COUR D'APPEL d'ANGERS Chambre Sociale
ARRÊT DU 08 Avril 2014
ARRÊT N clm/ jc
Numéro d'inscription au répertoire général : 12/ 00343.
Jugement Au fond, origine Conseil de Prud'hommes-Formation paritaire d'ANGERS, décision attaquée en date du 18 Janvier 2012, enregistrée sous le no 12/ 25
APPELANT :
Monsieur Jean-Jacques X...... 49100 ANGERS
représenté par Maître Sarah TORDJMAN (ACR), avocat au barreau d'ANGERS
INTIMEE :
LA SA CLINIQUE SAINT DIDIER 13 rue du Commandant Ménard 49240 AVRILLE
représentée par Maître Emmanuelle POURRAT, avocat au barreau de TOURS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 24 Octobre 2013 à 14H00, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Brigitte ARNAUD-PETIT, conseiller chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Catherine LECAPLAIN MOREL, président Madame Brigitte ARNAUD-PETIT, conseiller Madame Anne LEPRIEUR, conseiller
Greffier lors des débats : Madame LE GALL, greffier Greffier lors du prononcé : Madame BODIN, greffier.
ARRÊT : prononcé le 08 Avril 2014, contradictoire et mis à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame LECAPLAIN-MOREL, président, et par Madame BODIN, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCÉDURE
M. X... a été engagé par la société Clinique Saint Didier en qualité de directeur administratif par contrat de travail du 24 janvier 2005.
Il a été mis à pied à titre conservatoire et convoqué à un entretien préalable au licenciement par lettre recommandée avec avis de réception du 3 novembre 2010.
Il a été licencié pour faute grave par lettre du 17 novembre 2010.
Il a saisi le conseil de prud'hommes d'Angers en paiement d'astreintes, de rappel de salaire pendant la période de mise à pied conservatoire, d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, d'indemnité compensatrice de préavis et d'indemnité de licenciement.
Par jugement du 18 janvier 2012, le conseil l'a débouté de ses demandes, a débouté la société Clinique Saint Didier de sa demande reconventionnelle et a condamné M. X... à payer à cette dernière 500 ¿ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
M. X... a relevé appel et la société Clinique Saint Didier a relevé appel incident.
Les deux parties ont conclu.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 11 février 2013, soutenues oralement à l'audience, et auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé des moyens et prétentions, M. X... sollicite l'infirmation du jugement et demande à la cour de :
. Condamner la société Clinique Saint Didier à lui verser :
. 107 870, 84 ¿ à titre de rémunération des astreintes de janvier 2006 à novembre 2010 ;. 75 600 ¿ d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;. 14 696 ¿ d'indemnité légale de licenciement ;. 25 196, 76 ¿ d'indemnité compensatrice de préavis, outre 2 519 ¿ brut d'incidence de congés payés ;. 3 422, 90 ¿ brut de rappel de salaire pendant la mise à pied conservatoire, outre 342, 29 ¿ d'incidence de congés payés ;. 2 000 ¿ de dommages-intérêts pour absence de mention de droit individuel à la formation dans la lettre de licenciement ;. 3 000 ¿ en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Il fait valoir en substance que :
Sur les astreintes :
. Il n'appartenait pas à la catégorie des cadres supérieurs, réservée aux établissements de plus de cent lits selon l'article 94 de la convention collective de l'hospitalisation privée à titre lucratif, ni à celle des cadres dirigeants, n'ayant ni les attributions ni les pouvoirs de ces deux catégories de cadres ;
. Il appartenait à la catégorie des autres cadres et devait dès lors, comme ceux-ci, être indemnisé de ses astreintes ;
Sur la rupture du contrat de travail :
. Tous les faits reprochés dans la lettre de licenciement sont prescrits ;. Ils sont imprécis et non circonstanciés ;
Sur l'indemnisation du droit à droit individuel à la formation :
. La lettre de licenciement ne mentionne pas les droits acquis au titre du droit individuel à la formation.
Dans ses dernières écritures, déposées le 24 octobre 2013, reprises oralement à l'audience, et auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé des moyens et prétentions, la société Clinique Saint Didier demande à la cour de :
. Confirmer le jugement ;. Condamner M. X... à lui payer 3 833, 44 ¿ au titre des frais techniques exposés par elle pour démontrer la faute grave outre 5 000 ¿ à titre de dommages-intérêts, et 2 500 ¿ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle soutient essentiellement que :
Sur les astreintes :
. M. X... n'a pas effectué d'astreintes, son contrat de travail de travail ne prévoyant qu'une permanence téléphonique dont la contrepartie était incluse dans sa rémunération ;
. En toute hypothèse, la convention collective exclut les cadres supérieurs du bénéfice des dispositions relatives au paiement des astreintes ;
Sur la rupture du contrat de travail :
. Les faits ne sont pas prescrits dès lors que l'employeur n'en a une connaissance qu'à la faveur des correspondances des 23 et 27 octobre 2010 ;
. Chacun des griefs énoncés dans la lettre de licenciement est établi ;
Sur le droit individuel à la formation :
. Le droit individuel à la formation ne constitue qu'une simple faculté que M. X... ne justifie pas avoir mise en oeuvre ;
Sur la demande reconventionnelle :
. Elle a dû exposer des frais correspondant au coût de l'intervention de deux huissiers de justice et d'un expert informatique qui doivent être supportés par la partie qui succombe, comme les dépens ;
. M. X... doit en outre être condamné à lui payer 5 000 ¿ à titre de dommages-intérêts.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur les astreintes :
Attendu que l'article 94 de la convention collective nationale de l'hospitalisation privée, à laquelle sont soumises les parties, prévoit que la classification des cadres comporte cinq catégories ; que les catégories A, B, C, correspondent respectivement, aux coefficients 300 à 379, 380 à 424, 425 à 524 ; que la catégorie cadre supérieur correspond au coefficient au delà de 525 et concerne " les cadres exerçant leur fonction avec une délégation écrite acceptée de pouvoir qui engage leur responsabilité dans leur domaine de compétence, et qui coordonnent plusieurs services ou établissements, notamment par l'autorité qu'ils peuvent exercer sur les cadres de catégories A, B ou C, et sur un nombre important d'agents " ; que la cinquième catégorie est composée des cadres dirigeants ;
Que l'article 100, alinéa 2, de la convention collective réserve aux cadres A, B et C le bénéfice des contreparties d'astreintes définies par les articles 82-3-1 et 82-3-2 ;
Que selon l'alinéa 4 de cet article, pour les autres catégories de cadres, les contreparties au temps d'astreintes sont définies contractuellement ;
Attendu qu'en l'espèce, le contrat de travail (article 1er) de M. X... stipule qu'il a été engagé à la position cadre supérieur selon la classification de la convention collective de l'hospitalisation privée, moyennant un salaire de base au coefficient 548 de la convention collective ;
Que le bulletin de salaire du mois de septembre 2010 mentionne " classification P 3 cadre coef. 580 " ;
Que le contrat de travail prévoit également (article 4) qu'en sa qualité de directeur administratif, il est " principalement chargé de gérer la clinique sous l'autorité du responsable légal de la clinique avec délégation partielle de pouvoirs dans les domaines suivants : gestion du personnel, gestion administrative, comptabilité, économat, relation quotidienne avec les malades, relation avec le corps médical en liaison avec la surveillance, application de la démarche qualité et de la charge du patient " ;
Qu'il en résulte que M. X... a été engagé comme cadre supérieur ;
Que l'article 94 bis, et non l'article 94, de la convention collective, qui stipule, dans sa version applicable entre le 10 décembre 2002 et le 1er juin 2013, que " la catégorie cadre supérieur ne pourra s'envisager que dans les entreprises ou les établissements dont la capacité d'accueil est d'au moins 100 lits " a été créé par un avenant du 10 décembre 2002, étendu par un arrêté du 29 octobre 2003, relatif aux établissements privés accueillant des personnes âgées ; que, comme le soutient à juste titre la société, cet article ne lui est donc pas applicable dès lors qu'elle est une clinique qui accueille des malades souffrant de pathologies de nature psychiatrique ;
Qu'il est donc indifférent que la clinique n'ait disposé que d'une trentaine de lits ;
Que contrairement à ce que M. X... soutient, il bénéficiait d'une délégation de pouvoirs, incluse dans le contrat de travail qu'il a signé, étant précisé qu'un écrit distinct du contrat de travail n'est pas une condition de validité de la délégation ;
Que la seule affirmation de M. X... selon laquelle il ne disposait d'aucun pouvoir de signature bancaire pour les chèques ni pour accord sur les devis importants pour les travaux, ni d'un pouvoir de décision sur les embauches et les ruptures de contrat de travail des salariés, et selon laquelle il n'était pas le représentant de la direction devant les instances représentatives du personnel, ne fait pas obstacle à sa classification contractuelle de cadre supérieur ;
Que M. X... ne peut du reste être classé dans la catégorie " autres cadres ", comme il le revendique, car celle-ci n'existe pas en elle-même ; que les autres cadres regroupent en réalité les cadres A, B, C, et les cadres dirigeants, dont M. X... ne fait pas partie ;
Attendu que le contrat de travail ne prévoyant pas la rémunération des astreintes, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté M. X... de sa demande en indemnisation des astreintes qu'il allègue avoir effectuées ;
Sur la faute grave :
Sur la prescription :
Attendu que le délai de prescription légal de deux mois prévu par l'article L. 1332-4 du code du travail ne court qu'à compter du jour où l'employeur a eu une connaissance exacte et complète des faits reprochés ;
Attendu qu'au cas présent, si le président du conseil d'administration de la société a été alerté par le personnel sur le comportement de M. X... lors d'une entrevue du 26 août 2010, ce n'est que par le courrier du 27 octobre 2010, signé par 9 salariés, qu'il a appris de façon complète, précise et actualisée, les faits évoqués à l'appui du licenciement, prononcé le 17 novembre 2010, moins de deux mois après ;
Que le jugement sera confirmé en ce qu'il a écarté l'exception de prescription ;
Sur le bien fondé de la faute grave :
Attendu que les griefs formulés dans la lettre de licenciement, propos menaçants à l'égard de M. Y..., pharmacien de l'établissement et à l'égard la secrétaire, paroles insultantes à l'endroit d'autres membres du personnel notamment Mme Z..., et déplacées à l'encontre d'une patiente, sont établis par l'employeur ;
Qu'ainsi, dans une lettre du 27 octobre 2010 signée par neuf salariés, ceux-ci indiquent que, " le 22 septembre 2010, M. X... écoutait à la porte de l'officine fermée de JP Y..., il surprit une conversation entre ce dernier et un médecin à son sujet. Il est entré dans une colère indigne d'un directeur d'un établissement psychiatrique, devant les patients (qui ont besoin de calme et de sérénité) employant des injures vulgaires à l'égard du pharmacien (putain il me fait chier). Il a menacé celui-ci de licenciement sur le champ, pris d'un sentiment de toute puissance en criant qu'il n'avait pas besoin de son PDG pour le faire " ; qu'ils ajoutent que " le 13 juillet 2010, Marie-Paule (la secrétaire) lance des factures sur l'imprimante commune sans savoir que M. X... imprime des chèques en même temps. Les chèques sont alors fichus, Marie-Paule s'excuse mais cela n'empêche pas M. X... de s'emporter de nouveau, et de proférer des menaces à l'encontre de Marie-Paule ; les chèques vous n'en donnez que très peu alors s'il y a des pénalités, elles seront retenues sur le salarie de la fautive (...) ; d'autre part, Monsieur X... n'hésite pas à dénigrer le personnel devant les patients. Lors de rencontres bimensuelles avec ceux-ci, il emploie les termes de " manque de conscience professionnelle " à l'égard de Marie-Paule ; il dit aux patients que les infirmières ont mieux à faire " boire le café et fumer ". Il se fait un malin plaisir à monter les uns contre les autres " on se plaint de votre travail " à François " j'en ai entendu sur vous " à Frédérique Z... lors d'une altercation (lettres de patient à l'appui) le 9 juillet 2010 (...). Il se moque ouvertement d'une dame qui, lorsqu'elle s'inquiète de ne pas voir de décodeur TNT dans sa chambre, la veille du passage obligatoire, il lui répond " on va vous mettre une grosse tête de Mickey à la place ! (propos rapportés par la patiente) " ; que M. Y..., dans une lettre du 28 octobre 2010, indique que " nous assistons depuis un certain temps, avec une tendance très nette à s'accentuer, à des conflits quasi quotidiens opposant notre directeur à l'ensemble du personnel et du corps médical ; harcèlement, suffisance, ironie (...) ; il ne se prive pas pour agresser maladroitement son personnel parfois devant même les patients, le harcelant, tenant des propos proches de l'humiliation " ; que les médecins de l'établissements, MM. A... et B..., dans une lettre du 23 octobre 2010, dénoncent la tendance de M. X... " au harcèlement très nette vis à vis de plusieurs membres du personnel et principalement la secrétaire médicale de façon très fréquente et assez pénible à vivre pour elle malgré son courage à l'affronter, non dénué de respect pour lui néanmoins. Une infirmière, entre autres, est aussi l'objet de son agressivité, ce qui s'est traduit par exemple cet été par un éclat durable et sonore dont un patient a été témoin (...) " ; que, précisément, M. C..., patient de l'établissement, dans un écrit du 20 juillet 2010, indique que " le vendredi 9 juillet, j'ai assisté involontairement au 1er étage des locaux à une altercation déplacée entre d'une part M. le directeur et d'autre part une infirmière que je n'ai pas revue depuis. Je fus très choqué car M. le directeur avait une intonation de parole que tout lien de subordination ne pouvait exister. Je me suis même posé la réflexion d'un début de harcèlement envers l'infirmière (...) " ;
Que ces seuls faits, qui ne sont pas utilement contestés par M. X..., caractérisent une faute grave, qui l'est d'autant plus que M. X... exerçait ses responsabilités au sein d'un établissement de taille modeste consacré au soins de personnes fragilisées par leur pathologie ;
Que cette faute rendait impossible le maintien du salarié dans l'entreprise ;
Qu'Il résulte des articles L. 1234-1 et L. 1234-9 du code du travail que, lorsque le licenciement est motivé par une faute grave, le salarié n'a droit ni à un préavis ni à une indemnité de licenciement ;
Que le jugement sera, en conséquence, confirmé en ce qu'il a débouté M. X... de ses demandes en paiement de rappel de salaire pendant la période de mise à pied conservatoire, d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, d'indemnité compensatrice de préavis et d'indemnité de licenciement ;
Sur le droit à la formation :
Attendu qu'en violation de l'article L. 6323-19 du code du travail, l'employeur n'a pas informé le salarié, dans la lettre de licenciement, de ses droits en matière de droit individuel à la formation ;
Qu'il en est résulté un préjudice qui sera réparé, au regard des éléments de la cause, par l'allocation d'une somme de 1 000 euros ;
Qu'il sera ajouté sur ce point au jugement ;
Sur les demandes reconventionnelles de la société Clinique Saint Didier :
Attendu que la société Clinique Saint Didier ne démontre pas le caractère abusif de la demande de M. X... ;
Que le jugement sera confirmé en ce qu'il l'a déboutée de sa demande en paiement de dommages-intérêts ;
Attendu qu'il y a lieu de qualifier la demande en remboursement des frais exposés par la société Clinique Saint Didier, correspondant au coût de l'intervention de deux huissiers de justice et d'un expert informatique, en demande en paiement de frais irrépétibles, à laquelle il sera répondu dans le dispositif ;
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement et contradictoirement :
CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qui concerne l'article 700 du code de procédure civile ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
CONDAMNE la société Clinique Saint Didier à payer à M. X... la somme de 1 000 ¿ à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice causé par la violation de l'article L. 6323-19 du code du travail ;
CONDAMNE M. X... aux dépens de la procédure d'appel ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, REJETTE la demande de M. X... ; le CONDAMNE à payer à la société Clinique Saint Didier la somme de 1 500 euros au titre des frais et non compris dans les dépens exposés en première instance et celle de 2 000 euros au titre de ceux exposés en cause d'appel ;