COUR D'APPEL
D'ANGERS
Chambre Sociale
ARRÊT N
CLM/AT
Numéro d'inscription au répertoire général : 11/00111.
Jugement Au fond, origine Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'ANGERS, décision attaquée en date du 15 Décembre 2010, enregistrée sous le no 09/01926
ARRÊT DU 04 Septembre 2012
APPELANT :
Monsieur Philippe X...
...
49300 CHOLET
présent, assisté de Maître Bertrand CREN (SCP BDH AVOCATS), avocat au barreau d'ANGERS
INTIMEE :
Société ETDE
1 Impasse Charles Trenet
BP 50425
44823 SAINT HERBLAIN CEDEX
représentée par Maître Charles PHILIP, avocat au barreau de NANTES
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 03 Avril 2012 à 14 H 00, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Catherine LECAPLAIN MOREL, président chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Catherine LECAPLAIN-MOREL , président
Madame Brigitte ARNAUD-PETIT, conseiller
Madame Anne DUFAU, conseiller
Greffier lors des débats : Madame LE GALL, greffier
ARRÊT :
prononcé le 04 Septembre 2012, contradictoire et mis à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame LECAPLAIN-MOREL , président, et par Madame LE GALL, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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FAITS ET PROCÉDURE :
M. Philippe X... a été embauché par la société MAINGUY Gilbert, sans contrat écrit, à compter du 29 juin 1981 en qualité de comptable 1er échelon avec le statut d'employé. Il était alors âgé de 24 ans.
Les parties ont entendu "régulariser" ses conditions d'emploi aux termes d'un avenant signé le 1er juin 1998 duquel il ressort que M. X... a été, à compter de cette date, employé pour assurer les fonctions de métreur 3ème échelon, moyennant un salaire brut mensuel de 12 367 francs.
Le 29 décembre 1998, l'employeur lui a adressé à un courrier destiné à préciser ses fonctions et tâches en qualité de "responsable bureau d'études" placé sous l'autorité d'un chef de service, avec le statut de cadre.
Suivant avenant no 2 du 2 janvier 2003, M. Philippe X... est devenu "chef bureau d'études" au niveau B1 de la convention collective nationale des Travaux Publics applicable dans l'entreprise, moyennant une rémunération brute mensuelle de 2 162,10 € pour un temps plein de 35 heures par semaine, son lieu de travail étant toujours fixé à Cholet.
En 2004, la société MAINGUY Gilbert a été rachetée par la société ETDE, filiale de la société Bouygues Construction, employant environ 13 000 salariés dont 4 200 à l'international.
Par courrier du 27 novembre 2008, la société ETDE a informé M. Philippe X... de ce que son contrat de travail, comme ceux de tous les collaborateurs Mainguy des centres de Cholet et Beaucouzé, serait repris par elle à compter du 1er janvier 2009 sans aucune modification de ses conditions de travail. Un contrat de travail daté du 21 novembre 2008, à effet au 1er janvier 2009, a alors été régularisé entre les parties.
Par courrier recommandé du 19 mai 2009, la société ETDE a notifié à M. X... un avertissement pour mauvais résultats témoignant d'un problème d'organisation, d'un manque de planification, d'une mauvaise affectation des ressources matérielles et humaines, et d'un manque de suivi de sa part. Au terme de ce courrier, arguant de ce que le salarié avait confié au cours de l'entretien que le métier de conducteur de travaux ne lui convenait pas et qu'il préférait son ancien poste aux études de prix, elle lui a proposé de lui confier le poste de "Cadre Etudes de Prix" à Genas.
M. X... a contesté cette sanction par lettre circonstanciée du 3 juin 2009 aux termes de laquelle il soulignait en outre que, depuis le début du mois de mai, aucun chantier ne lui était plus confié et qu'aucune équipe n'était donc placée sous sa responsabilité, de sorte qu'il était privé de la possibilité d'exercer normalement son emploi. Il demandait à son employeur de mettre fin à cette situation qu'il qualifiait d'humiliante et de lui confier de nouveaux chantiers avec les moyens nécessaires. Enfin, précisant qu'il ne souhaitait pas quitter la région de Cholet, il indiquait refuser la proposition de poste à Genas.
Par courrier du 11 juin 2009, la société ETDE a convoqué M. Philippe X... à un entretien préalable à une éventuelle mesure de licenciement fixé au 19 juin suivant.
Le 12 juin 2009 à 8h36, M. X... a adressé à son supérieur hiérarchique, M. Franck Z..., implanté à Angers, un courrier électronique aux termes duquel il lui indiquait, qu'après entretien de la veille avec M. A..., chef de l'agence de Cholet, il demandait à suivre quelques chantiers. Par e-mail du même jour à 15h19, il a fait connaître à M. A... que sa demande était restée sans réponse.
Par courrier recommandé du 12 juin 2009, la société ETDE a répondu au courrier de M. X... du 3 juin 2009 en maintenant l'avertissement prononcé pour mauvais résultats au cours des deux mois le précédant et en prenant acte de son refus du poste de Genas, aucune réponse n'étant apportée au fait qu'aucun chantier ne lui ait été confié depuis le début du mois de mai 2009.
Par lettre du 17 juin 2009, la société ETDE a fait connaître à son salarié qu'elle annulait l'entretien préalable prévu pour le 19 juin 2009.
Enonçant que M. X... lui aurait, lors de l'entretien du 14 mai 2009, fait part de son souhait de quitter la conduite de travaux pour retrouver un poste en études de prix, ce qui l'avait amenée à lui proposer le poste de Genas, qu'il a refusé, et arguant du désir finalement émis par son salarié au cours "d'un entretien informel" du 11 juin 2009 de rester dans la conduite de travaux, par courrier recommandé du 19 juin 2009, la société ETDE a indiqué à M. X... que, souhaitant répondre à ses aspirations, elle lui adressait en pièce jointe un courrier de mission temporaire à Evreux.
Aux termes du courrier joint, portant en objet : "Proposition de mission temporaire", elle confirmait à M. X... sa proposition d'une mission temporaire sur le site d'Evreux (Eure) pour une durée de six mois à compter du lundi 29 juin 2009, en qualité de conducteur de travaux avec le bénéfice d'une indemnité de grands déplacements d'un montant de 1200 € pour un mois complet en grands déplacements, les autres clauses du contrat de travail et conditions de son exécution demeurant inchangées.
Par courrier du 22 juin 2009, M. Philippe X... a contesté avoir sollicité autre chose que l'exécution pure et simple de son contrat de travail et il a déclaré refuser la proposition de mutation à Evreux qu'il a qualifiée de modification de son contrat de travail.
Par lettre du 30 juin 2009, la société ETDE l'a convoqué à un entretien préalable à une éventuelle mesure de licenciement fixé au 10 juillet 2009 sans précision d'horaire. Après que le salarié ait souligné cette difficulté par courrier du 8 juillet 2009, le 10 juillet 2009, l'employeur l'a convoqué à un nouvel entretien préalable fixé au 24 juillet 2009 à 8h30.
Le 27 juillet 2009, M. X... a été placé en arrêt de travail jusqu'au 31 juillet suivant pour "trouble psychologique suite harcèlement moral au travail".
Par courrier recommandé du 31 juillet 2009, la société ETDE lui a notifié son licenciement pour cause réelle et sérieuse motif pris de son refus d'accepter la mission temporaire sur le site d'Evreux. M. X... a été dispensé d'accomplir son préavis de trois mois qui lui a été payé.
Le 10 décembre 2009, il a saisi le conseil de prud'hommes pour contester son licenciement et obtenir des dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, en tout cas, pour irrégularité de la procédure.
Par jugement du 15 décembre 2010 auquel il est renvoyé pour un ample exposé, le conseil de prud'hommes d'Angers a débouté M. Philippe X... de l'ensemble de ses prétentions, a rejeté la demande formée par la société ETDE au titre des frais irrépétibles et a laissé à chaque partie la charge de ses dépens.
Les parties ont toutes deux reçu notification de ce jugement le 22 décembre 2010. M. Philippe X... en a régulièrement relevé appel par lettre postée le 14 janvier 2011.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :
Aux termes de ses écritures déposées au greffe le 16 février 2012, reprises oralement à l'audience, ici expressément visées et auxquelles il convient de se référer, M. Philippe X... demande à la cour :
- d'infirmer le jugement entrepris ;
- à titre principal, de condamner la société ETDE à lui payer la somme de 75 000 € de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et préjudice moral ;
- subsidiairement, de la condamner à lui payer la somme de 2 500 € pour irrégularité de la procédure de licenciement au motif qu'il résulte des éléments du dossier que l'employeur avait en fait pris sa décision de le licencier bien avant la tenue de l'entretien préalable ;
- en tout état de cause, de la condamner aux entiers dépens et au paiement de la somme de 3 000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Pour conclure à l'absence de cause réelle et sérieuse de son licenciement, il fait valoir que :
- la proposition de mutation à Evreux qui lui a été faite s'analyse en une modification de son contrat de travail qui requérait obligatoirement son accord préalable et non équivoque en ce que les sites de Cholet et d'Evreux ne sont pas situés dans le même secteur géographique ;
- le licenciement, motivé par son seul refus d'accepter cette modification de son contrat de travail, est nécessairement dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
- en tout état de cause, il ressort tant de la lettre de licenciement que des écrits précédents, que l'employeur ne s'est pas inscrit dans l'exercice de son pouvoir de direction puisqu'il a constamment et clairement présenté l'affectation à Evreux comme relevant d'une "proposition", de sorte qu'il lui laissait la possibilité de la refuser ; que la société ETDE, qui lui a ouvert cette faculté de refus, ne pouvait donc pas sanctionner son refus par un licenciement disciplinaire ;
- il ressort en outre de la lettre de licenciement qu'il s'agissait d'une proposition faite pour un motif économique tenant à une baisse d'activité du Centre du Maine et Loire, de sorte que l'employeur devait respecter la procédure prévue à l'article L. 1222-6 du code du travail ;
- le contrat de travail signé le 21 novembre 2008 avec l'intimée comporte seulement une clause de mobilité professionnelle, permettant une nouvelle affectation fonctionnelle, à l'exclusion de toute clause de mobilité géographique, la mention insérée de ce chef par la société ETDE dans le contrat de travail soumis à sa signature fin 2008 ayant été expressément rayée d'un commun accord par les parties ; en tout état de cause, la mention subsistante ne pourrait pas constituer une clause de mobilité géographique valable puisqu'elle ne définit aucune limite géographique ; et, en cas de doute sur la portée de cette mention, clause de mobilité fonctionnelle ou géographique, en application de l'article 1162 du code civil, la convention doit s'interpréter en sa faveur ;
- à supposer même que, contrairement à ce que l'employeur lui a indiqué verbalement avant qu'il ne refuse l'affectation à Evreux, il se soit agi d'une mutation temporaire et non définitive, l'intimée ne pouvait pas valablement se prévaloir de son refus pour prononcer son licenciement dans la mesure où elle n'établit pas que les conditions posées par la jurisprudence en matière de mutation temporaire en dehors du secteur géographique aient été réunies en ce qu'elle ne justifie pas que sa mutation était justifiée par l'intérêt de l'entreprise et des circonstances exceptionnelles, et où elle ne l'a pas informé dans un délai raisonnable puisqu'il s'est écoulé seulement une semaine entre la réception de la lettre et la date prévue pour la prise de poste à Evreux ;
- la mutation temporaire a été mise en oeuvre dans des conditions exclusives de bonne foi en ce qu'après l'avoir privé de tout chantier, la société ETDE a cherché à le muter à Evreux alors qu'il est établi qu'il y avait du travail en Maine et Loire et que l'agence de Cholet ne pouvait pas répondre à certaines demandes.
Aux termes de ses dernières conclusions déposées au greffe le 3 avril 2012, soutenues oralement à l'audience, ici expressément visées et auxquelles il convient de se référer, la société ETDE demande à la cour de débouter M. Philippe X... de son appel et de l'ensemble de ses prétentions, de confirmer le jugement déféré, de condamner l'appelant à lui payer la somme de 3 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral outre 2 000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, et à supporter les entiers dépens.
S'agissant de l'emploi du terme "proposition" dans les différents courriers adressés à M. Philippe X..., elle indique qu'il procède d'une simple formule de politesse et de courtoisie, mais qu'il ne doit pas être pris au sens littéral, l'affectation temporaire à Evreux constituant bien, au contraire, de sa part une décision unilatérale s'inscrivant dans l'exercice de son pouvoir de direction.
Elle soutient en outre que cette décision n'emportait pas modification du contrat de travail du salarié requérant l'accord de celui-ci, mais seulement changement de ses conditions de travail dont le refus justifie le licenciement prononcé.
Elle ajoute qu'en l'absence de modification du contrat de travail et dans la mesure où le licenciement repose sur un motif personnel et non économique, le moyen tiré de la prétendue violation des dispositions de l'article L. 1222-6 du code du travail est inopérant.
Selon elle, les parties n'ont en aucun cas entendu annuler la clause de mobilité géographique contenue dans le contrat de travail qu'elle a soumis à la signature de M. X... le 21 novembre 2008, et la partie non rayée du paragraphe litigieux s'analyse bien en une clause de mobilité géographique et non fonctionnelle. Elle en conclut qu'en présence d'une telle clause de mobilité, la mutation de M. X... ne constituait pas une modification de son contrat de travail et qu'en refusant cette affectation temporaire à Evreux, il a manqué à son obligation d'exécuter de bonne foi le contrat de travail, ce qui justifie le licenciement.
Elle estime encore que la mutation temporaire ainsi proposée à M. X... répondait parfaitement aux trois conditions posées par la jurisprudence pour permettre à l'employeur d'imposer au salarié une affectation temporaire, de sorte que, là encore, le refus opposé par l'appelant justifie le licenciement litigieux.
L'intérêt de l'entreprise est, selon elle, caractérisé par la circonstance qu'elle devait, à l'époque en cause, faire face à de très nombreux chantiers sur le secteur de son agence d'Evreux requérant l'intervention de collaborateurs supplémentaires en interne ; qu'elle établit d'ailleurs que plusieurs salariés du secteur de Cholet et d'autres secteurs ont alors été affectés temporairement à Evreux afin de lui permettre de faire face aux besoins urgents auxquels elle devait répondre, mobilité que les intéressés ont acceptée conformément aux usages de la profession du bâtiment dont elle fait partie intégrante.
S'agissant des circonstances exceptionnelles exigées par la jurisprudence, elle estime qu'elles sont caractérisées par la crise économique de 2008 qui a conduit à une conjoncture particulièrement difficile dans le secteur de la construction et des travaux publics, en particulier sur les secteurs de Cholet et d'Angers ; que c'est donc pour répondre à la demande de M. X... de lui fournir des chantiers qu'elle lui a proposé de l'affecter temporairement à Evreux.
Enfin, elle considère avoir également respecté le délai raisonnable de prévenance exigé par la jurisprudence, alors surtout que l'affectation à Evreux avait déjà été évoquée entre M. X... et sa hiérarchie courant avril/mai 2009, de sorte que la mutation annoncée le 19 juin suivant, n'était, selon elle, ni soudaine, ni imprévue.
Invoquant le contexte économique difficile et le manque de travail sur le secteur du Maine et Loire, elle conteste avoir manqué à son obligation d'exécuter le contrat de travail de bonne foi et que l'affectation litigieuse se soit inscrite dans une tentative de déstabilisation du salarié.
Elle oppose que la preuve de l'irrégularité de la procédure de licenciement n'est pas rapportée et que la demande indemnitaire est exorbitante, le préjudice moral allégué n'étant, au surplus, pas établi.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Sur le licenciement :
Attendu que la lettre de licenciement adressée à M. Philippe X... le 31 juillet 2009, et qui fixe les termes du litige, est ainsi libellée :
"Monsieur,
Par courrier du 10 juillet 2009, vous avez été convoqué à un entretien préalable à sanction pouvant aller jusqu'à votre licenciement de l'entreprise qui s'est déroulé le 24 juillet 2009 en présence de Guy B... qui vous assistait, de Sylvia C..., RRH et de moi-même.
Après vous avoir fourni les raisons pour lesquelles nous envisagions votre licenciement et avoir recueilli vos commentaires, nous vous notifions votre licenciement pour cause réelle et sérieuse pour le motif suivant :
- Lors d'un entretien le 14 mai 2009, vous nous avez fait part de votre souhait de quitter la conduite de travaux et de retrouver un poste d'études de prix. N'ayant pas de poste disponible dans le 49, nous vous avons proposé un poste à Genas par courrier du 19 juin 2009.
Au cours d'un échange verbal le 11 juin 2009, vous avez refusez ce poste et m'avez dit souhaiter rester dans la conduite de travaux. Je vous ai alors rappelé que le centre du 49 connaît aujourd'hui une baisse d'activité et que des missions temporaires étaient proposées pour renforcer les centres ayant une forte activité.
- Suite à de nombreux échanges, par courrier du 19 juin 2009, nous vous avons proposé un détachement temporaire au sein de la Direction Régionale Normandie Val de Loire - Centre d'Evreux, à compter du 29 juin 2009 pour une durée de 6 mois. Cette mission devait s'effectuer dans le but de renforcer nos équipes, en votre qualité de conducteur de travaux, avec maintien de vos conditions actuelles de classification et de rémunération.
- En outre, dans le cadre de cette mission, nous vous avons rappelé que vous bénéficierez des dispositions d'accompagnement, conformément aux règles de mobilité en vigueur dans le groupe, à savoir, le versement d'une indemnité calculée sur la base de 1 200 € (mille deux cents euros) pour un mois complet en grands déplacements.
- Par courrier du 22 juin, vous avez refusé cette mission temporaire qui correspond à vos compétences et aux nécessités actuelles de l'entreprise.
- Nous vous rappelons que la mobilité fait partie intégrante des usages de notre profession. En effet, le changement d'affectation temporaire et le prêt de personnel sont fréquents dans les Travaux Publics et directement liés à l'activité de nos centres.
Les explications que vous nous avez fournies au cours de ce même entretien ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation des faits.
En conséquence, nous sommes contraints de mettre fin à votre contrat de travail...";
Attendu qu'il ressort des termes de ce courrier, et qu'il n'est pas contesté par les parties, que le licenciement de M. Philippe X... a été exclusivement motivé par son refus, exprimé le 22 juin 2009, d'accepter l'affectation à Evreux, pour une période de six mois, que la société ETDE lui avait soumise par lettre du 19 juin précédent ;
Attendu, en droit, que toute modification du contrat de travail proposée par l'employeur ne peut intervenir qu'avec l'accord préalable, clair et non équivoque du salarié; et attendu que le licenciement est nécessairement dépourvu de cause réelle et sérieuse lorsqu'il est fondé sur le seul refus du salarié d'accepter la modification de son contrat de travail ;
Attendu, par contre, que le changement des conditions de travail procède de l'exercice du pouvoir de direction de l'employeur et ne requiert pas l'accord du salarié, lequel doit s'y soumettre faute de quoi, il commet une faute de nature à justifier son licenciement ;
Attendu que la mention du lieu de travail dans le contrat de travail a valeur d'information à moins qu'il soit stipulé par une clause claire et précise que le salarié exécutera son travail exclusivement dans ce lieu ; attendu que le contrat de travail de M. X... est exempt d'une telle clause ;
Attendu qu'en l'absence d'une telle clause, le changement de localisation intervenu dans le même secteur géographique constitue un simple changement des conditions de travail et non une modification du contrat de travail ; qu'en l'occurrence, les villes de Cholet, située dans le sud du Maine et Loire, et d'Evreux, située en Normandie à environ 100 kilomètres de Paris, ne sont pas situées dans le même secteur géographique compte tenu de l'importante distance kilométrique qui les sépare, à savoir, 340 kilomètres, du temps également important, de l'ordre de 4 heures, qui est nécessaire pour les relier en voiture, et également du fait qu'il s'agit de bassins socio-économiques tout à fait différents; que la société ETDE ne tente d'ailleurs pas de soutenir que le nouveau lieu de travail soumis à M. X... était situé dans le même secteur géographique que Cholet ;
Attendu que, pour conclure à un simple changement des conditions de travail, la société ETDE argue du caractère temporaire de cette affectation en dehors du secteur géographique où travaillait habituellement M. X... ; Mais attendu que si l'affectation occasionnelle d'un salarié en dehors du secteur géographique où il travaille habituellement ou des limites prévues par une clause contractuelle de mobilité géographique peut ne pas constituer une modification de son contrat de travail, il n'en est ainsi que lorsque cette affectation est motivée par l'intérêt de l'entreprise, qu'elle est justifiée par des circonstances exceptionnelles, et que le salarié est informé préalablement dans un délai raisonnable du caractère temporaire de l'affectation et de sa durée prévisible ;
Attendu que le courrier daté du 19 juin 2009, adressé à M. X... pour lui proposer d'aller travailler en qualité de conducteur de travaux sur le secteur d'Evreux mentionne bien, en objet, qu'il s'agit d'une "proposition de mission temporaire", ce qualificatif étant repris dans le corps du courrier, lequel précise que la mission sera d'une durée de six mois à compter du 29 juin 2009 ; que l'appelant ne produit aucun élément à l'appui de ses allégations selon lesquelles, avant son refus et de vive voix, l'employeur lui aurait dit qu'aucune assurance de retour à Cholet ne lui était donnée de sorte que cette affectation lui aurait été présentée comme définitive ; qu'en l'absence d'élément venant contredire les écrits de l'employeur, l'affectation soumise à M. X... doit en conséquence être considérée comme de nature temporaire et occasionnelle ;
Attendu qu'il ressort des débats et des énonciations de M. X..., non contredites par l'intimée qui indique au contraire elle-même que la mutation à Evreux avait déjà été évoquée verbalement, qu'à l'occasion de la revue d'exploitation mensuelle du 6 avril 2009, son chef d'agence de Cholet, M. A..., lui a indiqué sans autres précision qu'il était affecté en renfort à Evreux à compter du lundi suivant ; qu'il a alors demandé que son départ soit différé de quelques semaines en raison des difficultés de santé rencontrées par son épouse suite au décès de sa mère, ce qui a été admis ; que dès la semaine suivante, son supérieur hiérarchique situé à Angers, M. Z..., lui a demandé à nouveau de partir pour Evreux, sur quoi, il a, à nouveau, exprimé son souhait d'un départ plus tardif ; qu'ayant fait connaître, le 13 mai 2009 que l'état de santé de son épouse lui permettait désormais de se rendre sur le secteur d'Evreux, le 15 mai suivant, son chef d'agence lui a signifié qu'il n'était plus question qu'il aille à Evreux car l'employeur n'avait plus confiance en lui ;Qu'il sera rappelé que, le 19 mai 2009, M. X... s'est vu notifier un avertissement pour mauvais résultats avec proposition d'une affectation à Genas et que, par courrier du 11 juin 2009, il était convoqué pour un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 19 juin suivant, entretien qui fut annulé par courrier de la société ETDE du 17 juin 2009, ensuite de quoi, par courrier daté du vendredi 19 juin 2009, cette dernière lui soumettait l'affectation temporaire litigieuse à Evreux pour une durée de six mois à compter du lundi 29 juin 2009 ;
Attendu, ces circonstances de fait étant rappelées, que l'intimée soutient que la condition relative à l'intérêt de l'entreprise est justifiée par le surcroît d'activité qu'elle avait à Evreux à l'époque des faits et qui a rendu nécessaire l'affectation de plusieurs de ses salariés venant d'autres secteurs, notamment du Maine et Loire ; qu'elle ajoute qu'au contraire, elle manquait d'activité dans ce département pour y fournir du travail à l'appelant; mais attendu que, s'il résulte des pièces versées aux débats par la société ETDE qu'elle a effectivement affecté temporairement sur le secteur d'Evreux certains de ses salariés habituellement employés sur Cholet, Champagné ou Beaucouzé, il en ressort que ces affectations ont couvert très essentiellement la période du 6 avril au 26 juin 2009, qu'elles ont concerné 5 salariés venant de Cholet, 3 venant de Champagné et 5 venant de Beaucouzé, que ces affectations ont eu des durées variant de 4 jours à 5 semaines au maximum, qu'un seul salarié, venant de Beaucouzé a été affecté à Evreux en juillet 2009 pour une durée totale de 179 heures, qu'aucune affectation n'a eu lieu en août, et que les deux dernières affectations temporaires à Evreux concernent deux salariés, pour 117 heures chacun, en septembre 2009 ;
Attendu qu'il ressort de ces éléments que les besoins dont la société ETDE justifie sur le secteur d'Evreux se sont très essentiellement situés antérieurement à la date du 29 juin 2009 fixée comme point de départ de l'affectation de M. Philippe X... à Evreux et elle ne justifie pas avoir eu besoin, sur ce secteur, d'un conducteur de travaux pour six mois, soit jusqu'à la fin du mois de décembre 2009 ; attendu, en outre, qu'elle ne produit aucune pièce à l'appui de ses allégations relatives à la prétendue baisse importante d'activité de chantier et de construction sur les secteurs de Cholet et du Maine et Loire qui l'aurait empêchée de confier du travail à M. X... ; que l'employeur ne justifie donc pas de la première condition tenant au fait que l'affectation de ce dernier à Evreux aurait été motivée par l'intérêt de l'entreprise ; que M. X... verse au contraire aux débats quatre courriers adressés courant juillet 2009 par le responsable de secteur de Cholet à divers clients pour décliner des demandes d'études de dossier en raison de la surcharge du bureau d'études de Cholet ;
Attendu que l'intimée procède par voie d'affirmation pour soutenir que la crise économique survenue à l'automne 2008 caractériserait les circonstances exceptionnelles justifiant la mutation temporaire litigieuse ; qu'elle ne produit aucune pièce que ce soit pour justifier de l'impact de cette crise sur son activité générale, ou à l'appui de ses allégations selon lesquelles elle aurait particulièrement affecté le secteur du Maine et Loire et de Cholet ;
Attendu, enfin, qu'eu égard, notamment, à la distance importante séparant Cholet et Evreux et à la durée importante du détachement, lesquelles impliquaient une organisation matérielle non négligeable en termes d'installation sur le nouveau site, le délai d'une semaine qui a séparé la réception par M. X... du courrier lui proposant une mutation temporaire à Evreux et la date prévue pour le début de cette affectation ne constitue pas un délai raisonnable ; que l'existence d'échanges préalables au sujet d'une telle affectation ne permet pas de considérer ce délai raisonnable dans la mesure où, s'étant vu signifier le 15 mai 2009 qu'il n'était plus question qu'il aille à Evreux, puis notifier un avertissement le 19 mai suivant, puis adresser, le 11 juin 2009, une convocation à un entretien préalable en vue d'un éventuel licenciement fixé au 19 juin, le salarié ne pouvait pas sérieusement s'attendre à ce qu'une affectation à Evreux lui soit à nouveau soumise à cette même date ;
Attendu, la société ETDE ne justifiant pas de la réunion des conditions requises, qu'elle est mal fondée à soutenir que la mutation temporaire à Evreux proposée à M. X... aurait constitué un simple changement de ses conditions de travail ne nécessitant pas son accord préalable ;
Attendu, en droit, qu'en présence d'une clause de mobilité géographique valablement stipulée, la mutation du salarié ne constitue pas une modification du contrat de travail ; que, pour conclure à la validité du licenciement litigieux, l'intimée soutient que le contrat de travail signé entre elle et M. X... le 21 novembre 2008 contenait bien une telle clause dont la violation par ce dernier justifie le licenciement ;
Attendu que les contrats régularisés entre M. Philippe X... et son précédent employeur, la société Mainguy Gilbert, ne comportaient pas de clause de mobilité ;
Attendu que le contrat de travail soumis par la société ETDE à sa signature le 21 novembre 2008 mentionnait qu'il était embauché en qualité de "cadre travaux" position B1 à compter du 1er janvier 2009, avec maintien de l'ancienneté acquise au sein de la société Mainguy Gilbert, et qu'il était affecté au centre de Cholet de la direction Normandie-Val de Loire ; que ce contrat comportait la clause suivante : "Compte tenu des nécessités liées à la nature des activités de la Société ETDE, vous vous engagez à accepter une nouvelle affectation ou un changement de lieu de travail pouvant entraîner un changement de résidence sur l'ensemble du territoire français ou dans tout autre pays où ETDE exerce une activité et/ou sera appelé à exercer une activité." ;
Attendu qu'il résulte de l'original du contrat de travail signé par les deux parties, versé aux débats par la société ETDE, que, dans cette clause, toute la partie commençant à "ou" et se terminant à "activité" a été rayée ; qu'il ressort des débats que la commune intention des parties a bien été de réduire cette clause au libellé suivant : "Compte tenu des nécessités liées à la nature des activités de la Société ETDE, vous vous engagez à accepter une nouvelle affectation" dont l'employeur soutient qu'il contient l'expression d'une clause de mobilité géographique, tandis que le salarié oppose qu'il vaut seulement comme engagement de mobilité fonctionnelle ;
Attendu qu'aux termes du libellé initial, le salarié s'engageait à accepter tant une nouvelle affectation, qu'un changement de lieu de travail ; qu'eu à la conjonction "OU" employée dans le libellé initial dont il ressort que le rédacteur a bien entendu distinguer ce que recouvrait "l'affectation", d'une part, le "lieu de travail", d'autre part, l'intimée est mal fondée à soutenir que le terme "affectation" maintenu se rapporte au lieu d'exercice du travail et non à la fonction ; qu'il s'induit de la suppression de toute la partie relative au lieu de travail et au changement de résidence sur le territoire français ou dans tout autre pays où la société est implantée, que la commune intention des parties a bien été de supprimer la clause de mobilité géographique insérée par la société ETDE dans le texte qu'elle soumis à la signature du salarié ; attendu que cette commune intention résulte encore du courrier adressé par l'employeur à M. X... le 27 novembre 2008, aux termes desquels il l'assurait de ce que le transfert de son contrat de travail n'entraînait aucune modification de ses "conditions de travail" et qu'il continuerait d'exercer ses "fonctions dans les conditions actuelles" ; qu'il suit de là que l'intimée est mal fondée à invoquer l'existence d'une clause de mobilité géographique dans les liens de laquelle M. X... se serait engagé, le terme "affectation" renvoyant à une simple mobilité fonctionnelle ;
Qu'en tout état de cause, à supposer même que le membre de paragraphe maintenu puisse s'interpréter comme constitutive d'une clause de mobilité géographique, M. X... en invoque à juste titre la nullité au motif qu'elle ne contient l'indication d'aucune délimitation de la zone géographique de mobilité, de sorte que l'intimée est mal fondée à soutenir qu'une telle clause ait été susceptible d'autoriser le licenciement du salarié pour cause réelle et sérieuse ;
Attendu, sans qu'il y ait lieu à examen des autres moyens de l'appelant, qu'il résulte de ces développements que l'affectation temporaire à Evreux qui lui a été proposée constituait pas une modification de son contrat de travail exigeant son accord préalable, clair et non équivoque, de sorte que le licenciement prononcé le 31 juillet 2009 au seul motif de son refus d'accepter cette modification ne peut qu'être, par voie d'infirmation du jugement entrepris, déclaré dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
Attendu, M. Philippe X... comptant plus de deux ans d'ancienneté dans l'entreprise au moment de son licenciement et celle-ci employant habituellement au moins onze salariés, que trouvent à s'appliquer les dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail selon lesquelles, le salarié qui ne sollicite pas sa réintégration peut prétendre au paiement d'une indemnité ne pouvant être inférieure aux salaires bruts des six derniers mois, lesquels se sont élevés en l'espèce à la somme de 17 113,25 € ;
Attendu qu'entré dans l'entreprise à l'âge de 24 ans, l'appelant était âgé de 52 ans au moment de son licenciement, comptait 28 ans d'ancienneté et percevait une rémunération mensuelle moyenne de 2 800 € ; qu'il ressort des pièces produites et des débats qu'il a retrouvé du travail en qualité de conducteur de travaux, mais seulement en intérim, à compter du 19 octobre 2009, avec perte de son statut de cadre et une affectation à une cinquantaine de kilomètres de son domicile ; qu'à la date de l'audience, il était toujours en situation de précarité, ne disposant que d'un contrat de travail à durée déterminée de trois mois ;
Attendu qu'en considération de l'ancienneté de M. X..., de son âge, de son aptitude à retrouver un emploi, des conséquences matérielles de son licenciement qui l'a placé en situation de précarité, et du préjudice moral qui est résulté pour lui des circonstances de cette mesure dans le cadre de laquelle l'employeur a multiplié les atermoiements à un moment, au surplus, où il n'ignorait pas que l'appelant venait de subir le décès de sa mère et de sa belle-mère, la cour trouve dans la cause les éléments nécessaires pour fixer à 47 000 € l'indemnité propre à réparer le préjudice résultant pour le salarié du licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Attendu qu'il n'y a pas lieu à application des dispositions de l'article L 1235-4 du code du travail dans la mesure où il n'est ni justifié, ni allégué que M. X..., qui a retrouvé du travail dès le mois d'octobre 2009, ait perçu des indemnités de chômage ;
Et attendu que la demande indemnitaire pour irrégularité de la procédure, formée à titre subsidiaire, est sans objet, l'indemnité allouée en application de l'article L. 1235-3 du code du travail n'étant d'ailleurs pas cumulable avec celle destinée à réparer une éventuelle irrégularité de la procédure de licenciement ;
Sur la demande reconventionnelle de la société ETDE pour préjudice moral : Attendu que la société ETDE, qui succombe dans le cadre de la présente instance et qui est défaillante à justifier de la réalité du préjudice moral qu'elle invoque, est déboutée de sa demande indemnitaire formée de ce chef en cause d'appel ;
Sur les dépens et frais irrépétibles :
Attendu, M. Philippe X... prospérant en son recours, qu'il convient, par voie d'infirmation du jugement déféré, de condamner la société ETDE aux entiers dépens de première instance et d'appel, et à payer à l'appelant la somme de
3 000 € au titre de l'ensemble des frais irrépétibles de première instance et d'appel qu'il a exposés, elle-même étant déboutée de ce chef de prétention en cause d'appel et le jugement confirmé en ce qu'il a rejeté sa demande ;
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire ;
Confirme le jugement entrepris seulement en ce qu'il a débouté la société ETDE de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile ;
L'infirme en toutes ses autres dispositions ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Dit le licenciement de M. Philippe X... dépourvu de cause réelle et sérieuse;
Condamne la société ETDE à lui payer la somme de 47.000 € (quarante-sept mille euros) pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Dit n'y avoir lieu à application de l'article L. 1235-4 du code du travail ;
Déboute la société ETDE de ses demandes de dommages et intérêts et d'indemnité de procédure formées en cause d'appel ;
La condamne à payer à M. Philippe X... la somme de 3.000 € (trois mille euros) au titre de ses frais irrépétibles de première instance et d'appel ;
La condamne aux entiers dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
Sylvie LE GALL Catherine LECAPLAIN-MOREL