COUR D'APPEL d'ANGERS Chambre Sociale
ARRÊT N clm/ jc
Numéro d'inscription au répertoire général : 11/ 02832.
Jugement Au fond, origine Conseil de Prud'hommes-Formation paritaire du MANS, décision attaquée en date du 21 Octobre 2011, enregistrée sous le no 10/ 00514
ARRÊT DU 25 Mars 2014
APPELANT :
Monsieur Paul X...... 72000 LE MANS
représenté par Maître C. FORGET, avocat substituant Maître Pierre LANDRY de la SCP LANDRY ET PAUTY, avocats au barreau du MANS
INTIMEE :
LA SARL PORTLAND 7 rue du Port 72000 LE MANS
représentée par Maître V. COMTE, avocat substituant Maître Alain PIGEAU de la SCP MEMIN-PIGEAU, avocats au barreau du MANS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 03 Décembre 2013 à 14H00, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Catherine LECAPLAIN MOREL, président chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Catherine LECAPLAIN MOREL, président Madame Anne DUFAU, conseiller Madame Anne LEPRIEUR, conseiller
Greffier lors des débats : Madame LE GALL, greffier Greffier lors du prononcé : Madame BODIN, greffier.
ARRÊT : prononcé le 25 Mars 2014, contradictoire et mis à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame LECAPLAIN-MOREL, président, et par Madame BODIN, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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FAITS ET PROCÉDURE :
Suivant contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel du 1er septembre 2000 à effet au même jour, la société PORTLAND, qui exploite une discothèque au Mans sous l'enseigne " Le Monte Cristo " et emploie habituellement moins de 11 salariés (en l'occurrence : 9 salariés), a embauché M. Paul X...en qualité de portier pour une durée hebdomadaire de travail de 22 heures répartie du mardi au samedi inclus.
La durée de travail et sa répartition ont été modifiées aux termes de trois avenants des 30 décembre 2000, 22 décembre 2003, 24 novembre 2006. Dans le dernier état de la relation de travail, aux termes de l'avenant conclu le 6 mai 2009 à effet au 13 mai suivant, il était convenu que la durée hebdomadaire de travail de M. Paul X...serait de 18 heures répartie du mercredi au samedi inclus. Au moment de la rupture, le salarié bénéficiait d'un salaire brut mensuel d'un montant de 903, 94 ¿.
Après avoir été, par lettre du 9 novembre 2009, convoqué à un entretien préalable fixé au 20 novembre suivant en vue de son éventuel licenciement, par courrier recommandé du 27 novembre 2009 libellé dans les termes suivants, M. Paul X...s'est vu notifier son licenciement pour cause réelle et sérieuse : " Monsieur, A la suite de notre entretien du 20 novembre 2009 à 00h00, nous avons décidé de vous licencier pour les raisons suivantes : Dans la nuit du vendredi 17 au samedi 18 octobre 2009, j'ai pu constater que vous étiez en état d'ivresse sur votre lieu et sur votre temps de travail. Malheureusement ce n'est pas la première fois que cela se produit. En effet, notamment le 31 octobre dernier, je vous en ai fait le reproche verbalement. Puis je vous surprends dans la nuit du 7 au 8 novembre 2009 en train de consommer un verre de whisky au bar en compagnie d'un client. Vous avez, par ailleurs, ce même soir, devant l'ensemble des salariés, eu des propos désobligeants à mon égard. Vous n'êtes pas sans savoir qu'un tel comportement porte préjudice à la bonne image de la discothèque et que nous ne pouvons tolérer de tels agissements. Par conséquent, nous avons décidé de vous licencier pour cause réelle et sérieuse. Votre préavis d'une durée de deux mois, que nous vous dispensons d'effectuer, débutera à la première présentation de cette lettre. A l'issue, vous cesserez de faire partie des effectifs de l'entreprise. ".
Après avoir protesté contre ces griefs par lettre du 27 janvier 2010, le 13 septembre suivant, M. Paul X...a saisi la juridiction prud'homale pour contester son licenciement et obtenir le paiement de la somme de 10 000 ¿ à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Après procès-verbal de partage de voix du 25 mai 2011, par jugement rendu en formation de départage le 21 octobre 2011, le conseil de prud'hommes du Mans a débouté M. Paul X...de l'ensemble de ses prétentions et l'a condamné aux dépens, chaque partie conservant la charge de ses frais irrépétibles.
M. Paul X...est régulièrement appelant de ce jugement.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :
Vu les conclusions et observations orales des parties à l'audience des débats du 3 décembre 2013 auxquelles il est renvoyé pour l'exposé détaillé des prétentions et moyens présentés ;
Vu les conclusions enregistrées au greffe le 30 avril 2013, régulièrement communiquées, et reprises oralement à l'audience sauf pour M. Paul X...à indiquer que, sa plainte pénale pour faux témoignages ayant été classée sans suite par le procureur de la République le 03/ 12/ 2013 au motif que l'infraction n'était pas suffisamment caractérisée, il abandonne sa demande de sursis à statuer et demande seulement à la cour d'infirmer le jugement entrepris, de déclarer son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et de condamner la société PORTLAND à lui payer de ce chef la somme de 10 000 ¿ à titre de dommages et intérêts, sans préjudice de celle de1500 ¿ en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et de sa condamnation aux dépens, l'intimée étant déboutée de toutes ses prétentions.
A l'appui de sa demande l'appelant fait valoir que :- les attestations produites par la société PORTLAND ne sont pas probantes en ce que, notamment, elles sont stéréotypées, étant observé que certaines d'entre elles ont été établies antérieurement à l'engagement de la procédure de licenciement ce qui révèle une faculté certaine d'anticipation, et elles sont contredites par les témoignages qu'il verse aux débats lesquels mettent en outre en lumière une source de différend né entre lui et son employeur tenant au fait que, peu avant la rupture, il avait fait connaître à ce dernier qu'il n'entrait pas dans ses fonctions de faire le ménage des locaux après la fermeture sans être rémunéré ;- en vertu des dispositions de l'article L. 1235-1 du code du travail, le doute doit lui profiter et les griefs invoqués doivent être appréciés à la lumière de son ancienneté. ;
Vu les conclusions enregistrées au greffe le 29 novembre 2013, régulièrement communiquées et reprises oralement à l'audience aux termes desquelles la société PORTLAND demande à la cour de débouter M. Paul X...de son appel et de l'ensemble de ses prétentions, de confirmer le jugement entrepris et de condamner l'appelant à lui payer la somme de 1500 ¿ en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
L'employeur rétorque en substance que le licenciement de M. Paul X...est fondé sur trois séries de faits commis respectivement dans la nuit du 17 au 18 octobre 2009, le soir du 31 octobre 2009 et dans la nuit du 7 au 8 novembre 2009, tenant en la consommation d'alcool au temps et au lieu du travail ayant pu générer une attitude agressive à l'égard des clients et que ces attitudes réitérées, incompatibles avec l'exercice de ses fonctions, dont la matérialité est démontrée par les témoignages produits, et vraisemblablement motivée par le fait que le salarié avait déjà fait le choix d'aller exercer son activité de portier dans un autre établissement du Mans, justifient la mesure prononcée.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Attendu que la lettre de licenciement fixe les termes du litige ; qu'en l'espèce, aux termes du courrier du 27 novembre 2009, il est reproché à M. Paul X...d'avoir :- été vu en état d'ivresse sur son lieu de travail et au temps du travail dans la nuit du 17 au 18 octobre 2009,- été à nouveau en état d'ivresse le soir du 31 octobre 2009, l'employeur lui en ayant alors fait le reproche verbalement,- consommé un verre de whisky au bar en compagnie d'un client dans la nuit du 7 au 8 novembre 2009 et tenu ce même soir des propos désobligeants à l'égard de son employeur ;
Attendu qu'à l'appui des premiers faits, l'intimée verse aux débats les attestations établies entre le 24 et le 26 octobre 2009 par trois clients (MM. Y..., Z...et A...) qui indiquent avoir vu M. Paul X..., le 17 octobre 2009, boire des verres de whisky avec des clients installés à une table voisine de la leur ; que ces témoins ne mentionnent ni qu'il se serait trouvé, ce soir là, en état d'ivresse, ni qu'il se serait montré agressif ou incorrect en gestes ou en propos ; que, si les témoins MM. B...et C...font état de propos incorrects et d'une attitude agressive de la part du salarié à leur égard en fin de soirée, en les attribuant à sa consommation d'alcool, d'une part, ils se contentent de ces termes généraux sans préciser en quoi auraient consisté ces propos et attitudes alors pourtant qu'ils ont attesté dès le 29 octobre 2009, d'autre part, à les supposer avérés, l'employeur ne peut pas utilement se prévaloir de ces propos incorrects et attitudes agressives dans le cadre de la présente instance dans la mesure où ils ne les a pas invoqués dans la lettre du 27 novembre 2009 pour fonder le licenciement ;
Attendu que, s'agissant des faits du 31 octobre 2009, l'employeur verse aux débats les attestations de 4 clients, d'une part, MM. D...et E...qui relatent avoir vu ce soir là le salarié boire du whisky à une table avec des clients et avoir entendu le patron lui en faire le reproche en lui disant qu'il fallait que cela cesse, d'autre part, Melles Biaud et Banié, lesquelles indiquent avoir vu le salarié boire du whisky à une table avec des clients, la première ajoutant qu'il se serait montré agressif à l'égard d'autres clients pour les faire sortir de la discothèque en fin de soirée ; que, toutefois, ces prétendus faits d'agressivité, évoqués par ce seul témoin, ne peuvent en tout état de cause pas être retenus en ce qu'ils ne sont pas invoqués à l'encontre du salarié aux termes de la lettre de licenciement ; Qu'aucun de ces témoins n'indique avoir vu M. Paul X...en état d'ivresse ;
Attendu que, s'agissant de la nuit du 7 au 8 novembre 2009, les faits invoqués par la société PORTLAND aux termes de la lettre de licenciement sont strictement limités à la consommation d'un verre de whisky au bar avec un client et à des propos désobligeants envers l'employeur ; Attendu qu'au titre de ce troisième épisode, ce dernier verse tout d'abord aux débats les témoignages de MM. F...et G..., établis les 17 et 27 novembre 2010, lesquels relatent tous deux des faits qu'ils datent du 7 novembre 2010, le premier indiquant avoir vu ce jour là le salarié boire des whisky à une table voisine de la sienne pendant une bonne partie de la soirée, le second relatant quant à lui l'avoir vu boire du whisky au bar avec un client qu'il avait l'air de bien connaître ; que ces deux attestations ne peuvent pas être considérées comme probantes en ce qu'elles relatent des faits prétendument constatés par les témoins à une date à laquelle l'appelant ne travaillait plus au sein de la discothèque " Le Monte Cristo " ; qu'en outre, les prétendus faits ayant consisté de la part du salarié à boire ce soir là du whisky à une table voisine de celle du témoin ne peuvent pas être utilement retenus dans le cadre de la présente instance dès lors qu'ils ne sont pas invoqués pour fonder le licenciement ; Que la société PORTLAND produit également les attestations laconiques et stéréotypées de 4 clients (Melle H..., MM. I..., J...et K......) qui relatent avoir vu M. Paul X...boire plusieurs verres de whisky avec un client qui avait une bouteille de whisky au bar ;
Attendu qu'aucun de ces six témoins ne fait état de propos désobligeants tenus ce soir là par le salarié à l'égard de son employeur ; que la preuve de la matérialité de ce grief fait donc défaut ;
Qu'il ressort de ces éléments qu'aucune des attestations produites, toutes rédigées en termes généraux et stéréotypés, sans circonstancier aucun fait ni relater aucun propos précis, ne permet, contrairement aux termes de la lettre de licenciement, de caractériser que le salarié se serait trouvé en état d'ivresse sur son lieu de travail aux dates mentionnées dans la lettre de licenciement ;
Qu'elles sont en outre contredites par les nombreux témoignages de clients ou de collègues de travail qui ont connu M. Paul X...sur de longues périodes et qui attestent ne l'avoir jamais vu en état d'ivresse, ni consommer d'alcool pendant le travail et avoir constaté que, lorsqu'un verre lui était offert, il le remplaçait par une boisson non alcoolisée, certains de ces témoins soulignant en outre son grand professionnalisme et son attitude irréprochable au travail (M. L..., M. M..., Mme N..., Mme O..., Mme P..., Mme Q..., M. R..., M. S..., M T..., Mme U..., M. V...) ; que certains anciens salariés de la société PORTLAND indiquent que le gérant pouvait lui-même consommer de l'alcool au cours des soirées et les inciter à consommer avec les clients lorsque le chiffre d'affaires de la soirée n'était pas satisfaisant ; Attendu que M. W..., client de la discothèque, confirme n'avoir jamais vu M. Paul X...en état d'ébriété sur son lieu de travail, indique qu'il refusait ou laissait de côté les verres que lui-même lui offrait et qu'au cours de la soirée du 17 au 18 octobre 2009, il a refusé un verre devant son patron ; Qu'enfin, M. Gilles XX..., employeur occasionnel de M. Paul X..., indique que ce dernier n'a jamais consommé de boissons alcoolisées pendant son service et qualifie d'" exemplaires " sa conduite et son professionnalisme, tandis que M. YY...relate avoir souvent fait appel à lui afin qu'il travaille au bar club after " le Road House " de 5 h à 8 h après son travail à la discothèque le " Monte Cristo " et précise qu'il a alors toujours tenu et assumé de façon pleinement correcte son poste de portier ;
Attendu qu'il résulte de ces éléments, d'une part, que les attestations produites par la société PORTLAND ne permettent de caractériser ni que M. Paul X...se soit trouvé en état d'ivresse sur son lieu de travail aux dates visées dans la lettre de licenciement, ni qu'il ait, le 8 novembre 2009, tenu des propos désobligeants à l'égard de son employeur, d'autre part, que les faits de consommation de whisky relatés par certains témoins sont amplement contredits par les nombreux témoignages versés aux débats par le salarié auquel le doute doit, en tout cas, profiter étant ajouté qu'il ressort de certains des témoignages que, peu avant la rupture, M. Paul X...avait dénoncé auprès de son employeur les heures supplémentaires faites pour assurer le rangement et le nettoyage de l'établissement après la fermeture, et non rémunérées ;
Que, par voie d'infirmation du jugement déféré, les éléments produits conduisent la cour à considérer que le licenciement de M. Paul X...ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse ;
Attendu, la société PORTLAND employant moins de onze salariés au moment de la rupture, que trouvent à s'appliquer les dispositions de l'article 1235-5 du code du travail aux termes duquel, en cas de licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, le salarié peut prétendre à une indemnité correspondant au préjudice subi ;
Attendu qu'en considération de sa situation particulière, de sa capacité à retrouver un emploi compte tenu de sa formation et des circonstances du licenciement, la cour dispose des éléments nécessaires pour évaluer à 5 000 ¿ le préjudice résultant pour M. Paul X...de son licenciement injustifié ;
Attendu que la société PORTLAND sera condamnée aux entiers dépens de première instance et d'appel et à payer à M. Paul X...la somme globale de 1500 ¿ au titre de ses frais irrépétibles de première instance et d'appel, le jugement étant confirmé en ce qu'il a rejeté la demande formée par l'employeur au titre des frais irrépétibles ;
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a débouté la société PORTLAND de sa demande formée au titre des frais irrépétibles ;
Statuant à nouveau,
Déclare le licenciement de M. Paul X...dépourvu de cause réelle et sérieuse et condamne la société PORTLAND à lui payer de ce chef une indemnité de 5 000 ¿ outre la somme de 1 500 ¿ au titre de ses frais irrépétibles de première instance et d'appel ;
Déboute la société PORTLAND de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel et la condamne aux entiers dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
V. BODINCatherine LECAPLAIN-MOREL