KG/CH
S.A.R.L. [3]
C/
Caisse Primaire d'Assurance Maladie de Haute-Marne
Expédition revêtue de la formule exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE - AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE DIJON
CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT DU 06 AVRIL 2023
MINUTE N°
N° RG 20/00393 - N° Portalis DBVF-V-B7E-FRR2
Décision déférée à la Cour : Jugement Au fond, origine Pôle social du Tribunal Judiciaire de CHAUMONT, décision attaquée en date du 31 Juillet 2020, enregistrée sous le n° 18/00035
APPELANTE :
S.A.R.L. [3]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représentée par Me Morgane MONDOLFO de la SELARL SQUADRA AVOCATS, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉE :
Caisse Primaire d'Assurance Maladie de Haute-Marne
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représentée par Mme [R] [Y] (Chargée d'audience) en vertu d'un pouvoir général
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 07 Février 2023 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Katherine DIJOUX-GONTHIER, Conseiller chargé d'instruire l'affaire. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries lors du délibéré, la Cour étant alors composée de :
Olivier MANSION, Président de chambre,
Delphine LAVERGNE-PILLOT, Conseiller,
Katherine DIJOUX-GONTHIER, Conseiller,
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Frédérique FLORENTIN,
ARRÊT : rendu contradictoirement,
PRONONCÉ par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
SIGNÉ par Olivier MANSION, Président de chambre, et par Frédérique FLORENTIN, Greffier, à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE
M. [X] [S], anciennement salarié de la société [3] (la société) sur la période d'octobre 1972 au 30 novembre 1991, a souscrit le 16 octobre 2017, une demande de reconnaissance de maladie professionnelle auprès de la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Marne (la caisse) pour " des plaques pleurales non calcifiées dans un contexte d'exposition à l'amiante tableau n° 30 B", y joignant un certificat médical initial du 27 juin 2017 décrivant des plaques pleurales non calcifiées chez un patient exposé à l'amiante.
Le 14 février 2018, après enquête administrative, la caisse a notifié à la société sa décision de prise en charge de la maladie déclarée de M. [S] au titre de la législation sur les risques professionnels relevant du tableau n° 30 B des maladies professionnelles.
Après rejet auprès de la commission de recours amiable de la caisse sur sa demande d'inopposabilité de ladite décision, la société a saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Chaumont qui, par décision en date du 31 juillet 2020, a :
- constaté la prise en charge intervenue au titre de la législation sur les risques professionnels, et spécialement sur le fondement du tableau n° 30 B des maladies professionnelles, de la pathologie de M. [X] [S], en rapport à des plaques pleurales, déclarée le 16 octobre 2017,
- débouté la société [3] de ses différents motifs d'inopposabilité invoqués,
en conséquence,
- confirmé la décision entreprise de la commission de recours amiable de la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Marne en date du 26 juillet 2018,
- déclaré opposable à la société [3] la décision de la CPAM de la Haute-Marne du 14 février 2018 de prise en charge au titre de la maladie professionnelle, de la présente pathologie affectant M. [X] [S], et des conséquences financières qui en résultent,
- débouté les parties de leurs demandes et prétentions plus amples ou contraires.
Par déclaration enregistrée le 27 octobre 2020, la société [3] a relevé appel de cette décision.
Dans le dernier état de ses conclusions reçues à la cour le 18 novembre 2022 et reprises à l'audience sans ajout ni retrait au cours des débats, elle demande à la cour de :
- infirmer la décision du tribunal judiciaire de Chaumont du 31 juillet 2020 en ce qu'elle a :
- constaté la prise en charge intervenue au titre de la législation sur les risques professionnels, et spécialement sur le fondement du tableau n° 30 B des maladies professionnelles, de la pathologie de M. [X] [S], en rapport à des plaques pleurales, déclarée le 16 octobre 2017,
- débouté la société [3] de ses différents motifs d'inopposabilité invoqués,
- confirmé la décision entreprise de la commission de recours amiable de la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Marne en date du 26 juillet 2018,
- déclaré opposable à la société [3] la décision de la CPAM de la Haute-Marne du 14 février 2018 de prise en charge au titre de la maladie professionnelle, de la présente pathologie affectant M. [X] [S], et des conséquences financières qui en résultent,
- débouté les parties de leurs demandes et prétentions plus amples ou contraires,
et par conséquent,
- l'accueillir dans ses différents motifs d'inopposabilité allégués en raison :
à titre principal, de l'absence de preuve rapportée par la CPAM durant son enquête d'une exposition à l'amiante de M. [S] au sein de son entreprise,
à titre subsidiaire, de l'absence d'exposition de M. [S] à des poussières d'amiante, tant en raison de la manipulation des produits qu'elle fabrique, qu'en raison des postes qu'il a occupés ou de sa présence dans ses locaux,
par conséquent,
- juger que la décision de la CPAM du 14 février 2018 lui est inopposable,
- infirmer la décision de rejet de la CRA du 10 juillet 2018,
- débouter la CPAM de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la CPAM de la Haute-Marne à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par ses dernières écritures reçues à la cour le 30 mai 2022 et reprises à l'audience sans ajout ni retrait au cours des débats, la CPAM de la Haute-Marne demande à la cour de :
- confirmer la décision rendue le 26 juillet 2018 par la commission de recours amiable et le jugement critiqué en date du 31 juillet 2020,
- dire et juger que la décision de prise en charge de la maladie professionnelle déclarée par M. [S] est légalement fondée,
- dire et juger que la décision de prise en charge est opposable à la société [3],
- rejeter l'ensemble des demandes formulées par la société [3],
- condamner la société [3] à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, à leurs dernières conclusions susvisées.
MOTIFS
- Sur la demande d'inopposabilité de la décision de prise en charge par la caisse de la maladie professionnelle de M. [S]
La société soutient que la preuve n'est pas rapportée d'une exposition à l'amiante de M. [S] au sein de ses locaux, qu'aucun élément de l'enquête administrative ne permet, selon elle, de l'établir, que les faits relatés par la CRA ont été déformés et ne permettent pas de décrire les travaux exercés par M. [S] susceptibles d'être exposés aux poussières d'amiante et que les juges de première instance ont repris des éléments généraux sans rapport avec les faits de l'espèce et de l'activité de la société. Elle ajoute, à titre subsidiaire, que les produits fabriqués dans ses locaux, contrôlés par l'APAVE, laquelle n'a identifié aucun risque, ne contiennent pas d'amiante et les postes occupés par le salarié ne permettent pas de conclure à un quelconque risque d'exposition à de l'amiante.
La caisse fait valoir que la maladie de M. [S] relève bien du tableau 30 B des maladies professionnelles et que l'enquête de son agent assermenté a mis en exergue de nombreux éléments attestant de la présence d'amiante dans les locaux de la société et plus particulièrement au sein de l'atelier réfractaire.
Elle souligne que le tribunal de première instance a caractérisé, avec précision, l'exposition directe et indirecte à l'amiante de M. [S].
En vertu de l'article L. 461-1 du code de la sécurité sociale, est présumée d'origine professionnelle, toute maladie désignée dans un tableau des maladies professionnelles, et contractée dans les conditions mentionnées à ce tableau.
Trois conditions doivent être réunies :
- l'existence d'une maladie prévue à l'un des tableaux,
- un délai de prise en charge, sous réserve d'un délai d'exposition pour certaines affections,
- la liste, limitative ou indicative, des travaux susceptibles de provoquer la pathologie.
La maladie telle qu'elle est désignée dans les tableaux des maladies professionnelles est celle définie par les éléments de description et les critères d'appréciation fixés par chacun de ces tableaux ; que dans la mesure où la qualification de la maladie professionnelle procède de l'application d'une règle d'ordre public, la désignation des maladies aux différents tableaux est d'interprétation stricte mais non restrictive ; qu'il en résulte que la maladie déclarée doit correspondre précisément à celle décrite au tableau, avec tous ses éléments constitutifs, et doit être constatée conformément aux éléments de diagnostic éventuellement prévus ; que la réunion des conditions du tableau s'apprécie à la date de la déclaration de la maladie.
Le tableau n° 30 B des maladies professionnelles subordonne la prise en charge de la pathologie déclarée, avec un délai de prise en charge de 40 ans, aux travaux exposant à l'inhalation de poussières d'amiante, notamment la manipulation et l'utilisation de l'amiante brute dans des opérations de fabrication, la confection de produits contenant de l'amiante, l'application, la destruction ou l'élimination de produits à base d'amiante, des travaux dans des locaux contenant des matériaux à base d'amiante, la conduite de four et des travaux nécessitant le port habituel de vêtements contenant de l'amiante.
En l'espèce, M. [S] a été employé pour le compte de la société d'octobre 1972 au 30 novembre 1991. Il a souscrit une déclaration de maladie professionnelle, le 16 octobre 2017, établie sur la base d'un certificat médicalmentionnant " des plaques pleurales non calcifiées dans un contexte d'exposition à l'amiante tableau n° 30 B". Ni l'existence de ces plaques et ni son inscription au titre du tableau n° 30 B ne sont discutées.
La condition tenant à la désignation de la maladie est bien remplie.
La société conteste, en revanche, l'exposition aux risques du salarié dans ses locaux.
Il ressort, du certificat de travail établi par la société (pièce n° 8), que M. [S] occupait les postes suivants de 1972 à 1991 :
- pendant un mois, le poste de couleur au sein de l'atelier réfractaire,
- pendant 11 ans, le poste d'ouvrier polyvalent dans le département réfractaire, au sein de l'atelier contrôle emballage,
- pendant 8 ans et deux mois, le poste de broyeur pâtes et gel coats au sein de l'atelier plastiques.
M. [S] a décrit, lors de l'enquête administrative de la caisse, ses postes de la manière suivante : " j'ai "aux réfractaires", tenu au poste de couleur où je devais couler des pièces avec de la barbotine dans des moules en plâtre, je déversais un liquide dont j' ignorais la composition et je récupérais le produit pour séchage après cuisson, j'ai été ensuite dirigé vers le bâtiment 12 à la division plastique, j'y étais chargé de réaliser des mélanges et de manipuler des sacs ou des tonneaux dont j'ignore encore à ce jour la nature et la composition des matériaux que l'on déplaçait sans protection particulière. je ne peux être plus précis sur la nature des tâches réalisées durant cette période."
L'enquêteur de la caisse s'appuie sur les déclarations de M. [E] et de M. [C], faites lors de l'enquête administrative concernant leur dossier de reconnaissance de maladies professionnelles.
Pour M. [E], ce dernier déclare : " au sein du poste couleur une exposition à l'amiante en ce qui concerne l'utilisation de plaques en amiante pour poser les pièces, la présence d'un énorme four tunnel qui traversait l'atelier dans toute sa longueur, tunnel protégé par de l'amiante, l'utilisation de gants en amiante, vêtement de protection anti chaleur en amiante, nettoyage occasionnel des ateliers en fibrociment.
M. [C] indique qu'il occupait également le poste couleur, les mêmes remarques sur ce poste que Monsieur [E] mais il précise qu'il occupait ensuite un poste au service broyage en qualité de chef de four.
L'enquêteur de la caisse conclut que M. [S] a, à travers les éléments rapportés, manipulé et utilisé de l'amiante brute.
La condition de l'exposition au risque prévue par le tableau précité est rapportée par des éléments objectifs et non pas, seulement, par des déclarations.
Au vu du témoignage des collégues de M. [S], à part le poste couleur, les autres postes occupés par ces derniers étaient directement en relation avec les fours et donc une exposition directe avec l'amiante, ce dont il résulte qu'ils n'ont pas été exposés aux mêmes risques.
La société met en exergue le fait que le poste de couleur occupé par M. [S] au sein de l'atelier réfractaire était de courte durée, un mois, et que l'amiante n'entrait pas dans la composition des produits fabriqués au sein de l'atelier réfractaire, le travail de couleur consistant à préparer la pâte, à la déverser dans un moule, à enfourner ce dispositif dans un four et à le récupérer.
Elle souligne également que les postes occupés au sein de l'atelier contrôle emballage ainsi que celui au sein de l'atelier plastiques n'étaient pas à proximité des fours et que les supports de cuisson ne comportaient pas de l'amiante mais des matériaux supportant la trés forte chaleur, ce que d'ailleurs la caisse ne démontre pas non plus.
De plus, la société établit qu'entre 1997 à 2011, la société APAVE, chargée de rechercher l'amiante et de vérifier l'état de conservation des bâtimets, a conclu à l'existence d'amiante dans les plafonds et faux plafonds mais en indiquant que leur état de conservation était bon et ne nécessitait qu'une surveillance périodique.
La caisse ne rapporte aucun élément laissant présumer que l'état des locaux était différent à l'époque où M. [S] était employé.
La caisse ne rapporte donc pas la preuve que M. [S] a été exposé à de l'amiante ou à de la poussière d'amiante au sein de la société.
La condition tenant à l'exposition aux risques n'étant pas remplie, la décision de la prise en charge de la maladie professionnelle de M. [S] est inopposable à la société [3].
Le jugement sera donc infirmé.
- Sur les autres demandes
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Marne et la condamne à verser à la société [3] la somme de 2000 euros,
La caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Marne supportera les dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par décision contradictoire,
INFIRME le jugement en date du 31 juillet 2020,
Statuant à nouveau :
- Dit que la décision de prise en charge par la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Marne de la maladie professionnelle de M. [S], en date du 14 février 2018 est inopposable à la société [3],
Y ajoutant :
- Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Marne et la condamne à verser à la société [3] la somme de 2 000 euros,
- Condamne la société [3] aux dépens d'appel.
Le greffier Le président
Frédérique FLORENTIN Olivier MANSION