COUR D'APPEL
D'ANGERS
Chambre Sociale
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT N
RJ / SLG
Numéro d'inscription au répertoire général : 07 / 01183.
Jugement Au fond, origine Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale du MANS, décision attaquée en date du 16 Mai 2007, enregistrée sous le no 18726
assuré : Jean Z...
ARRÊT DU 13 Mai 2008
APPELANTS :
la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE LA SARTHE (C. P. A. M.)
178 avenue Bollée
72033 LE MANS CEDEX 9
représentée par Madame X..., munie d'un pouvoir spécial
le FOND D'INDEMNISATION DES VICTIMES DE L'AMIANTE (F. I. V. A)
Tour Galieni II-36 avenue du Général de Gaulle
93175 BAGNOLET CEDEX
représenté par Monsieur Marc Y..., muni d'un pouvoir spécial
INTIMEES :
la Société ELECTRICITE DE FRANCE (E. D. F)
22-30 avenue de Wagram
75008 PARIS
représentée par Me CHANEL, avocat substituant la SCP TOISON VILLEY BROUD, avocats au barreau de Paris,
la CAISSE NATIONALE DES INDUSTRIES ELECTRIQUES ET GAZIERES (C. N. I. E. G)
Gestions des pensions-BP 60415
44204 NANTES CEDEX 2
représentée par la SELARL CORNET-VINCENT-SEGUREL MARTIN, avocat au barreau de Nantes
en présence de :
la DIRECTION REGIONALE des AFFAIRES de SECURITE SOCIALE des PAYS de la LOIRE (DRASS)
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 25 Mars 2008, en audience publique, devant la cour, composée de :
Madame LINDEN, président,
Monsieur Philippe BOTHOREL, assesseur,
Monsieur Roland JEGOUIC, assesseur, ayant été entendu en son rapport,
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Sylvie LE GALL,
ARRÊT :
contradictoire,
prononcé publiquement le 13 Mai 2008, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame LINDEN, président, et par Madame LE GALL, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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Du mois de septembre 1965 au 31 mai 1987, monsieur Z... a été employé par la société Electricité de France, en qualité de soudeur.
L'assuré a fait une déclaration de maladie professionnelle (plaques pleurales) dont la première constatation a été effectuée le 22 décembre 2003.
La Caisse primaire d'assurance maladie de la Sarthe a décidé de pendre en charge l'affection au titre professionnel, avec l'allocation d'une rente au taux de 20 % notifiée par Electricité de France.
Monsieur Z... est décédé le 4 octobre 2004 des suites d'un mésothéliome de la plèvre.
La Caisse primaire d'assurance maladie de la Sarthe a notifié le 10 février 2005 à sa veuve la reconnaissance du caractère professionnel du mésothéliome de la plèvre ; l'allocation à sa veuve d'une rente de conjoint survivant a été notifiée par Electricité de France le 11 mars 2005.
Les consorts Z... ont saisi le fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante d'une demande d'indemnisation de l'ensemble des préjudices, liée à l'exposition à l'amiante.
L'offre d'indemnisation formée par le fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante d'un montant global de 94406 € a été acceptée par les consorts Z....
Le fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante, subrogé dans les droits de Monsieur Z... et de ses ayants-droit, a poursuivi devant le tribunal des affaires de sécurité sociale du Mans, l'action en reconnaissance de la faute inexcusable, initialement engagée par madame Z... contre Electricité de France et la Caisse nationale des industries électriques et gazières.
La Caisse primaire d'assurance maladie de la Sarthe a été appelée à la cause.
Par jugement en date du 16 mai 2007, le tribunal des affaires de sécurité sociale du Mans, entre autres dispositions, a :
- déclaré le fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante recevable en son action,
- constaté que Monsieur Z... avait été exposé au risque lié à l'inhalation de fibres d'amiante successivement dans plusieurs établissements d'entreprises différentes, sans qu'il soit possible de déterminer celle dans laquelle l'exposition au risque a provoqué des maladies qu'il a déclarées à titre professionnel,
- dit qu'en l'espèce, la Caisse primaire d'assurance maladie de la Sarthe, seule gestionnaire du compte spécial de la branche accident du travail-maladie professionnelle
destiné à assurer la mutualisation des conséquences financières de la reconnaissance d'une éventuelle faute inexcusable, en cas de multi-exposition, a vocation à faire l'avance desdites conséquences financières,
- dit qu'il y a lieu de mettre hors de cause la Caisse nationale des industries électriques et gazières,
- débouté le fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante de ses demandes, dans la mesure où il avait formé exclusivement ses demandes contre la Caisse nationale des industries électriques et gazières et demandé la mise hors de cause de la caisse primaire d'assurance maladie.
Le fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante et la caisse primaire d'assurance maladie de la Sarthe ont formé appel de cette décision. Les deux appels ont été joints.
Dans ses conclusions déposées le 10 janvier 2008, le fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante demande à la cour de dire :
- que la maladie professionnelle dont a été atteint Monsieur Z..., et dont celui-ci est décédé, est due à la faute inexcusable d'Electricité de France,
- que la Caisse nationale des industries éelectriques et gazières devra verser au fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante la somme de 118538, 34 € en réparation de la majoration de rente de Monsieur Z... et des préjudices personnels de ce dernier ainsi que de ses ayants-droit,
- et de condamner Electricité de France au paiement de 1000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Dans ses conclusions d'appel déposées le 25 mars 2008, la caisse primaire d'assurance maladie de la Sarthe demande à la cour d'infirmer le jugement en ce qu'il a considéré que la caisse primaire d'assurance maladie de la Sarthe aurait à assumer les conséquences financières d'une faute inexcusable imputable à Electricité de France.
Dans ses conclusions en date du 19 mars 2008, la société Electricité de France demande au principal à la cour, de confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté les demandes formées par le fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante.
Elle conteste l'opposabilité de la décision de prise en charge de la Caisse primaire d'assurance maladie de la Sarthe, l'existence d'un lien de causalité entre la pathologie et une exposition au risque de l'amiante au sein d'Electricité de France, l'existence d'une faute inexcusable, les indemnisations réclamées par le fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante.
Elle fait valoir qu'en tout état de cause, en application des dispositions de l'arrêté du 16 octobre 1995, les indemnisations de toute nature dues en cas de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur devront être supportées définitivement par la caisse primaire d'assurance maladie de la Sarthe.
La société Electricité de France demande la condamnation du fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante au paiement de 1500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Dans ses conclusions en date du 21 mars 2008, le Caisse nationale des industries électriques et gazières a conclu au principal, à la confirmation de sa mise hors de cause par application de l'article 2 de l'arrêté du 16 octobre 1995. A titre subsidiaire, elle demande d'ordonner une expertise sur l'origine de la maladie et les préjudices nés de cette pathologie.
Avisée de l'audience, la direction régionale des affaires de sécurité sociale
n'a formé aucune observation.
MOTIFS DE LA DECISION
Au vu des écritures, le débat est lié dans les mêmes termes qu'en première instance.
Il doit porter en premier lieu sur la circonstance de multi exposition, invoquée par le Caisse nationale des industries électriques et gazières et Electricité de France et déniée par les appelants.
Le fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante soutient qu'il peut être raisonnablement affirmé que le mésothéliome, que monsieur Z... a développé, trouve son origine dans l'exposition aux risques d'inhalation des poussières d'amiante au sein d'Electricité de France.
Il résulte des éléments produits que de 1947 à 1965, avant son entrée à Electricité de France, monsieur Z..., né en 1932, a occupé des emplois de mouleur, chaudronnier ou soudeur dans différentes entreprises métallurgiques ou du bâtiment et des travaux publics, dans lesquelles il a manipulé des produits amiantés.
Compte tenu des données médicales disponibles qui indiquent que le temps de latence du mésothéliome est de 30 à 40 ans, une origine exclusive, liée à l'exposition de monsieur Z... au sein d'Electricité de France ne peut être affirmée.
En effet, la maladie apparue en 2003, est susceptible d'être en lien avec l'exposition d'origine en 1963, époque à laquelle monsieur Z... était employé dans une entreprise de bâtiment et travaux publics, qui mettait en oeuvre des produits amiantés.
A partir de ces constatations, qui sont acquises, le tribunal des affaires de sécurité sociale a décidé, à juste titre, que la situation de monsieur Z... correspondait à une multi-exposition au risque d'inhalation des poussières d'amiante chez plusieurs employeurs.
En outre, la muti-exposition subie par monsieur Z... se combine avec une situation de multi-affiliation, puisque les entreprises d'origine ressortissent du régime général de sécurité sociale des salariés, et Electricité de France, d'un régime spécial de sécurité sociale.
Le débat porte donc également sur les conséquences de cette situation et sur la détermination de l'organisme prenant en charge les conséquences financières d'une reconnaissance d'une faute inexcusable d'Electricité de France.
Le Caisse nationale des industries électriques et gazières soutient qu'en présence d'une multi-exposition, la caisse primaire d'assurance maladie a vocation à faire l'avance des conséquences financières d'une faute inexcusable d'Electricité de France par application des dispositions de l'arrêté du 16 octobre 1995, pris pour l'application de l'article D 242-6-3 du code de la sécurité sociale.
Il résulte de l'article 2 de l'arrêté du 16 octobre 1995, que sont inscrites au compte spécial accident du travail / maladie professionnelle, conformément aux dispositions de l'article D 242-6-3 du code de la sécurité sociale, les dépenses afférentes à des maladies professionnelles contractées dans des conditions suivantes :
"..... 4o)- la victime de la maladie professionnelle a été exposée au risque successivement, dans plusieurs établissements d'entreprises différentes, sans qu'il soit possible de déterminer celle dans laquelle l'exposition au risque a provoqué la maladie ".
La caisse primaire d'assurance maladie et le fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante font valoir qu'il convient d'écarter ces dispositions inapplicables dans le cas d'espèce et d'imputer les conséquences financières résultant de la reconnaissance de la faute inexcusable d'Electricité de France, au régime spécial de sécurité sociale dont dépend cette entreprise, géré par la Caisse nationale des industries électriques et gazières.
Le fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante soutient que Electricité de France et la Caisse nationale des industries électriques et gazières ne peuvent pas bénéficier du principe de mutualisation résultant de ces dispositions dans la mesure où Electricité de France ne cotise pas au compte spécial accident du travail-maladie professionnelle pour les prestations en espèces de ses agents titulaires.
Il oppose différentes décisions de jurisprudence (Cass. Civ 2è du 11 / 10 / 07 et 25 / 10 / 07) qui viendraient au soutien de son analyse.
Selon ces décisions intervenues sur la question de l'application de l'article 40-5 de la loi du 23 décembre 1998, les régimes spéciaux ne peuvent pas bénéficier des dispositions finales de cet article, selon lesquelles, en cas de réouverture des droits en faveur des victimes de l'amiante, la branche maladies professionnelles du régime général et du régime des salariés agricoles supporte définitivement la charge des prestations et indemnités en résultant.
Cependant, ces décisions sont spécifiques aux dispositions précitées. Elles n'envisagent pas la situation de multi-exposition, caractéristique du cas de Monsieur Z..., ni les dispositions particulières à cette situation (arrêté du 16 octobre 1995).
Elles n'ont pas la portée générale invoquée par les appelants et ne peuvent donc justifier les prétentions du FONDS d'INDEMNISATION des VICTIMES de l'AMIANTE.
Le débat sur le point de savoir si Electricité de France cotise pour les prestations en espèces du compte accident du travail-maladie professionnelle, (les arguments de la caisse primaire d'assurance maladie étant contestés par Electricité de France et la Caisse nationale des industries électriques et gazières) n'est pas déterminant.
Il sera en effet observé que le dispositif résultant de l'article 2 de l'arrêté du 16 octobre 1995 ne fait aucune distinction, en fonction des catégories d'assurés, ni de référence au mode de financement ou au type de prestations.
Par ailleurs, le principe de mutualisation du risque en cas de multi-affiliation, n'est exclu par aucun texte. Il est en effet expressément prévu par les articles L 200-1 et L 711-1 du code de la sécurité sociale que le régime général peut intervenir pour couvrir les risques des assurés ressortissant des régimes spéciaux.
La caisse primaire d'assurance maladie fait encore valoir que la Caisse nationale des industries électriques et gazières, qui a la charge des prestations résultant de la reconnaissance de la maladie professionnelle, doit également assumer la majoration de rente résultant de la reconnaissance de la faute inexcusable qui n'est qu'une prestation complémentaire et donc accessoire à la première.
Cependant, la Caisse nationale des industries électriques et gazières n'a pas à assumer l'indemnisation complémentaire, dans la mesure où il existe des dispositions particulières de mutualisation en vertu de l'arrêté du 16 octobre 1995, ce qui constitue une exception au principe de l'accessoire.
C'est donc à juste titre que le tribunal des affaires de sécurité sociale a décidé que les conséquences de la reconnaissance d'une faute inexcusable d'Electricité de France devaient être prises en charge par le compte accident du travail-maladie professionnelle, en application de l'arrêté du 16 octobre 1995 et que, donc, seule la caisse primaire d'assurance maladie de la Sarthe avait vocation à faire l'avance des conséquences financières d'une telle faute, ce qui conduisait à mettre la Caisse nationale des industries électriques et gazières, hors de cause.
Comme en première instance, il doit être constaté que le fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante n'a dirigé ses demandes de prise en charge financière qu'à l'égard de la Caisse nationale des industries électriques et gazières.
C'est encore à juste titre que le tribunal des affaires de sécurité sociale a déduit de la façon dont le débat était lié, que la demande en reconnaissance d'une faute inexcusable d'Electricité de France devenait sans objet, puisque sauf à statuer ultra petita, la juridiction ne pourrait tirer aucune conséquence d'une éventuelle reconnaissance de la faute inexcusable.
Il convient en conséquence de confirmer le jugement déféré.
S'agissant d'un litige soumis à une procédure sans représentation obligatoire, opposant des plaideurs institutionnels, dotés d'importants services juridiques, il n'y a pas lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de quiconque.
PAR CES MOTIFS,
Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,,
CONFIRME le jugement déféré.
DEBOUTE les parties de toutes autres demandes plus amples ou contraires.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
Sylvie LE GALLElisabeth LINDEN