COUR D'APPEL
d'ANGERS
Chambre Sociale
ARRÊT N
aj/ cb
Numéro d'inscription au répertoire général : 13/ 01673.
Jugement Au fond, origine Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale d'ANGERS, décision attaquée en date du 22 Février 2013, enregistrée sous le no 11 406
ARRÊT DU 24 Février 2015
APPELANTS :
Monsieur FRANCK X...
...
49080 BOUCHEMAINE
Non comparant-Représenté par Me Alain GUYON de la SCP ALAIN GUYON-PAUL CAO, avocat au barreau d'ANGERS, substitué par Maître CHARLES
UNION DEPARTEMENTALE DES AFFAIRES FAMILIALES DE MAINE ET LOIRE-en sa qualité de curateur d'état de Franck X...
4 Avenue Patton
BP 90326
49003 ANGERS
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2013/ 005725 du 26/ 07/ 2013 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de ANGERS)
Non comparante-Représentée par Maître Alain GUYON, de la SCP ALAIN GUYON-PAUL CAO, avocats au barreau d'ANGERS, substitué par Maître CHARLES
INTIMEES :
SELARL SARTHE MANDATAIRE-en qualité de liquidateur judiciaire de la SARL CANET
7 Avenue François Mitterrand
Bureau de l'Etoile
72000 LE MANS
Non comparante-Non représentée.
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE MAINE ET LOIRE
32, Rue Louis Gain
49937 ANGERS CEDEX 09
représentée par Monsieur A..., muni d'un pouvoir
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 20 Janvier 2015 à 14 H 00, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Anne JOUANARD, président chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Anne JOUANARD, président
Madame Catherine LECAPLAIN-MOREL, conseiller
Madame Isabelle CHARPENTIER, conseiller
Greffier : Madame BODIN, greffier.
ARRÊT :
prononcé le 24 Février 2015, réputé contradictoire et mis à disposition au greffe de la
cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l''article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame Anne JOUANARD, président, et par Madame BODIN, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
*******
FAITS ET PROCÉDURE,
Suivant contrat de travail à durée indéterminée du 28 avril 2008, M. Franck X... a été embauché par la société Canet Atlantique, dont le siège social est situé à Saint-Fulgent (85), en qualité de chauffeur livreur. Il travaillait du mardi au samedi de 3 heures à 12 ou 13 heures. Chaque matin, il prenait son chargement de denrées périssables et effectuait une tournée en huit points de livraisons dans les départements de Loire Atlantique et de la Vendée.
Le 11 juin 2008, aux alentours de 8h25, alors qu'il effectuait sa tournée, M. X... a causé un accident de la circulation : son véhicule s'est porté sur la voie de gauche avant de percuter de manière frontale un poids lourd venant en sens inverse, conduit par M. Jérôme Y... dont les blessures ont été à l'origine d'une incapacité totale de travail de 6 jours.
Selon certificat médical du 11 août 2008, M. X... souffrait quant lui de graves blessures : un traumatisme facial, un traumatisme abdominal, une fracture ouverte du fémur droit, une fracture de la cheville droite, une fracture de l'avant bras droit, une fracture du 5eme métacarpe gauche, une entorse grave du pouce droit justifiant une incapacité totale de travail supérieure à 90 jours.
Cet accident a été pris en charge par la caisse primaire d'assurance maladie de Maine et Loire (ci-après : la CPAM de Maine et Loire) comme accident du travail.
L'état de santé de M. X... a été considéré comme consolidé le 31 mai 2010 avec reconnaissance d'un taux d'incapacité de 59 % et attribution d'une rente mensuelle à compter du 1er juin 2010.
Par jugement du 10 septembre 2009, le juge des tutelles de Cholet a ouvert à l'égard de M. X... une mesure de curatelle renforcée et a désigné l'union départementale des affaires familiales de Maine et Loire (ci-après : l UDAF de Maine et Loire) en qualité de mandataire pour l'assister et le contrôler dans la gestion de ses biens.
Le 9 novembre 2010 M. X..., assisté de son curateur, a saisi la CPAM de Maine et Loire aux fins de mise en ¿ uvre de la procédure de reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur.
La tentative de conciliation organisée le 31 mai 2011 a abouti à un procès-verbal de non conciliation, la société Canet Atlantique s'opposant à la reconnaissance de la faute inexcusable.
Le 30 juin 2011, M. X... assisté de son curateur a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale aux fins de reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur et afin d'obtenir la majoration maximum de la rente versée, l'allocation d'une indemnité provisionnelle de 3 000 ¿ à valoir sur la réparation de son préjudice personnel et, avant dire droit sur ce point, la mise en ¿ uvre d'une expertise médicale judiciaire.
A été convoquée devant le tribunal des affaires de sécurité sociale en qualité d'employeur la SELARL Sarthe Mandataire prise en qualité de mandataire judiciaire de la société Transports Canet.
La SELARL Sarthe Mandataire ès qualités n'ayant pas comparu, par jugement réputé contradictoire du 22 février 2013, le tribunal des affaires de sécurité sociale d'Angers a débouté M. X... de sa demande en reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur, a déclaré sa décision opposable à la CPAM de Maine et Loire, a débouté M. X... de ses autres prétentions et de sa demande formée au titre des frais irrépétibles.
M. X... et l'UDAF de Maine et Loire prise en qualité de curateur de ce dernier, la SELARL Sarthe Mandataire prise en qualité de mandataire judiciaire de la société Transports Canet, et la CPAM de Maine et Loire ont toutes reçu notification de ce jugement le 28 mai 2013.
M. X... assisté de son curateur en a régulièrement relevé appel général par lettre recommandée postée le 24 juin 2013.
La SELARL Sarthe Mandataire, prise en qualité de « liquidateur judiciaire » de la « SARL Canet », a accusé réception le 3 décembre 2013 de la convocation comparaître devant la cour à l'audience du 21 octobre 2014. Elle n'a pas comparu.
Dans ses écritures régulièrement communiquées, déposées le 11 avril 2014 et à l'audience, M. X... demandait à la cour d'infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, de dire et juger que son accident est dû à la faute inexcusable de son employeur, la société Canet Atlantique et en conséquence, d'ordonner le doublement du capital versé par la CPAM d'Angers à la victime et, avant dire droit, d'ordonner le versement d'une provision de 3 000 ¿ à valoir sur l'indemnisation définitive de l'ensemble de ces préjudices et de désigner un expert.
Il faisait essentiellement valoir :
- que la cause de l'accident tel que résultant des documents qu'il produit, ne réside ni dans un état d'ébriété ni dans un dysfonctionnement mécanique ni dans une vitesse excessive, et ne peut être dûe qu'à son endormissement au volant,
- que cet état d'endormissement n'est autre que la conséquence d'une faute inexcusable de son employeur ; qu'en l'engageant comme chauffeur routier son employeur avait nécessairement conscience du danger d'un endormissement au volant qui est à l origine d'un accident sur trois ; que l'importance de son activité routière-en moyenne 300 kms par jour-l'exposait à ce risque que l'employeur n'a pas évalué conformément aux dispositions des articles L. 4121-3 et R. 4121-1 du code du travail dans un document unique porté à la connaissance des salariés ; que l'absence de ce document permet de considérer que l'employeur n'a pas pris les mesures nécessaires pour le préserver du danger d'endormissement encouru.
Dans ses écritures régulièrement communiquées, déposées le 20 octobre 2014 et à l'audience, la caisse primaire d assurance maladie de Maine et Loire demandait à la cour de lui donner acte de ce qu'elle s'en rapportait à la justice et, en cas de reconnaissance d'une faute inexcusable, d'enjoindre au mandataire liquidateur de la société de lui communiquer les coordonnées de sa compagnie d'assurance.
Par arrêt avant dire droit du 9 décembre 2014, la cour, constatant qu'il ressortait des termes du contrat de travail versé aux débats par M. X... que son employeur au moment de la survenue de l'accident du travail litigieux était « la société Canet Atlantique » et que la SELARL Sarthe Mandataire paraissait avoir été convoquée devant le tribunal des affaires de sécurité sociale et devant la présente cour en qualité, successivement, de mandataire judiciaire et de liquidateur judiciaire de la société (SARL) Canet Transports qui a été placée en dressement judiciaire par jugement du tribunal de commerce du Mans du 15 février 2012 puis en liquidation judiciaire par jugement du 3 avril 2012, a invité les parties à s'expliquer sur la qualité de la SELARL Sarthe mandataire prise en tant que liquidateur judiciaire de la société Canet Transports à être attraite à la présente instance en tant qu'employeur de M. X....
Il a été justifié que l'employeur, à savoir la société Canet Atlantique, a fait l'objet d'une fusion absorption par la société Canet Transports à laquelle son contrat de travail a été transféré en application de l'article L. 1224-1 du code du travail.
A l audience du 20 janvier 2015 M. X... assisté par l'UDAF a maintenu ses demandes. Il en est de même de la CPAM.
MOTIFS DE LA DECISION,
Aux termes de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l'accident est dû à la faute inexcusable de l'employeur ou de ceux qu'il s'est substitués dans la direction, la victime ou ses ayants droit ont droit à une indemnisation complémentaire.
En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui-ci d'une obligation de sécurité de résultat, le manquement à cette obligation ayant le caractère d'une faute inexcusable au sens de l article L. 452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié-la conscience étant appréciée de façon objective par rapport à un employeur normalement diligent-et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.
Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l'employeur ait été la cause déterminante de l'accident survenu au salarié ; Il suffit qu'elle soit une cause nécessaire pour que la responsabilité de l'employeur soit engagée, alors même que d'autres fautes auraient concouru au dommage.
La faute de la victime n'a pas pour effet d'exonérer l'employeur de la responsabilité qu'il encourt en raison de sa faute inexcusable.
Il s'ensuit que sont exigées deux conditions cumulatives pour retenir la faute inexcusable de l'employeur : un acte ou une omission volontaire ainsi que la conscience du danger par l'employeur.
Il incombe au salarié qui invoque la faute inexcusable de son employeur de prouver que celui-ci, qui avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel son salarié était exposé, n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.
Au cas d'espèce M. X... soutient que le risque d'endormissement est inhérent à la conduite de véhicule de sorte que son employeur aurait dû le connaître et que le seul fait de n'avoir pas établi un document unique faisant état de ce risque fait la preuve d'un manquement à son obligation de prendre les mesures nécessaires pour l'en préserver.
Il résulte des documents produits et des débats :
- que l'accident s'est produit à 8h25 alors que M. X..., qui circulait sur une route départementale au volant de son véhicule fourgon IVECO, s'est déporté plusieurs fois sur la voie de circulation opposée et, en abordant un virage à droite, s'est déporté complètement sur sa gauche heurtant de plein fouet un véhicule venant en sens inverse ;
- que s'il indique que l'accident, a été causé par son endormissement au volant de son véhicule, M. X... ne produit, pas plus devant la cour que devant le tribuna l de pièces permettant de connaître la cause exacte de l'accident ; qu'en particulier, il ne produit pas de copie intégrale de l'enquête pénale ou les pièces pertinentes issues de celle-ci permettant de vérifier qu'il en ressort que sa fatigue a été à l'origine de son endormissement et par suite, de l'accident de la circulation.
Ceci posé, à supposer même que la cause de l'accident soit liée à la fatigue de monsieur X..., les pièces versées aux débats ne permettent pas de retenir la faute inexcusable de l'employeur.
Il doit en effet être constaté :
- qu'en sa qualité de chauffeur livreur, M. X... travaillait chaque semaine du mardi au samedi et sur une durée moyenne de 8h30 par jour et que l'accident s'est produit un mercredi, soit le lendemain de sa première journée de travail de la semaine alors qu'il avait commencé sa tournée depuis près de 5h30 ;
- que M. X... ne prétend pas clairement, et en tout cas ne justifie pas par les documents qu'il produit, que son employeur lui ait imposé des conditions et un rythme de travail anormal ou de nature à lui être reprocher,
- que si M. X... ne produit pas devant la cour le procès-verbal d'investigation de la gendarmerie nationale des Sables d'Olonne contenant l'audition de sa compagne, il résulte du jugement entrepris que celle-ci, questionnée sur l'emploi du temps de son compagnon, a indiqué que le 10 juin 2008, soit la veille de l'accident, il s'était couché entre 23 heures et 23 heures 30 et levé à 0 heures 30 le 11 juin 2008 pour aller au travail ; qu'il avait consommé une bière le soir vers 20 heures 00 après avoir passé l'après-midi en repos à son domicile au cours duquel'il s'était couché mais que le bruit habituel des enfants au retour de l'école ne lui avait pas permis de se reposer ; qu'ainsi il résulte des propres déclarations de sa compagne que, revenu de son travail entre 14h30 et 15 heures, il n'avait pas pu se reposer et avait peu dormi la veille de l'accident, sa compagne ne précisant à aucun moment qu'il était fatigué de manière constante en raison de son travail.
A cet égard le responsable logistique de la société M. Z... a indiqué aux services enquêteurs, que le jour de l'accident, M. X... s'était présenté à trois heures du matin, qu'il avait chargé son camion et qu'il était comme d'habitude toujours un peu nerveux, voulant bien faire, et qu'il ne lui avait pas semblé fatigué.
Les services enquêteurs ont contacté téléphoniquement les clients livrés par M. X... le jour de l'accident et ont recueilli les informations suivantes : la société Giraudier, livrée vers 6h30-7 heures 00 a indiqué que le livreur avait semblé assez pressé ; la société Paumard, livrée vers 7 heures 00-7 heures 30, a indiqué que le livreur était très fatigué, stressé par le retard ; enfin la société Chavalereau, livrée vers 7 heures 30 ¿ 7 heures 45 n a rien eu à signaler. Ainsi une seule société sur les trois contactées a déclaré avoir constaté que le livreur était fatigué.
Il ressort ainsi de l'ensemble de ces éléments que M. X... ne justifie pas que son travail était à l'origine de sa fatigue ni que son employeur pouvait avoir et/ ou avait eu connaissance de cette fatigue.
Le fait que toute conduite crée un risque d'endormissement est d'une évidence telle que l'absence alléguée de document unique ou son insuffisance à cet égard est sans conséquence et ne peut pas en toute hypothèse suffire à établir que son employeur n'a pas pris les mesures nécessaires pour préserver M. X... du danger que constituait en réalité le simple exercice par lui, dans des conditions normales, de ses fonctions de chauffeur livreur.
En conséquence, il convient de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions.
Perdant son recours, M. X... doit être condamnée au paiement du droit prévu par l article R. 144-10 alinéa 2 du code de la sécurité sociale lequel ne peut excéder le 10ème du montant mensuel prévu à l article L. 241-3 du même code.
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant publiquement en matière sociale par arrêt réputé contradictoire et en dernier ressort,
CONFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions.
DÉBOUTE les parties de toutes leurs autres demandes.
CONDAMNE M. X... au paiement du droit prévu par l'article R. 144-10 alinéa 2 du code de la sécurité sociale liquidé à la somme de 317, 00 ¿.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
V. BODINAnne JOUANARD