COUR D'APPEL d'ANGERS Chambre Sociale
ARRÊT DU 15 Avril 2014
ARRÊT N al/ jc
Numéro d'inscription au répertoire général : 12/ 00541.
Jugement Au fond, origine Conseil de Prud'hommes-Formation paritaire de LAVAL, décision attaquée en date du 02 Février 2012, enregistrée sous le no 10/ 00316
APPELANTE :
LA SARL S. C. A. T. Route de Gesvres 53140 PRE EN PAIL
représentée par Maître J. DELAFOND de la SCP DELAFOND-LECHARTRE-GILET, avocats au barreau de LAVAL en présence de Madame X..., secrétaire comptable
INTIMEE :
Madame Raymonde Y... ... 53140 PRE EN PAIL
comparante, assistée de Monsieur Roger Z..., délégué syndical ouvrier, muni d'un pouvoir
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 05 Décembre 2013 à 14H00, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Anne LEPRIEUR, conseiller chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Catherine LECAPLAIN MOREL, président Madame Anne DUFAU, conseiller Madame Anne LEPRIEUR, conseiller
Greffier lors des débats : Madame LE GALL, greffier Greffier lors du prononcé : Madame BODIN, greffier.
ARRÊT : prononcé le 15 Avril 2014, contradictoire et mis à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame LECAPLAIN-MOREL, président, et par Madame BODIN, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCEDURE
Mme Raymonde Y... a été engagée par la société de confection et d'application textiles, ci-après dénommée S. C. A. T, selon contrat à durée indéterminée du 3 mai 1995 en qualité de " mécanicienne petits travaux ". Elle s'est trouvée en arrêt de travail pour maladie sans interruption à compter du 25 janvier 2008 puis a fait valoir ses droits à la retraite le 1er mai 2010. Les relations entre les parties étaient soumises, selon les mentions non contestées des bulletins de paie, à la convention collective nationale de l'industrie de l'habillement.
La salariée a saisi la juridiction prud'homale en septembre 2010 de diverses demandes relatives à l'exécution de son contrat de travail.
Par jugement avant dire droit du 26 mai 2011, le conseil de prud'hommes de Laval a ordonné une mesure d'instruction confiée à deux conseillers rapporteurs.
Par jugement du 2 février 2012, le conseil de prud'hommes a condamné la société à verser à la salariée les sommes suivantes, sous le bénéfice de l'exécution provisoire de droit : * 660 ¿ de rappel de congés payés au titre des années 2005, 2006 et 2007 ; * 1 131 ¿ au titre des indemnités de congés payés 2008 ; * 4 181, 14 ¿ au titre des heures supplémentaires non rémunérées d'octobre 2005 à janvier 2008, outre 418, 11 ¿ au titre des congés payés afférents ; * 3 419, 18 ¿ à titre de dommages-intérêts pour absence de repos compensateur légal ; * 8 560 ¿ à titre d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé ; * 700 ¿ au titre de l'article 700 du code de procédure civile. Elle a en outre condamné la société aux entiers dépens.
La société a régulièrement interjeté appel.
PRETENTIONS DES PARTIES
La société, dans ses conclusions parvenues au greffe le 12 novembre 2013, soutenues oralement, ici expressément visées et auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé, sollicite l'infirmation du jugement en ce qu'il l'a condamnée au paiement de diverses sommes, sa confirmation en ce qu'il a débouté la salariée du surplus de ses demandes, le débouté de celle-ci de toutes ses réclamations ainsi que sa condamnation au paiement de la somme de 3 000 ¿ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
La salariée, dans ses conclusions parvenues au greffe les 13 et 25 novembre 2013, soutenues oralement, ici expressément visées et auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé, sollicite la confirmation des condamnations prononcées en première instance et, formant appel incident, demande en outre la condamnation de la société à lui payer la somme de 1 340 ¿ à titre de complément d'indemnité de départ à la retraite, de 10 000 ¿ de dommages-intérêts pour harcèlement moral ou, à titre subsidiaire, absence de loyauté dans l'exécution du contrat de travail et non-respect des obligations de sécurité ainsi que celle de 700 ¿ au titre des frais irrépétibles d'appel.
MOYENS DES PARTIES ET MOTIFS DE LA DECISION
-Sur les heures supplémentaires et le repos compensateur :
La société prétend que, si la salariée effectuait, en sus de son temps complet, des tâches supplémentaires d'ouverture le matin et de fermeture le soir des locaux de l'entreprise ainsi que de ménage le samedi matin, elle n'avait jamais voulu établir des relevés d'heures et qu'il lui était par conséquent versée à titre de rémunération forfaitaire des heures supplémentaires accomplies une prime mensuelle de 121, 96 ¿. Or, elle ne démontre pas que cette rémunération serait inférieure à celle des heures effectivement travaillées.
La salariée observe quant à elle que l'employeur est incapable de faire la preuve de ses assertions et ne peut invoquer sa propre turpitude, alors qu'il n'a pas respecté ses obligations découlant des articles L. 3171-2 et D. 3171-8 du code du travail.
Il convient de rappeler qu'aux termes de l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail effectuées, l'employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié ; le juge forme sa conviction au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.
En l'espèce, l'employeur, qui ne conteste pas l'accomplissement d'heures supplémentaires, ne fournit aucun élément de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par la salariée dans la limite de la prescription applicable. Par ailleurs, les heures supplémentaires devant s'exécuter dans le cadre d'un contingent annuel et ouvrant droit à un repos compensateur, un versement, même volontaire, de primes, ne peut tenir lieu de règlement des heures supplémentaires. On observera néanmoins qu'en cause d'appel, la salariée ne conteste pas la déduction des primes reçues du montant des heures supplémentaires et demande la confirmation de ce chef du jugement.
Le nombre d'heures supplémentaires accomplies a été justement apprécié par le conseil de prud'hommes au vu des pièces fournies par les parties (soit des attestations) et du rapport des conseillers rapporteurs ayant procédé à une mesure d'instruction au sein de l'entreprise.
Les modalités de calcul du repos compensateur ne sont pas critiquées.
Le jugement sera purement et simplement confirmé de ces chefs.
- Sur l'indemnité pour travail dissimulé :
L'employeur qui a sciemment, pendant des années, mentionné sur les bulletins de paie un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli et payé les heures supplémentaires sous le couvert d'une prime dont il ne pouvait méconnaître le caractère illégal, d'une part, et le caractère préjudiciable à la salariée, d'autre part, a été exactement condamné à une indemnité pour travail dissimulé par les premiers juges.
Le montant de cette indemnité n'étant pas contesté et ayant été exactement calculé en l'état des pièces produites, à savoir notamment les bulletins de paie et en particulier celui de décembre 2007, le jugement sera également confirmé de ce chef.
- Sur les dommages-intérêts pour harcèlement moral ou, subsidiairement, non-respect de l'obligation de sécurité ou de celle d'exécuter le contrat de travail de bonne foi :
Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. L'article L. 1154-1 du même code prévoit qu'en cas de litige, le salarié concerné établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et il incombe alors à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
En l'espèce, Mme Y... évoque d'abord le fait que le 17 janvier 2008, elle aurait été convoquée dans le bureau de Mme A..., la gérante de l'entreprise, en présence de Mme B..., responsable d'atelier ; là, il lui aurait été dit qu'elle " n'était plus bonne à rien ", qu'on " ne savait plus quoi lui donner ". Elle ne produit strictement aucune pièce à l'appui de ses dires.
Elle évoque ensuite un incident qui se serait produit le 24 janvier 2008, date à laquelle elle aurait glissé sur une flaque d'huile dans l'atelier, à la suite de quoi Mme A... ne lui aurait pas manifesté d'égards. Le lendemain, Mme A... lui ayant fait des reproches infondés, elle quittait l'entreprise " en criant son désespoir et sa souffrance ", pour ne plus jamais y revenir. Pour étayer ses affirmations, la salariée produit pour l'essentiel : * ses arrêts de travail pour maladie d'origine non professionnelle mentionnant un état dépressif réactionnel et un état bi-polaire ; * un document établi sur papier à en tête d'un médecin, non daté, non signé, ne portant aucune mention du nom du patient et dont plusieurs lignes sont noircies, les rendant illisibles (sa pièce no 23), document qui ne présente par conséquent aucune valeur probante ; * une attestation d'une collègue indiquant que le 25 janvier 2008, les gendarmes recherchaient la salariée, celle-ci ayant quitté l'entreprise en menaçant de se suicider.
En l'état des explications et des pièces fournies, la matérialité d'éléments de fait précis et concordants laissant supposer l'existence d'un harcèlement moral n'est pas démontrée.
Par ailleurs, la salariée se borne à alléguer l'existence d'un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat, sans produire aucune pièce de nature à établir un tel manquement durant sa période d'emploi.
Quant au défaut d'exécution du contrat de bonne foi, la salariée ne saurait cumuler le paiement des heures supplémentaires et d'une indemnité pour travail dissimulé avec une indemnité destinée à réparer le manquement de l'employeur à ses obligations en matière de contrôle de durée du travail et de paiement des heures supplémentaires. Il n'est articulé aucun manquement aux amplitudes journalières et hebdomadaires.
Le jugement, qui a rejeté la demande de la salariée en paiement de dommages-intérêts, sera confirmé.
- Sur la demande en paiement d'un complément d'indemnité de départ à la retraite :
La société à cet égard prétend que les périodes de suspension du contrat de travail ne doivent pas entrer en compte dans le calcul de l'ancienneté nécessaire à la détermination du montant de l'indemnité, tandis que la salariée affirme le contraire en se basant sur les dispositions de l'article 16 de l'annexe I de la convention collective applicable.
Il est exact que l'article 12 de l'annexe ouvriers de la convention collective applicable prévoit que " L'indemnité de départ en retraite ne se cumule pas avec l'indemnité légale de licenciement. Lors de son départ en retraite, l'ouvrier percevra l'indemnité de départ ci-dessus définie ou l'indemnité légale de licenciement si elle est plus élevée ". Or, selon l'article 16 du même texte, alors applicable, " les suspensions n'entraînant pas rupture du contrat de travail ne sont pas déduites " pour le calcul de l'ancienneté nécessaire à la détermination du montant de l'indemnité de licenciement.
En l'état des pièces produites, la somme réclamée a été exactement calculée. Il sera fait droit à la demande, par voie d'infirmation du jugement.
- Sur les rappels de congés payés pour les années 2005, 2006 et 2007 :
L'employeur se prévaut d'une modulation, la durée annuelle du travail étant selon ses écritures fixée à 1 607 heures sur la période allant du 1er octobre au 30 septembre.
Pourtant aucun élément ne permet d'établir qu'une modulation était mise en place au sein de l'entreprise à l'époque litigieuse. L'accord d'entreprise de réduction du temps de travail du 17 juin 1999 est devenu caduc selon la note au personnel établie le 22 avril 2004 (cf. la pièce no 53 de la salariée). Les courriers de contrôleurs du travail datés des 8 mars 2011 et 11 juillet 2012 sont dépourvus de pertinence en ce qui concerne la période en litige. Aucun programme indicatif de modulation n'est fourni (, des calendriers annotés de mentions manuscrites ne pouvant être considérés comme tels). Par ailleurs les bulletins de paie de la salariée, qui font exclusivement état d'un horaire de travail mensuel de 151, 67 heures, ne portent aucune mention de nature à établir l'application d'un tel mode d'aménagement du temps de travail, notamment aucune mention d'un débit ou d'un crédit d'heures. Aucun décompte individuel en fin de période de modulation n'est annexé. On observera d'ailleurs que la société n'a jamais opposé la modulation à la réclamation formée au titre des heures supplémentaires.
Par ailleurs, l'analyse de la société relative aux journées d'ancienneté est sans portée, aucune demande n'étant formée à ce titre.
Dans ces conditions, le jugement sera confirmé en son principe, sauf à rectifier l'erreur de calcul l'affectant. En effet, le rappel de congés payés dû est, comme explicité par la salariée dans ses conclusions, de 313 ¿ pour l'année 2005, de 197 ¿ pour l'année 2006 et de 96 ¿ pour l'année 2007, soit un total de 606 ¿ et non de 660 ¿.
- Sur le rappel d'indemnité compensatrice de congés payés 2008 :
Le conseil de prud'hommes a exactement rappelé qu'eu égard à la finalité qu'assigne aux congés payés annuels la Directive 2003/ 88/ CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, lorsque le salarié s'est trouvé dans l'impossibilité de prendre ses congés payés annuels au cours de l'année prévue par le code du travail ou une convention collective en raison d'absences liées à une maladie, un accident du travail ou une maladie professionnelle, les congés payés acquis doivent être reportés après la date de reprise du travail ou, en cas de rupture, être indemnisés au titre de l'article L. 223-14 devenu L. 3141-26 du code du travail.
Le jugement sera par voie de conséquence également confirmé de ce chef.
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant publiquement et contradictoirement,
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, sauf en celles relatives au montant du rappel de congés payés pour les années 2005, 2006 et 2007 et au complément d'indemnité de départ à la retraite ;
Statuant à nouveau de ces seuls chefs et y ajoutant,
Condamne la société S. C. A. T au paiement à Mme Raymonde Y... de la somme de 606 ¿ à titre de rappels de congés payés pour les années 2005, 2006 et 2007 ;
Condamne la société S. C. A. T au paiement à Mme Raymonde Y... de la somme de 1 340 ¿ à titre de complément d'indemnité de départ à la retraite ;
Condamne la société S. C. A. T au paiement à Mme Raymonde Y... de la somme de 500 ¿ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel et déboute la société de sa demande formée sur le même fondement ;
Condamne la société S. C. A. T aux dépens d'appel.