FV / IM ARRET N 370
AFFAIRE N : 06 / 02117
Jugement du 15 Septembre 2006 Tribunal de Grande Instance de SAUMUR no d'inscription au RG de première instance 04 / 01179
ARRET DU 23 OCTOBRE 2007
APPELANT :
Monsieur Daniel X...... 49350 CHENEHUTTE TREVES CUNAULT
représenté par la SCP GONTIER-LANGLOIS, avoués à la Cour assisté de Me BROUIN, avocat au barreau d'ANGERS
INTIMES ET INCIDEMMENT APPELANTS :
Monsieur Gilles Z... ...49350 CHENEHUTTE TREVES CUNAULT
Madame Régine A... épouse Z... ...49350 CHENEHUTTE TREVES CUNAULT
représentés par la SCP CHATTELEYN ET GEORGE, avoués à la Cour assistés de Me BONNIN substituant Me TUBIANA, avocats au barreau de SAUMUR
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 18 Septembre 2007 à 14 H 00, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame VERDUN, conseiller, faisant fonction de président de chambre vu l'empêchement de Madame la présidente de la 1ère chambre A et en application de l'ordonnance du 3 septembre 2007, Monsieur MARECHAL, conseiller, et Madame JEANNESSON, vice-président placé faisant fonction de conseiller, ayant été entendue en son rapport,
qui en ont délibéré Greffier lors des débats : Madame LEVEUF
ARRET : contradictoire
Prononcé publiquement le 23 octobre 2007, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau code de procédure civile.
Signé par Madame VERDUN, président, et par Madame LEVEUF, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
I-Exposé du litige
En 1984, Monsieur et Madame Z... ont acquis sur la commune de Chenehutte Trèves Cunault (Maine et Loire) un terrain au sein du lotissement " Le Grand Pré " sur lequel ils ont fait construire une maison d'habitation.
Le terrain, situé en zone ND du plan d'occupation des sols, jouxte la propriété de Monsieur X..., sur laquelle était alors édifié un hangar agricole désaffecté joint à un local préfabriqué. Monsieur X..., plombier chauffagiste, a utilisé ces locaux en qualité de locataire à compter de 1989 puis de propriétaire depuis 1997.
En 1998, Monsieur X... a réalisé des travaux de réhabilitation du hangar afin d'en faire un lieu de stockage, a obtenu pour ce faire des subventions dans le cadre d'une Opération de restructuration du commerce et de l'artisanat (ORAC) du Sud-Saumurois, son projet ayant été dûment accepté et ayant fait l'objet d'un certificat de réalisation et de conformité des travaux par la DDE du Maine et Loire, sous réserve du droit des tiers et du respect des différentes réglementations applicables.
Des travaux ont été à nouveau réalisés en 2000 consistant en la mise en place de portes sur le bâtiment qui ont été supprimées le 13 décembre 2002 en raison d'un défaut de permis de construire.
Par acte du 22 octobre 2004, Monsieur et Madame Z... ont fait assigner Monsieur X... sur le fondement des articles 544 et 1382 du Code Civil aux fins de le voir condamné à leur verser la somme de 8 000 euros à titre de dommages et intérêts et à le voir cesser toute activité professionnelle et bruyante sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la signification du jugement.
Par jugement en date du 15 septembre 2006, le Tribunal de grande instance de Saumur a notamment :
-condamné Monsieur X... à payer aux époux Z... la somme de 4 000 euros à titre de dommages et intérêts,-rejeté la demande de cessation d'exercer toute activité,-dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,-condamné Monsieur X... à payer aux époux Z... des frais irrépétibles.
Monsieur X... a interjeté appel de cette décision le 12 octobre 2006.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la Cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée et aux dernières conclusions déposées le 23 août 2007 pour Monsieur X... et le 25 juin 2007 pour les époux Z....
La clôture de l'instruction a été prononcée le 13 septembre 2007.
II-Motifs
Monsieur X... conclut à l'infirmation partielle du jugement et sollicite le débouté des demandes des époux Z..., leur condamnation à lui payer la somme de 1 016 euros à titre de dommages et intérêts outre celle de 1 500 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, et celle de 2 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Il soutient :
-que les troubles anormaux de voisinage ne sont pas démontrés dans la mesure où il utilise le site uniquement comme dépôt pour son activité de plombier chauffagiste, qu'il produit un rapport acoustique concluant qu'il n'y a pas de potentialité de gène et que les attestations fournies contredisent celles qui ont fondé la décision du premier juge,-qu'à supposer que les troubles anormaux soient retenus, il convient de constater, en application de l'article L 112-16 du code de la construction et de l'habitation l'antériorité d'utilisation du site pour une activité professionnelle au regard de l'installation des époux Z...,-que la preuve d'une violation des règles d'urbanisme n'est pas rapportée, ni celle d'un lien de causalité directe entre une éventuelle infraction et le préjudice invoqué.
Les époux Z... forment appel incident et demandent d'enjoindre à Monsieur X... :
-de mettre fin à toute activité professionnelle sur la parcelle cadastrée commune de Chenehuttes Trèves Cunault section AD no 250 sous astreinte de 500 euros par infraction constatée par simple constat d'huissier passé le délai d'un mois suivant la signification de l'arrêt à intervenir,-de condamner Monsieur X... à leur payer la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice,-au besoin, commettre un expert avec mission de donner son avis sur les nuisances au moyen de toutes mesures acoustiques réalisées dans les règles de l'art et de dire quels remèdes y apporter,-condamner Monsieur X... à leur payer la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Sur la recevabilité de l'action des époux Z...
Monsieur X... sollicite de déclarer l'action des époux Z... prescrite au regard de l'article 2270-1 du Code Civil dès lors que l'usage d'entrepôt affecté au hangar a débuté avec son activité en 1989 et que l'assignation des époux Z... est en date du 22 octobre 2004.
Les époux Z... exercent à l'encontre de Monsieur X... une action en responsabilité civile fondée sur l'article 1382 du Code Civil, du fait de la violation en 1998 et 2000 par Monsieur X... des règles d'urbanisme, et demandent non pas la démolition du hangar pour défaut de permis de construire mais la cessation d'une activité professionnelle interdite en raison de son exercice dans un bâtiment illégalement rénové dans une zone ND.
L'article 2270-1 dispose que les actions en responsabilité civile extra-contractuelles se prescrivent par dix ans à compter de la manifestation du dommage ou de son aggravation. Les époux Z... se plaignent d'un dommage apparu en 1998 du fait de la violation des règles du POS. Leur action initiée par une assignation en date du 22 octobre 2004 est recevable.
Sur la demande de cessation de l'activité professionnelle exercée en violation des règles d'urbanisme
Les époux Z... soutiennent :
-qu'il résulte d'une lettre de la Direction départementale de l'équipement en date du 10 août 2001 que la transformation d'un hangar agricole en atelier artisanal en 1998 constitue un changement de destination qui nécessitait un permis de construire que Monsieur X... n'a pas sollicité, de même que pour les travaux exécutés en 2000, que si la demande de permis de construire avait été effectuée elle aurait été refusée en raison de la réglementation applicable en zone ND interdisant toute activité artisanale,-que constitue une faute le fait d'avoir fait exécuter des travaux sans permis de construire, ces travaux lui ayant permis d'exercer une activité artisanale interdite par le POS,-qu'ils ont ainsi perdu l'avantage environnemental que leur garantissait l'installation dans une zone ND et qu'il convient de faire cesser l'activité exercée illégalement par Monsieur X....
Si les deux portes coulissantes édifiées dans l'année 2000 sans permis de construire ont fait l'objet d'un procès-verbal d'infraction en date du 6 juin 2002, selon la lettre de la DDE du 17 décembre 2002, il n'est pas contesté qu'elles ont été déposées par Monsieur X... le 13 décembre 2002 et que l'infraction a cessé, les époux Z... n'arguant d'ailleurs d'aucun préjudice du fait de la présence des portes du hangar.
L'article 1-3 du POS autorise la réfection et l'extension limitée d'un ancien bâtiment agricole dans le cadre d'une transformation de ce dernier en habitation ou en établissement scolaire, sanitaire, social, de loisirs ou de tourisme.... Les époux Z... exposent que Monsieur X... a changé la destination du bâtiment initial en transformant les locaux pour y exercer une activité artisanale interdite.
Il est constant que le hangar de Monsieur X... est actuellement un lieu de stockage de matériel et de véhicules. La gestion et l'administration de l'entreprise est effectuée au domicile de Monsieur X.... Il ressort en effet d'une attestation de Monsieur E..., maire de Chênehutte Trêves Cunault, que l'entreprise artisanale de Monsieur X... a son siège social au..., domicile des époux Z.... Le Maire ajoute que le local ne comporte pas de bureau, pas de compteur électrique, pas de compteur à eau, pas de boîte aux lettres, pas de ligne téléphonique, pas d'enseigne publicitaire. Il n'est utilisé qu'à titre de dépôt (deux véhicules en stationnement en dehors des heures de travail).L'entreprise n'a aucune activité propre sur ce site.
Il est également constant que Monsieur X... est locataire du terrain et du hangar depuis 1989 et qu'il en est devenu propriétaire en 1997, entreprenant alors des travaux de rénovation. Le hangar dans lequel a été exercée auparavant une activité de fabrication et de stockage de piquets de bois est demeuré à usage d'entrepôt depuis cette date ainsi qu'il ressort d'une photographie jointe au projet d'aménagement ORAC où divers matériels entreposés (caravane, engins à deux roues, autres...) sont visibles. En conséquence la rénovation du hangar dont la fonction est d'entreposer du matériel, qu'il soit artisanal, agricole ou autre, et non d'y exercer l'activité professionnelle de plombier chauffagiste, ne contrevient pas aux dispositions du POS.
La demande de cessation de l'activité professionnelle de Monsieur X... tirée de son illégalité et de celle de l'implantation du hangar où elle est exercée, sera donc rejetée.
Sur les troubles anormaux de voisinage
Le bénéfice d'antériorité prévu à l'article L 112-16 du code de la construction et de l'habitation n'étant invoqué qu'à titre subsidiaire, il convient de rechercher si les troubles provenant du hangar à usage d'entrepôt excèdent les troubles normaux de voisinages.
Les troubles de voisinage engendrés par les fêtes ont été dénoncés à la Mairie par lettre du 10 avril 2001 mais ont cessé depuis 2001 ce qui n'est pas contesté. Il n'y a pas lieu de les retenir, ce d'autant plus que Monsieur et Madame Z... ont participé au moins à une de ces fêtes.
Les époux Z... se plaignent également de nuisances sonores qui commencent à l'embauche du personnel (à partir de 7 h 30) et se poursuivent jusqu'à la débauche (19 h 30) :
-portes du bâtiment qui s'ouvrent et se ferment à l'arrivée et au départ de chaque ouvrier,-allées et venues des véhicules du personnel et de ceux de l'entreprise,-chargement du matériel et des fournitures,-compresseur fonctionnant lors du nettoyage de véhicules,-va et vient des camions de livraison,-chariot élévateur ou " transpalette ",-camion aspirateur, livraison de fioul.
Monsieur et Madame Z... produisent un certain nombre d'attestations qui font état de nuisances sonores importantes : une attestation de Monsieur et Madame F... dont le terrain est voisin du leur ainsi que des attestations de leur fille, de Madame G..., de Madame H... et de Madame I... mais aucune d'entre elles ne réside sur place. Ces attestations sont contredites par celles d'autres voisins qui sont également proches du terrain de Monsieur X... notamment celles de Monsieur et Madame J... en date du 11 décembre 2006 voisins immédiats de Monsieur et Madame Z... et dont la maison est à même distance, au vu des plans fournis, du hangar de Monsieur X... que la maison des époux Z..., celles de Monsieur K... voisin immédiat de ceux-ci, des époux L..., voisins de ce dernier et de Monsieur M..., tous demeurant Impasse du grand Pré comme les époux Z....
De surcroît, le rapport de Monsieur N... fourni par Monsieur X..., s'il n'est certes pas contradictoire, constitue toutefois un élément de preuve recevable dans la mesure où il a été discuté librement par les parties. Le rapport a été établi à partir de relevés sonores réalisés le 27 novembre 2006 de 16 h 30 à 18 h 30 dans le jardin de Monsieur et Madame J... qui sont en mitoyenneté des époux Z.... Les trois sources sonores mesurées sont les camionnettes à l'arrivée du personnel, le départ du personnel utilisant une moto et la transpalette (une fois par mois). Aux termes de ce rapport, les émergences dB (A) calculées sont inférieures aux émergences admissibles (3,1 pour les camionnettes, admissible : 9 ; 4,1 pour la transpalette, admissible 10 ; 8 pour la moto, admissible : 10) et à titre de comparaison, le niveau sonore du trafic routier à 15 mètres (rue JF Bodin) est de 56 dB (A) et supérieur au niveau sonore des trois sources générées par l'entreprise X.... Monsieur N... conclut qu'il n'y a pas de potentialité de gêne. Il n'est d'ailleurs pas sans intérêt de préciser que selon courrier non contesté en date du 28 novembre 2006 émanant du Conseil général d'Anjou, les comptages de 2004 sur la RD214 qui se situe en prolongement de la rue JF Bodin donnent 593 véhicules par jour, cumulés, deux sens confondus. Ce rapport est corroboré par les attestations fournies par Monsieur X....
Les époux Z... produisent aussi un procès-verbal de constat en date du 29 juin 2004 de Maître CHEVALIER, huissier de justice, qui a constaté l'arrivée de Monsieur X... et de deux membres du personnel, à 7 h 45 mais qui cependant ne fait état que d'impressions subjectives telles que " mobylette dont le moteur était loin d'être silencieux " ou " moto qui bruyamment s'est stationnée à proximité du jardin des époux Z... " ou encore " les salariés ont mis en route un compresseur qui faisait du bruit ". Elle a constaté qu'à 8 h 10, le personnel partait en fourgon Renault ou véhicule Peugeot Partner, ce qui démontre que les nuisances sonores dont se plaignent les époux Z... ont lieu essentiellement le matin à l'embauche et le soir lors du débauchage et confirme les attestations des deux salariés de Monsieur X..., Messieurs Q... et R... qui indiquent embaucher à 8 heures et débaucher à 17 heures, effectuer la journée continue, livrer le matériel directement chez les clients à la demande de Monsieur X... et très rarement au dépôt.
Les époux Z... sollicitent si besoin est une expertise. Cependant une mesure d'instruction ne peut être ordonnée en vue de suppléer leur carence dans l'administration de la preuve qui leur appartient.
Les troubles anormaux de voisinage ne sont en conséquence pas établis même si la maison d'habitation des époux Z... se trouve en zone ND dès lors que cette zone est en tout état de cause perturbée par les nuisances provenant de la circulation routière permanente et que les troubles allégués sont essentiellement ponctuels.
Les époux Z... seront en conséquence déboutés de leur demande fondée sur les troubles anormaux de voisinage.
Sur la demande de dommages et intérêts formée par Monsieur X...
La procédure initiée par Monsieur et Madame Z... n'est pas abusive dès lors qu'ils ont obtenu gain de cause en première instance. Il ne sera pas fait droit à la demande.
***
Il serait inéquitable de laisser à la charge de Monsieur X... les frais irrépétibles qu'il a engagés pour faire valoir ses droits. Monsieur et Madame Z... seront condamnés à lui payer la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Monsieur et Madame Z... qui succombent seront également condamnés aux dépens.
***
PAR CES MOTIFS
STATUANT publiquement et contradictoirement,
INFIRME le jugement déféré,
STATUANT à nouveau,
DÉBOUTE Monsieur et Madame Z... de l'intégralité de leurs demandes,
DÉBOUTE Monsieur X... de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive,
CONDAMNE Monsieur et Madame Z... à payer à Monsieur X... la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
CONDAMNE Monsieur et Madame Z... aux entiers dépens qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
C. LEVEUF F. VERDUN