DLP/CH
[T] [J]
C/
S.A.S. DISTRIBUTION CASINO FRANCE prise en la personne de son représentant en exercice domicilié en cette qualité audit siège
Expédition revêtue de la formule exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE - AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE DIJON
CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT DU 09 MARS 2023
MINUTE N°
N° RG 21/00277 - N° Portalis DBVF-V-B7F-FV6E
Décision déférée à la Cour : Jugement Au fond, origine Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de DIJON, section Commerce, décision attaquée en date du 25 Mars 2021, enregistrée sous le n° F 20/00045
APPELANT :
[T] [J]
[Adresse 2]
[Localité 4]
représenté par Me Cédric MENDEL de la SCP MENDEL - VOGUE ET ASSOCIES, avocat au barreau de DIJON
INTIMÉE :
S.A.S. DISTRIBUTION CASINO FRANCE prise en la personne de son représentant en exercice domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me Thomas FAGEOLE de la SAS HDV AVOCATS, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND, et Me Claire GERBAY, avocat au barreau de DIJON substituée par Me Marie GERBAY, avocat au barreau de DIJON
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 31 Janvier 2023 en audience publique devant la Cour composée de :
Olivier MANSION, Président de chambre, Président,
Delphine LAVERGNE-PILLOT, Conseiller,
Rodolphe UGUEN-LAITHIER, Conseiller,
qui en ont délibéré,
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Kheira BOURAGBA,
ARRÊT rendu contradictoirement,
PRONONCÉ par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
SIGNÉ par Olivier MANSION, Président de chambre, et par Kheira BOURAGBA, Greffier, à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS CONSTANTS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS
M. [J] et sa compagne, Mme [S], ont chacun régularisé, avec la SAS Distribution Casino France, plusieurs contrats de co-gérance en qualité de mandataires non salariés, les 9 février 2012, 13 septembre 2013 et le 19 août 2015.
Ils assuraient à ce titre la gestion et l'exploitation d'un magasin de vente au détail (supérette « Petit casino ») sis à [Localité 5] et étaient soumis à la convention collective nationale des maisons d'alimentation à succursales, supermarchés du 18 juillet 1963 modifié.
Ils ont respectivement rompu leur relation contractuelle par lettre du 8 décembre 2016.
Par requête reçue au greffe le 11 décembre 2017, M. [J] a saisi le conseil de prud'hommes aux fins de voir juger que la rupture de son contrat de mandat était imputable à la société Distribution Casino France, que cette rupture devait s'analyser en un licenciement sans cause réelle et sérieuse et a sollicité le paiement des indemnités afférentes, outre le règlement d'heures supplémentaires, d'indemnités au titre du repos compensateur et du non-respect de la durée du travail.
Par jugement du 25 mars 2021, le conseil de prud'hommes a rejeté l'ensemble de ses demandes.
Par déclaration enregistrée le 3 mai 2021, M. [J] a relevé appel de cette décision.
Dans le dernier état de ses conclusions notifiées par voie électronique le 21 décembre 2021, il demande à la cour de :
- juger recevable et bien fondé son appel,
En conséquence,
- infirmer le jugement déféré,
Y faisant droit,
- juger que la rupture du contrat de mandat est imputable à la SAS Distribution Casino France,
- condamner la société Distribution Casino France à lui verser la somme de 30 000 euros à titre de dommages et intérêts,
- condamner la société Distribution Casino France à lui verser la somme de 80 067,03 euros au titre des heures supplémentaires, outre 8 006,70 euros au titre des congés payés afférents,
- condamner la SAS Distribution Casino France à lui verser la somme de 46 680,98 euros au titre des repos compensateurs, outre 4 668,09 euros au titre des congés payés afférents,
- condamner la SAS Distribution Casino France à lui verser la somme de 10 000 euros nets au titre du non-respect des seuils,
- la condamner à lui verser la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouter la SAS Distribution Casino France de l'intégralité de ses demandes,
- condamner la SAS Distribution Casino France aux entiers dépens de première instance et d'appel,
- condamner la même à lui remettre un bulletin de salaire correspondant aux condamnations prononcées.
Par ses dernières écritures notifiées par voie électronique le 28 juillet 2022, la société Distribution Casino France (DCF) demande à la cour de :
- confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions,
En conséquence,
- débouter M. [J] de l'ensemble de ses demandes,
- le condamner à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, à leurs dernières conclusions susvisées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Il sera liminairement relevé que le jugement déféré n'est pas remis en cause en ce qu'il rejette la demande de M. [J] de requalification de son contrat de cogérance mandataire non salarié du 19 août 2015 en contrat de travail.
SUR LA DEMANDE EN PAIEMENT D'HEURES SUPPLEMENTAIRES
1) sur l'application des dispositions légales relatives à la durée du travail
M. [J] ne remet pas en cause son statut de gérant mandataire non salarié et ne recherche plus la requalification de son contrat de mandat en contrat de travail. Il expose que sa demande en paiement d'heures supplémentaires se fonde sur les dispositions de l'article L. 7322-1 du code du travail. Il considère en effet qu'il n'avait aucune liberté ni indépendance dans la fixation de ses conditions et heures de travail, que la société DCF contrôlait ses horaires, se réservait un pouvoir de sanction et qu'elle se doit, par suite, de lui payer ses heures supplémentaires restées impayées.
En réponse, la société DCF fait valoir qu'elle n'a pas imposé ses conditions de travail à M. [J], notamment pas d'horaires déterminés. Elle en déduit que l'intéressé ne peut bénéficier de la législation sur la durée du travail et qu'il ne lui est donc rien dû à titre d'heures supplémentaires.
Il résulte de l'article L. 7322-1 du code du travail que les dispositions de ce code bénéficiant aux salariés s'appliquent en principe aux gérants non salariés de succursales de commerce de détail alimentaire. Selon ce même texte, l'entreprise propriétaire de la succursale est responsable au profit des gérants non salariés des dispositions du livre Ier de la troisième partie relatives à la durée du travail, aux repos et congés payés et à la sécurité du travail lorsque les conditions de travail, de santé et de sécurité au travail dans l'établissement ont été fixées par elles et soumises à son accord. Il en résulte que lorsque, les conditions d'application en sont réunies, les gérants non salariés peuvent revendiquer le paiement d'heures supplémentaires et l'application des dispositions de l'article L. 3171-4 du code du travail.
Ici, pour bénéficier de la législation relative à la durée du travail, il appartient à l'appelant de démontrer que la société DCF lui a imposé à titre individuel l'exécution d'horaires de travail déterminées, hors les horaires d'ouverture et de fermeture de la succursale, ou que leur exécution a été soumise à l'accord de cette dernière.
Au soutien de sa demande, M. [J] verse aux débats :
- ses contrats de co-gérance ;
- trois lettres de la société DCF des 30 janvier 2013, 20 janvier 2014 et 8 janvier 2015 répondant à sa demande d'être remplacé pendant ses congés et lui indiquant la nécessité qu'un inventaire de départ de congés du magasin et qu'un inventaire de reprise aient lieu ;
- les attestations de M. [Y] et de M. [R], respectivement client et ancien employé du magasin ;
- le site internet de la société DCF mentionnant les horaires de la supérette ;
- une formulaire de « congés annuels 2015 ».
Les contrats de « co-gérance mandataire non salarié » régularisés par M. [J] font expressément référence aux dispositions des articles L. 7322-1 et suivants du code du travail et à la convention collective applicable. L'article 1 du premier contrat dispose précisément que les co-gérants acceptent le mandat d'assurer la gestion et l'exploitation du magasin « (') de telle sorte que (') l'ouverture du magasin soit assurée conformément aux coutumes locales des commerçants-détaillants d'alimentation générale ». Les deux autres contrats se rapportent également à ces coutumes en précisant que les co-gérants « fixent les plages d'ouverture en tenant compte des coutumes locales des commerçants-détaillants d'alimentation générale et/ou des besoins de la clientèle ».
Cette référence aux coutumes locales n'implique pas que les horaires de M. [J] étaient imposés par la société DCF mais résulte de l'article 30 intitulé « ouverture du magasin » de la convention collective applicable qui prévoit que « les horaires d'ouverture et de fermeture du magasin sont fixés par le gérant mandataire non salarié conformément aux coutumes locales ». Or, M. [J] ne démontre pas que la fixation de ces horaires « conformément aux coutumes locales » lui a été imposée par la société DCF, qu'elle procéderait de directives ou d'instructions de cette dernière, ni qu'il n'a pas été libre de déterminer, en toute indépendance, quelles étaient ces coutumes locales et de fixer les horaires d'ouverture et de fermeture en fonction de ces dernières.
L'article 34 de la CNN relatif aux congés payés précise que ceux-ci sont accordés suivant les modalités légales, le gérant mandataire non salarié ayant, en raison de son indépendance, la faculté de les prendre dans les conditions jugées les plus favorables à l'intérêt commun des parties.
Au cas présent, M. [J] n'établit pas que la société DCF subordonnait, à son autorisation préalable, les fermetures annuelles ou exceptionnelles du magasin ou formulait des observations ou instructions précises et obligatoires aux co-gérants dans ce domaine. Il ressort des lettres des 30 janvier 2013, 20 janvier 2014 et 8 janvier 2015 que M. [J] a informé la société DCF de son souhait de prendre des congés et l'a sollicitée pour organiser son remplacement, sans qu'il ne démontre que son propre courrier sollicitait l'autorisation préalable de la société, ni que les dates qu'il a mentionnées lui ont été imposées par cette dernière. En réponse, la société DCF a accepté sa demande d'organiser son remplacement via des intérimaires sur les périodes qui lui étaient soumises par M. [J] et qui correspondaient aux chaînes d'intérims que la société établissait, étant relevé que rien n'empêchait le gérant d'organiser par lui-même son remplacement. La société DCF a également rappelé la nécessité d'établir un inventaire de départ de congés et de reprise dans le respect des dispositions de la convention collective, étant rappelé que le titulaire d'une gérance est responsable des marchandises qui lui sont confiées ou des espèces provenant de leur vente, sauf en cas de vol, de pertes ou avaries (art 23 de la CNN). La convention prévoit également que l'inventaire se fait succursale fermée.
M. [J] critique les pièces 4, 8 et 11 de la société intimée qui sont des courriers types dans lesquels il devait mentionner des horaires conformes aux dispositions contractuelles. Or, contrairement à ce qu'il affirme, les termes de ces formulaires n'expriment pas un souhait soumis à autorisation préalable et M. [J] ne justifie pas, au demeurant, d'une réponse de la société, qu'elle soit positive ou négative.
Seul le document « congés annuels 2015 » fait apparaître que la société DCF demandait aux co-gérants de formuler 3 périodes de congés distinctes mais il précise également que ces dates sont données à titre indicatif et il n'est pas prétendu, ni démontré, que des sanctions pouvaient accompagner ces différentes demandes.
Plus généralement, M. [J] ne justifie pas que ses conditions de travail ont été directement imposées par la société DCF par le biais d'exigences commerciales ou autres qui l'aurait contraint de demeurer constamment, avec sa compagne, dans les locaux pour assurer l'exploitation normale du magasin.
M. [J] n'établit pas qu'en dehors des horaires d'ouverture et de fermeture du magasin, la société DCF imposait aux co-gérants une durée de travail, ce d'autant qu'ayant réparti le forfait de commissions en raison de l'activité incomplète de l'un d'eux, ils ont expressément reconnu que le temps de travail effectif de chacun était réalisé non pas seulement conjointement mais également alternativement. L'amplitude horaire d'ouverture d'un magasin ne se confond pas avec le temps de travail effectif réalisé par M. [J] et Mme [S], ceux-ci ne tenant pas compte des périodes d'inactivité qu'ils ont nécessairement alternativement rencontrées dans le cadre des horaires d'ouverture des magasins dont la gestion leur était confiée. Cette prise en compte des périodes d'inactivité s'est traduite, au demeurant, par une répartition 50%-50% de la commission globale mensuelle qui leur était respectivement versée.
M. [J] ne verse aucune pièce établissant qu'il était présent avec Mme [S] conjointement de manière active pendant toute l'amplitude d'ouverture du magasin ni qu'ils accomplissaient également conjointement l'intégralité des tâches devant être accomplies en dehors des horaires d'ouverture. Il ne démontre pas davantage les tâches qu'il accomplissait hebdomadairement et selon quels horaires.
Les deux attestations versées aux débats sans emport pour rapporter la preuve contraire. Ainsi, M. [Y], client du magasin, évoque une discussion virulente entre « le chef en cravate dans le bureau » et les co-gérants avec des menaces de refus de mutation dans un autre magasin si ceux-ci n'augmentaient pas leurs horaires, sans autre précision. Il n'était pas présent en continu dans le magasin et ne parle que d'un événement unique, non daté, qui ne démontre pas que la société imposait des horaires déterminés, ni que les co-gérants étaient présents dans la supérette conjointement, tous les jours et sans interruption durant les horaires qu'ils avancent. Quant à M. [R], il ne vise pas la situation spécifique de M. [J] et de sa compagne mais des gérants en général dont « les horaires étaient imposés par le groupe, ainsi que la jouissance de leur jour de repos et de leurs vacances ».
La preuve que, comme le prétend M. [J], la société DCF exerçait un pouvoir de contrôle sur leurs horaires avec faculté de sanction n'est pas plus rapportée.
Par ailleurs, la diffusion par les soins de l'entreprise DCF des horaires d'ouverture du commerce sur son site internet, qu'elle était seule à même de pouvoir modifier, n'implique pas que ces horaires résultaient d'une contrainte imposée par cette dernière. Il en va de même de la mention des horaires sur les tickets de caisse qui n'avait, en l'absence de preuve contraire, que valeur informative. Ces éléments n'impliquent pas un contrôle de la part de l'entreprise sur les heures de travail que chacun des co-gérants accomplissait personnellement sur l'amplitude d'ouverture du magasin. Le fait que l'entreprise ait eu connaissance des horaires des co-gérants n'implique pas qu'elle les contrôlait.
Enfin, l'article 16 du contrat de mandat qui prévoit la possibilité d'une résiliation immédiate de la relation contractuelle en cas de fautes précisément visées, dont le refus caractérisé de suivre la politique commerciale de la société DCF, ne caractérise pas la contrainte alléguée en terme de fixation et d'étendue des horaires.
Le reste de l'argumentation de M. [J] relative à l'absence de liberté d'embauche, l'absence de latitude sur le choix des marchandises, les livraisons, les tâches en matière d'hygiène et sécurité, les inventaires, la visite périodique des managers qui caractériseraient le contrôle par l'entreprise sur ses conditions de travail et, par suite, sur la durée de son travail, n'est pas étayé par les pièces produites. Sa pièce 40 relative aux inventaires précise aux co-gérants, quant à leur date : « si vous en convenez ». De plus, il doit être rappelé que le rôle des managers s'inscrit dans le cadre de la relation contractuelle, le gérant mandataire non salarié étant tenu de respecter la politique commerciale de la société DCF. Il convient également de ne pas confondre les modalités d'exploitation commerciale dont la société mandante doit s'assurer du respect pour la cohérence et l'image de son réseau de distribution et les conditions de travail des co-gérants, librement déterminées par eux. Au surplus, M. [J] ne démontre pas qu'il n'était pas autonome dans la mise en oeuvre des préconisations commerciales des managers ni, du reste, que ceux-ci se déplaçaient toutes les semaines ou encore qu'ils l'évaluaient.
En conséquence, il n'est pas établi que la durée et les conditions de travail étaient imposées à M. [J] et sa compagne par la société DCF et que les co-gérants étaient dans la nécessité de travailler au-delà de la durée légale. Il en résulte que les conditions d'application de l'article L. 7322-1 du code du travail ne sont pas réunies et que les dispositions de l'article L. 3171-4 ne s'appliquent pas à M. [J] qui ne peut, dès lors, prétendre au paiement des heures supplémentaires qu'il allègue, ni aux indemnités sollicités au titre du repos compensateur ou du dépassement de la durée du travail. Le jugement sera confirmé en ces différents points.
SUR LA RUPTURE DES RELATIONS CONTRACTUELLES
M. [J] expose avoir rompu son contrat de mandat en raison des graves manquements de la société DCF à ses obligations contractuelles, à travers son non-respect des dispositions légales sur la durée du travail et son absence de règlement des heures supplémentaires effectuées.
Or, les manquements allégués ne sont pas démontrés de sorte que la demande de M. [J] sera rejetée, le jugement étant confirmé de ce chef.
SUR LES DEMANDES ACCESSOIRES
La demande de remise des documents légaux rectifiés est sans objet.
La décision attaquée sera confirmée en ses dispositions relatives à l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
M. [J], qui succombe, doit prendre en charge les dépens d'appel et supporter, à hauteur de cour, une indemnité au visa de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La cour,
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de M. [J] et le condamne à payer à la société Distribution Casino France la somme de 1 500 euros,
Condamne M. [J] aux dépens d'appel.
Le greffier Le président
Kheira BOURAGBA Olivier MANSION