COUR D'APPEL d'ANGERS Chambre Sociale
Numéro d'inscription au répertoire général : 12/ 00542.
Jugement Au fond, origine Conseil de Prud'hommes-Formation paritaire d'ANGERS, décision attaquée en date du 06 Février 2012, enregistrée sous le no 12/ 083
ARRÊT DU 27 Mai 2014
APPELANTE : LA SARL X... ... 49300 CHOLET représentée par Maître Philippe POUZET de la SELAS ORATIO AVOCATS, avocats au barreau de SAUMUR en présence de Monsieur X..., gérant
INTIMEE : Madame Sonia Y...... 49360 MAULEVIER comparante assistée de Maître Nathalie CONTENT, avocat au barreau d'ANGERS
COMPOSITION DE LA COUR : En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 31 Mars 2014 à 14H00, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Paul CHAUMONT, conseiller chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de : Madame Catherine LECAPLAIN MOREL, président Madame Anne LEPRIEUR, conseiller Monsieur Paul CHAUMONT, conseiller Greffier : Madame BODIN, greffier.
ARRÊT : prononcé le 27 Mai 2014, contradictoire et mis à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile. Signé par Madame LECAPLAIN-MOREL, président, et par Madame BODIN, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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FAITS ET PROCÉDURE
Mme Y... a été engagée le 1er septembre 1988 en qualité de vendeuse par la société X..., qui exploite un fonds de commerce de vente de chaussures dans le centre-ville de Cholet (Maine-et-Loire). La convention collective nationale applicable est celle des détaillants en chaussures. Au mois de mars 2010, la société a proposé à chacune de ses quatre vendeuses de réduire la durée de leur temps de travail de 39 à 35 heures, ainsi que le montant de leurs salaires, en invoquant la situation économique difficile à laquelle elle était confrontée.
Mme Y... a refusé la modification de son contrat de travail. Une autre vendeuse, Mme Z..., l'a refusée en l'état, en la subordonnant à sa classification en catégorie 7. Les deux dernières ont accepté la modification. A la suite d'un entretien préalable du 7 mai 2010, la société X... a licencié Mme Y... pour motif économique par lettre du 21 mai 2010 motivée comme suit : " Notre entreprise rencontre actuellement des difficultés économiques et financières qui se traduisent notamment de la façon suivante. Les tableaux de bords réalisés depuis la clôture du dernier bilan au 31 juillet 2009 font apparaître une baisse de notre chiffre d'affaires (environ moins 5. 000 ¿ à fin avril 2010) par rapport à l'année dernière ainsi qu'un résultat cumulé négatif (environ moins 17. 000 ¿).
Ce constat intervient alors que nous avons déjà enregistré une baisse de notre faible résultat à la clôture du dernier bilan (2 727 ¿ de résultat d'exploitation au 31 juillet 2009 contre 11. 877 ¿ au 31 juillet 2008 ; 8. 001 ¿ de résultat net comptable au 31 juillet 2009 contre 17. 383 ¿ au 31 juillet 2008). Par ailleurs, nous n'avons pas de perspective d'amélioration. Au contraire, nous devons faire face à de nouvelles concurrences (ouverture d'un Méphisto Shop à Cholet, Rue Nationale, le 12 avril dernier ; ouverture de la zone commerciale L'Autre Faubourg fin mars 2010 et à l'augmentation du coût du stationnement dans notre rue (de 0, 30 ¿ à 1, 5 ¿ de l'heure), ce qui me fait craindre une perte de clientèle.
Cette situation nous contraint à procéder à une réorganisation de l'entreprise afin de sauvegarder sa compétitivité. Aussi, les difficultés rencontrées par l'entreprise et cette réorganisation nous amènent à modifier votre emploi. En conséquence, nous vous avons proposé, par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 11 mars 2010 une modification de votre contrat de travail. Vous avez malheureusement refusé cette proposition par retour du formulaire réponse daté du 10 avri/ 2010.
Dans le cadre de nos recherches d'une solution de reclassement, nous n'avons été en mesure que de vous proposer une nouvelle fois le poste qui a fait l'objet d'une proposition de modification de votre contrat de travail, à savoir un poste de vendeuse catégorie 6 identique à celui que vous occupez à l'exception de la durée du travail qui aurait été réduite à 35 heures. Vous n'avez malheureusement pas accepté cette proposition.
Aussi, malgré nos efforts pour rechercher toutes les solutions possibles pour votre reclassement, celui-ci s'est malheureusement avéré impossible, aucun autre poste que vous soyez susceptible d'occuper n'étant disponible (...) ".
Mme Y... a saisi, le 6 janvier 2011, le conseil de prud'hommes d'Angers en indemnisation pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et pour non-respect des critères d'ordre du licenciement, ainsi qu'en paiement de diverses sommes à titre de rappels de salaire sur le fondement d'une reclassification. Par jugement du 6 février 2012, le conseil a :. Condamné la société X... à :. Payer à Mme Y... la somme de 17 000 ¿ à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;. Lui délivrer l'attestation pôle emploi rectifiée sous astreinte de 70 ¿ par jour de retard à compter du 20 ème jour suivant la notification du jugement, le conseil se réservant la liquidation de l'astreinte ;. Débouté Mme Y... du surplus de ses demandes :. Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire ;. Condamné la société X... à verser à Mme Y... 1 500 ¿ à titre d'indemnité de procédure ;. Laissé les dépens à la charge de chacune des parties. La société X... a relevé appel et Mme Y... a relevé appel incident. Les deux parties ont conclu.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 11 mars 2014, soutenues oralement à l'audience, et auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé des moyens et prétentions, la société X... sollicite l'infirmation du jugement et demande à la cour de débouter Mme Y... de l'ensemble de ses demandes et de la condamner à lui payer une somme de 3 000 ¿ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. Elle fait valoir en substance que : Sur le caractère réel et sérieux du motif du licenciement :
. A la suite de l'augmentation du prix des places de stationnement autour de la boutique en automne 2009, de l'ouverture, à proximité, d'un magasin Mephiso Shop en février 2010, et d'un centre commercial en périphérie en mars 2010 laissant craindre une désertification du centre ville, qui s'est réalisée, la société a subi une dégradation de sa situation comptable, ce qui l'a contrainte à diminuer ses marges commerciales et à réduire ses charges ;. La concluante a ainsi réduit la rémunération de son gérant, lequel a réalisé un apport en compte courant et a augmenté le capital de l'entreprise ;. Elle a proposé aux quatre vendeuses de réduire leur temps de travail afin de réaliser une économie salariale substantielle ;
. Le refus de Mmes Y... et Z... a conduit la société à licencier ces deux salariées, ce qui a permis d'économiser plus de 48 384 ¿ de salaires et de charges, à défaut de quoi la société serait aujourd'hui en état de cessation des paiements ;. Le recrutement d'une remplaçante à 35 heures ne lui a coûté que 23 520 ¿, soit une économie globale de 28 864 ¿ ; Sur les critères d'ordre des licenciements :
. Ces critères sont inapplicables en cas de licenciement de tous les salariés ayant refusé une modification économique de leur contrat de travail ; Sur la classification de Mme Y... en catégorie 7 :. La salariée, qui a été embauchée en 1988 comme vendeuse débutante catégorie 1, et qui avait, au jour de son licenciement, la qualité de vendeuse très qualifiée catégorie 6, ne possédait pas la qualification d'étalagiste spécialisée de catégorie 7 en dépit de la formation qui lui avait été dispensée. Dans ses dernières écritures, déposées le 27 septembre 2013, reprises oralement à l'audience, et auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé des moyens et prétentions, Mme Y... demande à la cour de :. Confirmer le jugement en ce qu'il a dit que son licenciement était sans cause réelle et sérieuse ;. L'infirmer dans son quantum et condamner la société X... à lui verser 41 962, 36 ¿ à titre de dommages-intérêts ;
. A défaut, condamner la société X... à lui payer 35 000 ¿ à titre de dommages-intérêts en l'absence d'établissement des critères de licenciement ;. Infirmer le jugement en ce qu'il a refusé de lui reconnaître la catégorie 7 ;. Condamner en conséquence la société X... à lui payer :. L'arriéré de salaire correspondant à la différence entre la catégorie 6 et la catégorie 7, soit 1 193, 84 ¿ outre l'incidence de congés payés, soit 119, 38 ¿ ;. L'incidence de la prime d'ancienneté, soit 1 114, 38 ¿, outre l'incidence de congés payés de 111, 48 ¿ ;
. L'incidence sur l'indemnité de licenciement, soit 1 725, 32 ¿ ; avec intérêts moratoires ;. Condamner la société X... à lui remettre l'attestation pôle emploi rectifiée sous astreinte de 70 ¿ par jour ;. Condamner la société X... à lui payer 3 000 ¿ au titre de l'article 700 du code de procédure civile. Elle soutient essentiellement que : Sur le caractère réel et sérieux du motif du licenciement :
. Au moment du licenciement, il n'y avait pas dégradation mais stabilisation de la situation économique de la société, de sorte que le licenciement de deux vendeuses n'était pas justifié, d'autant moins qu'il était suivi de l'embauche d'une vendeuse à temps complet un mois plus tard ;. Ni l'ouverture du magasin Mephisto ni celle du centre commercial ni la hausse du prix du parking n'ont eu l'effet économique invoqué par la société X..., et que celle-ci ne démontre pas ;
Sur les critères d'ordre des licenciements :. L'employeur doit déterminer les critères définissant l'ordre des licenciements dès lors que tous les salariés d'une même catégorie ne sont pas licenciés ;
Sur sa classification en catégorie 7 et sur les rappels de salaires ;. Elle effectuait très régulièrement les tâches relevant du rôle d'étalagiste, de catégorie 7, et elle est donc bien fondée à solliciter un arriéré de salaire à ce titre.
MOTIFS DE LA DÉCISION Sur le caractère réel et sérieux du motif du licenciement :
Attendu qu'aux termes de l'article L. 1233-3 du code du travail, constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel de son contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques ; Attendu qu'en l'espèce, si l'examen du bilan et du compte de résultat de l'exercice 2009-2010, ainsi que des soldes intermédiaires de gestion (pièces 37-1 à 37-5 de l'appelante), fait apparaître une dégradation de la situation économique de la société entre le 31 juillet 2009 et le 31 juillet 2010 (capacité d'autofinancement passant de 22216 ¿ à-22 566 ¿, excédent brut d'exploitation de 16 873 ¿ se transformant en un déficit brut d'exploitation de 18 176 ¿, et résultat net positif de 8 001 ¿ devenant négatif (-33 711 ¿), Mme Y... relève, à bon escient, le fort impact sur ces résultats comptables du coût des indemnités dont la société a dû s'acquitter à l'occasion de son licenciement et de celui de Mme Z..., soit 27 407 ¿ (pièce 11 intimée et p. 8 de ses conclusions), ce qui permet de relativiser les difficultés économique existant au moment du licenciement qui sont invoquées par l'employeur ; Que, surtout, la société a embauché, le 22 juin 2010, un mois après les licenciements de Mmes Y... et Z..., une vendeuse qualifiée de catégorie 5, moyennant un salaire mensuel brut de 1 395 ¿ (sa pièce 29) ; Que l'engagement d'une salariée destinée à occuper un emploi de même nature que celui de Mme Y..., dont il n'est pas avéré que le poste ait été supprimé, pour réaliser une économie mensuelle de 45 euros, étant précisé que le salaire mensuel brut de Mme Y... était, au moment de la rupture de son contrat de travail, de 1 440 ¿, hors charges sociales et prime d'ancienneté, prive le licenciement de cette dernière de cause réelle et sérieuse, comme l'a retenu le jugement qui sera confirmé sur ce point ;
Attendu qu'en application de l'article L. 1235-3 du code du travail, compte tenu notamment de l'effectif de l'entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à Mme Y..., de son âge (40 ans au moment de son licenciement), de son ancienneté (21 ans), des difficultés à retrouver un emploi équivalent, l'indemnité réparatrice a été exactement appréciée par le premier juge à la somme de 17 000 euros ; Qu'il sera ajouté que cette somme est assortie des intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement ; Attendu qu'aux termes de l'article L. 1235-4 du code du travail dans les cas prévus aux articles L. 1235-3 et L. 1235-11, le juge ordonne le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage par salarié intéressé ; que ce remboursement est ordonné d'office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l'instance ou n'ont pas fait connaître le montant des indemnités versées ;
Sur les critères d'ordre du licenciement :
Attendu que, dès lors qu'il a proposé une modification de leur contrat de travail à chacune des salariées et qu'il n'a licencié que celles qui l'ont refusée, l'employeur n'était pas tenu d'appliquer un ordre des licenciements ; Que le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté Mme Y... de sa demande en paiement de dommages-intérêts de ce chef ; Sur la classification de Mme Y... en catégorie 7 Attendu qu'aux termes de l'annexe 1 de la convention collective nationale des détaillants en chaussure relative à la classification des emplois, la catégorie 6 correspond à un " vendeur très qualifié, connaissant à fond tous les articles de l'entreprise, capable de servir et de présenter tous ces articles, vendeur qualifié, titulaire d'un CAP après 5 ans de pratique professionnelle, étalagiste, caissier de magasin ", tandis que la catégorie 7 est relative à un " vendeur étalagiste (vendeur très qualifié, faisant régulièrement les étalages), étalagiste spécialisé, capable de réaliser la présentation originale d'une marchandise déterminée en vitrine ou sur comptoir " ; Attendu qu'à l'appui de sa demande de classification en catégorie 7, Mme Y... ne produit qu'une attestation de stage " initiation étalagiste " mentionnant une formation effectuée pendant deux jours entre le 4 et le 9 décembre 2008 ; Que cette seule attestation ne suffit pas à établir qu'elle réalisait régulièrement les étalages du magasin comme l'exige la convention collective pour accéder à la classification supérieure ; Qu'en conséquence, par voie de confirmation du jugement, Mme Y... sera déboutée de sa demande de classification et de sa demande en paiement qui y est afférente ; Sur la délivrance de l'attestation pôle emploi et sur les dépens : Attendu que le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné la société X... à délivrer à Mme Y... l'attestation pôle emploi rectifiée ; Qu'il sera infirmé en ce qu'il a prononcé une astreinte, celle-ci n'apparaissant pas nécessaire ; Qu'il sera également infirmé sur les dépens, qui seront mis à la charge de la société X... ;
PAR CES MOTIFS La Cour, statuant publiquement et contradictoirement : CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qui concerne le prononcé de l'astreinte et les dépens ;
Statuant à nouveau de ces chefs et y ajoutant : DIT que l'indemnité de 17 000 ¿ est assortie des intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement ; ORDONNE le remboursement par la société X... à Pôle emploi des indemnités de chômage payées à Mme Y... dans la limite d'un mois ; DIT n'y avoir lieu au prononcé d'une astreinte ;
CONDAMNE la société X... aux dépens de première instance et d'appel ; Vu l'article 700 du code de procédure civile, REJETTE la demande de la société X... ; la CONDAMNE à payer à Mme Y... la somme de 1 500 euros ;
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
V. BODIN Catherine LECAPLAIN-MOREL