvrent la voie à une éventuelle action contentieuse de celui-ci en vue d'obtenir de la société Sarcelles Investissements le remboursement des dépenses de travaux exposées, ne sauraient à elles seules fonder le titre exécutoire litigieux, ainsi que l'ont jugé à bon droit les premiers juges.
14. Il résulte de tout ce qui précède que le département du Val-d'Oise n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé le titre n° 009243 émis et rendu exécutoire le 19 septembre 2011 à l'encontre de la SNC Sarcelles Investissements pour un montant de 7 056 811,24 euros.
Sur les frais liés à l'instance :
15. Par voie de conséquence du rejet de sa requête, les conclusions présentées par le département du Val-d'Oise sur le fondement des articles L. 761-1 et R. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de ce département une somme de 2 000 euros à verser à la SNC Sarcelles Investissements sur le fondement des mêmes dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du département du Val-d'Oise et les conclusions incidentes de la SNC Sarcelles Investissements sont rejetées.
Article 2 : Le département du Val-d'Oise versera à la SNC Sarcelles Investissements la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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N° 18VE03060