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26/05/2020 | FRANCE | N°18/03949

France | France, Cour d'appel de Pau, 2ème ch - section 1, 26 mai 2020, 18/03949


MM/ND



Numéro 20/1464





COUR D'APPEL DE PAU

2ème CH - Section 1







ARRET DU 26/05/2020







Dossier : N° RG 18/03949 - N° Portalis DBVV-V-B7C-HDOL





Nature affaire :



Demande en paiement relative à un contrat non qualifié















Affaire :



[N] [H]





C/



SELARL EKIP'

SA CLINIQUE [11]



































Grosse délivrée le :

à :











RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS











A R R E T



Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 26 Mai 2020, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième ...

MM/ND

Numéro 20/1464

COUR D'APPEL DE PAU

2ème CH - Section 1

ARRET DU 26/05/2020

Dossier : N° RG 18/03949 - N° Portalis DBVV-V-B7C-HDOL

Nature affaire :

Demande en paiement relative à un contrat non qualifié

Affaire :

[N] [H]

C/

SELARL EKIP'

SA CLINIQUE [11]

Grosse délivrée le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

A R R E T

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 26 Mai 2020, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.

* * * * *

APRES DÉBATS

à l'audience publique tenue le 10 Mars 2020, devant :

Marc MAGNON, magistrat chargé du rapport,

assisté de Madame Catherine SAYOUS, Greffière présente à l'appel des causes,

Marc MAGNON, en application des articles 786 et 907 du Code de Procédure Civile et à défaut d'opposition a tenu l'audience pour entendre les plaidoiries, en présence de Valérie SALMERON et en a rendu compte à la Cour composée de :

Madame Valérie SALMERON, Président

Monsieur Marc MAGNON, Conseiller

Monsieur Hervé DUPEN, Conseiller

qui en ont délibéré conformément à la loi.

dans l'affaire opposant :

APPELANT :

Monsieur [N] [H] Profession : Chirurgien orthopédiste

né le [Date naissance 1] 1966 à [Localité 9]

de nationalité Française

[Adresse 3]

[Localité 5]

Représenté par Me Olivia MARIOL de la SCP LONGIN/MARIOL, avocat au barreau de PAU

Assisté de Me OLHAGARAY, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMEES :

SELARL EKIP'ès qualité de Liquidateur judiciaire de la SA CLINIQUE [11], dont le siège [Adresse 7] - [Localité 5]

selon jugement du Tribunal de commerce de [Localité 5] en date du 22 juin 2016

[Adresse 2]

[Localité 4]

SA CLINIQUE [11] SA CLINIQUE [11], dont le siège social est [Adresse 7] - [Localité 5], représentée par Mr [A]-[I] [U] demeurant [Adresse 8] - [Localité 6],

[Adresse 7]

[Localité 5]

Représentées par Me Bertrand DEFOS DU RAU de la SCP DEFOS DU RAU-CAMBRIEL-REMBLIERE, avocat au barreau de [Localité 5]

sur appel de la décision

en date du 13 NOVEMBRE 2018

rendue par le TRIBUNAL DE COMMERCE DE [Localité 5]

EXPOSÉ DES FAITS ET PROCÉDURE :

La Société Clinique [11] et le Docteur [N] [H], chirurgien Orthopédiste, ont signé le 2 janvier 2002 un contrat d'exercice professionnel libéral à effet du 2 janvier 2002 et prenant fin le 2 mai 2031, date des 65 ans du Docteur [H], avec reconduction tacite, au-delà, par période d'un an, sauf dénonciation par l'une des parties six mois au moins avant la date d' expiration de la période en cours.

La Clinique [11] a fait l'objet d'un jugement de sauvegarde en date 07/10/2015, prononcé par le Tribunal de commerce de [Localité 5], puis d'un redressement judiciaire par jugement du 13 avril 2016 publié au BODACC le 20 avril 2016, et enfin d'un jugement de liquidation judiciaire en date du 22 juin 2016, publié au BODACC le 28 juin 2016.

Par courrier recommandé avec accusé de réception du 20 juin 2016, le Docteur [H] a notifié à la Clinique [11] , une prise d'acte de rupture de son contrat.

Le Docteur [H] a déclaré au passif de la société Clinique [11] une créance, à titre privilégié, d'un montant de 456 000,00 euros, selon déclaration de créance du 22 août 2016,

Compte tenu des contestations soulevées, les parties ont été convoquées devant le juge-commissaire, conformément aux dispositions des articles L. 624-2, et R. 624-4 du code de commerce.

Par ordonnance du 22 Juin 2017, le juge-commissaire a invité le Docteur [H] à mieux se pourvoir et à saisir le tribunal de commerce au fond dans le délai d'un mois sous peine de forclusion en application des dispositions de l'article R. 624-5 du Code de commerce.

Le Docteur [H] a en conséquence saisi le tribunal de commerce de [Localité 5] au fond par assignation du 19 Juillet 2017 aux fins notamment de constater la résiliation du contrat d'exercice, par la Clinique [11], à son préjudice et d'admettre sa créance au passif de la liquidation judiciaire à hauteur de 456 000,00 euros.

Par jugement du 13 novembre 2018, le tribunal de commerce de [Localité 5] a débouté [N] [H] de toutes ses demandes, fins et conclusions et l'a condamné au paiement d'une indemnité de 2 500,00 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance dont les frais de greffe liquidés à la somme de 99.31 euros TTC.

Par déclaration en date du 14 décembre 2018, [N] [H] a relevé appel de ce jugement.

La clôture est intervenue le 11 février 2020.

L'affaire a été fixée au 10 mars 2020.

Au-delà de ce qui sera repris pour les besoins de la discussion et faisant application en l'espèce des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile, la cour entend se référer pour l'exposé plus ample des moyens et prétentions des parties aux dernières de leurs écritures visées ci-dessous.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :

Par conclusions notifiées le 2 septembre 2019, auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, [N] [H] demande à la Cour, au visa des articles 1134 et suivants du Code civil, dans son ancienne rédaction, de :

- Débouter la Selarl EKIP' et la Clinique [11] de l'ensemble de leurs demandes,

- Infirmer le jugement en date du 13 novembre 2018 dans toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau,

- Constater que la résiliation du contrat d'exercice par la Clinique [11] au préjudice de [N] [H].

- Admettre la créance de [N] [H] à hauteur de la somme de 456 000,00 euros au passif de la Clinique [11].

- Condamner conjointement et solidairement la Selarl EKIP' et la Clinique [11] à verser à [N] [H] la somme de 3.000,00 euros au titre de l' article 700 du Code de procédure civile

- Condamner conjointement et solidairement la Selarl EKIP' et la Clinique [11] aux dépens

Par conclusions notifiées le 25 juin 2019, auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, la Selarl EKIP', prise en la personne de son représentant légal, ès qualités, et la Clinique [11], prise en la personne de son représentant légal, [A] [I] [U], demandent à la Cour, au visa des articles 1134 et suivants du code civil dans son ancienne rédaction, de :

- Confirmer le Jugement entrepris en toutes ses dispositions.

Y ajoutant,

- Condamner le Docteur [H] au paiement d'une indemnité de 3.000,00 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile ainsi qu'aux entiers dépens.

MOTIVATION :

Sur la demande de résiliation judiciaire du contrat d'exercice libéral et sur l'imputabilité de la rupture :

Le Docteur [H] conclut à l'infirmation du jugement déféré, aux motifs que la rupture du contrat d'exercice libéral est de la seule responsabilité de la clinique [11], qu'elle revêt un caractère fautif et ne résulte nullement d'un cas de force majeure ou du « fait du prince »

Il fait valoir notamment qu'il s'est trouvé dans 1'obligation de cesser son activité, en raison de l'attitude de la clinique [11] qui a entraîné la suppression par l'ARS de l'autorisation d'exercice, ce qui a abouti à la fermeture pure et simple de l' établissement,

Il reproche ainsi à la clinique :

'un manque d'investissement, s'agissant notamment des conditions de sécurité, pointées du doigt par l'ARS, et de salubrité (défaillance du ménage qui n'était plus assuré correctement à compter du début du mois de janvier 2016, de sorte que les conditions d'accueil et de consultation s'en sont trouvées fortement dégradées) ;

' un manque d'initiative :

en laissant partir en janvier 2016 le Docteur [Y], chirurgien viscéral, à la clinique [10] de [Localité 5], sans respect de son préavis, pour justifier ensuite la cessation d'activité par un manque de praticiens,

en ne prenant aucune initiative pour le remplacement du médecin anesthésiste démissionnaire ;

' la décision de suspension de l'activité du bloc opératoire au 31 mai 2016, annoncée par le président du conseil d'administration dans une note du 26 avril 2016, en raison du risque médical induit par le départ de l'un des deux anesthésistes, alors que les médecins avaient trouvé un anesthésiste remplaçant, le Docteur [V], avant la date annoncée de cette suspension ;

' la modification des horaires, de sorte que la clinique a été fermée à partir de 18 heures, ainsi que le week-end, ce qui rendait impossible la poursuite d'une activité normale pour les praticiens ;

' l'absence de personnel d'astreinte en salle de surveillance post-interventionnelle (salle de réveil).

Au travers de son argumentaire, le Docteur [H] soutient que, sous couvert d'une décision de suspension provisoire de son activité, motif pris d'un risque médical qu'elle a contribué à créer, la clinique [11] a en réalité pris la décision de cesser son activité, le plaçant devant une situation de fait accompli et le mettant dans l'impossibilité de continuer à exercer son art médical dans le cadre du contrat d'exercice libéral qui les liait l'un à l'autre. Il s'agit donc bien selon lui d'une rupture fautive de la convention liant les parties, de la seule responsabilité de la clinique.

La clinique [11] et son liquidateur concluent au contraire à la confirmation du jugement en toutes ses dispositions, aux motifs que le Docteur [H] procède par affirmation et ne rapporte pas la preuve de l'existence d'une rupture abusive de son contrat, d'une faute contractuelle, d'un préjudice et d'un lien de causalité.

Ils soutiennent notamment que :

' la rupture du contrat ne relève en aucun cas de la décision de la clinique :

C'est le Docteur [H] qui, au contraire, a pris l'initiative de la rupture contractuelle, par courrier recommandé avec accusé de réception du 20 juin 2016, pour un motif infondé et en s'engageant parallèlement dans un contrat d'exercice avec la clinique voisine [10], en violation de la clause de non-concurrence inscrite à l'article 15 de son contrat ;

Subsidiairement, la résiliation du contrat a été prononcée par le juge-commissaire, par ordonnance du 22 septembre 2016, à effet du même jour, alors même que le Docteur [D] travaillait pour la concurrence depuis début juillet ;

' à supposer qu'elle soit imputable à la clinique, la rupture ne saurait être qualifiée d'abusive, car :

La clinique a d'abord subi l'arrêt brutal de l'activité du Docteur [M], ce qui a entraîné des difficultés économiques avec la perte d'un million d'euros de chiffre d'affaires, justifiant la demande de mise sous sauvegarde en octobre 2015 ; les médecins qui ont l'obligation et la responsabilité de pallier un manque de professionnels n'ont pas fait le nécessaire pour remplacer ce praticien mis à part la présentation d'un urologue à temps partiel venant de la clinique des chênes, avec une activité de consultation excluant toute activité opératoire.

La clinique n'a pas laissé partir le Docteur [Y] , chirurgien viscéral, en janvier 2016, mais a subi cette décision.

S'est ajouté un déficit de présence de médecins anesthésistes, faisant peser un risque de sécurité médicale sur les patients et sur la clinique en sa qualité de civilement et pénalement responsable ; dans la situation d'urgence ainsi créée, la proposition d'un contrat avec le Docteur [V], sans aucun planning, alors que celui-ci travaillait déjà avec la polyclinique des chênes, relevait d' une improvisation incompatible avec le rétablissement de la sécurité anesthésique; ce contrat ne pouvait entrer en application qu'après avis du conseil départemental de l'ordre, ce qui empêchait toute mise en 'uvre dans des délais raisonnables.

La suppression de toutes les autorisations d'exercice par l'ARS découle du risque médical lui même lié à un manque de médecins et non d'un manque d'investissements.

Ainsi, la clinique [11] et son liquidateur font valoir, principalement, que le risque médical créé par le départ de l'un des deux anesthésistes imposait la décision de suspension et que, par la suite, le retrait d'autorisation par l'ARS a rendu toute poursuite d'activité impossible. Cette décision de l'agence régionale de santé constitue, selon les parties intimées, un cas de force majeure ou le fait du prince prévu au contrat qui exclut tout versement d'indemnité et tout préavis.

A titre liminaire et pour la clarté des débats, il convient de rappeler que la cour n'est pas liée par la décision du juge-commissaire ayant prononcé la résiliation du contrat d'exercice libéral du Docteur [H], à compter du 24 novembre 2016, en application de l'article L. 641-11-1 du code de commerce, et que, saisie au fond de l'imputabilité réelle de la rupture, elle peut prononcer ou constater la résiliation du contrat à la date à laquelle les parties, où celle jugée responsable de la rupture des relations contractuelles, ont cessé d'exécuter leurs obligations, antérieurement à la date mentionnée par le juge-commissaire qui est incompétent pour statuer sur la nature et la réalité de la créance contestée dans le cadre de la simple procédure de vérification des créances. Le juge-commissaire a d'ailleurs renvoyé [N] [H] à mieux se pourvoir, par ordonnance du 22 juin 2017.

Il convient également d'écarter d'ores et déjà le grief formulé par les parties intimées relatif à la violation par le Docteur [H] de la clause de non-concurrence inscrite à son contrat. En effet, celui-ci a signé un contrat d'exercice libéral avec la clinique [10], le 10 juin 2016 à effet du 23 juin 2016, alors que la clinique [11] avait suspendu son activité depuis le 31 mai 2016 et qu'elle sera placée en liquidation judiciaire le 22 juin.

Or, la clause de non-concurrence inscrite à son contrat s'applique en cas de rupture à l'initiative du praticien et non lorsqu'elle résulte d'une décision de la clinique, ce que soutient le Docteur [H].

En droit, selon l'article 1134 du code civil dans sa version applicable au cas d'espèce, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi.

Selon l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de l'ordonnance 2016-131 du 10 février 2016, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution s'il ne justifie pas que l'inexécution a été empêchée par la force majeure, encore qu'il n' y ait aucune mauvaise foi de sa part.

En l'espèce, dans sa déclaration de créance, [N] [H] revendique une créance indemnitaire contractuelle d'une annuité fondée sur l'article 8 de son contrat d'exercice libéral et une indemnité complémentaire.

Contrairement à ce que soutiennent les parties intimées, l'article 8 du contrat est bien celui qui fixe les modalités de l'indemnité contractuelle de rupture, puisqu'il prévoit qu'en cas de rupture abusive par la clinique, le Docteur [N] [H] pourra prétendre à une indemnité, calculée sur la base moyenne des honoraires annuels perçus par lui au cours des trois dernières années d'exercice à la clinique, et, pour une durée d'exercice comprise entre 10 et 20 ans, une annuité.

L'application de la clause indemnitaire ne peut donc entrer en vigueur que si la rupture du contrat incombe à la clinique et est abusive.

Aux termes de l'article 1 du contrat d'exercice libéral, la clinique [11] s'est engagée à «mettre à la disposition du Docteur [H] les locaux et tous moyens nécessaires pour lui permettre d'exercer son art dans les meilleures conditions, eu égard à la spécialité exercée qui est la chirurgie d'orthopédie traumatologie».

Selon l'article 2 du contrat, la clinique s'est engagée à mettre à la disposition du Docteur [H] «les locaux et matériels adéquats au bon fonctionnement de son service et notamment :

un bloc opératoire comprenant une salle de réveil et une salle d'opération réservée à la chirurgie osseuse (flux laminaire),

une salle de plâtre, de pansements et de petite chirurgie».

Aux termes de l'article 3, elle devait également fournir, «de façon permanente, le concours d'un personnel qualifié conformément aux normes, affecté aux services d'hospitalisation, de consultation et aux salles d'opération et de pansement».

Par note du 26 avril 2016, diffusée notamment aux médecins de la clinique, à l'administrateur et au mandataire judiciaires, ainsi qu'au directeur de l'agence régionale de santé, le président du conseil d'administration de la clinique [11], [A] [U], a annoncé sa décision de proposer au conseil d'administration la suspension de l'activité de l'établissement au 31 mai 2016 aux motifs que :

«depuis le 1er avril 2016, date d'effet de la démission du Docteur [K], l'anesthésie-réanimation n'est plus assurée que par Madame le Docteur [X],

la solution de remplacement mise en place par le Docteur [X] avec un autre praticien qui exerce dans un autre établissement peut convenir quelques semaines, mais n'est pas pérenne, dans ce contexte, la charge de travail ne permettra pas à Madame [X] d'assurer le service dans les conditions de sécurité requises, au-delà du 31 mai et la clinique entrera dans une période de risque médical qu'elle ne peut courir».

Par ce même courrier, [A] [U] annonçait la possibilité de reporter ou adapter la décision de suspension, pour le cas où la réunion organisée le 17 mai 2016 par le sous-préfet de [Localité 5], avec les différents intervenants susceptibles d'apporter une solution, devait permettre d'éviter d'entrer dans cette période de risque médical.

Par courrier du 20 mai 2016, [A] [U] a informé les médecins que la réunion du 17 mai n'avait pas débouché sur un projet susceptible de permettre la poursuite de l'activité opératoire de la clinique et qu'en conséquence, cette activité serait suspendue à compter du 31 mai 2016, conformément à la décision prise par le conseil d'administration le 4 mai précédent.

Il est ainsi avéré que la suspension de l'activité opératoire de la clinique a été prise uniquement en considération du risque médical allégué, lié au départ, le 1er avril 2016, du Docteur [K], médecin anesthésiste, et non au regard des éléments de contexte économique qui ont présidé à l'ouverture de la procédure collective : baisse permanente de l'activité chirurgicale depuis plusieurs années, perte correspondante de chiffre d'affaires et départ de praticiens exerçant dans d'autre spécialités, non remplacés ou remplacés partiellement.

La décision de suspendre l'activité de la clinique au 31 mai 2016 signifiant, par voie de conséquence, la suspension unilatérale, par elle, de l'exécution des obligations qui lui incombaient en application des articles 1-2 et 3 du contrat d'exercice libéral, il convient d'examiner si le motif allégué était justifié ou si au contraire cette décision constitue une rupture déguisée et par conséquent abusive ou fautive du contrat d'exercice libéral.

En l'espèce, il ressort de la lettre adressée à [A] [U], le 14 mars 2016, par le bureau de la commission médicale d'établissement (pièce 20 de l'appelant) que le Docteur [K], second médecin anesthésiste, avec le Docteur [X], a signifié sa démission par lettre recommandée, en novembre 2014, avec respect du préavis contractuel. Il aurait dû cesser son activité au sein de la clinique [11] quelques mois plus tard, mais a accepté, après négociation avec le Docteur [X], une prolongation de ses activités au sein de l' établissement jusqu'au 31 mars 2016, ce dont la direction de la clinique a été informée le 22 décembre 2015.

Il s'est donc écoulé un an et quatre mois entre l'annonce de la démission du Docteur [K] et son départ effectif, sans que la clinique [11], qui avait l'obligation de fournir aux chirurgiens, de façon permanente, tout le personnel qualifié imposé par la réglementation en vigueur, ne justifie des démarches accomplies par elle, sur cette période, pour pourvoir au remplacement pérenne du Docteur [K].

Contrairement à ce que soutient la clinique, il ne ressort pas du contrat du Docteur [H], ni d'aucune autre pièce versée aux débats que les médecins avaient l'obligation et la responsabilité de remédier au manque de praticiens, dans d'autres spécialités que la leur. Le Docteur [H] avait ainsi seulement l'obligation de se faire remplacer par son associé ou un remplaçant qualifié en cas d'arrêt temporaire d'activité, pour cause de congé ou de maladie, afin d'assurer la qualité et la continuité des soins dans sa spécialité, de sorte qu'il n'était pas tenu de rechercher un remplaçant au Docteur [M], chirurgien-urologue, ni au Docteur [K].

C'est donc en exécution de l'obligation personnelle d'assurer son remplacement que le Docteur [X], seul médecin anesthésiste-réanimateur sous contrat avec la clinique [11], au-delà du 31 mars 2016, après avoir négocié la prolongation de l'activité du Docteur [K], a lancé une recherche élargie d'un second médecin anesthésiste, tout en assurant son propre remplacement.

Il apparaît en effet, à la lecture des pièces versées aux débats, dont la note du 26 avril 2016 de [A] [U], que le Docteur [X] a assuré la continuité des soins dans sa spécialité, avant même de signer un contrat d'association avec le Docteur [V], le 26 mai 2016.

Le compte-rendu de la réunion du conseil de bloc opératoire du 11 avril 2016 (pièce 22 de l'appelant) mentionne ainsi le remplacement du Docteur [X] par le Docteur [K] le 19 avril 2016, la venue du Docteur [V] à la clinique, du 23 mai au 28 mai 2016 et le remplacement du Docteur [X] par le Docteur [V] du 6 juin au 10 juin 2016.

Par courrier du 25 mai 2016, le Docteur [X] a informé le président du conseil d'administration de la clinique [11] de la venue du Docteur [V] au sein de l'établissement et du contrat d'association conclu entre elle et ce praticien, contrat qui permettait dès lors de garantir la continuité des soins en anesthésie-réanimation et de revenir à l'effectif de deux anesthésistes qui était celui de l'établissement depuis janvier 2015.

Informée de ce contrat d'association, la clinique [11] n'a pas pris position et a maintenu sa décision de suspendre, au 31 mai 2016, l' activité du bloc opératoire, ce qui a nécessairement conduit, à brève échéance, au prononcé de la liquidation judiciaire, par jugement du 22 juin 2016, avant même que soit connue la décision de l'ARS sur le renouvellement de l' autorisation accordée à la clinique.

Aujourd'hui, la Clinique [11] et son liquidateur soutiennent que les médecins ne pouvaient en aucun cas ignorer, ni contester le risque médical lié au déficit de médecins anesthésistes et que le Docteur [X], elle-même, avait alerté la clinique quant aux conséquences de cette situation sur les décisions à prendre pour l'avenir de l' établissement.

Les parties intimées ajoutent que l'ARS a précisément relevé ce risque dans son rapport.

Toutefois, la cour constate que dans son mail du 15 février 2016, adressé à [E] [L] (pièce 16 des parties intimées), le Docteur [X] abordait les aspects économiques et d'organisation de son activité, en l'absence de second anesthésiste, sans évoquer de risque médical.

La cour observe également que si la décision prise par l'ARS de ne pas renouveler l'autorisation d'exercer l'activité de soins en chirurgie en hospitalisation complète a, en partie, été déterminée par la réduction de l'effectif des médecins anesthésistes, elle a aussi été influencée par la décision de la clinique [11] de suspendre son activité et par la décision de liquidation judiciaire qui s'en est suivie.

A cet égard, le rapport d'avis rédigé par [G] [O], inspecteur des affaires sanitaires et sociales, pour la commission spécialisée de l'organisation des soins de la conférence régionale de santé (pièce 17 des intimés) reprend à son compte l'avis de [A] [U] «sur l'entrée dans une période de «risque médical», du fait de la présence d'un seul anesthésiste depuis le 1er avril 2016, ayant conduit la clinique à proposer à son conseil d'administration la suspension de l'activité au 31 mai 2016», sans autre élément, sur la consistance de ce risque, que l' absence de permanence et de continuité des soins anesthésiques.

Ce rapport fait état, également, de locaux qui «ne disposent pas de la conformité de la commission de sécurité incendie», notamment pour la partie dédiée à l'hébergement, et d'un nombre de séjours chirurgicaux qui se situe au niveau du seuil de 1500 (1547) prévu par le schéma régional d'organisation des soins (SROS-PRS), avec les conséquences que cela implique sur le maintien de l'activité de la clinique au regard des conditions imposées aux établissements n'atteignant pas ce seuil.

En considération de ces éléments, l'inspecteur chargé d'instruire la demande d'autorisation conclut que le projet présenté :

ne satisfait pas aux conditions d'implantation et conditions techniques de fonctionnement en assurant la continuité, l'accessibilité, la qualité et la sécurité des soins

et ne répond pas aux objectifs du schéma régional d'organisation des soins.

Il ressort surtout de la lettre adressée le 2 août 2016, par le directeur général de l'agence régionale de santé au président directeur général de la clinique [11], que la décision prise le 26 juillet 2016 de ne pas renouveler l'autorisation d'exercer l'activité de soins en chirurgie en hospitalisation complète est devenue inévitable dans le contexte créé par :

le courrier en date du 26 avril 2016 et la note informant le directeur général de l'ARS des difficultés de présence médicale au sein de la clinique [11], faisant encourir un risque aux patients,

le courrier du 6 juin 2016, par lequel [A] [U] a confirmé au directeur de l'ARS, la fermeture, au 31 mai 2016, du bloc opératoire de la clinique,

le courrier en date du 23 juin 2016 de Maître [W] [T], mandataire liquidateur désigné par jugement du 22 juin 2016 du tribunal de commerce de Dax prononçant la liquidation judiciaire de la SA Clinique [11].

Si la décision de non renouvellement d'autorisation, prise le 26 juillet 2016, se fonde sur le rapport de [G] [O], dont elle reprend l'avis, elle vise également, dans son dernier considérant, la décision notifiée par la clinique [11], le 26 avril 2016, confirmée le 6 juin 2016, de fermer son bloc opératoire.

Il est donc établi qu'en négligeant, pendant plus d'un an, de se préoccuper du remplacement du Docteur [K], puis d'examiner la possibilité d'un contrat d'exercice libéral avec le Docteur [V] qui venait de s'associer avec le Docteur [X], ce qui aurait permis de rétablir l'effectif des médecins anesthésistes sous contrat avec l'établissement et d'écarter ainsi le risque médical allégué pour suspendre l'activité du bloc opératoire, la clinique [11] a délibérément créé les conditions d'une cessation définitive de son activité. Elle s'est également montrée négligente dans l'obtention de l'avis conforme de la commission de sécurité incendie, pour ses locaux, alors qu'elle ne pouvait ignorer qu'il s'agissait d'un élément déterminant de l'examen de sa demande de renouvellement de son autorisation.

La clinique [11] ne peut, par conséquent, se retrancher derrière le fait du prince ou la force majeure, alors qu'elle a contribué à créer la situation qui a rendu inévitable sa liquidation judiciaire et le non renouvellement de son autorisation d'exercer l'activité de soins de chirurgie en hospitalisation complète, ainsi que la caducité des autres autorisations dont elle bénéficiait.

Elle ne peut non plus invoquer le caractère tardif de la transmission du contrat d'association conclu entre le Docteur [X] et le Docteur [V], dont l'application était subordonnée à l'avis du conseil départemental de l'ordre des médecins, alors que le Docteur [V] pouvait d'ores et déjà intervenir en remplacement du Docteur [X], ce qui permettait de garantir la continuité des soins et de maintenir l'activité du bloc opératoire (pièce 22 de l'appelant précitée).

Il est ainsi manifeste qu'en suspendant unilatéralement l'exécution de ses obligations contractuelles prévues par les articles 1-2 et 3 du contrat d' exercice libéral, quant à la fourniture des moyens techniques et humains permettant l'activité de chirurgie en hospitalisation complète, la clinique [11] a, sous couvert d'un risque médical qu'elle avait contribué à créer et par une décision prétendument provisoire, en réalité rompu abusivement ses relations contractuelles avec le Docteur [H].

Cette rupture abusive justifie d'examiner l'application de la clause du contrat d'exercice libéral relative à l'indemnité de rupture et engage au surplus la responsabilité de la clinique [11] en application de l'article 1147 précité.

Le jugement est en conséquence infirmé de ce chef.

Sur les indemnités réclamées par le Docteur [H] :

Conformément à sa déclaration de créance, [N] [H] sollicite la fixation d'une créance indemnitaire contractuelle d'une annuité assise sur la moyenne des trois dernières années d'honoraires, soit 406.000,00 euros, en application de l'article 8 de son contrat d'exercice libéral, ainsi qu'une indemnité pour préjudice complémentaire de 50 000,00 euros.

Dans ses écritures, il précise que le préjudice complémentaire subi résulte de l'absence de préavis.

L'article 8 du contrat d'exercice libéral de [N] [H] prévoit, au regard de sa durée d'exercice, une indemnité pour rupture abusive égale à une annuité d'honoraires ; la base de calcul étant celle rappelée dans sa déclaration de créance.

En exécution de ce même article et compte tenu de son ancienneté, [N] [H] pouvait prétendre à un préavis de dix huit mois. En l'espèce, le Docteur [H] a signé un contrat avec la clinique [10] le 10 juin 2016, à effet du 23 juin 2016, alors que le bloc opératoire de la clinique [11] était fermée depuis le 31 mai 2016.

S'agissant de l'indemnité contractuelle de rupture, comme le relève à bon droit la clinique [11], qui indique que seuls les honoraires «clinique» doivent être pris en compte à l'exclusion des honoraires «consultation», [N] [H] ne justifie pas du montant de l'indemnité réclamée.

En effet, les seules attestations émanant de [G] [C], expert-comptable membre du cabinet Coriolis Expertise, faisant état d'honoraires perçus par la Selarl [H], sans distinction entre les honoraires «clinique» et les honoraires «consultation», et sans indication du montant des honoraires versés au Docteur [H], seul titulaire du contrat d'exercice libéral, ne permettent pas de reconstituer l'assiette de l'indemnité de rupture.

Il sera en conséquence débouté de sa demande au titre de l'indemnité contractuelle.

En revanche, il convient de lui allouer des dommages et intérêts au titre du préjudice complémentaire mentionné dans sa déclaration de créance. Dans la mesure où [N] [H] a retrouvé une activité dès le mois de juillet 2016, au sein de la clinique [10], et à défaut de justifier de son préjudice plus précisément, l'indemnité réparant le préjudice complémentaire sera fixée à 25 000,00 euros pour non respect du délai de préavis.

Sur les demandes annexes :

La clinique [11], qui succombe, sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel.

Au regard des circonstances de la cause et de la position des parties, elle est condamnée à verser à [N] [H] 1000,00 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La Cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Infirme le jugement,

et statuant à nouveau,

- Dit que la rupture du contrat d'exercice libéral entre [N] [H] et la clinique [11] est prononcée aux torts de la clinique [11] au 31 mai 2016,

- Déboute [N] [H] de sa demande d'application de la clause indemnitaire prévue dans son contrat,

- Fixe à 25 000,00 euros la créance de [N] [H], à titre de dommages et intérêts, au passif de la liquidation judiciaire de la clinique [11]

- Condamne la clinique [11] et la Selarl EKIP', ès qualités, aux dépens de première instance et d'appel

-Vu l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamne la clinique [11] et la Selarl EKIP', ès qualités, à payer à [N] [H] la somme de 1000,00 euros.

Arrêt signé par Madame Valérie SALMERON, Président, et par Madame Catherine SAYOUS, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LA GREFFIÈRE,LE PRÉSIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Pau
Formation : 2ème ch - section 1
Numéro d'arrêt : 18/03949
Date de la décision : 26/05/2020

Références :

Cour d'appel de Pau 21, arrêt n°18/03949 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2020-05-26;18.03949 ?
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