AFFAIRE : N° RG 23/02476 - N° Portalis DBVC-V-B7H-HJQ5
ARRET N°
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ORIGINE : Décision du Juge aux affaires familiales de CAEN du 23 juin 2023
RG n° 21/01908
COUR D'APPEL DE CAEN
TROISIEME CHAMBRE CIVILE
ARRET DU 04 JUILLET 2024
APPELANT :
Monsieur [E] [S]
né le [Date naissance 1] 1972 à [Localité 14]
[Adresse 8]
[Localité 15]
représenté et assisté de Me Catherine DERUDDER LE MOAN, avocat au barreau de CAEN
INTIMEE :
Madame [R] [T]
née le [Date naissance 4] 1965 à [Localité 17]
[Adresse 6]
[Localité 2]
représentée et assistée de Me Marie-Sophie LAMY, avocat au barreau de CAEN
DEBATS : A l'audience publique du 21 mai 2024, sans opposition du ou des avocats, Mme LOUGUET conseillère, a entendu seule les observations des parties sans opposition de la part des avocats et en a rendu compte à la Cour dans son délibéré
GREFFIER : M. YVON
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
M. GARET, Président de chambre,
Mme DE CROUZET, Conseiller,
Madame LOUGUET, Conseiller,
ARRET prononcé publiquement le 04 juillet 2024 à 14h00 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour et signé par M. GARET, président, et M. YVON, greffier
FAITS ET PROCEDURE :
Mme [R] [T] et M. [E] [S] ont contracté mariage le [Date mariage 5] 2002 sans faire précéder leur union d'un contrat de mariage.
Par ordonnance de non-conciliation du 22 avril 2016, le juge aux affaires familiales de Caen a notamment attribué à Mme [T] la jouissance du logement familial sis [Adresse 7] jusqu'au 31 août 2016 à titre gratuit au titre du devoir de secours.
Par jugement du 21 juin 2018, le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Caen a notamment :
- prononcé le divorce des époux,
- renvoyé les parties à procéder amiablement, s'il y a lieu, aux opérations de liquidation et partage de leurs intérêts patrimoniaux et, en cas de litige, à assigner devant le juge de la liquidation,
- dit que les effets du divorce entre les parties en ce qui concerne leurs biens remonteront au 19 novembre 2015.
Par acte d'huissier de justice du 1er juin 2021, Mme [T] a fait assigner M. [S] devant le juge aux affaires familiales de Caen aux fins d'ouverture de compte, liquidation et partage de leurs intérêts patrimoniaux.
Par jugement du 23 juin 2023, ledit juge a pour l'essentiel :
- déclaré recevable la demande en partage,
- ordonné l'ouverture des opérations de compte, liquidation et partage de l'indivision existant entre Mme [T] et M. [S],
- rejeté la demande de récompense de M. [S] au titre du financement de l'assurance-vie Rouge Corinthe n°701 436663060A,
- rejeté la demande de récompense de M. [S] au titre du portefeuille QUALICONSULTPARTNER,
- dit que M. [S] est redevable d'une indemnité d'occupation depuis le 1er septembre 2016,
- dit qu'il appartiendra au notaire commis d'évaluer la valeur locative de l'immeuble indivis et de procéder à un abattement de 20 % afin de déterminer le montant de l'indemnité d'occupation,
- commis Me [P] [H], notaire à [Localité 11], pour procéder aux opérations de liquidation partage,
- désigné le juge commis du tribunal judiciaire de Caen pour surveiller le déroulement des opérations,
- fixé à la somme de 2.000 euros le montant de la provision à valoir sur les émoluments du notaire, à verser par chacune des parties à parts égales, ou à défaut par la partie la plus diligente, dans un délai de deux mois à compter de la présente décision, si besoin en plusieurs versements,
- réservé les autres demandes et les dépens,
- ordonné l'exécution provisoire de la décision.
Par déclaration en date du 23 octobre 2023, M. [S] a formé appel limité de cette décision, la critiquant en ce qu'elle a :
- rejeté la demande de récompense de M. [S] au titre du financement de l'assurance-vie Rouge Corinthe n°701 436663060A,
- rejeté la demande de récompense de M. [S] au titre des portefeuilles QUALICONSULTPARTNER pour des montants respectifs de 146.775 euros et de 78.228,50 euros,
- dit que M. [S] est redevable d'une indemnité d'occupation depuis le 1er septembre 2016, et que le notaire devrait procéder à un abattement de 20 % sur la valeur locative de l'immeuble indivis,
- débouté M. [S] de sa demande de cessation de l'indemnité d'occupation à compter de la date de l'assignation, soit au 1er juin 2021.
Mme [T] a constitué avocat devant la cour le 30 octobre 2023.
Par ses dernières écritures déposées le 13 mai 2024, M. [S] conclut essentiellement en ces termes :
- dire M. [S] recevable et bien fondé en ses prétentions,
En conséquence, réformant le jugement prononcé par le juge aux affaires familiales le 23 juin 2023,
- dire et juger que la valeur locative du bien immobilier devra subir une réfaction de 30% et non de 20 %, et fixer la valeur locative à la somme de 1.400 euros,
- par conséquent, fixer le montant de l'indemnité d'occupation à la charge de M. [S] à la somme de 1.400 euros,
- dire que cette indemnité d'occupation devra cesser à la date de l'assignation du 1er juin 2021,
Sur les demandes de récompenses présentées par M. [S] :
- dire et juger que le principe même des récompenses au profit de M. [S] est acquis,
Sur l'assurance-vie Rouge Corinthe :
- dire et juger qu'il devra être fait droit à la demande de récompense de M. [S] tant dans son principe que dans son quantum à hauteur de 69.677,85 euros,
Sur les parts sociales :
- dire et juger qu'il sera fait droit à la demande de récompense présentée par M. [S] à l'encontre de la communauté pour un montant de 146.775 euros et de 78.128,50 euros respectivement au titre des parts QUALICONSULT PARTNER et QUALICONSULT PARTNER 2,
- subsidiairement, si la cour estimait, au regard des derniers procès-verbaux de la société QUALICONSULT et QUALICONSULT 2, que le calcul de la récompense n'est pas exact, dire et juger que le notaire désigné devra estimer le droit à récompense de l'appelant quant à son quantum,
- pour le surplus, confimer en toutes ses dispositions le jugement en date du 23 juin 2023,
- condamner Mme [T] au règlement de la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Par ses dernières écritures déposées le 14 mai 2024, Mme [T] conclut essentiellement en ces termes :
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le juge aux affaires familiales de Caen le 23 juin 2023, à l'exception des dispositions relatives à l'indemnité d'occupation,
Y ajoutant,
- condamner M. [S] au paiement d'une indemnité d'occupation de 2.000 euros par mois à compter du 1er septembre 2016 jusqu'au jour du partage,
- fixer à l'actif commun la valeur des 43.690 actions de la société QUALICONSULT PARTNERS 2 à la somme de 139.371,10 euros,
- subsidiairement, et si par impossible il était fait droit à la demande de récompense formulée par M. [S] à l'encontre de la communauté, en fixer le montant à la somme de 100.000 euros et rejeter sa demande de revalorisation,
- condamner M. [S] au paiement d'une somme de 5.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner M. [S] aux entiers dépens qui seront recouvrés par la SELARL CARATINI LE MASLE LAMY MOUCHENOTTE [H] en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 21 mai 2024, avant l'ouverture des débats à l'audience du même jour.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, à leurs dernières conclusions susvisées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur l'étendue de la saisine de la cour :
Aux termes de la déclaration d'appel et des dernières conclusions des parties, l'appel porte sur :
- l'indemnité d'occupation due par M. [S],
- la récompense invoquée par M. [S] au titre du contrat d'assurance-vie Rouge Corinthe,
- la récompense invoquée par M. [S] au titre du financement des parts des sociétés QUALICONSULT PARTENER et QUALICONSULT PARTNER II,
- la valorisation de ces parts sociales à l'actif commun.
En conséquence, les autres dispositions du jugement entrepris, en ce qu'elles ne sont pas contestées, ont acquis force de chose jugée.
Sur l'indemnité d'occupation due par M. [S] :
Le premier juge a considéré qu'il appartenait au notaire commis d'apprécier la valeur locative de l'immeuble et, compte tenu de la jouissance juridiquement précaire liée à la nature indivise du bien et du droit absolu de son co-indivisaire de mettre fin à cette indivision à tout moment, d'appliquer un abattement de 20 % du montant de la valeur locative afin de déterminer le montant de l'indemnité d'occupation. Il a ajouté qu'il n'y avait pas lieu de prévoir que cette indemnité cesserait à la date de l'assignation, soit au 1er juin 2021, comme réclamé par M. [S] dans le dispositif de ses conclusions.
M. [S] sollicite la réformation du jugement et la fixation de l'indemnité d'occupation à la somme de 1.400 euros, par application d'un abattement de 30 % sur la valeur locative du bien estimée par le notaire commis à 2.000 euros par mois, et non d'un abattement de 20 % comme retenu par le première juge, aux motifs :
- que Mme [T] a fait preuve d'une particulière mauvaise volonté depuis l'année 2018 pour faire avancer les opérations de liquidation,
- qu'elle ne lui a pas laissé d'autre choix que de réintégrer les lieux avec son fils, permettant ainsi la conservation et l'entretien du bien immobilier,
- qu'il a honoré seul le paiement des taxes pour un montant non négligeable de 29.516 euros.
Il sollicite en outre de mettre un terme à l'indemnité d'occupation à compter de l'assignation soit le 1er juin 2021, délivrée de façon extrêmement tardive par Mme [T].
Mme [T] réplique que M. [S] occupe privativement l'immeuble depuis près de huit ans et ne justifie d'aucun trouble de jouissance, de sorte que, contestant avoir retardé la procédure de liquidation du régime matrimonial, et relevant que les taxes éventuellement supportées par lui feront l'objet d'un compte d'administration, elle considère que le montant de 1.600 euros par mois retenu par le notaire commis au titre de l'indemnité d'occupation est insuffisant au regard de la qualité des prestations de la maison qui justifie de retenir une valeur locative de 2.500 euros à laquelle il y a lieu d'appliquer un abattement de 20 %, et non de 30%, d'où une indemnité d'occupation d'un montant de 2.000 euros par mois. Elle ajoute que rien ne justifie qu'il soit mis un terme à cette indemnité au jour où elle a été contrainte de délivrer l'assignation en partage le 21 juin 2021, rappelant que c'est notamment le refus de M. [S] de comptabiliser une indemnité d'occupation à sa charge qui a fait obstacle à un règlement amiable de la liquidation.
Sur ce,
L'article 815-9 du code civil dispose en son second alinéa que l'indivisaire qui use ou jouit privativement de la chose indivise est, sauf convention contraire, redevable d'une indemnité.
En l'espèce, les parties s'accordent sur fait que M. [S] est redevable d'une indemnité d'occupation à compter du 1er septembre 2016, date à laquelle il a réintégré le domicile familial dont la jouissance avait été attribuée à titre gratuit à l'épouse au titre du devoir de secours jusqu'au 31 août 2016.
Il convient de rappeler que, contrairement à ce que soutient M. [S], l'abattement traditionnellement appliqué à la valeur locative du bien pour fixer le montant de l'indemnité d'occupation, compris entre 15 et 30 %, ne correspond pas à la contrepartie de son entretien par l'occupant mais se justifie par la précarité du droit de ce dernier par rapport à celui d'un locataire classique protégé par un statut légal.
Par ailleurs, le fait que M. [S] ait pu acquitter seul les taxes foncières afférentes au bien qu'il occupe sera pris en considération dans les comptes restant à effectuer entre les parties qui en supporteront alors la charge à hauteur de leurs droits. Il est donc sans incidence sur la valeur de l'indemnité d'occupation.
En outre, M. [S] ne peut soutenir avoir été contraint de réintégrer le domicile conjugal avec son fils après le départ de Mme [T], alors en effet qu'il aurait pu envisager la vente de ce bien, ce à quoi il n'est pas démontré que Mme [T] se serait opposée.
Enfin, M. [S] ne démontre pas que Mme [T] ait volontairement ralenti les opérations de compte, liquidation et partage de leurs intérêts patrimoniaux, dès lors :
- que le jugement de divorce du 21 juin 2018 a été signifié à Mme [T] le 17 juillet 2018, et est devenu définitif le 17 août 2018 en l'absence de régularisation d'un appel, peu important que l'acte d'acquiescement au jugement ait été signé par Mme [T] seulement le 14 juin 2021, ce qui n'empêchait pas les parties d'avancer dans les opérations de liquidation de leurs intérêts patrimoniaux,
- que des courriers ont d'ailleurs été échangés entre le conseil de Mme [T] et le notaire de M. [S] concernant l'état liquidatif établi amiablement par ce dernier et les justificatifs devant être communiqués entre les parties, ce entre août 2019 et janvier 2020,
- que c'est Mme [T] qui, face au blocage de la phase amiable de la liquidation, est à l'origine de l'assignation en partage du 21 juin 2021, ayant montré par là même son souhait d'une certaine célérité dans l'avancement des opérations, et ce, contrairement à M. [S] qui, quant à lui, n'a pris aucune initiative pour en accélérer le cours.
Par suite, et compte tenu de la longue durée d'occupation du bien qui s'élève à bientôt 8 ans, réduisant par là la précarité de l'occupation, c'est à bon droit que le premier juge a appliqué un abattement de 20%.
S'agissant de la valeur locative, le notaire commis l'a fixée, dans un courrier du 27 novembre 2023 adressé aux parties, à la somme de 2.000 euros au regard d'une valeur vénale du bien de 840.000 euros, en relevant qu'il fallait tenir compte du marché locatif local qui connaît peu de loyers élevés. M. [S] accepte cette évaluation alors que Mme [T] demande de la porter à 2.500 euros par mois.
Or, les parties ne produisent aucune autre estimation de la valeur locative ni aucun élément de comparaison, et communiquent des avis de la valeur vénale de la maison datant de 2016 qui se révèlent tous inférieurs au montant retenu par le notaire commis, à savoir entre 580.000 et 600.000 euros selon l'agence [16] cabinet [18] le 07 mars 2016, entre 750.000 et 780.000 euros selon [10] le 1er mars 2016, et entre 700.000 et 750.000 euros selon [M] [A] qui a visité le bien en août 2016.
Dans ces conditions, la valeur locative de 2.000 euros fixée par le notaire commis apparaît justifiée, et il convient de la retenir pour fixer l'indemnité d'occupation à la somme de 1.600 euros après application de l'abattement de 20 %.
Par ailleurs, aucun motif ne justifie de déroger au principe selon lequel l'indemnité d'occupation est due jusqu'à la libération des lieux ou à défaut jusqu'au jour du partage, étant encore rappelé que le moyen tiré de ce que Mme [T] aurait volontairement ralenti les opérations de liquidation des intérêts patrimoniaux des parties a été écarté comme ne résistant pas à l'analyse des faits.
Par conséquent, le jugement sera confirmé en ce qui concerne l'indemnité d'occupation, sauf à préciser que le montant de l'indemnité d'occupation est fixé à 1.600 euros par mois à compter du 1er septembre 2016 et jusqu'à la libération des lieux ou à défaut jusqu'au jour du partage.
Sur les récompenses revendiquées par M. [S] :
M. [S] revendique une récompense au titre des fonds propres qu'il aurait investis sur le contrat d'assurance-vie Rouge Corinthe à hauteur de 69.677,85 euros, ainsi que deux récompenses au titre des fonds propres qu'il aurait investis pour financer l'acquisition des actions QUALICONSULT PARTNER à hauteur de 146.775 euros, et de QUALICONSULT PARTNER 2 à hauteur de 78.128,50 euros.
Il considère que le principe de ces récompenses est évident et démontré, Mme [T] en reconnaissant elle-même l'existence aux termes de ses conclusions qui n'excluent pas ce droit à récompense de son époux par la demande subsidiaire qu'elle présente visant à en fixer le montant à la somme de 100.000 euros, et que seule leur valorisation peut être débattue dans le cadre de la mission confiée au notaire qui est actuellement en cours de réalisation.
Il expose que son père lui a prêté, par deux virements reçus en décembre 2007 et janvier 2008, une somme totale de 100.000 euros, et que ce prêt a été converti en donation à son profit comme en attestent sa mère et son frère, et réutilisé après la vente de la maison de [Localité 9] d'une part pour l'acquisition des actions QUALIPARTNERS pour un montant de 38.500 euros, d'autre part pour un placement en assurance-vie pour une somme de 67.000 euros. Il explique par ailleurs que suite au décès de son père, il est devenu bénéficiaire d'un contrat d'assurance-vie souscrit par son père pour un montant de 122.781,02 euros, somme versée sur le compte courant des époux [S] en mars 2014 et qu'il a retirée comme lui revenant en propre au moment de la séparation en décembre 2015.
Au contraire, Mme [T] soutient que M. [S] ne rapporte pas la preuve de l'origine propre des fonds et de leur utilisation d'une part pour abonder le contrat d'assurance-vie Rouge Corinthe, d'autre part pour acquérir les parts des sociétés QUALICONSULT PARTNER et QUALICONSULT PARTNER 2.
Elle sollicite en conséquence la confirmation du rejet des récompenses invoquées par M. [S], ou subsidiairement, d'en fixer le montant à la somme de 100.000 euros en écartant toute revalorisation.
Sur ce,
L'article 1433 du code civil dispose :
'La communauté doit récompense à l'époux propriétaire toutes les fois qu'elle a tiré profit de biens propres.
Il en est ainsi, notamment, quand elle a encaissé des deniers propres ou provenant de la vente d'un propre, sans qu'il en ait été fait emploi ou remploi.
Si une contestation est élevée, la preuve que la communauté a tiré profit de biens propres peut être administrée par tous les moyens, même par témoignages et présomptions.'
L'article 1469 du même code dispose :
'La récompense est, en général, égale à la plus faible des deux sommes que représentent la dépense faite et le profit subsistant.
Elle ne peut, toutefois, être moindre que la dépense faite quand celle-ci était nécessaire.
Elle ne peut être moindre que le profit subsisitant, quand la valeur empruntée a servi à acquérir, à conserver ou à améliorer un bien qui se retrouve, au jour de la liquidation de la communauté, dans le patrimoine emprunteur. Si le bien acquis, conservé ou amélioré a été aliéné avant la liquidation, le profit est évalué au jour de l'aliénation ; si un nouveau bien a été subrogé au bien aliéné, le profit est évalué sur ce nouveau bien.'
Le premier juge a débouté M. [S] de ses demandes de récompenses tant pour ce qui concerne le contrat d'assurance-vie Rouge Corinthe que pour les parts détenues dans les sociétés QUALICONSULTPARTNER aux motifs :
- qu'il ne justifie pas que les deux sommes reçues du compte de ses parents, d'un montant de 40.000 et de 60.000 euros, aient été employées pour le financement de l'assurance-vie litigieuse, ce d'autant que l'acte sous seing privé mentionne leur affectation à la construction de la résidence principale de [Localité 15],
- qu'au surplus, il résulte du document produit par Mme [T] 'information annuelle 2014" que l'adhésion à ce contrat d'assurance-vie daterait du 29 septembre 2010, soit plus de deux ans après la donation dont M. [S] se prévaut,
- que M. [S] ne justifie pas que les fonds investis provenaient de la donation de son père, et n'explique pas les modalités du calcul du profit subsistant.
A titre liminaire, il convient d'abord d'observer que, contrairement à ce que soutient M. [S], la demande subsidiaire de Mme [T] visant à voir fixer le montant des récompenses invoquées par M. [S] à la somme de 100.000 euros et à voir rejeter sa demande de revalorisation, si par impossible il était fait droit à la demande de récompense formulée par M. [S] à l'encontre de la communauté, ne saurait valoir reconnaissance du principe même du droit à récompense de M. [S] puisque Mme [T] demande à titre principal à la cour de l'écarter.
En effet, le seul fait de conclure, subsidiairement à une demande principale tendant au rejet de la prétention adverse, à la minoration de celle-ci, ne relève que d'une simple prudence procédurale, et le juge ne saurait en tirer pour conséquence que l'auteur de la demande subsidiaire admet la prétention adverse au moins dans son principe.
En l'espèce, il ressort des pièces produites et des explications fournies :
- que par acte sous seing privé en date du 04 janvier 2008, M. [E] [S] atteste avoir emprunté la somme de 100.000 euros à son père, M. [K] [S], pour la construction d'une résidence principale à [Localité 15], la durée du prêt étant de 7 ans à compter du 04 janvier 2008, et le remboursement se faisant à partir de la fin de la construction et au plus tard le 04 janvier 2015 ;
- que deux virements intitulés '[S]' ont été reçus sur le compte courant joint des époux [S] le 27 décembre 2007 pour un montant de 40.000 euros et le 03 janvier 2008 pour un montant de 60.000 euros ;
- que les travaux de construction de la maison de [Localité 15] ont commencé en mars 2008 et que le couple y a emménagé en janvier 2010 ;
- que la maison de [Localité 9] antérieurement occupée par la famille [S] a été vendue le 04 janvier 2010 pour le prix de 337.000 euros ;
- que M. [S] reconnaît dans ses conclusions (page 9) que c'est le solde restant àa la suite de la vente de la maison de [Localité 9] et après apurement de toutes les dettes, (remboursement du prêt relais contracté le 13 mars 2007 pour l'acquisition du terrain à [Localité 15] à hauteur de 80.000 euros, règlement des dernières factures de la construction de la maison de [Localité 15], achat d'une voiture VOLVO), soit la somme de 100.000 euros - ce qui correspondrait selon lui au prêt accordé par son père, converti en donation - , qui a été réutilisé par lui d'une part pour l'acquisition des actions QUALIPARTNERS le 06 mai 2010 pour un montant de 38.500 euros, d'autre part pour un placement en assurance-vie le 29 septembre 2010 pour une somme de 67.000 euros ;
- que M. [S] ne justifie pas de l'opération bancaire par laquelle il a réalisé le versement des fonds pour la souscription de l'assurance-vie Rouge Corinthe dont s'agit ni pour l'acquisition des parts sociales de la société QUALICONSULT PARTNER, et n'apporte aucun élément de nature à démontrer que l'origine de ces fonds est issue de la somme prêtée par son père deux ans plus tôt ;
- que si Mme [D] [S], mère, atteste avoir consenti avec son époux à un virement bancaire au profit de leur fils [E] formalisé par un acte sous seing privé, et confirme que le souhait de son défunt mari était de convertir cet acte en donation, et si M. [X] [S], frère, certifie qu'il a été informé du versement en 2008 par son père d'une somme d'argent formalisé par un acte sous seing privé avec une volonté de le convertir en donation, confirmant avoir lui-même bénéficié du versement d'une somme convertie en donation de son vivant, il n'en demeure pas moins que dans la déclaration de succession de M. [K] [S], décédé le [Date décès 3] 2014, il est mentionné une absence de donation antérieure, la personne décédée n'ayant consenti à un titre et sous une forme quelconque aucune donation au profit de qui que ce soit pour quelque cause que ce soit ;
- que M. [S] a souscrit le 06 mai 2010 pour un montant de 28.500 euros à 28.500 actions de la société QUALICONSULT PARTNERS d'une valeur nominale de 1 euro, puis a participé le 03 février 2015 à l'augmentation de capital de QUALICONSULT PARTNER 2 par apport de ses 28.500 actions de la société QUALICONSULT PARTNER lui procurant le même nombre d'actions nouvelles de QUALICONSULT PARTNERS 2, ainsi que par un apport en numéraire de 78.228,50 euros lui permettant d'acquérir 15.190 euros supplémentaires de QUALICONSULT PARTENERS 2, et financé au moyen d'un prêt in fine de 79.000 euros souscrit auprès du [12] le 18 mars 2015 puis racheté par le [13] avec effet à compter du 26 avril 2023 (35 mensualités de 253,46 euros et une 36ème mensualité de 79.253,46 euros).
Il résulte de l'ensemble de ces éléments :
- que si M. [K] [S] a pu exprimer l'intention de convertir le prêt qu'il a consenti à son fils [E] à hauteur de 100.000 euros en donation, pour autant il n'est pas démontré que cette intention se soit jamais concrétisée par un acte en précisant notamment les modalités ;
- que de l'aveu même de M. [S], corroboré par la chronologie des faits, les fonds investis dans le contrat d'assurance-vie ainsi que dans les parts sociales ne proviennent pas des versements effectués en décembre 2007 et janvier 2008 au titre du prêt sous seing privé consenti en janvier 2008 mais correspondent au solde de la vente de la maison de [Localité 9] en janvier 2010, la somme de 100.000 euros prêté en janvier 2008 ayant plus vraisemblablement servi à financer les travaux de construction de la maison de [Localité 15] entre mars 2008 et janvier 2010, comme précisé dans l'acte de prêt ;
- que les pièces produites ne permettent pas de déterminer si M. [S] est toujours détenteur de parts dans la société QUALICONSULT PARTNER et quelle serait la valeur de ces parts, alors qu'il paraît avoir apporté l'intégralité de ces parts dans la société QUALICONSULT PARTNERS 2.
Partant, M. [S] ne saurait réclamer des récompenses au titre de l'investissement des fonds reçus à hauteur d'une somme totale de 100.000 euros en décembre 2007 et janvier 2008 dans le contrat d'assurance-vie et les parts sociales de QUALICONSULT PARTNER, dès lors que le caractère propre de ces fonds n'est pas démontré, pas plus que leur utilisation pour acquérir les biens visés.
Par conséquent, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a débouté M. [S] de ses demandes de récompenses au titre du contrat d'assurance-vie et des parts sociales par utilisation des fonds prêtés par acte sous seing privé du 04 janvier 2008, étant précisé que le premier juge n'ayant pas statué sur les parts sociales dans QUALICONSULT PARTNER 2, il sera procédé par adjonction au jugement sur ce point, et non réformation de celui-ci, en déboutant M. [S] de sa demande de récompense également au titre des parts sociales dans QUALICONSULT PARTNERS 2.
Sur la valorisation des parts sociales à l'actif commun :
Mme [T] demande de fixer à l'actif commun la valeur des 43.690 euros actions de la société QUALICONSULT PARTNERS 2 à la somme de 139.371,10 euros suite au droit de retrait de cette société exercé par M. [S] le 17 janvier 2023 se traduisant par l'annulation de ses 43.690 actions, expliquant qu'en contrepartie, devra figurer au passif commun le montant du prêt in fine dû à la date des effets du divorce, soit la somme de 79.000 euros au 19 novembre 2015.
M. [S] ne présente pas de demande sur ce point dans le dispositif de ses conclusions, qui seul lie la cour, mais relève dans les motifs de celles-ci qu'il devra être tenu compte de l'emprunt sur lequel une somme de 75.000 euros est encore due, de sorte qu'il sera fixé à l'actif la valeur des 43.690 actions de la société QUALICONSULT PARTNERS 2 à la somme de 64.371,10 euros, soit la valeur des actions d'un montant 139.371,10 euros, diminuée du solde restant dû sur l'emprunt contracté pour leur acquisition d'un montant de 75.000 euros.
Il convient d'abord de relever que M. [S] ne conteste pas le caractère de bien commun des parts sociales de la société QUALICONSULT PARTNER 2 puisqu'il réclame simplement une récompense à la communauté à ce titre, et non une reprise de biens propres.
Par ailleurs, la valorisation des 43.690 actions détenues au sein de la société QUALICONSULT 2 à la somme de 139.371,10 euros n'est pas contestée et résulte de la correspondance adressée par le président de ladite société au notaire commis, Me [P] [H], en date du 11 mars 2023, aux termes de laquelle il indique :
- que M. [S] a notifié l'exercice de son droit de retrait par courrier en date du 17 janvier 2023, ce qui se traduit par une annulation des 43.690 actions qu'il détient dans le capital de la société au 31 décembre 2023,
- que la société est redevable à son égard, en contrepartie de cette annulation, de la valeur de remboursement de ses actions déterminée lors de l'assemblée générale annuelle qui s'est tenue le 19 septembre 2023, appelée à statuer sur les comptes de l'exercice clos le 31 décembre 2022,
- que la valeur des actions de la société QUALICONSULT PARTNERS 2 a été arrêtée à un montant unitaire de 3,19 euros par l'assemblée générale ordinaire annuelle en date du 19 septembre 2023.
Enfin, s'il doit être tenu compte du passif commun constitué du prêt souscrit pour l'acquisition de ces parts, il n'y a pas lieu de le soustraire de la valeur des parts sociales mais de l'inscrire au passif de la communauté pour son montant déterminé au jour le plus proche du partage.
Par suite, il y a lieu de faire droit à la demande de Mme [T] de fixer à l'actif commun la valeur des 43.690 actions de la société QUALICONSULT PARTNERS 2 à la somme de 139.371,10 euros et de dire que le solde restant dû sur le prêt souscrit pour l'acquisition de ces parts sociales devra figurer au passif commun pour son montant déterminé au jour le plus proche du partage.
Sur les dépens et les frais irrépétibles :
Compte tenu de la nature de l'affaire, les dépens seront employés en frais privilégiés de partage.
Partie perdante, M. [S] sera condamné à verser à Mme [T] la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant par décision contradictoire dans les limites de sa saisine,
Confirme le jugement prononcé le 23 juin 2023 par le juge aux affaires familiales près le tribunal judiciaire de Caen en toutes ses dispositions,
Y précisant ou ajoutant :
- Fixe le montant de l'indemnité d'occupation due par M. [S] à la somme de 1.600 euros par mois à compter du 1er septembre 2016 jusqu'au jour où il justifiera avoir libéré les lieux, ou à défaut jusqu'au jour du partage,
- Déboute M. [S] de sa demande de récompense présentée à l'encontre de la communauté au titre des parts détenues dans la société QUALICONSULT PARTNERS 2,
- Fixe à l'actif commun la valeur des 43.690 actions de la société QUALICONSULT PARTNERS 2 à la somme de 139.371,10 euros, et Dit que le solde restant dû sur le prêt souscrit pour l'acquisition de ces parts sociales devra figurer au passif commun pour son montant déterminé au jour le plus proche du partage,
- Déboute les parties de toutes demandes autres, plus amples ou contraires,
- Condamne M. [S] à payer à Mme [T] la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- Dit que les dépens seront employés en frais privilégiés de partage,
- Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
B. YVON Dominique GARET