KG/CH
URSSAF de Champagne-Ardenne
C/
Société [D] [R]
Expédition revêtue de la formule exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE - AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE DIJON
CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT DU 09 MARS 2023
MINUTE N°
N° RG 20/00418 - N° Portalis DBVF-V-B7E-FRYM
Décision déférée à la Cour : Jugement Au fond, origine Pôle social du Tribunal Judiciaire de CHAUMONT, décision attaquée en date du 31 Juillet 2020, enregistrée sous le n° 19/178
APPELANTE :
URSSAF de Champagne-Ardenne
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 2]
représentée par Me Marie RAIMBAULT de la SCP SOULARD-RAIMBAULT, avocat au barreau de DIJON
INTIMÉE :
Société [D] [R]
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me Jean-François MERIENNE de la SCP MERIENNE ET ASSOCIES, avocat au barreau de DIJON substitué par Me Lucille VENTALON, avocat au barreau de DIJON
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 10 Janvier 2023 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Katherine DIJOUX-GONTHIER, Conseiller chargé d'instruire l'affaire. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries lors du délibéré, la Cour étant alors composée de :
Olivier MANSION, Président de chambre,
Delphine LAVERGNE-PILLOT, Conseiller,
Katherine DIJOUX-GONTHIER, Conseiller,
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Kheira BOURAGBA,
ARRÊT : rendu contradictoirement,
PRONONCÉ par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
SIGNÉ par Olivier MANSION, Président de chambre, et par Kheira BOURAGBA, Greffier, à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE
La société [D] [R] (la société) a reçu de l'union de recouvrement des cotisations de la sécurité sociale et des allocations familiales (l'URSSAF) de Champagne Ardenne une lettre d'observations adressée le 17 avril 2015, après contrôle diligentée par l'URSSAF.
Une mise en demeure lui a été adressée le 21 septembre 2015 pour un montant de 82 391 euros.
La commission de recours amiable a rejeté, le 27 avril 2016, le recours de la société qui a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de la Haute Marne qui a, par décision du 21 mars 2018, ordonné une réouverture des débats, enjoignant à cet effet la société :
- de produire aux débats un état détaillé par salarié, et relatif à l'ensemble de la période de 3 ans concernée par le redressement, des transports litigieux effectués, accompagné de la copie des lettres de voiture y afférent, et exposant les divers motifs d'exonération engagés à l'occasion de ces transports au titre des frais de déplacements, prime de panier, indemnités de grands déplacements, ainsi que des frais supplémentaires de nourriture ou de logement susceptibles d'avoir été exposés à l'occasion de ces transports,
- de procéder à l'extraction des données significatives contenues dans la clef USB qu'il a versée aux débats et dont il entend se prévaloir du contenu au soutien de sa position.
Par jugement avant dire droit en date du 31 juillet 2020, le tribunal judiciaire de Chaumont a ordonné une expertise comptable.
Par déclaration enregistrée le 10 novembre 2020, l'URSSAF Champagne Ardenne a relevé appel de cette décision.
Dans le dernier état de ses conclusions reçues à la cour le 9 janvier 2023, elle demande à la cour de :
- déclarer recevable et bien-fondé son appel,
- infirmer en toutes ses dispositions le jugement du pôle social du tribunal judiciaire de Chaumont du 31 juillet 2020,
statuant à nouveau ,
- débouter la société [D] [R] de l'intégralité de ses demandes contraires,
- constater que le chef de redressement n° 1 au titre des frais professionnels non justifiés à hauteur de 73 713 euros est fondé,
- condamner la société [D] [R] au paiement de la mise en demeure du 21 septembre 2015 d'un montant de 73 713 euros de cotisations, 8678 euros de majorations de retard, outre majorations de retard à parfaire jusqu'à complet paiement du principal,
- condamner la société [D] [R] au paiement de 1 500 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Par ses dernières écritures notifiées par voie électronique le 6 janvier 2023, la société [D] [R] demande à la cour de :
à titre principal,
- réformer le jugement du pôle social du 31 juillet 2000,
- annuler le redressement pour 82 391 euros,
- condamner l'URSSAF à lui payer la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
à titre subsidiaire,
- confirmer le jugement en ce qu'il a ordonné avant dire droit une expertise des pièces justificatives produites par l'entreprise [D] afin de procéder à une analyse indemnité par indemnité, jour par jour salarié par salarié,
en tout état de cause,
- débouter l'URSSAF de sa demande de voir déclarer fondé le redressement, de la condamner à payer 82 391 euros, et sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner l'URSSAF à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, à leurs dernières conclusions susvisées.
MOTIFS
- Sur la demande d'annulation de l'expertise judiciaire
L'URSSAF fait valoir qu'aucun document n'a été fourni par la société [D] [R] afin de justifier la totalité des indemnités de grands déplacements versées aux salariés, et qu'une mesure d'expertise ne peut être ordonnée en vue de suppléer la carence d'une partie dans l'administration de la preuve. Elle ajoute que les pièces communiquées après la période contradictoire du contrôle par l'entreprise [D] doivent être écartées.
La société précise qu'elle proposait une expertise sur la base des documents produits, qui prouvaient la réalité des déplacements ayant généré les indemnités litigieuses, et maintient à titre subsidiaire, qu'une telle expertise puisse être ordonnée.
Elle ajoute qu'il est soulevé pour la première fois en cause d'appel que les pièces qu'elle a versées aux débats doivent être écartées en contradiction avec l'argument consistant à indiquer qu'elle ne produirait aucun document, que ces documents ne sont pas nouveaux et ne doivent pas être écartés.
L'article 146 du code de procédure civile dispose :
« Une mesure d'instruction ne peut être ordonnée sur un fait que si la partie qui l'allègue ne dispose pas d'éléments suffisants pour le prouver.
En aucun cas une mesure d'instruction ne peut être ordonnée en vue de suppléer la carence de la partie dans l'administration de la preuve ».
En l'espèce, les pièces litigieuses aujourd'hui présentées par la société n'ont pas été communiquées en temps utiles aux agents en charge du contrôle comme l'exige l'article R 243-59 du code de la sécurité sociale, en inexécution de son obligation pendant la vérification de présenter les pièces pourtant nécessaires, plaçant ainsi les inspecteurs dans l'incapacité de s'assurer du bien fondé des pratiques aujourd'hui querellées.
La lettre d'observations vise cette insuffisance probatoire et invite la requérante à produire les pièces manquantes sous un délai de 30 jours, mais en vain, et ce alors même que les éléments qui auraient pu permettre de justifier de la réalité des déplacements étaient pourtant des éléments de preuve faciles à rapporter et/ou à stocker (agenda. mails, convocations ... ).
Certes, bien que les lettres de voiture et les feuilles de kilomètres par jour des salariés visés par le contrôle ont été communiquées à la commission de recours amiable qui, par décision en date du 16 juin 2016, a rejeté sa demande, ces éléments ainsi que ceux communiqués postérieurement sont insuffisants pour justifier de l'intégralité des déplacements litigieux, ne permettent pas de connaître avec précision, jour par jour, le lieu de résidence du salarié à prendre en compte, ni de démontrer que le salarié a été empêché de regagner son domicile.
Ainsi l'expertise judiciaire s'avère inutile puisqu'elle ne permettra pas de caractériser la situation de grands déplacements.
Le jugement sera donc infirmé de ce chef.
- Sur le redressement
- sur la procédure de contrôle
La société se prévaut de la nullité du redressement en raison du fait que le contrôle a eu lieu avec Mme [D] qui est l'épouse du chef de la société laquelle ne fait pas partie de l'entreprise.
L'URSSAF indique que la vérification a été faite au cabinet comptable à la demande de la société en présence de Mme [D] et de l'agent chargé du contrôle dont les constatations font foi jusqu'à preuve du contraire.
Le contrôle a été effectué dans le respect des dispositions de l'article R. 243-59 de de la Sécurité sociale, puisque le principe de la contradiction a été respecté et qu'aucune audition d'un tiers n'est relatée dans la lettre d'observations.
De plus aucun grief n'est évoqué par la société.
Le moyen de nullité soulevé par la société est donc inopérant.
- sur le bien fondé du redressement
La société fait valoir que l'URSSAF n'a pas pris la peine d'individualiser les situations de contrôle mois par mois, salarié par salarié et par type d'indemnité.
Elle indique qu'elle justifie par les bulletins de salaire mensuel, par le disque chronotachygraphe et par les lettres de voiture pour le lieu de travail les indemnités versées au titre de grands déplacements.
L'URSSAF soutient que la société n'a pas été en mesure de justifier la situation de déplacement en indiquant le lieu où se trouvent les chauffeurs, les justificatifs de frais n'existant pas. Elle précise que les informations transmises tardivement ne permettaient pas de valider des indemnités de grands déplacements. Elle soulève que l'entreprise [D] ne démontre pas que le salarié ne peut regagner chaque jour sa résidence et que de ce fait il engage des frais supplémentaires de nourriture et de logement, qu'en conséquence, les conditions de l'arrêté du 20 décembre 2002 ne se trouvent pas remplies et que les remboursements qui sont alloués aux bénéficiaires doivent être considérés comme des compléments de rémunération qu'il y lieu de réintégrer dans l'assiette des cotisations.
En application de l'article L. 242-1 du code de la sécurité sociale, toutes les sommes ou avantages en nature alloués en contrepartie ou à l'occasion du travail sont soumis à cotisations et contributions sociales, à l'exception du remboursement de frais professionnels qu'il incombe à l'employeur cotisant de justifier.
Ce texte est de portée générale.
L'employeur bénéficie néanmoins de diverses présomptions de remboursement de frais professionnels pour certaines sommes versées aux salariés, notamment pour les indemnités de grand déplacement servies dans les conditions énoncées à l'article 5 de l'arrêté ministériel du 20 décembre 2002, modifié par l'article 2 de l'arrêté n° 2005/0725 du 6 août 2005 dans les termes suivants :
" Indemnités forfaitaires de grand déplacement :
1° En métropole :
Lorsque le travailleur salarié ou assimilé est en déplacement professionnel et empêché de regagner chaque jour sa résidence habituelle, les indemnités de missions destinées à compenser les dépenses supplémentaires de repas sont réputées utilisées conformément à leur objet pour la fraction qui n'excède pas le montant prévu au 1° de l'article 3 du présent arrêté.
S'agissant des indemnités de mission destinées à compenser les dépenses supplémentaires de logement et du petit déjeuner, elles sont réputées utilisées conformément à leur objet pour la fraction qui n'excède pas par jour 54 euros pour le travailleur salarié ou assimilé en déplacement à [Localité 5] et dans les départements des Hauts-de-Seine, de Seine-Saint-Denis, du Val-de-Marne et par jour 40 euros pour les travailleurs salariés ou assimilés en déplacement dans les autres départements de la France métropolitaine ;
Le travailleur salarié ou assimilé est présumé empêché de regagner sa résidence lorsque la distance séparant le lieu de résidence du lieu de déplacement est au moins égale à 50 kilomètres (trajet aller) et que les transports en commun ne permettent pas de parcourir cette distance dans un temps inférieur à 1 h 30 (trajet aller). Toutefois, lorsque le travailleur salarié ou assimilé est empêché de regagner son domicile en fin de journée pour des circonstances de fait, il est considéré comme étant dans la situation de grand déplacement ".
Il appartient à l'employeur de justifier du versement des indemnités de grand déplacement dans les conditions ouvrant droit à la présomption de remboursement de frais.
En l'espèce, l'inspecteur du recouvrement a constaté qu'en 2012, 2013 et 2014, certains salariés ont bénéficié d'allocations forfaitaires de grands déplacements et qu'aucune pièce fournie durant la vérification n'a permis de révéler l'existence de chantiers remplissant les conditions de grands déplacements.
Les pièces communiquées par la société (pièces n° 15 à 29) ne justifient pas des lieux, durée et motifs des déplacements journaliers pour chacun des salariés ayant perçu des indemnités de grand déplacement, les fiches individuelles de salariés et les lettres de véhicules qu'elle produit étant des éléments inopérants pour démontrer que les salariés concernés ne pouvaient regagner chaque jour leur résidence.
En ce qui concerne les relevés du tachygraphe qui indiquent seulement l'heure de départ et d'arrivée des salariés : les amplitudes d'heure de travail relevées comme par exemple pour M. [U] (pièces n° 15 à 17) une moyenne de 6 heures à 17 heures pour les années 2012 à 2014 ; pour M. [C] (pièces n° 18 à 20) une moyenne de 7 heures à 19 heures ; pour M. [D] (pièces n° 21 à 23) moyenne de 7 heures à 20heures ; pour M. [I] (pièces n° 24 à 26) moyenne de 6 heures à 17h30. Dès lors, il est constaté que les salariés peuvent regagner leur domicile au vu de leur horaire de travail et ne peuvent bénéficier de l'indemnité de grand déplacement.
Faute pour la société de justifier pouvoir bénéficier d'une exonération, il convient de maintenir le redressement opéré par l'URSSAF et de condamner la société [D] [R] au paiement du montant de 82 391 euros.
- Sur les autres demandes
L'URSSAF demande de condamner la société au paiement de majoration de retard à parfaire jusqu'à complet paiement du principal.
Il convient d'y faire droit.
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société [D] [R] à verser à l'union de recouvrement des cotisations de la sécurité sociale et des allocations familiales de Champagne Ardenne la somme de 1 500 euros,
La société [D] [R] supportera les dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par décision contradictoire,
INFIRME le jugement en date du 31 juillet 2020,
Statuant à nouveau :
- Dit n'y avoir lieu à expertise judiciaire,
- Condamne la société [D] [R] à payer à l'union de recouvrement des cotisations de la sécurité sociale et des allocations familiales de Champagne Ardenne la somme de 82 391 euros, ainsi que les majorations de retard dues,
Y ajoutant :
- Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société [D] [R] à verser à l'union de recouvrement des cotisations de la sécurité sociale et des allocations familiales de Champagne Ardenne la somme de 1 500 euros,
- Condamne la société [D] [R] aux dépens d'appel.
Le greffier Le président
Kheira BOURAGBA Olivier MANSION