COUR D'APPEL d'ANGERS Chambre Sociale
ARRÊT N
BAP/ AT
Numéro d'inscription au répertoire général : 11/ 00361
Jugement Au fond, origine Conseil de Prud'hommes-Formation paritaire de LAVAL, décision attaquée en date du 19 Janvier 2011, enregistrée sous le no 10/ 00312
ARRÊT DU 19 Mars 2013
APPELANTE :
Madame Nicole X... épouse Y...... 53100 MAYENNE
présente, assistée de Maître Hervé CHAUVEAU, avocat au barreau de LAVAL
INTIMÉE :
Société GEORGES Z... 4 rue Jacques Barbeu-Dubourg BP 4 53100 MAYENNE CEDEX
représentée par Maître Nicolas MENAGE, avocat au barreau de RENNES
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 09 Octobre 2012 à 14 H 00 en audience publique et collégiale, devant la cour composée de :
Madame Brigitte ARNAUD-PETIT, président Madame Anne DUFAU, assesseur Madame Elisabeth PIERRU, vice-présidente placée
qui en ont délibéré
Greffier lors des débats : Madame LE GALL, greffier
ARRÊT : du 19 Mars 2013, contradictoire, prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par madame Brigitte ARNAUD-PETIT, président, et par Madame LE GALL, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire. *******
FAITS ET PROCÉDURE
Mme Nicole X..., épouse Y..., a été embauchée par la société Georges Z... à compter du 9 juillet 1973 en qualité d'agent comptable administratif, poste qu'elle occupait encore dans le dernier état de la relation de travail. Elle avait la qualification d'employée, niveau 3, coefficient 170, de la convention collective nationale des industries charcutières.
La société Georges Z... est spécialisée dans la confection et la commercialisation de plats cuisinés.
Mme Y... a été placée en arrêt de travail à compter du 12 février 2008, situation qui a duré jusqu'au 30 juin 2009.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 13 mars 2009, Mme Y... a été convoquée à un entretien préalable en vue d'un licenciement, entretien fixé au 23 mars suivant, procédure qui n'a finalement pas eu de suite.
À l'occasion de la visite de reprise en deux examens, les 1er et 15 juillet 2009, le médecin du travail a déclaré Mme Y... " inapte définitive à son poste et à tous postes dans l'entreprise Z... ".
Mme Y... a été convoquée, à une date ignorée, à un entretien préalable en vue d'un licenciement, entretien qui s'est déroulé le 28 juillet 2009.
Mme Y... étant membre suppléant du comité d'entreprise, l'inspection du travail, visant notamment l'avis favorable émis le 4 août 2009 par les membres de la délégation unique du personnel réunis en comité d'entreprise, a autorisé son licenciement par décision du 24 septembre 2009.
Mme Y... a été licenciée, suivant courrier recommandé avec accusé de réception du 1er octobre 2009, pour " inaptitude à tous postes dans l'entreprise et impossibilité de reclassement ".
Mme Y... a saisi le conseil de prud'hommes de Laval le 9 avril 2010 aux fins que :- au principal, il soit dit que son licenciement procède d'un harcèlement moral de son employeur, qu'il soit annulé, et que la société Georges Z... soit condamnée à lui verser des dommages et intérêts à ce titre, outre l'indemnité compensatrice de préavis,- subsidiairement, le licenciement soit jugé sans cause réelle et sérieuse pour non-respect de l'obligation de reclassement, et que la société Georges Z... soit condamnée à lui verser une indemnité à ce titre, outre l'indemnité compensatrice de préavis,- infiniment subsidiairement, le harcèlement moral qui a conduit à son licenciement soit reconnu, et que la société Georges Z... soit condamnée à lui verser une indemnité à ce titre, outre l'indemnité compensatrice de préavis,- en tout état de cause, la société Georges Z... soit condamnée à lui verser la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Le conseil de prud'hommes, par jugement du 19 janvier 2011 auquel il est renvoyé pour l'exposé des motifs, a :- débouté Mme Y... de sa demande de dire et juger que son licenciement procède d'un harcèlement moral de son employeur,- débouté Mme Y... de sa demande de voir prononcer la nullité de son licenciement,- débouté Mme Y... de ses demandes de dommages et intérêts et d'indemnité compensatrice de préavis liées à la nullité de son licenciement,- débouté Mme Y... de ses demandes relatives au non-respect de l'obligation de reclassement par la société Georges Z...,- s'est déclaré compétent pour apprécier les fautes commises par l'employeur pendant la période antérieure au licenciement,- condamné la société Georges Z... à verser à Mme Y... 2 250 euros de dommages et intérêts pour l'attitude de harcèlement de M. Georges Z..., outre la somme de 400 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,- condamné la société Georges Z... aux entiers dépens.
Cette décision a été notifiée à Mme Y... et à la société Georges Z... le 20 janvier 2011.
Mme Y... en a formé régulièrement appel, par lettre recommandée avec accusé de réception postée le 4 février 2011.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Par conclusions enregistrées au greffe le 28 août 2012 reprises oralement à l'audience, ici expressément visées et auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé, Mme Nicole Y... sollicite l'infirmation du jugement déféré sur le seul point des dommages et intérêts alloués pour harcèlement moral, que ceux-ci soient portés à la somme de 40 000 euros, outre que la société Georges Z... soit condamnée à lui verser la somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle fait valoir que, si l'autorisation de licenciement accordée par l'autorité administrative ne lui permet plus de contester la cause ou la validité de son licenciement en raison d'un harcèlement moral, elle ne la prive pas du droit de demander réparation du préjudice qui est résulté de ce harcèlement. Elle expose qu'elle a toujours donné pleine satisfaction dans son travail ainsi qu'en témoignent ses collègues, que néanmoins, ses relations avec M. Z..., dirigeant de l'entreprise, qui n'étaient déjà pas aisées auparavant, sont devenues " insoutenables " après qu'elle ait été nommée, fin octobre 2007, membre suppléante au comité d'entreprise. M. Z... n'a pas cessé, ensuite, d'être " irrespectueux, désobligeant, humiliant " à son égard, tant oralement que par écrit, voire de tenir des propos " ouvertement à connotation sexuelle ", la relançant également à plusieurs reprises téléphoniquement alors qu'elle se trouvait en arrêt de travail, faisant ainsi intrusion dans sa vie privée. Ces faits, corroborés au surplus par des agissements similaires de M. Z... envers d'autres salariés de l'entreprise qui ont dû, comme elle, être déclarés inaptes par le médecin du travail et licenciés, sont, à l'évidence, constitutifs d'un harcèlement moral qui lui cause un préjudice qui doit être réparé en son intégralité.
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Par conclusions enregistrées au greffe le 3 octobre 2012 reprises oralement à l'audience, ici expressément visées et auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé, la société Georges Z... sollicite la confirmation du jugement déféré en ce qu'il a débouté Mme Nicole Y... de ses demandes consécutives à son licenciement, tant principale que subsidiaire, mais, formant appel incident, son infirmation pour le surplus. Dès lors, elle demande, d'une part, que le courrier du docteur A... soit écarté des débats, d'autre part, que Mme Y... soit déboutée de l'intégralité de ses prétentions, enfin, qu'elle soit condamnée à lui verser la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et supporte les entiers dépens.
Elle réplique, rappelant les règles de preuve en matière de harcèlement moral, que Mme Y... est dans l'allégation pure et simple, en ce que les pièces qu'elle verse aux débats sont, soit sans intérêt pour la solution du litige, soit relèvent d'une interprétation erronée de sa part, quand elles ne sont pas directement contredites par les éléments qu'elle-même produit. Elle indique, qu'" en réalité, Mme Y... qui ne se plaisait plus à son travail, parce que ses revendications professionnelles n'étaient pas satisfaites, a trouvé un moyen pour être licenciée ". Elle souligne, qu'en tout cas, la cour ne peut fonder sa conviction sur le courrier du docteur A..., en ce que, d'une part, ce praticien " manque à ses règles déontologiques car il n'a pas le droit sur le plan éthique d'affirmer que Mme Y... souffre de problèmes en lien avec des faits de harcèlement ", d'autre part, il se contente de rapporter les dires de Mme Y.... Subsidiairement, elle fait remarquer que les pièces fournies par Mme Y... afin de justifier de son préjudice sont sans rapport avec un éventuel harcèlement, outre que les calculs qui y figurent sont erronés.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Bien que l'appel de Mme Nicole Y... à l'encontre de la décision de première instance soit général, elle ne reprend devant la cour ni sa demande tendant à voir déclarer son licenciement nul, et à défaut sans cause réelle et sérieuse, ni ses réclamations financières subséquentes.
Dès lors, en l'absence de toutes prétentions de ces chefs de même que de tout moyen développé à l'appui, la société Georges Z... n'ayant pas non plus formé appel incident, les premiers juges seront confirmés en ce qu'ils ont débouté Mme Y... des demandes précitées.
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L'article L. 1152-1 du code du travail dispose : " Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ".
En cas de litige, les règles de preuve sont aménagées par l'article L. 1154-1 du même code qui précise : "... le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles ".
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Il n'est pas contestable, au regard de l'article L. 1154-1 susvisé, qu'il appartient au salarié qui se plaint d'être victime d'un harcèlement moral, d'établir la matérialité de faits précis et concordants constitutifs, selon lui, de ce harcèlement. Ce n'est qu'ensuite, qu'il appartient au juge d'apprécier si les faits, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral, et, dans l'affirmative, il incombe à l'employeur de prouver que les agissements dont s'agit ne relèvent pas d'un harcèlement, car justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
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Mme Y... déplore les comportements, en actes comme en paroles, qu'aurait eus M. Georges Z..., dirigeant de la société du même nom, à son endroit, révélateurs, dit-elle, d'un harcèlement moral.
Si les comportements d'un supérieur hiérarchique vis-à-vis d'un salarié peuvent caractériser un harcèlement moral du salarié, encore faut-il qu'ils s'adressent au salarié qui se dit victime d'un tel harcèlement. Par conséquent, les pièces que verse Mme Y..., sans lien avec sa personne, n'ont pas lieu d'être prises en compte au soutien du harcèlement moral qu'elle allègue.
Dès lors, ne seront retenues, comme illustrant les comportements dont elle se plaint, que les pièces ci-après :- le certificat que lui a établi le docteur B..., médecin généraliste, le13 avril 2007,- le courrier de M. Z... à son intention, avec copie jointe à trois autres salariés de l'entreprise, accompagné de la copie d'un article de journal, en date du 11 janvier 2008,- la lettre en date du 9 février 2008 qu'elle a envoyée à l'inspection du travail,- le certificat que lui a établi le docteur B..., le11 février 2008,- le courrier recommandé avec accusé de réception en date du 19 mai 2008 qu'elle a adressé à M. Z...,- la lettre en réponse de M. Z... en date du 4 juin 2008,- un courrier du docteur A..., médecin attaché au service de pathologie professionnelle du Centre hospitalier universitaire d'Angers, au docteur C..., médecin du travail, en date du 25 juillet 2008,- les avis d'inaptitude délivrés par le docteur C..., les 1er et 15 juillet 2009, avec copie à l'entreprise,- les compte rendus des réunions du comité d'entreprise et des délégués du personnel des 31 mars et 26 mai 2009, réunions auxquelles M. Z... était présent,- les attestations de Mme D..., de Mlles Y... Aurélie et Virginie, de M. Y... Gérard, de M. X..., de Mme Y... Dominique, de Mme E... et de Mme F...,- le document non daté, intitulé " aide-mémoire de Mme Y... ".
Il résulte des dites pièces un certain nombre de faits précis et concordants relatifs aux comportements dénoncés par Mme Y..., qui permet de présumer l'existence du harcèlement moral dont elle se prévaut.
Il n'y a pas lieu, en tout cas, d'écarter des débats le courrier du docteur A..., les critiques qui sont faites n'ayant trait qu'à la force probante qui doit, ou non, lui être conférée, point qui relève de l'appréciation de la cour.
De même, ce n'est pas parce que certaines des attestations versées émanent de la famille, même très proche, de Mme Y..., qu'elles ne doivent pas faire l'objet d'un examen, la question étant, là aussi, de la force probante à leur accorder.
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M. Z... se défend de tout harcèlement moral à l'encontre de Mme Y..., accusation qu'il dit non fondée et, au surplus, opportuniste car s'inscrivant à la suite de revendications professionnelles qu'il n'avait pas satisfaites.
Quant à cet " opportunisme ", M. Z... produit une lettre que lui a fait parvenir Mme Y... le 13 avril 2007, libellée en ces termes : " Patricia, agent de maîtrise aux magasins, est tombée malade le... 23 janvier 2007. J'ai donc fait le minimum de son travail et le mien jusqu'au 25 janvier car je partais le 26 janvier en vacances. Reprenant le mardi 6 février, j'apprends que l'arrêt de travail est prolongé jusqu'à ce qu'elle parte en congés maternité. On me donne l'ensemble de son travail à faire et le mien à charge pour moi de rattraper les retards accumulés sur les deux postes. Je ne prends donc plus mes temps de pause car j'évite de faire des heures supplémentaires.... Simple employée, je dois donc faire mon travail plus le travail d'un agent de maîtrise... Je vous ai rencontré le samedi 17 février. Je vous ai exposé ces problèmes, et vous ai dit ne pouvoir tout faire. Vous m'avez répondu " Je vais voir le problème ". J'ai signalé également ces problèmes à P... G... (Directeur comptable et financier) qui s'est contenté de répondre " J'ai posé la question à G... Z... et je n'ai pas de réponses " M. G... est le directeur administratif et financier de l'entreprise et, suivant l'organigramme fourni par la société, l'un des bras droits du dirigeant. Il me conseille de déléguer. Étant la seule employée de service, pouvez-vous me dire comment je peux donner des ordres à des agents de maîtrise ou à des cadres ? A maintes reprises (avril 2006....) je vous ai signalé que mon taux horaire avait baissé de 2 centimes à dater du 1er octobre 2005, à chaque fois on m'a répondu " je fais le nécessaire et je te tiens informé ". A ce jour, rien ne m'a été précisé, aussi je souhaite que vous m'adressiez par écrit la justification de cette baisse de salaire..... ".
M. Z... indique lui-même ne pas avoir donné suite à ce qu'il baptise " revendications professionnelles ".
Il ne justifie, ni même n'allègue d'ailleurs, qu'il aurait formalisé ce refus sous une forme quelconque après le 13 avril 2007, soit dans un entretien avec Mme Y..., soit dans un courrier à son intention.
Or, Mme Y... évoque une telle attitude d'absence de réponse comme une attitude générale de M. Z... à son égard, et il n'est pas sérieux du côté de M. Z... d'écrire, à l'occasion des propos qui lui sont prêtés le 4 février 2008 (cf infra), que " les fonctions de Mme Y... et la localisation de son bureau ne l'amenaient pas à côtoyer fréquemment ou régulièrement M. Z... ", alors que M. Z... est chef d'entreprise et comme tel appelé à gérer ses salariés, si ce n'est directement, au moins par l'intermédiaire de leur supérieur hiérarchique plus ou moins immédiat. Le courrier précité du 13 avril 2007 appelait, à l'évidence, une réponse de la part du dirigeant, tenu d'exécuter le contrat de travail de manière loyale à l'égard de sa salariée, tout comme d'assurer sa santé au travail (articles L. 1222-1 et L. 4121-1 du code du travail). La rémunération, contrepartie du travail fourni par le salarié, forme l'un des socles du contrat de travail, et aucune modification ne peut y être apportée, sans qu'elle ne reçoive l'aval préalable du salarié concerné. Interpellé par Mme Y... sur les conditions de sa rémunération, il revenait à M. Z... de lui apporter ou de lui faire apporter réponse, même si cette dernière était négative. De même, outre que Mme Y... demande des consignes claires, ce qui apparaît le minimum alors qu'elle a le statut d'employé, elle se plaint d'une charge de travail indue, qui la conduit à ne plus respecter les temps de pause obligatoires, et outre d'être illégal, est susceptible de souffrance au travail et de potentielle atteinte à sa santé. Il appartenait également à M. Z..., interpellé de ces chefs, de prendre ou de faire prendre des dispositions.
Pour illustrer encore le comportement de M. Z... ainsi visé par Mme Y..., il convient de se reporter à la lettre qu'elle lui adresse le 19 mai 2008,- elle est en arrêt maladie depuis le 12 février précédent-, dans laquelle elle lui indique qu'elle ne souhaite plus qu'il lui téléphone pour prendre de ses nouvelles ; elle écrit : "... je ne comprends pas que vous ayez le temps de téléphoner, car à toute chose il y a un ordre. En effet, en 2007, je vous ai adressé différents courriers et vous ne m'avez donné aucune réponse. A différentes reprises, lorsque je vous croisais vous me disiez « je vais te recevoir mais pour l'instant je suis débordé » vous m'avez même dit « je te donnerai une réponse pour le 31 décembre 2007 » mais toujours rien. Je ne comprends pas pourquoi vous voulez me rencontrer maintenant que je suis malade alors que, quand je suis au travail vous m'ignorez.... ".
M. Z..., dans sa réponse à ce courrier, le 4 juin 2008, d'une part, revendique sa place de chef d'entreprise et de gestionnaire de son personnel, en droit par conséquent de connaître les raisons de l'absence de sa salariée et donc de lui téléphoner (cf infra), d'autre part, déclare relativement à l'absence de suite de sa part aux demandes qu'elle émettait : "... Oui, j'envisageais de t'inviter à faire le point sur un bilan de compétences mais ton comportement et tes langueurs étaient aussi forts que la densité de mon travail. Ce que je n'accepte pas, c'est de te voir manipuler et déformer systématiquement ce que tu vois ou ce que tu entends dans l'entreprise. Je souhaitais te rencontrer parce que l'évidence crève les yeux, et c'est pour faire le point sur ton comportement qui reste énigmatique.... ".
De cet échange de correspondances, deux éléments ressortent, à savoir que, M. Z... ne dénie aucunement son silence persistant par rapport aux demandes que pouvaient lui faire sa salariée, et que, s'il invoque sa charge de travail, cette dernière n'est pas déterminante de cette absence de réponse ; ce silence apparaît purement réactionnel, et à ce qu'il appelle les " langueurs " de Mme Y..., et à la manipulation ainsi qu'à la déformation systématiques qu'il lui prête à l'intérieur de l'entreprise, sans que soient explicitées, dans les deux cas, les situations exactes auxquelles il fait allusion. À l'évidence, M. Z... ne se situe plus dans une relation chef d'entreprise/ salariée, qui se doit d'être exempte de toute subjectivité comme de toute personnalisation, abusant, au contraire, de sa position de chef d'entreprise, tant pour se permettre des jugements " de principe " à l'endroit de la dite salariée, même dans l'accusation grave, que pour ne pas traiter ou faire traiter des demandes de la même qui se situent pourtant dans le domaine de l'exécution de la relation de travail, ainsi la mise en oeuvre de la formation professionnelle continue à laquelle, cependant, il est astreint (articles L. 6311-1 et suivants du code du travail).
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Dans le même registre selon lequel Mme Y... colporterait au sein de l'entreprise des éléments qui n'ont pas lieu d'être, le 11 janvier 2008, M. Z... adresse à Mme Y..., avec copie jointe de ce courrier à trois autres salariés dont le directeur administratif et financier, une lettre, à laquelle il annexe l'article auquel il fait référence ; il écrit : "... J'ai pensé à toi en relisant l'article de Sciences et Vie « épidémie fantôme »...... Tu es femme avisée et sage, ce serait grand dommage de te voir enfourcher les étalons de la médisance pour faire croire aux gens que tout est grave, tout est révoltant, tout est abominable... Non, tu vaux mieux que cela, et je suis sûr que tu rendrais un service immense à ton entourage en réfléchissant sur les conséquences d'un bavardage qui risque de traumatiser les inquiets, les stressés, les déprimés... ".
De nouveau, M. Z... n'est plus à sa place de chef d'entreprise/ salariée, d'autant que, diffusant le contenu de son écrit à trois autres salariés de la société, il manque à son obligation d'exécuter le contrat de travail loyalement. L'employeur doit, en effet, se garder d'avoir un comportement humiliant ou vexatoire à l'égard de son personnel, de même qu'il doit faire en sorte que les salariés aient une attitude respectueuse entre eux. En se permettant de porter un jugement sur la personne de sa salariée, tout comme en en faisant connaître le contenu à d'autres personnes de l'entreprise, appelées à travailler avec Mme Y..., en position hiérarchique directe même à son égard, il est à l'évidence source d'une déstabilisation de sa salariée sur le lieu de travail.
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Mme Y... se plaint également de ce que M. Z..., entrant dans son bureau le 4 février 2008 avec le directeur administratif et financier, M. G..., lui aurait dit " tu suces ", ce qui l'a " horrifiée " indique-t'elle dans son courrier à l'inspection du travail du 9 février 2008 par lequel elle dénonce les faits. M. Z... se défend, et s'est toujours défendu, d'avoir pu tenir de tels propos.
Mme Y... avait ajouté que, se rendant le lendemain dans le bureau de M. G..., elle avait trouvé ce dernier racontant ces faits à la secrétaire de direction ; selon elle, il lui aurait conseillé de déposer plainte ; elle lui aurait alors demandé s'il accepterait de témoigner si elle le faisait, celui-ci il lui ayant répondu qu'il verrait, qu'elle dépose plainte déjà. M. G... a fourni une attestation à M. Z..., dans laquelle il mentionne, d'une part, n'avoir pas entendu ces propos de la part de M. Z..., en avoir été informé le lendemain par Mme Y... elle-même, la secrétaire de direction n'étant pas alors présente, d'autre part, qu'il ne lui a jamais conseillé de déposer plainte, pas plus qu'il ne lui aurait dit qu'il pourrait témoigner. M. Z... souligne aussi que l'inspection du travail n'a pas donné suite à la lettre de Mme Y....
Le compte rendu de la réunion du comité d'entreprise et des délégués du personnel du 31 mars 2009, réunion qui avait eu lieu lors de l'engagement de la première procédure de licenciement à l'encontre de Mme Y..., est rédigé en ces termes, après qu'il ait été exposé le motif de la réunion, soit l'éventuel licenciement de Mme Y... : " REPONSE DE NICOLE Y... Ce n'est pas habituel de se retrouver au centre d'une procédure de licenciement alors que je suis victime de cette mesure, de devoir me justifier devant le CE. Lors de l'entretien du 23 mars 2009 en présence de Laurent H..., Pierre G... m'a dit qu'il n'y avait pas de licenciement d'envisagé. Contexte personnel : mes absences sont justifiées par mes problèmes de santé et par les arrêts successifs de mon médecin. Je ne peux savoir à l'avance comment va se dérouler la suite. Je n'ai pas le pouvoir d'interroger une boule de cristal. (Applaudissements de Georges Z...) Contexte professionnel :- pression due à une surcharge de travail, à la modification unilatérale des conditions de travail, non paiement des heures supplémentaires,- harcèlement : les propos tenus par Georges Z... « tu suces » m'ont profondément déstabilisée. Je ne me sens pas encore capable, de reprendre mon poste et je ne peux pas non plus dire quand je pourrais le reprendre. Quelle que soit la décision du CE, je regrette vivement de finir ma carrière de cette manière. Georges Z... félicite Nicole Y... : " on appelle çà cracher son fiel ! " Georges Z... s'interroge quand Nicole Y... parle de harcèlement (pour qui, pour quoi ?). Pierre G... informe qu'un entretien préalable est un entretien où t'employeur doit recueillir les informations concernant l'employé avant de prendre une décision. Georges Z... souhaiterait avoir un exemplaire de la réponse de Nicole Y... car « il serait normal que les membres reçoivent un exemplaire du document que tu t'es bornée à lire ! Offre au C. E. un moyen de lire. Quant au vocabulaire, je ne renie rien » ". M. Z... n'a certes pas signé ce compte rendu, qui laissait à penser qu'il aurait pu y reconnaître avoir tenu les propos qui lui sont prêtés par Mme Y....
Il a réitéré ce refus lors de la réunion du comité d'entreprise et des délégués du personnel du 26 mai 2009, parlant de " volonté de délation patente... et d'allégations diffamatoires ", et précisant qu'il " entend conserver sa liberté de langage et de parole, et personne ne l'a jamais entendu tenir ce genre de propos (atteinte à la personne) ".
M. Z... avait fait allusion à ces paroles dans sa lettre du 4 juin 2008 à Mme Y..., libellée comme suit : " Avec une mémoire d'éléphant que sans doute je n'ai pas acquise, tu glisses un mot marrant c'est « tu suces » ? Quel est ce fantasme ? Est-ce qu'à l'origine tu pensais à un film « X » ? À un crayon ? À la sucette d'un gamin ? Cette suspicion m'intrigue et je ne veux pas que les choses en restent là, à plus forte raison parce que tu t'estimes avoir été choquée et déstabilisée. Où avais-tu la tête exactement ?... ".
S'il n'est pas niable, de l'ensemble des éléments qui viennent d'être exposés, qu'un doute persiste sur la réalité des dits propos, il demeure, au vu de ce dernier courrier du 4 juin 2008, que M. Z... démontre, à nouveau, son impossibilité à rester à sa stricte place de chef d'entreprise/ salariée, dans une interpellation de Mme Y... pour le moins inadéquate, aussi bien dans l'insistance mise que dans les termes employés, en contradiction avec son obligation de loyauté dans l'exécution du contrat de travail.
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La même insistance de la part de M. Z... se retrouve dans les messages laissés sur le téléphone de Mme Y..., dont il n'a pas contesté la teneur :- " Jeudi 6 mars 2008, 13h05- Coucou, je souhaitai prendre de tes nouvelles, bon l'oiseau est sorti de la cage, tant pis comme je suis en zone, je suis allé voir,- Mercredi 19 mars 2008, 14 h16- Oui bonjour, Georges Z... je venais te saluer, prendre de tes nouvelles et le cas échéant te faire une petite visite, bon c'est pas le moment-Salut repose toi,- Samedi 17 mai 2008, 11 h 18- Oui bonjour, je venais prendre de tes nouvelles tout simplement Georges Z..., j'ai tenté à maintes reprises de t'avoir, curieusement ça ne répond jamais, voilà bon ben je recommencerai ou tu m'appelles Salut ".
M. Z... fait valoir que ses appels étaient justifiés, aux motifs que Mme Y... a quitté la société précipitamment le 11 février 2008 sans s'expliquer, ni auprès de M. G..., ni auprès de lui, ne s'est pas mise ensuite en relation téléphonique avec l'entreprise, faisant déposer ses arrêts de travail, qu'il lui fallait quand même pouvoir aviser de la gestion à apporter à cette situation, en termes de personnel et de répercussion sur la bonne marche de l'entreprise.
Il est certain qu'il appartient au salarié malade de :- prévenir l'employeur de son absence le plus rapidement possible,- justifier de son état en faisant parvenir à l'employeur un certificat médical précisant les dates de l'arrêt de travail dans les délais prescrits, le plus souvent dans les 48 heures,- tenir l'employeur informé de l'évolution de sa maladie et lui transmettre les certificats de prolongation de ses arrêts de travail.
S'il n'est pas contestable, ni contesté, que Mme Y... s'est acquittée de ses obligations vis-à-vis de la société Georges Z... pour ce qui est des certificats médicaux d'arrêt de travail et de prolongation d'arrêt de travail qu'elle faisait déposer par son mari, en revanche, effectivement, elle ne dément pas ne pas avoir joint son employeur afin de le tenir informé.
Ce point a d'ailleurs été souligné par M. G... lors de la réunion du comité d'entreprise et des délégués du personnel du 31 mars 2009 : " la société a besoin de savoir combien de mois d'absence sont encore à venir... et souligne un " comportement anormal " quand on ne veut pas répondre aux questions (quand il les lui a posées lors de leur rencontre du 23 mars 2009 premier entretien préalable en vue d'un licenciement) ".
Il n'empêche que, là où il peut être parlé d'insistance mal fondée de la part de M. Z..., sans relation avec ses responsabilités de chef d'entreprise et les devoirs réciproques de la salariée en matière d'information à l'égard de l'entreprise, mais bien dans une relation à caractère personnel qui n'a pas lieu d'être, c'est déjà dans les termes employés à l'occasion des messages laissés, qui ne se situent pas dans cette dimension employeur/ salariée, mais surtout dans le dernier appel téléphonique et dernier message de M. Z... à Mme Y... le 17 mai 2008. Cet appel vient, en effet, après la tenue du comité d'entreprise et des délégués du personnel du 31 mars 2009 précité, dans le contexte particulier, et d'une procédure de licenciement engagée contre Mme Y..., et dans l'échange pour le moins vif qui avait eu lieu lors de cette réunion, M. Z... n'hésitant pas à interpeller plusieurs fois Mme Y..., sans la distance et l'usage du vocabulaire que nécessite justement sa fonction de chef d'entreprise.
Il a été rretranscrit précédemment une partie de cette réunion ; y seront ajoutés les échanges ci-après, dont la teneur n'a pas été démentie par M. Z... lors de la réunion suivante du comité d'entreprise et des délégués du personnel du 26 mai 2009, et même s'il a refusé de signer le compte rendu de la réunion du 31 mars 2009 : "... Georges Z... interpelle Nicole Y... en lui disant qu'elle est menteuse et maligne en proférant des propos malhonnêtes. Nicole Y... répond que le passage des 41 heures à 39 heures s'est effectué de façon unilatérale et qu'elle a effectué à l'époque des heures supplémentaires non rémunérées. Georges Z... s'en étonne et rétorque : " On ne va pas faire les naïfs Pierre G... et moi. Attention, nous sommes tous nominés et tu avances des affirmations non fondées qui devront être justifiées et qui pourraient demander réparation tout du moins morales. Tu ne veux pas nous informer de tes problèmes de santé et tu ne veux pas nous répondre ". Pierre G... dit que la société a besoin de savoir... (cf supra) ".
Dans ces conditions, et d'autant que la société Georges Z... pouvait recourir à une contre-visite (article L. 1226-1 du code du travail), qui certes n'aurait pas conduit à ce que M. Z... bénéficie d'une information personnelle sur la maladie qui valait à Mme Y... d'être en arrêt de travail, mais aurait permis d'attester de la réalité, ou non, de la nécessité d'un tel arrêt de travail, la nouvelle intervention de M. Z... auprès de Mme Y..., le 17 mai 2008, apparaît aussi mal venue que non fondée, là encore en violation de l'obligation de loyauté qu'impose l'exécution du contrat de travail.
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L'ensemble de ces comportements, signes d'une déloyauté manifeste dans l'exécution du contrat de travail, ne serait-ce qu'au regard de l'irrespect global de la salariée qu'il dénote, caractérise le harcèlement moral de la société Georges Z... à l'encontre de Mme Y..., au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail précité.
Effectivement, ces agissements répétés ont eu pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité ainsi que d'altérer sa santé physique ou mentale.
Témoignent sans conteste de cette dégradation et des conséquences de celle-ci :- les certificats du docteur B..., le premier en date du 13 avril 2007 qui relève un " retentissement psychologique nécessitant la mise en route d'un traitement ", et le second du 11 février 2008 qui atteste d'un " état de santé nécessitant une prise en charge thérapeutique ",- le compte rendu du docteur A... en date du 25 juillet 2008 qui note que " Mme Y... n'est pas aujourd'hui dépressive, mais les conséquences somatiques sont déjà suffisamment importantes pour légitimer une inaptitude médicale à reprendre le travail dans cette entreprise ",- les fiches d'inaptitude au travail au sein de l'entreprise délivrées par le médecin du travail à Mme Y... les 1er et 15 juillet 2007, le praticien faisant directement référence, dans la première, à ses entretiens, par deux fois, avec le directeur administratif et financier de l'entreprise, à la consultation du docteur A..., et à ses propres examens médicaux de Mme Y....
Certes, les docteurs B... et A... rapportent les propos de Mme Y... sur le fait qu'elle ait des difficultés dans son travail, et le docteur A... sur la nature de ces difficultés. Il n'empêche que le docteur B..., étant le médecin généraliste de Mme Y..., alors que sa patiente a connu de sérieux problèmes de santé que rappelle d'ailleurs la société Georges Z... et dont il est fait mention dans le compte rendu du docteur A..., est particulièrement à même de se prononcer, du fait de cette connaissance antérieure de Mme Y... et des difficultés que celle-ci a traversées. Ce médecin diagnostique, clairement, un état de santé psychologique affecté, impliquant une prise en charge, faisant le rapport entre cet état et les doléances de sa patiente par rapport à sa vie professionnelle. Le médecin du travail est tout aussi à même, lui de par sa connaissance précise de la société Georges Z... et de ce qu'il voit de l'état de santé de Mme Y... par le truchement des examens auxquels il procède parallèlement, appuyé également par le docteur A..., spécialiste hospitalier en pathologie professionnelle, de faire la relation entre cet état de santé et le milieu du travail.
Viennent également au soutien de ces constatations médicales, les appréciations des proches de Mme Y...,- son mari, ses filles, son frère, sa belle-soeur, une amie-, sur les suites finalement positives de la rupture de son contrat de travail avec la société Georges Z... quant à son état de santé, à savoir qu'elle a " repris goût à la vie ".
La décision des premiers juges qui a reconnu le harcèlement moral dont Mme Y... avait été victime est, par conséquent, confirmée.
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Ayant subi un harcèlement moral dans son entreprise, Mme Y... est en droit d'en obtenir réparation.
Il lui a été alloué la somme de 2 250 euros de dommages et intérêts à ce titre. Elle réclame 40 000 euros.
Toutefois, la majorité des pièces qu'elle verser pour justifier de cette demande a trait au licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement qui est intervenu, et qui ayant été autorisé par l'inspection du travail, du fait de sa qualité de représentante du personnel, ne peut plus être contesté.
La cour trouve néanmoins en la cause, ne serait-ce que dans les faits en eux-mêmes et le retentissement qu'ils ont eus sur l'état de santé de Mme Y..., les éléments qui lui permettent de fixer le montant des dommages et intérêts qui lui sont dûs par la société Georges Z... à la somme de 5 000 euros, infirmant sur ce point le jugement déféré.
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La décision des premiers juges est confirmée pour ce qui est des frais irrépétibles et des dépens.
Mme Y..., par application de l'article 700 du code de procédure civile, est accueillie pour partie en sa demande au titre de ses frais irrépétibles d'appel, la société Georges Z... étant condamnée à lui verser la somme de 2 000 euros de ce chef, elle-même étant déboutée de sa demande sur ce point.
La société Georges Z... est condamnée aux entiers dépens de l'instance d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement et contradictoirement,
Dit n'y avoir lieu à écarter des débats le courrier du docteur A...,
Confirme le jugement entrepris, hormis sur le montant des dommages et intérêts alloués au titre du harcèlement moral,
Statuant à nouveau de ce seul chef et y ajoutant,
Condamne la société Georges Z... à verser à Mme Nicole Y... la somme de 5 000 euros de dommages et intérêts pour harcèlement moral,
Condamne la société Georges Z... à verser à Mme Nicole Y... la somme de 2 000 euros au titre de ses frais irrépétibles d'appel,
Déboute la société Georges Z... de sa demande du même chef,
Condamne la société Georges Z... aux entiers dépens de l'instance d'appel.