RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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COUR D'APPEL DE NANCY
CINQUIÈME CHAMBRE COMMERCIALE
ARRÊT N° /22 DU 15 JUIN 2022
Numéro d'inscription au répertoire général :
N° RG 21/02778 - N° Portalis DBVR-V-B7F-E4BB
Décision déférée à la Cour : jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de Val de Briey, R.G. n° 19/00571, en date du 08 novembre 2021,
APPELANT :
Monsieur [E] [O]
né le 14 Juillet 1973 à [Localité 3], demeurant [Adresse 1]
Représenté pat Me Barbara VASSEUR de la SCP VASSEUR PETIT, avocat au barreau de NANCY
Avocat Plaidant : Me Gérard KREMSER, avocat au barreau de BRIEY
INTIMÉE :
S.A.R.L. BILAN SECURITE AUTOMOBILE, ayant son siège social sis [Adresse 2]
Représentée par Me François CAHEN, avocat au barreau de NANCY
Avocat Plaidant : Maître Philippe MAUREL, avocat au barreau de BRIEY
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 905 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 01 Juin 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Guillemette MEUNIER, Présidente de la cinquième chambre commerciale chargée du rapport et Monsieur Olivier BEAUDIER, Conseiller
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Guillemette MEUNIER, Présidente de Chambre,
Monsieur Olivier BEAUDIER, Conseiller,
Monsieur Jean-Louis FIRON, Conseiller,
Greffière placée, lors des débats :Madame Mégane LEGARDINIER;
A l'issue des débats, la Présidente a annoncé que la décision serait rendue par mise à disposition au greffe le 15 Juin 2022, en application du deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
ARRÊT : contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
signé par Mme Guillemette MEUNIER, Présidente et par Madame LEGARDINIER, Greffière placée, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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Copie exécutoire délivrée le à
Copie délivrée le à
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EXPOSÉ DU LITIGE
Par acte notarié établi par Maître [C] les 14 et 21 septembre l98l, Madame veuve [G] née [J] [F] et Madame [O] née [G] [K] ont donné à bail à la SARL Bilan Sécurité Automobile un ensemble immobilier sis [Adresse 4] ( 54).
Monsieur [E] [O] vient aux droits de Madame veuve [G] née [J] et de Madame [O] née [G].
Le bail a fait l'objet d'un renouvellement par acte notarié en date du 17 septembre 1993.
La SARL Bilan Sécurité Automobile a donné congé par notification au bailleur le 22 décembre 2017.
Par acte d'huissier en date du l4 juin 2019, Monsieur [E] [O] a assigné la SARL Bilan Sécurité Automobile devant le Tribunal judiciaire de Val de Briey aux fins d'obtenir sa condamnation au paiement de diverses sommes et l'exécution provisoire du jugement.
Par jugement contradictoire en date du 08 novembre 2021, le Tribunal judiciaire de Val de Briey a :
- débouté Monsieur [E] [O] de l'intégralité de ses demandes ;
- condamné Monsieur [E] [O] à payer à la S.A.R.L Bilan Sécurité Automobile les sommes suivantes :
18 000 euros à titre de dommages et intérêts,
1 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- constaté que la présente décision est de droit exécutoire par provision ;
- condamné Monsieur [E] [O] aux dépens de la procédure.
Monsieur [E] [O] a interjeté appel tendant à la réformation ou à l'annulation du jugement par déclaration électronique transmise au greffe le 24 novembre 2021 en ce qu'il l'a débouté de ses demandes et l'a condamné à verser à la SARL Bilan Sécurité Automobile la somme de 18000 euros à titre de dommages et intérêts et celle 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 29 mars 2022, il demande à la cour de :
- dire et juger l'appel recevable et bien fondé,
Y faire droit,
- annuler et subsidiairement infirmer la décision dont appel en ce qu'elle a débouté Monsieur [O] de ses demandes et l'a condamné à régler à la société Bilan Sécurité Automobile la somme de 18 000 euros à titre de dommages et intérêts, et 1500 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile,
Et statuant à nouveau
- condamner la S.A.R.L Bilan Sécurité Automobile à régler à Monsieur [E] [O] la somme de 11 287,21 euros au titre des taxes foncières et des loyers dus, avec intérêts au taux légal à compter du 14 juin 2019,
- condamner la S.A.R.L Bilan Sécurité Automobile à régler à Monsieur [E] [O] la somme de 1 500 euros de dommages et intérêts pour résistance abusive,
- condamner la S.A.R.L Bilan Sécurité Automobile à régler à Monsieur [E] [O] la somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
- condamner S.A.R.L. Bilan Sécurité Automobile en tous les dépens de première Instance et d'appel dont distraction, pour ceux d'appel, au profit de la S.C.P. Barbara Vasseur-Renaud, Avocats Associés, en application de l'article 699 du code de procédure civile.
Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 09 février 2022, la société Bilan Sécurité Automobile demande à la cour de :
- dire et juger mal fondé l'appel de Monsieur [E] [O],
En conséquence,
- confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Val de Briey le 08 novembre 2021 en ce qu'il a :
*débouté Monsieur [O] de l'intégralité de ses demandes
*condamné Monsieur [O] à verser à la S.A.R.L. Bilan Sécurité Automobile la somme de 18 000 euros à titre de dommages et intérêts et celle de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile
Y ajoutant;
- condamner Monsieur [E] [O] à verser à la concluante la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile
- condamner Monsieur [E] [O] en tous les dépens de première instance et
d'appel dont distraction pour ceux de première instance au profit de Maître Philippe Maurel et ceux d'appel au profit de Maître François Cahen en application des dispositions de l'article 699 du Code de Procédure Civile
La Cour se réfère pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties à leurs écritures conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
La procédure a été clôturée par ordonnance le 11 mai 2022.
MOTIFS DE LA DECISION
Aux termes de l'article 1720 du code civil, « le bailleur est tenu de délivrer la chose en bon état de réparations de toute espèce.
Il doit y faire, pendant la durée du bail, toutes les réparations qui peuvent devenir nécessaires, autres que les locatives. ».
L'article 1721 dispose qu'« il est dû garantie au preneur pour tous les vices ou défauts de la chose louée qui en empêchent l'usage, quand même le bailleur ne les aurait pas connus lors du bail.
S'il résulte de ces vices ou défauts quelque perte pour le preneur, le bailleur est tenu de l'indemniser ».
En l'espèce, le contrat de bail du 14 et 21 septembre 1984 dispose que : « le preneur prendra les locaux loués dans l'état où ils se trouvent actuellement sans pouvoir exiger des bailleurs aucune réparation autre que celles qui seraient nécessaires à la toiture et aux gros murs. Toutes les autres réparations seront réputées locatives et comme telle à la charge du preneur.
Il entretiendra les lieux loués en bon état de toutes réparations pendant la durée du bail et les rendra à sa sortie en bon état de toutes réparations.
Il supportera toutes réparations qui deviendraient nécessaires par suite soit de défaut d'exécution des réparations, soit de dégradations résultant de son fait ou de celui de son personnel ou de sa clientèle ».
Selon l'avenant en date du 22 avril 2004 en sus du loyer, le preneur remboursera chaque année au bailleur et sur justificatif la moitié de la taxe foncière afférente à l'immeuble loué en ce compris les frais d'établissement des rôles.
Il ressort des courriers échangés depuis 2011 que le preneur a avisée la bailleresse de ce que les locaux présentaient plusieurs désordres dont la détérioration des chenaux et descentes d'eau pluviales dont une seule partie a été rénovée et la dégradation des piliers supportant les bâtiments.
Par ailleurs, le preneur informait la bailleresse par courrier du 03 février 2014 des problèmes suivants :
- fissures importantes de plusieurs murs de soutien ;
- absence d'isolation du bâtiment ne permettant pas de chauffage ;
- présence d'amiante dans la toiture et dans le bâtiment ;
- entrées d'eau à plusieurs endroits et sur les vis de fixation des rôles.
Le preneur informait à cette occasion la bailleresse de ce que sauf intervention rapide il serait contraint de quitter les locaux dans lesquels il exploite son activité commerciale en raison de leur non-conformité et lui a annoncé suspendre le règlement de la taxe foncière.
Le 25 octobre 2013, la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement du logement de Lorraine constatait huit non-conformités, la seule pouvant relever du présent litige étant liée à ce que le bâtiment ne disposait pas d'appareil de maintien hors gel.
En réponse, la société précisait avoir réalisé les actions correctives notamment l'installation d'un dispositif de chauffage à proximité du pupitre du banc de freinage et du combiné analyseur de gaz. L'installation n'était pas entièrement satisfaisante à en croire un mail en date du 25 juillet 2016 de la société Sekra et « pourrait à terme nuire à l'activité, voire même obliger les services de l'administration (la Dreal) à revoir l'agrément du centre et donc à fermer ce dernier si rien n'était fait ».
Il ressort enfin de la mission de repérage d'amiante réalisée par un diagnostiqueur le 09 décembre 2015 qu'ont été repérés des matériaux et produits contenant de l'amiante sur les toitures intérieures et extérieures. Etait évoquée à cette occasion la possibilité de déclenchement d'une procédure administrative de suspension/retrait d'agrément compte-tenu de la gravité des non-conformités constatées.
Il n'est pas contesté que la bailleresse a réalisé certains travaux, ayant mandaté à partir de janvier 2012 une entreprise en vue d'une intervention sur les chenaux et descentes d'eau. Par courrier en date du 02 novembre 2013, elle précisait avoir fait réparer les chéneaux pour la somme de 4000 euros en 2011 et financé les travaux de consolidation de 22 poteaux à hauteur de 9600 euros en 2012. Le preneur se plaignait toutefois par courrier du 07 septembre 2013 de la persistance des désordres.
En effet, il n'est pas établi que la bailleresse a fait procéder aux autres travaux, y compris de désamiantage. Les photographies jointes au constat d'huissier dressé le 29 juin 2018 révèlent d'importantes fissures des murs sur lesquelles l'attention de Madme [G] avait été attirée à en croire les courriers échangés et l'absence de chauffage hors l'installation réalisée par le preneur jugé pour autant insatisfaisante.
Ces désordres laissant craindre pour la sécurité physique du preneur ou de toute autre personne dépendant de son activité ne peuvent être assimilés qu'à un non-respect par le bailleur de ses obligations, les clauses du bail rappelées ci-dessus lui laissant la charge des réparations de la toiture et des gros murs. En outre, ces travaux ne relèvent pas de l'entretien à la charge du preneur mais il s'agit de grosses réparations au sens de l'article 696 du code civil incombant au bailleur. Les travaux de désamiantage sont par ailleurs à la charge du bailleur, en vertu de son obligation de délivrance qui lui impose de procéder aux travaux nécessaires à l'activité stipulée au bail et conditionnaient l'isolation du bâtiment.
Il est manifeste à l'examen des pièces versées aux débats que ces désordres dus au manquement par le bailleur à ses obligations de délivrance de locaux en bon état et de jouissance paisible ont limité la possibilité pour le preneur d'exploiter son activité au sein de ses locaux et lui ont causé un préjudice qui a été exactement réparé par l'allocation de la somme de 18.000 euros à titre de dommages et intérêts.
Pour s'opposer au paiement des loyers des mois d'avril, mai et juin 2018 ainsi que des taxes foncières dus de 2014 à 2018, la société Bilan Automobile Sécurité invoque l'exception d'inexécution en soutenant que les locaux n'étaient plus exploitables en raison des désordres.
La Cour rappelle toutefois que l'exception d'inexécution suppose que les locaux soient totalement inutilisables pour servir à l'usage auxquels ils sont destinés. Or, la société ne rapporte pas la preuve d'une impossibilité totale d'exploitation, l'attestation de son expert-comptable démontrant au contraire que l'activité s'est poursuivie malgré les désordres déjà pris en compte par l'allocation de dommages et intérêts, le déficit apparaissant au moment du changement de locaux pour se réduire au 31 décembre 2020. Aucune autre pièce n'est cependant versée pour permettre une vision plus complète du bilan de la société.
Il ressort par ailleurs du seul bilan communiqué pour l'exercice arrêté au 31 décembre 2013 que la société a envisagé dès 2012 ou début 2013 la construction de nouveaux locaux, la somme de 95.000 euros apparaissant au titre de « constructions » dans le cadre des immobilisations corporelles. Il n'est en conséquence pas démontré que la décision de changement des locaux était prise en raison d'une impossibilité d'exploiter les locaux qui s'est pourtant poursuivie jusqu'à la fin du bail en suite de la notification du congé en décembre 2017. Il sera enfin mentionné que la société a continué à payer son loyer jusqu'en avril 2018.
Dans ces conditions, l'exception d'inexécution ne sera pas retenue et la société sera condamnée à verser à Monsieur [O] la somme de 11.287,21 euros, outre les intérêts au taux légal à compter du 14 juin 2019, date de l'assignation.
Au vu des motifs ci-dessus, la demande de Monsieur [O] en dommages et intérêts pour résistance abusive sera rejetée.
Eu égard à l'issue du litige, chacune des parties conservera la charge de ses dépens sans qu'il y ait lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Le bénéfice des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile est accordé aux avocats en ayant fait la demande et pouvant y prétendre.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450 alinéa 2 du Code de procédure civile,
Confirme le jugement déféré en ce qu'il a condamné Monsieur [E] [O] à payer à la S.A.R.L Bilan Sécurité Automobile la somme de 18.000 euros à titre de dommages et intérêts ;
L'infirmant pour le surplus,
Statuant à nouveau,
Condamne la S.A.R.L Bilan Sécurité Automobile à payer à Monsieur [E] [O] la somme de 11 287,21 euros au titre des taxes foncières et des loyers dus, assortie des intérêts au taux légal à compter du 14 juin 2019, date de l'assignation ;
Dit que chacune des parties conservera la charge de ses propres dépens avec distraction au bénéfice des avocats qui en ont fait la demande dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile ;
Déboute les parties de toute autre demande.
Le présent arrêt a été signé par Madame Guillemette MEUNIER, Présidente de chambre à la Cour d'Appel de NANCY, et par Madame Mégane LEGARDINIER, Greffière placée à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LA GREFFIERE, LA PRÉSIDENTE,
Minute en huit pages.