COUR D'APPEL d'ANGERS Chambre Sociale
ARRÊT DU 16 Juin 2015
ARRÊT N al/ jc
Numéro d'inscription au répertoire général : 12/ 02312.
Jugement Au fond, origine Conseil de Prud'hommes-Formation paritaire de SAUMUR, décision attaquée en date du 28 Septembre 2012, enregistrée sous le no 11/ 00066
APPELANTE :
SARL LE SABLIER SAUMUROIS à l'enseigne AGE D'OR SERVICES 3 rue de l'Ecluse 49400 ST HILAIRE ST FLORENT
représentée par Maître HUGO de la SCP LEXCAP-BDH, avocats au barreau de SAUMUR-No du dossier 22110148
INTIMEE :
Madame Caroline X... ... 49390 MOULIHERNE
non comparante-représentée par Maître CAO de la SCP ALAIN GUYON-PAUL CAO, avocats au barreau de SAUMUR
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 27 Avril 2015 à 14H00, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Anne LEPRIEUR, conseiller chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Anne JOUANARD, président Madame Catherine LECAPLAIN-MOREL, conseiller Madame Anne LEPRIEUR, conseiller
Greffier : Madame BODIN, greffier.
ARRÊT : prononcé le 16 Juin 2015, contradictoire et mis à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame Anne JOUANARD, président, et par Madame BODIN, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCEDURE
Mme Caroline X... a été engagée en qualité " d'assistance à la qualité de vie " par la société Le sablier saumurois, laquelle exerce sous l'enseigne " Age d'or services " une activité de service aux personnes, principalement des personnes âgées ou handicapées, selon contrat à durée indéterminée à temps partiel du 24 novembre 2009, la durée du temps de travail convenu étant de 10 heures par semaine. Selon avenant du 2 janvier 2010 à effet au 1er janvier 2010, la durée du temps de travail convenu a été portée à 30 heures par semaine.
Après s'être trouvée en arrêt de travail jusqu'au 16 mai 2010, la salariée n'a pas repris le travail. Elle a été invitée par l'employeur, vainement, à justifier de son absence et ce, par courriers des 21 mai et 7 juin 2010.
Par lettre du 10 juin 2010 dont l'objet mentionne " prise d'acte de rupture au tort de l'employeur ", adressée à la société, la salariée a indiqué : " Par la présente, je vous fais part de différentes difficultés que je rencontre au sein de votre établissement depuis mon entrée à votre service le 26 novembre 2009 à ce jour " et invoqué la violation des articles L. 3123-17 du code du travail (dépassement du nombre maximal d'heures complémentaires pouvant être accomplies par un salarié à temps partiel), R. 4624-10 et R. 4624-21 du code du travail (défaut de visite médicale d'embauche, de visite de reprise) ainsi que la dégradation des conditions de travail (transport de denrées alimentaires périssables dans un véhicule personnel, réflexions diverses ayant provoqué un arrêt de travail, etc...). Sa lettre se concluait ainsi : " Pour tous ces motifs énumérés ci-dessus, par la présente je me vois contraint de prendre acte de la rupture de mon contrat de travail au tort de l'employeur qui me lie à vous à la date de première présentation de ce courrier, en aucun cas ce courrier constitue une démission de ma part (...) ".
La salariée a saisi la juridiction prud'homale le 16 mai 2011 de demandes relatives à l'exécution et la rupture de son contrat de travail.
Par jugement du 28 septembre 2012, le conseil de prud'hommes de Saumur a : * condamné la société au paiement de la somme de 548, 08 ¿ bruts, congés payés inclus, au titre des heures complémentaires et " supplémentaires " non rémunérées ; * condamné la société à délivrer " les bulletins de paie afférents aux condamnations salariales " et ce, sous astreinte dont le conseil s'est expressément réservé la liquidation ; * rappelé que l'exécution provisoire est de droit en matière de rappel de salaire dans les limites posées par l'article R. 1454-28 du code du travail ; * débouté la salariée de ses demandes en paiement d'indemnités kilométriques, de dommages-intérêts pour violation des dispositions de l'article L. 3123-14 du code du travail, d'indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et travail dissimulé, ainsi que d'indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents ; * condamné la société au paiement de la somme de 1 500 ¿ par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ; * laissé les dépens à la charge de la société.
La société a régulièrement interjeté appel, son appel étant limité aux dispositions lui faisant grief.
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
La société, par conclusions intitulées " récapitulatives " régulièrement communiquées et parvenues au greffe le 12 février 2015, soutenues oralement à l'audience, ici expressément visées et auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé, conclut à l'infirmation partielle du jugement et au débouté de la salariée de toutes ses demandes, ainsi qu'à sa condamnation au paiement de la somme de 1245, 40 ¿ " en exécution de son préavis " outre celle de 2 500 ¿ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Au soutien de ses prétentions, elle expose, sur la demande en paiement d'heures, que ne peuvent être retenus les relevés d'heures établis par la salariée pour les besoins de la cause, ni les plannings provisoires établis par l'entreprise, seuls étant probants les plannings définitifs produits aux débats, lesquels prennent en compte les temps dits " temps morts ", soit les temps de déplacement d'un lieu de travail à un autre lieu de travail. Il résulte de ces plannings définitifs que l'intéressée a été remplie de l'intégralité de ses droits en ayant été rémunérée pour toutes les heures effectuées, celles-ci ayant été décomptées par un logiciel professionnel validé par les instances nationales intervenant dans ce secteur. Au demeurant, les calculs présentés par la salariée sont incompréhensibles.
La demande d'indemnité pour travail dissimulé sera par conséquent rejetée. A tout le moins, le caractère intentionnel de la dissimulation fait défaut.
La salariée a démissionné par une lettre claire et non équivoque. En tout état de cause, les griefs sont injustifiés, de sorte que la prise d'acte de la rupture sera considérée comme une démission. Dans ces conditions, la salariée reste devoir à son employeur une indemnité compensatrice de préavis.
La salariée, par conclusions régulièrement communiquées et parvenues au greffe le 18 décembre 2014, soutenues oralement à l'audience, ici expressément visées et auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé, formant appel incident, conclut à :- la confirmation du jugement en ce qu'il a condamné la société au paiement de la somme de 548, 08 ¿ bruts, congés payés inclus, au titre des heures complémentaires et supplémentaires non rémunérées, de celle de 1 500 ¿ par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'à la délivrance de bulletins de paie sous astreinte ;- la condamnation de la société au paiement des sommes suivantes : * 12 000 ¿ de dommages-intérêts pour travail dissimulé ; * 8 000 ¿ de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ; * 1 369, 94 ¿ d'indemnité de préavis, incidence congés payés incluse ; * 1 000 ¿ de dommages-intérêts pour absence de visite médicale à l'embauche ; * 2 000 ¿ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. Elle sollicite en outre la capitalisation des intérêts au visa de l'article 1154 du code civil.
Au soutien de ses prétentions, la salariée indique, s'agissant des heures dues, que l'employeur ne peut opérer des compensations entre les mois, faute d'accord d'entreprise prévoyant une modulation et à défaut de convention collective alors applicable : le salaire convenu doit être maintenu les mois où elle n'a pas effectué le nombre d'heures contractuellement prévu. Les décomptes d'heures étaient tenus avec un manque de sérieux flagrant. Elle a accompli du travail administratif au profit de son employeur, en sus des interventions chez les clients. Le travail dissimulé est caractérisé puisque l'employeur s'est abstenu de régler des heures dont il ne pouvait ignorer l'existence.
S'agissant de la rupture du contrat de travail, la prise d'acte est amplement justifiée par les divers manquements de l'employeur et produira les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
MOTIFS DE LA DECISION
-Sur la demande en paiement d'heures complémentaires :
L'article L. 3171-4 du code du travail dispose : " En cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles... ".
La preuve des heures supplémentaires ou complémentaires effectuées par le salarié est de fait partagée ; au salarié d'étayer préalablement sa demande par la production d'éléments suffisamment précis quant aux horaires effectivement réalisés de façon à ce que l'employeur puisse répondre et, dans ce cas, à l'employeur de fournir ses propres éléments.
En l'espèce, la salariée présente notamment : * un décompte récapitulatif (sa pièce no 7) mentionnant un salaire restant dû de 1848, 15 ¿ correspondant à 226, 75 h de travail pour la période de novembre 2009 à avril 2010, soit la somme réclamée devant le conseil de prud'hommes ; * ses bulletins de paie ; * des relevés d'heures mensuels établis par ses soins ; * des plannings hebdomadaires intervenant lesquels mentionnent jour par jour les heures de travail effectif avec les noms des clients au domicile desquels le travail a été effectué et comportent diverses annotations et corrections manuscrites.
L'employeur quant à lui produit notamment : * les plannings mensuels " intervenant " pour toute la période d'emploi lesquels mentionnent jour par jour les heures de travail effectif avec les noms des clients au domicile desquels le travail a été effectué (ses pièces no 3, 22 et 23) ; * des relevés d'activité ; * diverses pièces relatives au logiciel utilisé pour le décompte des heures de travail ; * un décompte récapitulatif (sa pièce no 4) qui n'est pas en adéquation avec les bulletins de paie : ainsi, par exemple, il est décompté au titre du mois de mars 2010 97, 5 heures de travail effectif et 19, 75 heures de " temps mort " (temps de déplacement d'un lieu de travail à un autre lieu de travail), soit un total de 117, 25 heures, alors que seules 113, 5 heures ont été réglées (3, 75 heures étant considérées comme " à récupérer ") ;
La société ne se prévaut d'aucune disposition légale ou conventionnelle qui lui permettrait de " récupérer " des heures de travail d'un mois sur l'autre. Si elle se défend de faire récupérer des heures, indiquant que le décompte des heures était arrêté quelques jours avant la fin de chaque mois pour des raisons comptables, ses propres pièces établissent cependant qu'elle se considérait en droit de compenser les heures accomplies en deçà de la durée convenue un mois par les heures accomplies au-delà de la durée convenue un autre mois (ainsi par exemple, sa pièce no4 mentionne que, pour le mois de janvier 2010, la durée mensuelle du travail convenu était de 130 heures, ce qui correspond au salaire mentionné sur la fiche de paie de la salariée, mais que la salariée ayant accompli effectivement ce mois-là 121, 5 heures, restaient à récupérer 8, 5 heures).
Dans ces conditions, le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné la société au paiement de la somme de 548, 08 ¿ bruts, congés payés inclus, au titre des heures complémentaires non rémunérées et condamné la société à délivrer les bulletins de paie afférents. Par contre, aucune circonstance ne justifiant qu'une astreinte soit prononcée, le jugement sera infirmé de ce chef.
- Sur les demandes en paiement d'indemnités kilométriques et de dommages-intérêts pour violation des dispositions de l'article L. 3123-14 du code du travail :
La cour n'étant saisie d'aucune demande ni d'aucun moyen de ces chefs, il convient de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté la salariée de ses demandes en paiement d'indemnités kilométriques et de dommages-intérêts pour violation des dispositions de l'article L. 3123-14 du code du travail.
- Sur la demande d'indemnité pour travail dissimulé :
Le jugement, qui a débouté la salariée de sa demande en paiement d'une indemnité pour travail dissimulé, sera également confirmé de chef, aucune intention de dissimulation n'étant caractérisée au regard des courriers échangés entre les parties qui révèlent seulement de la part de l'employeur une insuffisante maîtrise des règles de décompte du temps de travail et une manifeste bonne foi.
- Sur la rupture du contrat de travail :
En l'espèce, la salariée a clairement indiqué dans son courrier du 10 juin 2010 qu'elle prenait acte de la rupture de son contrat de travail en raison de manquements qu'elle reprochait à son employeur. La société ne peut valablement soutenir qu'elle a démissionné.
En cas de prise d'acte de la rupture du contrat de travail par le salarié, cette rupture produit, soit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, si les faits invoqués la justifiaient, soit, dans le cas contraire, d'une démission. Il appartient au salarié d'établir les faits qu'il allègue à l'encontre de l'employeur.
En l'espèce, la salariée établit la réalité de manquements minimes en matière de paiement des heures de travail accomplies. Par ailleurs, alors que le nombre d'heures complémentaires effectuées au cours d'une même semaine ou d'un même mois ne peut en principe pas être supérieur au dixième de la durée du travail prévue au contrat, par application des dispositions de l'article L. 3123-17 du code du travail (étant observé que la société ne relevait pas lors de la période litigieuse de l'application d'une convention collective), cette limite a été dépassée en décembre 2009 et mars 2010. L'employeur ne conteste pas en outre ne pas avoir fait passer une visite médicale d'embauche à la salariée ; il n'est cependant pas justifié de la nécessité d'une visite de reprise, alors que la salariée ne s'est pas placée en position de reprise à l'issue de son arrêt de travail pour maladie. Les autres griefs énoncés ne sont pas établis. Ainsi, le grief tenant aux conditions de transport de denrées périssables est contredit par les attestations produites par l'employeur. La salariée ne produit aucune pièce à l'appui de ses allégations concernant l'attitude de son employeur qui aurait été à l'origine de son arrêt de travail.
Dans ces conditions, les manquements avérés de l'employeur n'étaient pas suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat de travail.
Le jugement, qui a jugé que la prise d'acte de la rupture par la salariée produisait les effets d'une démission et débouté en conséquence l'intéressée de ses demandes en paiement d'indemnité de préavis et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, sera également confirmé de ces chefs.
La prise d'acte de la rupture du contrat qui n'est pas justifiée produisant les effets d'une démission, il en résulte que le salarié doit à l'employeur le montant de l'indemnité compensatrice de préavis résultant de l'application de l'article L. 1237-1 du code du travail. En l'espèce, le contrat de travail prévoit un préavis de démission d'une durée d'un mois. Il sera fait droit à la demande de la société, nouvelle en cause d'appel, demande dont le montant n'est pas contesté et est exact (correspondant au salaire mensuel brut de base afférent à 130 heures de travail).
- Sur la demande de dommages-intérêts pour absence de visite médicale d'embauche :
L'employeur ne justifie pas avoir fait subir à la salariée une visite médicale d'embauche. Il indique à ce sujet que le service de médecine du travail n'a pu répondre à ses demandes réitérées mais ne produit aucun justificatif. Le préjudice résultant pour la salariée de ce manquement, compte tenu notamment de l'emploi occupé, sera fixé à la somme de 500 ¿.
- Sur la demande de capitalisation des intérêts :
Il convient de faire droit à la demande de capitalisation des intérêts présentée par la salariée, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant publiquement en matière sociale, contradictoirement et en dernier ressort,
Infirme le jugement déféré seulement en ce qu'il a ordonné une astreinte ;
Statuant à nouveau du chef infirmé et y ajoutant,
Dit n'y avoir lieu à assortir la condamnation à délivrance de bulletins de paie d'une astreinte ;
Confirme le jugement déféré en toutes ses autres dispositions ;
Condamne la société Le sablier saumurois au paiement à Mme Caroline X... de la somme de 500 ¿ de dommages-intérêts au titre du défaut de visite médicale d'embauche ;
Ordonne la capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1154 du code civil au profit de Mme Caroline X... ;
Condamne Mme Caroline X... à payer à la société Le sablier saumurois la somme de 1 245, 40 ¿ à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;
Laisse à chacune des parties la charge des dépens par elle exposés en cause d'appel.