DLP/CH
[C] [T]
C/
E.U.R.L. [H] NETTOYAGE prise en la personne de son gérant en exercice domicilié en cette qualité audit siège
Expédition revêtue de la formule exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE - AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE DIJON
CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT DU 21 AVRIL 2022
MINUTE N°
N° RG 20/00205 - N° Portalis DBVF-V-B7E-FOYM
Décision déférée à la Cour : Jugement Au fond, origine Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MACON, section COMMERCE, décision attaquée en date du 27 Mars 2020, enregistrée sous le n° 18/00184
APPELANT :
[C] [T]
[Adresse 3]
[Localité 2]
représenté par Me Jean-Philippe BELVILLE de la SELARL PREMIUM AVOCATS, avocat au barreau de LYON, avocat plaidant et Me Arthur GAUTHERIN, avocat au barreau de MACON/CHAROLLES, avocat postulant
INTIMÉE :
E.U.R.L. [H] NETTOYAGE prise en la personne de son gérant en exercice domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 4]
[Localité 1]
représentée par Me Claire GERBAY, avocat au barreau de DIJON, avocat postulant, et Me Sami KOLAI, avocat au barreau de MACON/CHAROLLES substitué par Me Dimitri FALCONE, avocat au barreau de MACON/CHAROLLES, avocat plaidant
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 10 Mars 2022 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Delphine LAVERGNE-PILLOT, Conseiller chargé d'instruire l'affaire. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries lors du délibéré, la Cour étant alors composée de :
Olivier MANSION, Président de chambre,
Delphine LAVERGNE-PILLOT, Conseiller,
Rodolphe UGUEN-LAITHIER, Conseiller,
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Frédérique FLORENTIN,
ARRÊT : rendu contradictoirement,
PRONONCÉ par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
SIGNÉ par Olivier MANSION, Président de chambre, et par Frédérique FLORENTIN, Greffier, à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS CONSTANTS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS
M. [T] a été engagé par la société La Rayonnante à compter du 18 mai 2009 par contrat à durée déterminée, puis à compter du 2 septembre 2009 à durée indéterminée, en qualité d'agent de service affecté sur le site Palmidor à [Localité 5].
A compter du 25 octobre 2010, son contrat a été repris par la SARL [H] nettoyage, conformément à l'annexe VII de la convention collective des entreprises du nettoyage.
Le 26 février 2018, le salarié a été convoqué par son employeur à un entretien préalable.
Le 13 mars 2018, il s'est vu adresser une lettre de licenciement pour insubordination et provocation.
Par requête du 9 novembre 2018, M. [T] a saisi le conseil de prud'hommes aux fins de contester son licenciement et d'obtenir diverses indemnités, se prévalant également du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité.
Par jugement du 27 mars 2020, le conseil de prud'hommes :
- dit que l'employeur a manqué à ses obligations de garantir la sécurité et la santé de M. [T], constatant que M. [T] ne formule pas de demande à ce titre l'invite à mieux se pourvoir,
- dit que le licenciement de M. [T] repose sur une faute grave,
- déboute M. [T] de l'ensemble de ses demandes,
- déboute la SARL [H] nettoyage de sa demande reconventionnelle,
- dit qu'il n'y a pas lieu à condamnation des parties au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- dit que chacune des parties conserve la charge de ses propres dépens.
Par déclaration enregistrée le 30 avril 2020, M. [T] a relevé appel de cette décision.
Dans le dernier état de ses conclusions notifiées par voie électronique le 8 janvier 2021, il demande à la cour de :
- réformer en tous points le jugement entrepris,
Statuant à nouveau,
- condamner la SARL [H] nettoyage à lui verser les sommes suivantes :
* 1 690,25 euros à titre de salaire de mise à pied,
* 169 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés sur mise à pied,
* 4 003 euros à titre de préavis,
* 400,30 euros à titre d'indemnité de congés payés sur préavis,
* 4 420 euros à titre d'indemnité légale de licenciement,
* 17 681 euros à titre de l'indemnisation du préjudice moral et matériel du fait de la rupture du contrat de travail sans cause réelle et sérieuse,
* 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur d'appel et 1 500 euros pour première instance, outre les dépens.
Par ses dernières écritures notifiées par voie électronique le 13 octobre 2020, la SARL [H] nettoyage demande à la cour de :
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il dit que le licenciement pour faute grave est bien fondé et en ce qu'il déboute M. [T] de ses demandes,
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il dit qu'elle a manqué à son obligation de sécurité et de santé,
- débouter, en conséquence, M. [T] de l'ensemble de ses demandes,
En tout état de cause,
- condamner M. [T] à lui payer la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur d'appel et 2 000 euros pour la première instance,
- condamner M. [T] aux entiers dépens.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, à leurs dernières conclusions sus-visées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
SUR LE BIEN-FONDÉ DU LICENCIEMENT POUR FAUTE GRAVE
Attendu que M. [T] soutient que l'employeur a manqué à son obligation légale de garantir sa sécurité et sa santé en refusant volontairement, et en toute mauvaise foi, de se soumettre aux directives du médecin du travail ; que cette faute de l'employeur a, selon lui, rendu l'exécution du contrat de travail impossible et engagé la responsabilité contractuelle de la société à son égard ; qu'elle est également à l'origine de son propre refus de se soumettre aux directives de sa hiérarchie ; qu'il ajoute avoir notifié à la société, par courrier du 9 février 2018 suivi d'un arrêt de travail jusqu'au 19 février, les raisons pour lesquelles il refusait son affectation qui ne respectait pas, selon lui, les préconisations du médecin du travail et ne lui permettait pas de travailler en toute sécurité ; qu'il estime, par suite, avoir à bon droit, face à un danger grave et imminent, exercé son droit de retrait et que l'employeur ne pouvait le licencier dès lors qu'il l'avait exercé régulièrement ; qu'enfin, le motif d'insubordination n'est pas caractérisé, ni celui de provocations qu'il qualifie de « réactions de défense pour tenter de préserver l'emploi dont il avait grand besoin et ses droits, à défaut d'y parvenir » ;
qu'en réponse, la société [H] nettoyage expose que les griefs notifiés dans le courrier de licenciement sont matériellement établis et caractérisent une faute grave ayant rendu impossible la poursuite du contrat de travail ; qu'elle se prévaut de la parfaite conformité de l'affectation de M. [T] aux prescriptions médicales et au contrat de travail, ainsi que de l'absence de tout fondement d'un droit de retrait par le salarié ;
I - Attendu que l'employeur est tenu d'une obligation générale de sécurité de moyen renforcée dont il doit assurer en toutes circonstances l'effectivité ; qu'il doit ainsi mettre en 'uvre toutes mesures nécessaires pour assurer la sécurité et la santé physique et mentale de ses salariés ;
qu'ici, contrairement à ce que prétend le salarié, la société [H] nettoyage ne s'est pas uniquement attachée à la restriction énoncée par le médecin du travail relative au travail sur les quais mais a bien intégré dans sa proposition de poste la recommandation visant à éviter les postes à forte génération de buée sur les verres correcteurs ;
qu'ainsi, le 4 janvier 2018, le médecin du travail a rendu l'avis suivant :
« L'état de santé constaté ce jour justifie que l'on soit attentif à des conditions de travail évitant la buée sur les verres correcteurs. Ne peut travailler sans ces verres correcteurs ; le nettoyage au karcher dans les ateliers froids (découpe de canard et emballage) est tout à fait possible (il n'y a pas de buées sur les verres) mais le travail à température ambiante sur le quai est générateur de buée sur les verres correcteurs. Il faut donc éviter de positionner ce salarié sur le nettoyage des quais » ;
que, le 30 janvier 2018, ce médecin, saisi à nouveau par le salarié, a rendu l'avis suivant :
« L'état de santé de M. [T] nécessite que l'on aménage le poste de travail en évitant le travail au tuyau d'eau chaude sur le quai. En effet, il n'existe pas d'équipement de protection qui permette d'éviter la buée sur les verres correcteurs indispensables pour ce salarié. Ce salarié peut tout à fait être affecté au nettoyage des autres bâtiments avec le karcher (la température basse de ces bâtiments évite un excès de brouillard et il y a moins de buée sur les lunettes) » ;
qu'il ressort explicitement des avis médicaux précités qu'il est préconisé d'affecter le salarié à un poste de nettoyage avec karcher dans tout autre bâtiment de l'entreprise, le médecin prenant soin de préciser que les autres bâtiments sont à basse température ;
que l'employeur a, dès lors, affecté M. [T] à un poste de nettoyage dans ses ateliers d'éviscération abattoir canard et process pattes, situés à l'intérieur de la structure du bâtiment ; que ce faisant, il a retiré le salarié du nettoyage des quais pour l'affecter dans un lieu clos évitant tout excès de brouillard et réduisant la buée sur les lunettes ; qu'à aucun moment, le médecin dont l'avis est d'interprétation strict n'a prohibé « toute activité génératrice de buée » ;
qu'il s'ensuit que l'intimée a respecté les préconisations du médecin du travail ; qu'en outre, le salarié n'établit pas l'existence d'un danger grave et imminent généré par ses conditions de travail justifiant l'exercice d'un droit de retrait, les photos qu'il produit étant insuffisantes à l'établir ;
II - Attendu qu'il résulte des articles L.1234-1 et L.1234-9 du code du travail que, lorsque le licenciement est motivé par une faute grave, le salarié n'a droit ni à un préavis ni à une indemnité de licenciement ;
que la faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise ;
que l'employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve ;
qu'il est en outre constant que, lorsque les juges considèrent que les faits invoqués par l'employeur ne caractérisent pas une faute grave, ils doivent rechercher si ces faits n'en constituent pas moins une cause réelle et sérieuse de licenciement ;
Attendu, en l'espèce, que M. [T] a été licencié pour faute grave en raison de son abandon de poste le 5 février 2018 et de son refus réitéré de travail, outre son comportement inconvenant à l'endroit de Mme [H] le 19 février 2018, date de reprise de son travail ;
qu'en l'absence de manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, le salarié ne pouvait s'opposer aux tâches qui lui étaient attribuées, étant observé que l'article 4 de l'avenant du 25 octobre 2010 le liant à la société rappelle que « le refus du salarié d'accepter une mutation sur un autre chantier pourra constituer une faute ('.) » ; que l'insubordination du salarié est donc établie ; que son comportement déplacé l'est également par les attestations produites par l'employeur dont il résulte que M. [T] a suivi Mme [H] pendant 6 heures, y compris jusqu'aux vestiaires et sanitaires, en refusant de travailler et en prenant des photos et vidéos avec son téléphone ; que le salarié ne le conteste pas sérieusement mais assimile son attitude à des « réactions de défense pour tenter de préserver l'emploi dont il avait grand besoin et ses droits, à défaut d'y parvenir » alors même qu'aucune situation de danger ne venait justifier son comportement ; qu'au surplus, le règlement intérieur de la société interdit, en son article 4.12 relatif à l'obligation de discrétion, de prendre des photos ou vidéos dans l'enceinte de l'entreprise à toute personne présente sur le site, sauf autorisation de la direction laquelle fait ici défaut ;
qu'en conséquence, les faits rapportés dans la lettre de licenciement sont avérés ; qu'ils traduisent un comportement déloyal et un non-respect volontaire et réitéré des conditions de travail de l'entreprise par M. [T] ; qu'ils sont ainsi constitutifs d'une faute grave rendant impossible le maintien de la relation de travail, le jugement déféré étant confirmé en ses dispositions en ce sens ;
Attendu que le licenciement pour faute grave étant reconnu bien fondé, les demandes indemnitaires de M. [T] doivent être rejetées ;
SUR LES DEMANDES ACCESSOIRES
Attendu que la décision querellée sera confirmée en ses dispositions relatives à l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens ;
que M. [T], qui est à l'origine d'un appel non fondé, doit prendre en charge les entiers dépens d'appel et supporter une indemnité au visa de l'article 700 du code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS :
La cour,
Confirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour, sauf à dire que l'employeur n'a pas manqué à son obligation de sécurité,
Y ajoutant,
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de M. [T] et le condamne à payer à la société [H] nettoyage la somme de 2 000 euros,
Condamne M. [T] aux dépens d'appel.
Le greffierLe président
Frédérique FLORENTINOlivier MANSION