AFFAIRE : N° RG 19/00597
N° Portalis DBVC-V-B7D-GISY
Code Aff. :
ARRET N°
C.P
ORIGINE : Décision du Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale d'ALENCON en date du 21 Décembre 2018 - RG n° 21600160
COUR D'APPEL DE CAEN
Chambre sociale section 3
ARRÊT DU 10 NOVEMBRE 2022
APPELANTE :
Association [5] VENANT AUX DROITS DE L'[3], venant elle-même aux droits de l'[4]
[Adresse 6]
Représentée par Me Arnaud LABRUSSE, avocat au barreau de CAEN
INTIMEES :
Madame [X] [P]
[Adresse 1]
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 141180022019007855 du 07/11/2019 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de CAEN)
Représentée par Me Jean-Baptiste GUÉ, avocat au barreau de CAEN
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE L'ORNE
[Adresse 2]
Représentée par Mme DESLANDES, mandatée
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Mme CHAUX, Présidente de chambre,
M. LE BOURVELLEC, Conseiller,
M. GANCE, Conseiller,
DEBATS : A l'audience publique du 01 septembre 2022
GREFFIER : Mme GOULARD
ARRÊT prononcé publiquement le 10 novembre 2022 à 14h00 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Mme CHAUX, présidente, et Mme GOULARD, greffier
La cour statue sur l'appel interjeté par l'association départementale pour la sauvegarde de l'enfant à l'adulte de l'Orne (l'[3]) aux droits de laquelle vient l'association [5], d'un jugement rendu le 21 décembre 2018 par le tribunal des affaires de sécurité sociale de l'Orne dans un litige l'opposant à Mme [X] [P] et à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Orne.
FAITS et PROCEDURE
Mme [P] a été salariée de l'[4] aux droits de laquelle vient l'association [5] (l'association) dans le cadre d'un contrat à durée déterminée de 12 mois à compter du 28 janvier 2014, avec pour mission d'assurer l'entretien courant des locaux et du linge des patients.
Le 14 avril 2014, l'employeur a établi une déclaration d'accident du travail de Mme [P] au titre d'une chute dans un escalier.
Le certificat médical initial mentionne une 'douleur post traumatique pli de l'aine droite'.
Le 13 mai 2014, la caisse primaire d'assurance maladie de l'Orne (la caisse) a notifié à Mme [P] sa décision de prendre en charge l'accident au titre de la législation sur les risques professionnels.
Cette dernière a bénéficié d'arrêts de travail successifs jusqu'au 27 mars 2015.
Le 31 mars 2015, la caisse l'a informée qu'elle retenait, sur avis du médecin conseil, que la date de consolidation devait être fixée au 15 mars 2015 sans séquelles, le taux d'incapacité permanente partielle (I.P.P) étant fixée à 0 %.
Mme [P] a contesté cette décision devant le tribunal du contentieux de l'incapacité qui, par jugement du 29 mars 2016, a confirmé la décision de la caisse.
Mme [P] a formé auprès de la caisse une demande de conciliation aux fins de voir reconnaître la faute inexcusable de son employeur en application des articles L 452-1 et suivants du code de la sécurité sociale.
Aucune conciliation n'ayant pu aboutir, elle a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de l'Orne le 13 avril 2016.
Selon jugement du 21 décembre 2018, le tribunal des affaires de sécurité sociale de l'Orne a :
- dit que l'accident dont a été victime Mme [P] le 14 avril 2014 est dû à la faute inexcusable de son employeur
- avant dire-droit, ordonné une expertise médicale confiée au docteur [Z] afin d'évaluer le préjudice corporel de Mme [P]
- sursis à statuer et renvoyé l'affaire au 5 juillet 2019
- rappelé que le procédure est sans frais et gratuite.
L'[3] a formé appel de ce jugement à l'encontre de Mme [P] par déclaration du 22 février 2019.
À l'audience du 3 février 2022, la cour a relevé que la caisse n'avait pas été visée dans la déclaration d'appel. Les parties ont fait valoir leurs observations sur ce point, Mme [P] concluant à l'irrecevabilité de l'appel. L'affaire a été renvoyée au 1er septembre 2022.
À cette audience, la caisse est intervenue volontairement à l'instance.
Aux termes de ses écritures du 17 août 2022 soutenues oralement à l'audience, l'association [5] venant aux droits de l'[3] elle-même venant aux droits de l'[4], demande à la cour de :
- annuler en toutes ses dispositions le jugement déféré
- déclarer à titre principal, que l'association n'a commis aucune faute inexcusable ou, à titre subsidiaire, que Mme [P] a commis une faute de nature à exonérer l'association de sa responsabilité
- rejeter les demandes de Mme [P]
- condamner Mme [P] à lui payer 2000 euros au titre des frais irrépétibles
- condamner Mme [P] aux dépens.
Par conclusions reçues au greffe le 26 septembre 2019 soutenues oralement à l'audience, Mme [P] demande à la cour de :
- confirmer le jugement déféré
- débouter l'association [5] de ses demandes
- condamner l'association [5] à payer 2000 euros au titre de l'article 37 de la loi sur l'aide juridictionnelle
- condamner l'association [5] aux dépens.
Aux termes d'écritures du 16 août 2022 soutenues oralement à l'audience, la caisse demande à la cour de :
- constater qu'elle s'en rapporte sur le principe de reconnaissance d'une faute inexcusable
si la faute inexcusable est reconnue,
- rejeter la demande de majoration de rente sollicitée par Mme [P]
- réduire à de plus justes proportions le montant des préjudices extra patrimoniaux sollicités par Mme [P] au titre des souffrances physiques et morales et des préjudices personnels
- dire que la caisse pourra exercer son action récursoire auprès de l'association [5] venant aux droits de l'[3] venant aux droits de l'[4] pour recouvrer l'intégralité des sommes dont elle est tenue de faire l'avance au titre de la faute inexcusable (préjudices patrimoniaux et provision).
Pour l'exposé complet des moyens et prétentions des parties, il est expressément renvoyé à leurs écritures conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
SUR CE, LA COUR
- Sur la procédure
Il résulte de l'article L 452-4 du code de la sécurité sociale qu'à défaut d'accord amiable entre la caisse et la victime d'une part, et l'employeur d'autre part, sur l'existence de la faute inexcusable, la victime doit appeler la caisse en déclaration de jugement commun.
En l'espèce, le jugement a été rendu contradictoirement à l'égard de la caisse partie au litige en première instance.
En revanche, l'association [5] n'a formé appel qu'à l'égard de Mme [P]. Elle n'a pas mis en cause la caisse devant la cour.
Toutefois, la caisse est volontairement intervenue à l'instance en se présentant à l'audience du 1er septembre 2022 et en y soutenant oralement ses écritures du 17 août 2022.
Il est donc établi que la caisse est partie à l'instance d'appel de telle sorte que la fin de non-recevoir tirée de l'appel interjeté seulement contre Mme [P] a été régularisé avant qu'il ne soit statué.
L'appel sera déclaré recevable.
- Sur le fond
Le manquement à l'obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l'employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.
Il appartient à la victime de justifier que son employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé son salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour le préserver de ce danger.
La conscience du danger doit être appréciée objectivement par rapport à la connaissance de ses devoirs et obligations que doit avoir un employeur dans son secteur d'activité.
En outre, il est indifférent que la faute inexcusable commise par l'employeur ait été la cause déterminante de l'accident. Il suffit qu'elle en soit la cause nécessaire pour que la responsabilité soit retenue alors même que d'autres fautes auraient concouru au dommage.
Pour apprécier cette conscience du danger et l'adaptation des mesures prises aux risques encourus, les circonstances de l'accident doivent être établies de façon certaine.
En l'espèce, Mme [P] soutient qu'elle a été victime le 14 avril 2014 d'un accident du travail (chute dans un escalier) dû à la faute inexcusable de son employeur, aux motifs que celui-ci avait conscience du risque de chute, puisqu'il l'avait répertorié dans le document unique d'évaluation des risques professionnels, et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver, en ne lui fournissant pas de chaussures adaptées.
En défense, l'association [5] conteste le caractère professionnel de l'accident indiquant que Mme [P] ne rapporte pas la preuve que l'accident qu'elle impute à son employeur s'est produit sur son lieu de travail.
Mme [P] prétend qu'elle a chuté dans l'escalier au Centre de soins Bosquet alors qu'elle transportait une corbeille de linge au rez-de-chaussée. Elle précise qu'elle s'est rendue aux urgences le soir même expliquant les circonstances de son accident. Elle ajoute que les documents médicaux corroborent ses déclarations constantes, que le caractère professionnel de l'accident n'a jamais été contesté par l'employeur et que ce dernier fournit une photographie de l'escalier ce qui démontre sa mauvaise foi.
S'il est exact que la preuve de l'accident du travail peut être rapportée par tous moyens, en revanche, nulle partie ne peut se faire de preuve à elle-même de telle sorte que les seules déclarations de Mme [P] ne peuvent suffire à prouver les circonstances de l'accident.
Il convient donc de déterminer si ses déclarations sont corroborées par d'autres éléments.
Les constatations détaillées des documents médicaux ne permettent pas d'imputer les lésions à un accident du travail. Il s'agit en effet de douleurs au niveau du membre inférieur droit, douleur inguinale, boiterie et difficultés au port de charges qui peuvent trouver d'autres causes qu'une chute dans un escalier. Le fait que les certificats mentionnent que les lésions sont consécutives à un accident du travail ou à une chute au travail n'a aucune valeur puisque les médecins ne font que reprendre les déclarations de la patiente.
De même, la circonstance que Mme [P] s'est rendue aux urgences médicales après la fin de sa journée de travail le 14 avril 2014 ne permet pas de démontrer que les lésions sont la conséquence d'une chute survenue le jour même au Centre de soins Bosquets.
En outre, l'absence de contestation par l'employeur avant la procédure en reconnaissance de faute inexcusable ne constitue pas un élément permettant de corroborer la version de Mme [P].
Par ailleurs, aucune conséquence ne peut être tirée de la production d'une photographie des lieux par l'employeur.
Enfin, Mme [P] produit une attestation de Mme [S]. Toutefois, cette attestation ne permet pas de corroborer ses déclarations puisque cette dernière déclare avoir été embauchée pour la remplacer. Elle n'a donc pas pu être témoin des faits allégués.
Compte tenu de ces observations, la preuve du caractère professionnel de l'accident n'est pas rapportée.
En l'absence d'accident du travail, aucune faute inexcusable de l'employeur ne peut être retenue.
Le jugement sera donc infirmé en toutes ses dispositions. Statuant à nouveau, Mme [P] sera déboutée de ses prétentions.
Succombant, elle sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés comme en matière d'aide juridictionnelle.
Il est équitable de débouter l'association [5] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La demande formée au titre de l'article 37 de la loi sur l'aide juridictionnelle sera rejetée.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Constate l'intervention volontaire de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Orne à la présente instance,
Déclare recevable l'appel interjeté par l'association [5] ;
Infirme le jugement déféré ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Déboute Mme [P] de ses demandes ;
Condamne Mme [P] aux dépens de première instance et d'appel ;
Déboute l'association [5] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Rejette la demande d'indemnité au titre de l'article 37 de la loi sur l'aide juridictionnelle.
LE GREFFIER LE PRESIDENT
E. GOULARD C. CHAUX