CP/CD
Numéro 13/01902
COUR D'APPEL DE PAU
Chambre sociale
ARRÊT DU 02/05/2013
Dossier : 11/02130
Nature affaire :
Demande d'indemnités ou de salaires
Affaire :
SAS ELF EXPLORATION PRODUCTION
C/
[H] [U],
SA TOTAL
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
A R R Ê T
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 02 Mai 2013, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.
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APRES DÉBATS
à l'audience publique tenue le 11 Mars 2013, devant :
Monsieur CHELLE, Président
Madame PAGE, Conseiller
Monsieur GAUTHIER, Conseiller
assistés de Madame HAUGUEL, Greffière.
Les magistrats du siège ayant assisté aux débats ont délibéré conformément à la loi.
dans l'affaire opposant :
APPELANTE :
SAS ELF EXPLORATION PRODUCTION
prise en la personne de ses représentants légaux
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentée par Maître RAYMOND, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉS :
Monsieur [H] [U]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Localité 1]
Représenté par la SCP BLANCO/DARRIEUMERLOU, avocats au barreau de PAU
SA TOTAL
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentée par Maître RAYMOND, avocat au barreau de PARIS
sur appel de la décision
en date du 25 MAI 2011
rendue par le CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION DE DÉPARTAGE DE PAU
FAITS ET PROCÉDURE
Monsieur [H] [U] est un ancien salarié de la SOCIÉTÉ ELF EXPLORATION PRODUCTION qui a été en dispense d'activité à compter du 1er juillet 2000 jusqu'à sa mise à la retraite au 31 décembre 2008 en vertu du Protocole d'Accord sur l'aménagement des fins de carrière du 23 décembre 1999 (AFC 99) négocié et signé par les Organisations Syndicales et la Direction et d'un avenant à son contrat de travail du 2 mars 2000.
Il a demandé à bénéficier du décret du 18 juillet 2008 qui a modifié le calcul de l'indemnité de licenciement et donc de l'indemnité de départ à la retraite pour la porter au double du montant initialement prévu. Confronté au refus de la SAS ELF EXPLORATION PRODUCTION, il a saisi le Conseil de Prud'hommes pour obtenir le paiement de l'indemnité de départ à la retraite telle que résultant du décret du 18 juillet 2008.
Le Conseil de Prud'hommes de PAU, section industrie, par jugement contradictoire de départition du 25 mai 2011, auquel il conviendra de se reporter pour plus ample exposé des faits, des moyens et de la procédure a fait droit à la demande de Monsieur [H] [U] et a condamné la SOCIÉTÉ ELF EXPLORATION PRODUCTION à verser à Monsieur [H] [U] les sommes de :
25.232,44 € au titre du solde de l'indemnité de départ à la retraite,
800 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- il a mis hors de cause la société TOTAL,
- il a rejeté les autres demandes et a condamné la SOCIÉTÉ ELF EXPLORATION PRODUCTION aux dépens de l'instance.
La SOCIÉTÉ ELF EXPLORATION PRODUCTION a interjeté appel de ce jugement le 7 juin 2011 dans des conditions de forme et de délai qui ne sont pas discutés.
Les parties étaient représentées à l'audience par leur conseil respectif.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
La SOCIÉTÉ ELF EXPLORATION PRODUCTION, par conclusions déposées et développées à l'audience demande à la Cour de déclarer l'appel recevable, d'infirmer le jugement, de rejeter la demande de Monsieur [H] [U] et de le condamner à payer la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La SAS ELF EXPLORATION PRODUCTION critique le jugement de départage en ce qu'il a fait abstraction du dispositif conventionnel pour privilégier un ordre public de protection qui vise en droit social un ordre public « relatif au contrat où il existe une inégalité marquée de puissance économique entre les parties » et non un ordre public absolu ce qui l'aurait conduit à annuler le dispositif conventionnel puisqu'il empêche l'aménagement des dispositions de la loi par la négociation collective alors que l'ordre public social le permet ; que le principe chronologique et donc le maintien de la loi ancienne est justifié par le fait que le contrat crée une situation juridique durable qui doit survivre au changement de législation en raison du respect de l'autonomie de la volonté jusqu'à l'extinction de la relation qui répond à un impératif de rationalité du droit et un besoin de sécurité juridique dans l'intérêt réciproque des parties, que la loi nouvelle ne peut donc avoir d'effet sur les conventions régulièrement conclues selon la loi ancienne.
Elle fait valoir que l'accord collectif, contrat à exécution successive a une unité et une indivisibilité dont l'équilibre ne peut se trouver modifié par un changement des dispositions légales ou réglementaires, qu'il est opposable à tous les salariés qui y ont volontairement adhéré en signant un avenant à leur contrat de travail ;
Que le protocole prévoit :
- que l'agent est mis à la retraite à l'initiative de l'employeur conformément aux dispositions présentes de l'article L. 122-14-13 du code du travail,
- que l'article 5.7 de l'Accord stipule « il percevra à ce titre l'indemnité de mise à la retraite dans les conditions prévues à l'article 11 du présent accord collectif »,
- que l'article 11 précise que l'agent percevra l'indemnité légale de mise à la retraite' « dont les modalités de calcul sont décrites à l'article 5 de l'accord annexé à la loi du 19 janvier 1978 relatif à la mensualisation »,
- que donc l'indemnité de mise à la retraite n'a pas été évoquée à titre indicatif, les parties entendant se référer très expressément aux dispositions légales qui s'appliquaient alors pour déterminer l'économie globale du dispositif et calculer précisément les droits des intéressés conformément aux termes de l'article 3.8 de l'avenant qui stipulait que l'indemnité de mise à la retraite serait égale à 4,93 mois de salaire,
- que les signataires du protocole ont voulu organiser tant la cessation anticipée d'activité que son terme qui prenait la forme d'une retraite à l'initiative de l'employeur beaucoup plus favorable qu'un départ à la retraite l'initiative des salariés,
- que l'arrêt IBM cité par Monsieur [H] [U] intervient dans le contexte particulier où IBM a volontairement adhéré par un Accord d'Entreprise à une convention collective qui a porté à six mois l'indemnité de mise à la retraite des salariés ayant au moins 30 ans d'ancienneté.
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Par conclusions déposées le 19 février 2013 et développées à l'audience, Monsieur [H] [U] demande à la Cour de confirmer le jugement sur les condamnations intervenues, et faisant appel incident, de condamner la SOCIÉTÉ ELF EXPLORATION PRODUCTION à payer la somme de 20.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice matériel et moral et celle de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que les dépens d'appel.
Subsidiairement, de constater que la SAS ELF EXPLORATION PRODUCTION s'est rendue coupable d'une discrimination à raison de l'inégalité de traitement qui lui a été réservé et la condamner au paiement de la somme de 25.232,44 € en réparation du préjudice subi par lui de ce chef et la somme de 20.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice matériel et moral.
Monsieur [H] [U] fait valoir que :
- le protocole d'accord se réfère expressément à l'article L. 122-14-13 du code du travail devenu l'article L. 1237-7 aux termes duquel le droit à l'indemnité de départ à la retraite naît à la date précise du départ de l'entreprise et son calcul s'opère en fonction des textes légaux ou conventionnels applicables au moment du départ,
- il y est précisé que les règles « actuellement en vigueur sont les suivantes », qu'en utilisant l'adverbe actuellement, les partenaires sociaux n'avaient pas entendu figer le montant de l'indemnité dont le calcul ne pouvait être qu'indicatif,
- il prévoit à l'article 5-4 que le terme de la dispense d'activité se situera à la date T, date à laquelle l'agent concerné pourra « liquider sa retraite de base à taux plein, selon les textes réglementaires qui seront en vigueur à cette date' »,
- que l'article 11 fait référence à «'l'indemnité légale'»,
- qu'il est précisé sous l'article 11. 3 « cette indemnité est due par la société lors de la mise à la retraite à l'issue de la période de dispense d'activité. L'indemnité est donc normalement perçue en totalité après calcul définitif à la radiation des effectifs ».
Il ajoute qu'à la date d'établissement de l'avenant, le 2 mars 2000, l'indemnité de mise à la retraite était nécessairement calculée à titre indicatif par référence aux dispositions légales applicables à la date de la convention dont s'agit ;
Il précise : « votre dispense d'activité se terminera à la date à laquelle vous remplirez les conditions pour bénéficier d'une retraite de base à taux plein du Régime Général selon les textes réglementaires qui seront en vigueur à cette date », que les dispositions du décret du 18 juillet 2008 qui sont d'application immédiate concernent les droits des salariés dont les indemnités de mise à la retraite n'avaient pas été versées et liquidées avant cette date ;
Que d'ailleurs, l'employeur a procédé spontanément à l'application du décret à l'égard de certains salariés dont il indique aujourd'hui qu'il s'agit d'une erreur qui n'est pas créatrice de droit, qu'il n'est pas fondé à prétendre que la modification du calcul de cette indemnité telle que résultant du décret ne pourrait pas impacter l'Accord conventionnel et l'avenant au contrat de travail qui constituent des dispositions plus favorables pour le salarié et modifierait son économie globale.
Subsidiairement, il invoque le principe d'égalité des salaires qui a été bafoué car les salariés dont la rupture du contrat est intervenue postérieurement au décret de 2008 ainsi que 38 autres salariés qui étaient dans la même situation que lui pour faire partie du dispositif de cessation d'activité anticipée ont perçu l'indemnité de mise à la retraite doublée.
La Cour se réfère expressément aux conclusions visées plus haut pour l'exposé des moyens de fait et de droit.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Au vu du Protocole d'Accord AFC 99 signé par les Organisations Syndicales et la Direction afin de permettre des aménagements de fin de carrière sur la base du volontariat avec régime de cessation anticipée d'activité, Monsieur [H] [U] a entendu bénéficier de ce régime et a conclu un avenant à son contrat de travail le 2 mars 2000.
La question posée est celle de savoir si le Protocole d'Accord sur l'aménagement des fins de carrière du 23 décembre 1999 (AFC 99) négocié et signé par les Organisations Syndicales et la Direction et l'Avenant au contrat de travail du 2 mars 2000 signé par Monsieur [H] [U] sur la base de ce protocole peuvent-être impactés par des dispositions législatives, réglementaires ou conventionnelles ultérieures à leurs signatures qui leur deviendraient applicables, en l'espèce le décret du 18 juillet 2008 qui a pour effet de doubler le montant de l'indemnité de mise à la retraite.
Au titre des dispositions générales :
L'article 5.4 précise : « le terme de la dispense d'activité se situera à la date T, date à laquelle l'agent concerné pourra liquider sa retraite de base à taux plein, selon les textes réglementaires qui seront en vigueur à cette date. La rémunération de l'agent dispensé d'activité cessera donc au dernier jour du mois calendaire contenant cette date T » ;
L'article 5.7 précise : « A l'issue de la période de dispense d'activité, l'agent sera mis à la retraite à l'initiative de l'employeur conformément aux dispositions présentes de l'article L. 122-14-13 du code du travail et radié des effectifs. Il percevra à ce titre, l'indemnité de mise à la retraite dans les conditions prévues à l'article 11 du présent Accord Collectif » ;
L'article 11.1 indique : « L'agent concerné par le présent régime bénéficiera de l'indemnité légale de mise à la retraite prévue à l'article L. 122-14-13 du code du travail dont les modalités de calcul sont décrites à l'article 5 de l'accord annexé à la Loi du 19 janvier 1978 relatif à la mensualisation » ;
L'article 11.3 ajoute : « Cette indemnité est due par la société lors de la mise à la retraite à l'issue de la période de dispense d'activité. Elle est donc normalement perçue en totalité, après calcul définitif, à la radiation des effectifs ».
L'avenant au contrat de travail reprend les conditions de départ du protocole d'accord et précise : « Votre dispense d'activité se terminera à la date à laquelle vous remplirez les conditions pour bénéficier d'une retraite de base à taux plein du Régime Général selon les textes réglementaires qui seront en vigueur à cette date. Au terme de votre dispense d'activité ainsi définie, vous serez mis à la retraite, rayé des effectifs et percevrez l'indemnité légale de mise à la retraite ».
Enfin, l'article 3.8 indique « le montant de votre indemnité de mise à la retraite équivaut à 4,93 mois de cette assiette ».
Il convient de remarquer tout d'abord, que l'intervention d'une disposition légale ou réglementaire nouvelle n'a pas pour conséquence automatique de rendre caduques les dispositions d'une Convention Collective ou d'un Accord d'Entreprise qui sont antérieurs à cette loi.
Il convient ensuite, de remarquer que les considérations faites par la SAS ELF EXPLORATION PRODUCTION sur l'arrêt IBM ne sont pas pertinentes. L'arrêt considère que le dispositif CASA équivalent à l'accord AFC 99 n'a pas d'autonomie propre puisqu'il est impacté par le fait qu'IBM a adhéré à une convention collective modifiant l'indemnité de mise à la retraite des salariés ayant au moins 30 ans d'ancienneté qui doit s'appliquer au dispositif CASA, que donc si l'adhésion volontaire à une disposition conventionnelle postérieure entraîne son application au dispositif, toute disposition réglementaire ou législative ultérieure ne peut que s'appliquer à ce dispositif.
Tout comme n'est pas pertinente la comparaison que veut faire la SAS ELF EXPLORATION PRODUCTION entre l'indemnité de mise à la retraite et l'indemnité de licenciement même si leur calcul est identique tout comme la date à laquelle le calcul doit être fait, que la date de signature de l'avenant n'est pas assimilable à la date de la rupture puisque le salarié reste dans l'effectif de l'entreprise et que l'indemnité de mise à la retraite n'a pas la même nature et ne suit pas le même régime que l'indemnité de licenciement qui seule est transmissible.
Il y a lieu enfin, de constater que plus globalement, l'accord AFC 99 prévoit l'adaptation de son contenu à des dispositions nouvelles qui viendraient modifier les règles en vigueur à la date de sa signature et qu'il n'est pas intangible puisqu'il peut être rompu pour faute grave :
- notamment la définition de la date T « date à laquelle l'agent réunira toutes les conditions de l'assurance vieillesse lui permettant d'obtenir sa retraite de base à taux plein selon les règles du régime général de la sécurité sociale en vigueur à cette date. À titre d'information les règles actuellement en vigueur sont les suivantes' » ;
- une garantie de salaire selon un certain pourcentage qui suivra l'évolution de la valeur du point de la société et les revalorisations propres aux indemnités à caractère familial ou à la prime de vacances ;
- l'article 8 (élections, représentation syndicale) est édicté sous réserve des dispositions légales, réglementaires ou jurisprudentielles contraires.
Mais par-dessus tout, pour le calcul de l'indemnité, le protocole d'accord fait référence à l'indemnité légale de mise à la retraite prévue par l'article L 122-14-13 du code du travail, l'avenant au contrat de travail reprend le terme d'indemnité légale de mise à la retraite et si l'article 3.8 de l'avenant précise que cette indemnité équivaut à 4,93 mois de cette assiette, ce calcul n'a été réalisé que dans le cadre des dispositions alors en vigueur de l'article L. 122-14-13 du code du travail qui ont été modifiées par le décret du 18 juillet 2008 dont la SAS ELF EXPLORATION PRODUCTION a fait bénéficier quelques-uns de ses salariés placés dans la même position que Monsieur [H] [U] ainsi qu'il est justifié au dossier, dont elle indique aujourd'hui, que cela ne procéderait que d'une erreur.
Il en résulte que les règles de calcul pour l'indemnité de départ étaient calquées lors de la conclusion de l'accord sur celles de l'indemnité légale de licenciement codifiées à l'article L. 1237-7 du code du travail.
Le montant de l'indemnité de mise à la retraite due aux salariés est déterminé par les dispositions en vigueur au jour de la rupture du contrat de travail résultant de la mise à la retraite, il y a donc lieu de prendre en compte les dispositions existantes au moment de l'ouverture des droits qui n'est pas le jour d'entrée dans le dispositif mais le jour de la mise à la retraite qui conditionne l'ouverture de son droit au paiement et de faire droit à la demande de Monsieur [H] [U] et de confirmer le jugement dans son intégralité.
Sur les dommages et intérêts :
Dans les obligations se bornant au paiement d'une certaine somme, les dommages et intérêts résultant du retard dans l'exécution ne consiste jamais que dans la condamnation aux intérêts au taux légal conformément aux dispositions de l'article 1153 du code civil.
Monsieur [H] [U] ne démontre pas que le débiteur, par sa mauvaise foi, lui ait causé un préjudice moral, il sera débouté de ce chef de demande.
Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens :
Il serait inéquitable de laisser à la charge de Monsieur [H] [U] les frais par lui exposés et non compris dans les dépens, la cour lui alloue à ce titre la somme de 1.500 €.
La SAS ELF EXPLORATION PRODUCTION qui succombe en ses prétentions sera condamnée aux entiers dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Statuant publiquement, par arrêt contradictoire, rendu en matière sociale et en dernier ressort,
Déclare l'appel recevable,
Confirme le jugement en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Rappelle que les intérêts sont dus à compter de la demande,
Condamne la SAS ELF EXPLORATION PRODUCTION à payer à Monsieur [H] [U] la somme de 1.500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Condamne la SAS ELF EXPLORATION PRODUCTION aux entiers dépens d'appel.
Arrêt signé par Monsieur CHELLE, Président, et par Madame HAUGUEL, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LA GREFFIÈRE,LE PRÉSIDENT,