COUR D'APPEL D'ANGERS Chambre Sociale
ARRÊT DU 24 Avril 2012
ARRÊT N AD/ SLG
Numéro d'inscription au répertoire général : 10/ 02759.
Jugement Au fond, origine Conseil de Prud'hommes-Formation paritaire de LAVAL, décision attaquée en date du 22 Octobre 2010, enregistrée sous le no 09/ 00087
APPELANTE :
SCS GEORGES X... 4 rue Jacques Barbeu-Dubourg BP 4 53101 MAYENNE CEDEX
représentée par Maître Nicolas MENAGE, avocat au barreau de RENNES (sté FIDAL)
INTIME :
Monsieur Pascal Y...... 53100 MAYENNE
présent, assisté de la SCP DELAFOND-LECHARTRE-GILET, avocats au barreau de LAVAL-No du dossier 209299
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 09 Janvier 2012 à 14 H 00, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Anne DUFAU, conseiller chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de : Madame Catherine LECAPLAIN-MOREL, président Madame Brigitte ARNAUD-PETIT, conseiller Madame Anne DUFAU, conseiller
Greffier lors des débats : Madame LE GALL, greffier
ARRÊT : prononcé le 24 Avril 2012, contradictoire et mis à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame LECAPLAIN-MOREL, président, et par Madame LE GALL, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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EXPOSE DU LITIGE
M. Pascal Y... a été recruté en novembre 1987 comme technicien assistant, sans contrat écrit, par la scs X..., qui emploie plus de cent salariés et a pour activité la fabrication et la commercialisation de plats cuisinés.
M. Y... a gravi les échelons hiérarchiques et a accédé en janvier 1998 au poste de directeur de production.
A partir de 2002 son coefficient a été de 550 et au moment du licenciement, M. Y... avait une rémunération mensuelle nette de 3858 €.
Il avait huit agents de maîtrise sous ses ordres et était avec M. Z..., directeur administratif et financier, l'un des deux cadres sur lesquels s'appuyait le dirigeant de la société, M. Georges X..., fondateur de l'entreprise ;
Les 6, 7, 9 et 11 août 2008, l'employeur a notifié à M. Y... des recommandations écrites, puis le 4 septembre 2008, un " avertissement avant licenciement probable ".
Le 29 octobre 2008 M. Y... a été convoqué à un entretien préalable au licenciement fixé au 7 novembre 2008 et licencié pour " négligences fautives dans la réalisation de ses attributions " le 26 novembre 2008.
Il a saisi le conseil de prud'hommes de Laval, le 5 mai 2009, auquel il a demandé de dire son licenciement sans cause réelle et sérieuse et de condamner la scs X... à lui payer à titre de dommages et intérêts la somme de 110 000 € outre 2000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Par jugement du 22 octobre 2010, le conseil de prud'hommes de Laval a statué en ces termes :
- Dit que Ie licenciement de M. Y... ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse ;
- Condamne la scs X... à payer à M. Y... la somme de 100 000 € à titre de dommages-interêts ;
- Condamne la scs X... à rembourser aux organismes concernés 3 mois d'indemnités de chômage ;
- Rappelle que I'exécution provisoire est de droit sur les sommes à caractère salarial dans la limite de neuf mois de salaire, calculés sur la moyenne des trois derniers mois que Ie conseil fixe a 4 636, 89 € ; qu'il n'y a pas lieu de I'ordonner pour Ie surplus ;
Condamne la scs X... à verser à M. Y... la somme de 500 € au titre de I'article 700 du code de procédure civile ;.
- Déboute la scs X... de l'intégralité de ses demandes ;
- Condamne la scs X... aux entiers dépens.
Le jugement a été notifié à M. Y... le 23octobre 2010 et le 25 octobre à la scs X..., qui en a fait appel par lettre postée le 4 novembre 2010.
OBJET DE L'APPEL ET MOYENS DES PARTIES
La scs X... demande à la cour, par observations orales à l'audience reprenant sans ajout ni retrait ses écritures déposées au greffe le 9 janvier 2012, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé, d'infirmer le jugement déféré, de débouter M. Y... de toutes ses demandes et de le condamner à lui payer la somme de 1000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
La scs X... soutient, pour justifier le licenciement, que M. Y... a travaillé pendant plusieurs années à la satisfaction de M. X... mais qu'il s'est au fil du temps " enferré dans la routine ", est devenu " laxiste sur ses propres tâches " et n'a plus " managé de façon sérieuse et rationnelle les responsables de service sous sa responsabilité " ; que son travail est " devenu en quelque sorte de l'à peu près " ; que le licenciement repose uniquement sur des considérations professionnelles et aucunement comme le soutient M. Y... sur le fait qu'il ait vécu avec Mme A..., qui avait eu auparavant une relation avec M. X..., aujourd'hui âgé de 80 ans ;
La scs X... souligne que de nombreuses " recommandations " ont été adressées à M. Y... en 2008 car M. X... était excédé par la répétition de problèmes imputables à des carences de M. Y... mais précise que les recommandations représentaient une pratique courante au sein de l'entreprise, que M. Y... n'en était pas le seul destinataire et que ces consignes se voulaient, avant toute chose, " constructives " ; que le ton n'en a été ni discourtois ni vexatoire ;
La scs X... ajoute que l'avertissement du 4 septembre 2008 a été délivré parce que les recommandations adressées en août 2008 n'avaient été suivies d'aucune amélioration sur le plan de l'organisation, du management et des relations avec les autres services, et notamment l'organisation du service de maintenance, dirigé par M. B... ;
Quant aux griefs énoncés dans la lettre de licenciement, la scs X... soutient
-premier grief : que M. Y... devait proposer des solutions de stockage des marchandises à M. X... et qu'il a fait preuve d'une totale absence de réactivité ; que la défaillance de la chambre froide n'est pas le reproche fait mais l'absence de planification des capacités de stockage ;
- second grief : que la régularisation des avoirs dûs par la société Mayenne Viande pour les livraisons de viande infectée n'a été faite que sur injonction de M. X... en septembre 2008 alors que le problème existait depuis avril 2007 ;
- troisième grief : que la défaillance des alarmes " coups de poing " des chambres froides est établie, qu'il s'agit d'une grave question de sécurité et qu'il appartenait à M. Y..., qui avait sous ses ordres directs M. B..., agent de maîtrise responsable de la maintenance de la production, de planifier les interventions de contrôle du service de maintenance ; qu'il aurait dû mettre en place avec M. B... une réunion quotidienne ou à tout le moins régulière ; que la question de l'alimentation des appareils à air comprimé n'a donné lieu de la part de M. Y..., depuis la recommandation du 11 août 2008 ayant suivi une panne de compresseur du 9 août 2008, qu'à une note manuscrite du 14 août 2008 " rédigée à la va-vite " ;
- quatrième grief : qu'il appartenait bien à M. Y... de mettre en place avec les abattoirs et notamment la société Mayenne Viande un protocole clair et précis sur la pesée des viandes ;
La scs X... conclut en insistant sur l'importance du poste de directeur de production dans une entreprise fabriquant des produits alimentaires très contrôlés sur le plan de l'hygiène, et estime que M. Y..., lorsque les recommandations lui ont été adressées, a cherché à se justifier mais ne s'est pas remis en cause ; qu'elle a donc été contrainte de s'en séparer ;
M. Y... demande à la cour, par observations orales à l'audience, reprenant sans ajout ni retrait ses écritures déposées au greffe le 9 janvier 2012, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé, de confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris et de condamner la scs X... à lui payer la somme de 3000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
M. Y... soutient que les relations avec son employeur se sont déroulées normalement jusqu'en juillet-août 2008 ; qu'il a alors posé quelques jours de congés pour partir en week-end avec son amie, Mme A..., salariée elle aussi de l'entreprise et qu'au retour, M. X... a changé de comportement, lui a notifié des reproches injustifiés et a refusé tout contact avec lui ; qu'il attribue cette attitude au fait que M. X... avait eu une relation avec Mme A... et n'a pas supporté, selon lui, d'être supplanté par un salarié plus jeune de trente ans ;
M. Y... rappelle qu'il justifie d'un parcours professionnel reconnu par son employeur qui lui a, en juin 2008, encore octroyé une prime exceptionnelle d'un montant important puisque de 2271 € ;
Il ajoute qu'on ne peut pas lui reprocher utilement de n'avoir pas tenu compte des recommandations d'août 2008 et particulièrement de celles du 11 août 2008 alors qu'il est parti en congés le 14 au soir jusqu'au 1er septembre 2008 et y a cependant répondu par courrier daté du 14 août ;
M. Y... soutient :
- sur le premier grief : que M. X... avait décidé de ne pas faire réparer une chambre froide, que lui-même n'avait pas pouvoir d'engager des dépenses à ce sujet et que cette chambre froide n'était toujours pas réparée le 11 juin 2010, lors de l'audience prud'homale ; que la responsabilité de la situation incombe uniquement à M. X... ;
- sur le second grief : que la situation a été régularisée, du fait du courrier qu'il a adressé le 15 septembre 2008 à la société Mayenne Viande ;
- sur le troisième grief : que le dysfonctionnement des alarmes coup de poing le 15 septembre 2008 n'est pas établi, et qu'en tout état de cause, la vérification des alarmes relève des attributions de M. B..., agent de maîtrise chargé du service maintenance et qui a trente ans d'ancienneté dans l'entreprise ; que l'incident du 9 août, soit une panne du compresseur est un incident banal qui a été réglé par M. B... et qui de plus, connu le 11 août 2008 de l'employeur ne peut être utilisé comme grief après l'avertissement du 4 septembre 2008 ;
sur le quatrième grief : que le contrôle du poids des marchandises à l'arrivée dans l'entreprise est une vérification matérielle qui n'entre pas dans les attributions du directeur de production mais dans celles du chef boucher responsable de l'arrivage des matières premières ;
M. Y... énonce que son préjudice est important et qu'âgé de 44 ans il a dû suivre après le licenciement une formation diplômante, puis a trouvé un contrat à durée déterminée en qualité de commercial et un contrat à durée indéterminée le 17 novembre 2010 mais toujours avec une rémunération très inférieure à celle qu'il avait comme directeur de production ;
MOTIFS DE LA DECISION
Il résulte des dispositions de l'article L1232-1 du code du travail, que tout licenciement pour motif personnel doit être motivé, et justifié par une cause réelle et sérieuse.
Il appartient au juge de rechercher la cause du licenciement, et d'apprécier le caractère réel et sérieux des motifs invoqués dans la lettre de licenciement, dont les termes fixent le litige ;
En cas de licenciement disciplinaire, la faute du salarié ne peut résulter que d'un fait avéré, acte positif ou abstention, mais de nature volontaire, qui lui est imputable et qui constitue de sa part une violation des obligations découlant de l'exécution du contrat de travail ou des relations de travail ;
La lettre de licenciement adressée le 26 novembre 2008 à M. Y... est ainsi libellée : " Monsieur,
Nous donnons suite a notre entretien du 7 novembre dernier et vous notifions par la présente votre licenciement.
Cette mesure est motivée par les multiples négligences et manquements constatés dans l'exécution de votre travail.
En qualité de Directeur de Production, vous devez vous assurer de la qualité de la production, assurer une cohérence entre nos besoins et nos outils de production et veiller au bon état permanent de nos installations.
Pour concourir a la réalisation efficace de ces attributions, la société Georges X... a mis à votre disposition des moyens humains et matériels qui devaient vous permettre d'assurer la qualité et la continuité de notre production.
Des incidents récents nous ont contraints à constater votre négligence fautive dans la réalisation de ces attributions. Ces incidents sont les suivants :
- Carence fautive de gestion de la capacité de stockage de matières premières :
La forte saisonnalité de notre activité nécessite d'avoir recours notamment en fin d'année à l'achat de matières premières dans des volumes extrêmement importants.
Au cours du mois de septembre 2008, vous avez été informé de l'achat en volume important de matières premières avec précision de leurs dates de livraisons. Pour autant, Vous n'avez initié aucune démarche visant à anticiper ces livraisons et à garantir des capacités de stockage en grand froid en quantités suffisantes.
Face à cette inertie, nous nous sommes retrouvés début octobre dans l'incapacité de stocker les marchandises livrées. Nous avons dû en toute hâte négocier auprès de prestataires extérieurs la location de locaux permettant de stocker ces marchandises.
L ‘ absence totale d'anticipation a minima de votre part, nous a interdit toute négociation avec ces prestataires générant un surcoût quant à la location des dits locaux. Outre ce préjudice financier résultant de votre négligence, nous ne sommes pas définitivement garantis de ne pas perdre de marchandises en raison de notre sous capacité de stockage.
Cette négligence est d'autant plus fautive que les problématiques de stockage en fin d'année sont récurrentes et votre expérience en la matière aurait dû vous permettre d'anticiper cette situation.
- Marchandises impropres à la consommation :
Le 15 septembre dernier, vous adressiez à la société MAYENNE VlANDE un fax mettant en évidence un problème relatif à des avoirs qui auraient dû être établis par cette institution à notre bénéfice en raison des viandes contaminées impropres a la consommation et donc inutilisables.
Vous indiquiez que ces avoirs n'étaient plus effectués depuis avril 2007 !
En votre qualité de Directeur de Production, vous auriez dû mettre en oeuvre toute diligence pour faire cesser cet état de fait depuis plusieurs mois. Au contraire, vous avez laissé la situation se détériorer mettant la société en situation de délicatesse avec ce fournisseur.
- Négligences fautives en matière d'hygiène et sécurité :
Le 15 septembre dernier, une visite des chambres grand froid a été effectuée. A ma grande stupéfaction il a été constaté d'importants dysfonctionnements et même parfois I'absence totale de dispositif de sécurité : signaux « coup de poing ».
Vous auriez dû vous assurer de la présence effective et du bon état de marche des signaux existants mais force est de constater que rien n'a été fait depuis de nombreux mois.
Les conséquences de votre inertie auraient pu être dramatiques pour Ie personnel placé sous votre autorité.
En votre qualité de Directeur de production, vous avez la charge de veiller au respect des règles d'hygiène et de sécurité qui compte tenu de la nature de nos activités sont extrêmement surveillées d'une part par les services vétérinaires et d'autre part par l'Inspection du travail.
Nous constatons que vous n'avez tenu aucun compte de nos nombreuses observations tant verbales qu'écrites en cette matière.
Ainsi, à titre d'exemples la recommandation du 11 août 2008 concernant la carence dans l'installation " alimentation des appareils en air comprimé " n'a pas été suivie d'effet.
Hormis une note inexploitable du 26 août 2008 à propos de laquelle nous vous avions demandé de retravailler, rien n'a été fait. Nous avons donc dû vous suppléer afin d'étudier un dispositif adéquat ce qui a généré beaucoup de retard dans la résolution du problème.
Là encore votre passivité et votre négligence sont fautives dans la mesure où vous disposiez des moyens humains et matériels pour effectuer ou faire effectuer ces vérifications et mettre en place les palliatifs adéquats.
- Contrôle de la conformité des livraisons :
Au début du mois de septembre, nous avons également constaté la persistance d'une défaillance grave dans Ia pratique de contrôle de la conformité des livraisons et notamment du poids des marchandises livrées par rapport aux bons de commandes.
En votre qualité de directeur de production, vous deviez là encore mettre en oeuvre une méthodologie fiable permettant de vérifier Ie poids des marchandises Iivrées ; force est de constater que sur ce point également rien n'a été fait ce qui génère des surcoûts intolérables pour la société.
Nous considérons que les faits précités sont de nature à empêcher la poursuite de notre collaboration et ce d'autant plus qu'ils ne constituent pas de simples faits isolés.
Nous avions en effet été amenés a vous faire, dans un premier temps, un certain nombre de recommandations dont vous n'avez manifestement tenu aucun compte ce qui nous a conduit Ie 4 septembre dernier à vous adresser un avertissement concernant des faits de négligences.
Cet avertissement impliquait une réponse rapide et efficace des déviances constatées au contraire, vous avez persisté dans une attitude attentiste et négligente.
Votre préavis d'une durée de 3 mois commencera à courir à compter de la première présentation de la présente. Nous vous dispensons de toute activité pendant votre préavis, qui vous sera néanmoins rémunéré aux échéances habituelles de la paie.
... veuillez agréer, Monsieur, nos salutations, Georges X... "
Les griefs énumérés dans la lettre de licenciement sont bien de nature professionnelle et le mécontentement supposé de M. X... de voir son directeur de production partir en vacances avec Mme A..., s'il est affirmé par M. Y..., ne ressort d'aucune des pièces versées aux débats ; ces griefs doivent par conséquent être vérifiés dans leur matérialité et leur gravité comme cause du licenciement ;
¤ sur le premier grief, la carence fautive de gestion de la capacité de stockage de matières premières :
Les parties soutiennent chacune qu'un " prévisionnel de livraisons " existait et la scs X... produit en ce sens l'attestation de M. Z..., directeur administratif et financier, qui indique que les achats sont saisis au fur et à mesure de leur réalisation dans un logiciel qui les bascule automatiquement dans un fichier " planning de livraisons " ;
Une impression de ce fichier (pièce 13 de la scs X...) montre en effet en face des achats par fournisseur et type de marchandises une colonne " Qte à recevoir Qte livrée " ;
M. Y..., à partir de ces données, a dressé pour les semaines 40 à 52 de 2008 un état " arrivages en m3 ", " sorties en m3 " et " solde en m3 " ;
Les documents produits par la scs X... sur les achats 2008 montrent d'une part que nombre d'entre eux ne nécessitent pas un stockage en chambre froide (sucre semoule, pruneaux dénoyautés, farine..) et d'autre part une concentration des achats et livraisons de matières à congeler, charcuteries et viandes, entre septembre et décembre 2008 ;
La " problématique de stockage de fin d'année " énoncée dans la lettre de licenciement apparaît donc comme une réalité, la difficulté particulière survenue en 2008 résultant de la mise en arrêt, décidée par M. X... au mois de mai 2008, d'une chambre froide ancienne ;
Aucun chiffrage n'est fait cependant par la scs X... des quantités excédant la capacité de stockage de l'entreprise, et le type d'achats concernés n'est pas précisé ; la lettre de licenciement parle seulement de " l'achat en volume important de matières premières ", et des capacités de stockage " en grand froid ", ce qui reste trop imprécis pour établir la nature et l'ampleur de la difficulté invoquée ;
En outre, ainsi que l'expose M. Y..., si M. X... passe les commandes aux fournisseurs et choisit la date de livraison sans demander un état des stocks existants mois par mois, il met bien la production " devant le fait accompli " ;
Or, M. X... ne dément pas que ce soit lui qui ait passé les commandes de fin d'année ;
Enfin, la scs X... s'appuie pour justifier ce grief sur l'attestation de M. Guerveno Celui-ci est l'adjoint de production ; il indique que : " semaine 40 année 2008 j'ai été alerté par GT en tout urgence de créer une hypothèse de stockage de produits congelés en volume de froid négatif. En collaboration avec PC informé j'ai donné suffisamment d'informations pour que P. Y... puisse (mot illisible) des hypothèses de volumes.. "
Il est donc établi que la demande de M. X... a été faite semaine 40 de 2008 c'est à dire en octobre ; or, la lecture de l'entretien préalable au licenciement montre que depuis le 1er septembre, M. X... ne communiquait plus avec M. Y..., puisqu'interpellé à ce sujet par son salarié il reste taisant, et que M. Y... a été, dans ce contexte, en arrêt maladie à compter du 5 octobre 2008 ;
Si M. Y... avait envisagé, comme il le soutient une solution (un projet d'aménagement) nécessitant l'aval de M. X..., il n'a donc pas été mis en mesure, du fait de l'attitude de l'employeur, de la faire valoir ;
La scs X... ne répond pas, enfin, à l'argument de M. Y... lorsque celui-ci ajoute que les livraisons, toujours avec l'aval de M. X..., pouvaient aussi pour certaines être repoussées, ce d'autant mieux que certains achats concernaient des fabrications à réaliser en 2009 ;
Il existe par conséquent un doute sur l'existence même d'une difficulté, alors que le grief reste d'une part totalement muet sur les quantités en cause, ce qui ne permet pas d'évaluer l'attitude du salarié en termes de négligence ou d'attentisme, et que les conseillers prud'hommes ont, le 11 juin 2010, lors de l'audience et sur questionnement de M. Z..., appris que ce hangar de congélation n'avait pas été remis en service par la scs X... ;
Les premiers juges ont justement observé que ce grief n'est pas établi ;
¤ sur le second grief, les marchandises impropres à la consommation du fournisseur Mayenne Viande,
Il est établi que M. Y... a opéré auprès de ce fournisseur des relances téléphoniques et en juillet 2008 une relance écrite, afin que des avoirs compensent les pertes liées à la livraison de marchandises infectées ; le 15 septembre 2008, il a adressé un courrier avec accusé de réception indiquant : " Si vous ne le faites pas nous nous verrons dans l'obligation de bloquer les valeurs correspondantes sur les factures à venir " ;
C'est bien ce qui a été fait, mais ne pouvait être accompli, s'agissant d'un procédé comptable, qu'avec l'aval du dirigeant de l'entreprise, et a permis de solutionner la difficulté avant même la notification du licenciement, puisqu'il apparaît dans le compte rendu de l'entretien préalable au licenciement que M. X... a récupéré les 5000 € à 6000 € sur lesquels portait cette difficulté ;
Il est donc inexact de dire que le salarié a été négligent et que le problème n'a été résolu que par l'intervention de M. X..., M. Y... ayant normalement procédé en effectuant des relances d'abord téléphoniques puisqu'il s'agissait d'un fournisseur habituel et important de la société, puis en ayant annoncé une opération comptable qui ne pouvait pas être le fait de sa seule initiative ;
Le grief n'est pas caractérisé, ainsi que les premiers juges l'ont justement relevé ;
¤ Sur le troisième grief, les négligences fautives en matière d'hygiène et de sécurité : Les faits survenus le 9 août 2008 (panne de compresseur) ont donné lieu à une recommandation du 11août 2008 ; ils étaient donc connus de l'employeur lorsque celui-ci a, le 4 septembre 2008, adressé un avertissement à son salarié et ne peuvent plus être invoqués dans le cadre du licenciement ;
Les faits du 15 septembre 2008 sont contestés par M. Y... dans leur matérialité ;
La scs X... insiste quant à elle sur leur gravité, puisqu'il s'agit, s'ils sont avérés, d'un dysfonctionnement des systèmes d'alarme des chambres froides, ce qui fait peser un risque sur la sécurité des salariés travaillant dans ces lieux ; elle en impute la responsabilité à M. Y... parce qu'il était le supérieur hiérarchique de M. B..., agent de maîtrise en charge de la maintenance dans le service production ;
Le grief énonce de manière contradictoire à la fois que le 15 septembre 2008 M. X... a constaté à sa " grande stupéfaction ", " d'importants dysfonctionnements et même parfois I'absence totale de dispositif de sécurité : signaux « coup de poing " et en même temps que " rien n'a été fait depuis de nombreux mois ", ce qui laisse supposer, sans constat daté, que le dysfonctionnement est antérieur au 15 septembre 2008 ;
La scs X... produit l'attestation de M. C..., assistant de maintenance qui dit : " mon employeur m'a demandé de vérifier le bien fondé de la bande d'enregistrement des contrôles des points d'alerte enregistrés par Niscayah transmise de manière illicite sur la boîte mail de M. pascal Y... ; Ce qui est enregistré comme deux appels d'urgence le 15 septembre 2008 (l'un à 16h50-25 se terminant à 16H50-54 et l'autre à 16H57-25 se terminant à 16H58-01 ne correspond pas du tout aux signaux qui auraient été théoriquement émis le matin par les installations de sauvegarde (appels au secours) existant dans les deux chambres froides en activité et bloquées par la glace. Le tableau de transcription des signaux de contrôles confirme en fait que les essais-appel d'urgence-pratiqués l'après midi par le chef d'entretien M. B... et confirmé par lui étaient déclenchés par une chambre froide en panne depuis le 16 mai 2008 ; "
M. C... reprend ensuite cette affirmation que les alarmes enregistrées le 15 septembre 2008 par le centre de veille Niscayah venaient de la chambre mise hors service depuis mai 2008 ;
Il ajoute encore : " les deux signaux enregistrés ne prouvent en rien le bon fonctionnement supposé des chambres froides en activité bloqué par la glace-l'installation impérative de résistances en est la preuve "
Ces propos restent néanmoins de l'ordre de la seule affirmation alors que le journal de réception d'appels de la société Niscayah porte mention du 9 septembre 2008 au 22 septembre 2008 de huit tests cycliques journaliers, sans dysfonctionnement noté, et le 15 septembre 2008, de la réception de deux appels " urgence C/ FROID- 28o " à 16H50et 25'et 16H57et 25';
Ces appels ne sont pas attribués à une chambre froide identifiable, alors que la scs X... en a ce jour là deux en activité, et une hors service ;
M. B... dit pour sa part : " je confirme que le " signal homme mort " était bloqué dans les glaces et qu'il était gelé (observation du matin 15 09 08) intervention qui, elle, ne pouvait être que provisoire et gelé à nouveau) " ;
Ce propos n'identifie pas non plus les chambres froides et ne permet pas de savoir comment M. B... aurait constaté et quand, que le signal d'appel était " gelé à nouveau " après une intervention décrite comme efficace de manière " provisoire " ;
M. D..., électro-mécanicien de la société Cegelec, atteste quant à lui être régulièrement intervenu à la scs X... pour des travaux de maintenance entre 2002 et 2009 et avoir entre 2002 et 2003 participé à l'installation des alarmes dans les chambres froides ; il ajoute avoir été alerté le 15 septembre 2008 par M. X... de l'existence d'une difficulté et avoir contrôlé pour cette raison les trois chambres froides ;
Son attestation est très précise et il y affirme avoir été à l'origine, par ses essais, du déclenchement des deux appels enregistrés par la société Niscayah à 16H50 puis 16H57, laquelle a aussi, les deux fois, appelé en retour l'entreprise ; ces appels aux dires de M. D... concernaient ses essais sur la chambre froide arrêtée et sur une chambre froide en service, la deuxième chambre froide en service n'étant pas raccordée au centre de veille ; il précise cependant que dans cette troisième chambre froide l'alarme s'est bien déclenchée lorsqu'il a appuyé dessus ;
M. D... dit encore que la mise en place des résistances chauffantes dans les boîtiers électriques des alarmes n'était pas nécessaire ;
En l'absence d'identification des chambres froides testées, tant dans l'attestation de M. C... que dans celle de M. B..., qui sont en outre peu claires puisque M. B... ne dit ni l'heure précise à laquelle il aurait, avec M. E... l constaté un dysfonctionnement des alarmes, ni quel type d'intervention " provisoire " il aurait effectué, tandis que M. C... " analyse " pour sa part le journal d'appels reçus par la société Niscayah alors que ce document se suffit à lui même en ce qu'il porte bien mention de deux appels d'urgence provenant de chambres froides de la scs X... le 15 septembre 2008 à 16h50 puis 16H57, il demeure sur la matérialité du grief un doute sérieux qui doit, aux termes de l'article L1235- 1du code du travail, profiter au salarié ;
Au surplus, l'attestation circonstanciée de M. D... est en cohérence avec le journal de la société Niscayah ;
La réalité d'un dysfonctionnement des alarmes des chambres froides le 15 septembre 2008 n'est pas établie et ce grief n'est pas caractérisé ;
¤ Sur le quatrième grief, le contrôle de la conformité des livraisons.
La scs X... reproche à M. Y... une " négligence grave " dans la vérification du poids des marchandises livrées et se plaint de surcoûts " intolérables " ; là encore néanmoins, le grief reste imprécis puisqu'aucune quantité n'est chiffrée et que le surcoût subi ne l'est pas non plus ;
Il est acquis que les marchandises étaient bien pesées, à leur arrivée, par le chef boucher, et les recommandations ou courriers versés aux débats par la scs X... pour appuyer son reproche sont d'une part, (celle du 3 septembre 2008,) adressés à cinq salariés de l'entreprise, dont M. Y..., et d'autre part, (celle du 4 septembre 2008) imprécises sur la nature technique du dysfonctionnement dénoncé ; il y apparaît plutôt que M. X... soupçonne un fournisseur d'avoir effectué un trempage des viscères de porc pour les alourdir ; il lui a d'ailleurs directement écrit sur ce thème par courrier également daté du 4 septembre 2008 ;
Aucune pièce n'est produite permettant de comparer les bons de commande et les pesées ;
Le grief n'est, dans ces conditions, pas caractérisé et les trois précédents ne l'étant pas plus, le jugement est confirmé en ce qu'il a dit le licenciement de M. Y... dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
SUR LES CONSÉQUENCES DU LICENCIEMENT :
Justifiant d'une ancienneté supérieure à deux ans dans une entreprise employant habituellement au moins onze salariés, M. Y... peut prétendre à l'indemnisation de l'absence de cause réelle et sérieuse de son licenciement sur le fondement de l'article 1235-3 du code du travail, l'indemnité à la charge de l'employeur ne pouvant pas être inférieure aux salaires ou rémunération brute des six derniers mois, lesquels se sont élevés à la somme brute de 25 516, 65 € ;
Au moment du licenciement, M. Y... était âgé de 44 ans et comptait 21 ans d'ancienneté dans l'entreprise ; il avait gravi tous les échelons dans celle-ci et obtenu la médaille du travail échelon argent ; malgré ses efforts de formation et de recherche d'emploi il n'a pas retrouvé après le licenciement un revenu équivalent, mais diminué de moitié, et a connu plusieurs périodes de chômage ; en considération de cette situation personnelle, les premiers juges ont justement évalué la réparation de son préjudice à la somme de 100 000 € ;
Le jugement est encore confirmé en ce qu'il a condamné la scs X... à rembourser à Pôle Emploi les indemnités de chômage versées à M. Y... dans la limite de trois mois d'indemnité ;
SUR LES FRAIS IRREPETIBLES ET LES DEPENS
Les dispositions du jugement à ces titres sont confirmées ;
Il parait inéquitable de laisser à la charge M. Y... les frais engagés dans l'instance et non compris dans les dépens : la scs X... est condamnée à lui payer, pour l'en indemniser et en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, la somme de 2000 € ;
La demande de la scs X... au titre des frais irrépétibles est rejetée ;
la scs X..., qui succombe à l'instance d'appel, est condamnée à en payer les dépens ;
PAR CES MOTIFS
LA COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
CONFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions,
y ajoutant,
CONDAMNE la scs X... à payer à M. Y... la somme de 2000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et la déboute elle-même de ce chef de prétention,
CONDAMNE la scs X... aux dépens d'appel.