MPA/ND
Numéro 20/3057
COUR D'APPEL DE PAU
2ème CH - Section 1
ARRET DU 05/11/2020
Dossier : N° RG 20/01175 - N° Portalis DBVV-V-B7E-HR2D
Nature affaire :
Demande en nullité d'un contrat ou des clauses relatives à un autre contrat
Affaire :
[X] [K]
S.E.L.A.R.L. EKIP'
S.A.S. TAGLI'APAU
C/
Société AMREST HOLDINGS S.E
S.A.S. LA TAGLIATELLA
Société PASTIFICIO SERVICE SLU
Grosse délivrée le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
A R R E T
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 05 Novembre 2020, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.
* * * * *
APRES DÉBATS
à l'audience publique tenue le 12 Octobre 2020, devant :
Madame Marie-Paule ALZEARI, magistrat chargé du rapport,
assistée de Madame Nathalène DENIS, Greffière présente à l'appel des causes,
Marie-Paule ALZEARI, en application des articles 786 et 907 du Code de Procédure Civile et à défaut d'opposition a tenu l'audience pour entendre les plaidoiries, en présence de Marc MAGNON et en a rendu compte à la Cour composée de :
Madame Marie-Paule ALZEARI, Présidente
Monsieur Marc MAGNON, Conseiller
Monsieur Philippe DARRACQ, Conseiller
qui en ont délibéré conformément à la loi.
dans l'affaire opposant :
APPELANTS :
Monsieur [X] [K]
né le [Date naissance 1] 1958 à [Localité 13] (37)
de nationalité Française
[Adresse 5]
[Localité 6]
S.E.L.A.R.L. EKIP' anciennement dénommée la SELARL FRANCOIS LEGRAND,
es qualité de liquidateur judiciaire de la Sté TAGLI'APAU,
agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 4]
[Localité 11]
S.A.S. TAGLI'APAU agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 9]
[Localité 11]
Représentés par Me François PIAULT de la SELARL SELARL LEXAVOUE, avocat au barreau de PAU
Assistés de Me Anne-Cécile BENOIT, avocat au barreau de PARIS
INTIMEES :
Société AMREST HOLDINGS S.E agissant poursuites et diligences en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 10],
[Localité 3] ESPAGNE
S.A.S. LA TAGLIATELLA agissant poursuites et diligences en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 7]
[Localité 8]
Société PASTIFICIO SERVICE SLU agissant poursuites et diligences en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 12]
[Localité 2] ESPAGNE
Représentées par Me Christophe DUALE de la SCP DUALE-LIGNEY-MADAR-DANGUY, avocat au barreau de PAU
Assistées de Me Judith HAROCHE, avocat u barreau de PARIS
sur appel de la décision
en date du 26 MAI 2020
rendue par le TRIBUNAL DE COMMERCE DE PAU
FAITS,PROCEDURE,PRETENTIONS DES PARTIES
M.[X] [K] , Président de la SAS TAGLI'APAU, a conclu le 4 mai 2011 un contrat de franchise avec la société PASTIFICIO SERVICES S.L.U. dans le cadre du concept « LA TAGLIATELLA » pour une durée de neuf années. Il a ouvert en mai 2012 un établissement sous cette enseigne dans la ville de [Localité 11].
Le franchiseur a été racheté en avril 2011 par la société AMREST HOLDINGS SE.
Par courrier du 15 octobre 2015, la SAS TAGLI'APAU a sollicité une révision des conditions économiques et un dédommagement correspondant au préjudice causé par la perte de marge au cours des quatre premiers exercices.
Par jugement du 12 avril 2016, le tribunal de commerce de Pau a ouvert une procédure de sauvegarde à l'égard de la SAS TAGLI'APAU et un mandataire judiciaire a été désigné.
Un plan de sauvegarde a été arrêté par jugement du tribunal de commerce de Pau le 5 décembre 2017.
Le 25 avril 2018, la SAS LA TAGLIATELLA a fait délivrer à la SAS TAGLI'APAU un courrier pour notifier la résiliation à effet immédiat de son contrat de franchise pour manquement à ses obligations contractuelles.
La cour d'appel de Paris, par arrêt du 28 février 2019, a confirmé la décision du juge des référés et a ordonné le maintien de la relation entre les parties pendant une période de préavis de 12 mois à compter de la date de résiliation du contrat de franchise soit jusqu'au 24 avril 2019.
Par jugement du 2 avril 2019, le tribunal de commerce de Pau a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la SAS TAGLI'APAU et désigné un liquidateur judiciaire.
Le liquidateur judiciaire, par assignation du 30 novembre 2018 , a sollicité la résiliation du contrat du 4 mai 2011 à compter du 29 avril 2016 aux torts exclusifs de la société AMREST HOLDINGS SE, la SAS LA TAGLIATELLA et la société PASTIFICIO SERVICES S.L.U.
Par jugement en date du 26 mai 2020, le tribunal de commerce de Pau a donné acte au liquidateur judiciaire de son intervention volontaire et s'est déclaré incompétent pour connaître du litige portant sur le contrat de franchise au profit du tribunal arbitral de la Chambre de Commerce Internationale de Paris en application de la clause compromissoire attachée au contrat de franchise du 4 mai 2011.
La SELARL EKIP',la SAS TAGLI'APAU et M.[X] [K] ont interjeté appel à l'encontre de cette décision le 11 juin 2020.
Ils ont été autorisés à assigner à jour fixe par ordonnance du 30 juin 2020.
Le 27 septembre 2020 les intimés ont conclu à la confirmation du jugement rendu sur incompétence et réclament le paiement de la somme de 4500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par dernières conclusions du 8 octobre 2020, les appelantes prétendent à l'infirmation du jugement et au renvoi des parties devant le tribunal de commerce de Pau pour poursuite de la procédure.
Elles réclament le paiement de la somme de 4000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Selon dernières écritures du 9 octobre 2020, les intimées concluent à la confirmation du jugement et réclament le paiement de la somme de 4500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
MOTIFS,
En application de l'article 1448 du code de procédure civile, lorsqu'un litige relevant d'une convention d'arbitrage est porté devant une juridiction de l'État, celle-ci se déclare incompétente sauf si le tribunal arbitral n'est pas encore saisi et si la convention d'arbitrage est manifestement nulle ou manifestement inapplicable.
La juridiction de l'État ne peut relever d'office son incompétence.
Toute stipulation contraire au présent article est réputée non écrite.
En premier lieu, les appelants font valoir que les intimées sont irrecevables et infondées à soulever l'incompétence du juge étatique pour avoir renoncé à l'application de la clause compromissoire.
Ils font valoir que ces dernières ont refusé d'appliquer le règlement d'arbitrage en ne réglant pas leur part de provision et en soulevant l'incompétence du tribunal arbitral pour les sociétés PASTIFICIO SERVICE et AMREST HOLDINGS S.E.
Ils soutiennent que les sociétés intimées ont expressément et ouvertement renoncé à appliquer le règlement d'arbitrage en refusant de régler leur part de provisions sur les frais de l'arbitrage.
Néanmoins, il doit être rappelé que ce sont les appelants qui ont, en avril 2016, saisi la Cour internationale d'arbitrage de la CCI.
Dans cette mesure, il ne peut être utilement soutenu qu'ils ont renoncé à l'application de la clause compromissoire du seul fait qu'ils n'auraient pas eu d'autre choix que de saisir le tribunal de commerce de Pau.
Surtout, il convient de constater que l'exception d'incompétence du tribunal de commerce a été soulevée par les intimés avant toute défense au fond et dans le respect des règles de l'article 75 du code de procédure civile.
Ainsi, même en considération de leur refus de régler leur part de provision, il doit être considéré que leur abstention sur ce point ne saurait constituer une renonciation irrévocable à la clause compromissoire au regard de l'exception d'incompétence soulevée valablement devant la juridiction de l'État.
L'exception d'incompétence doit donc être examinée.
En second lieu, les appelants estiment que l'exception d'incompétence est irrecevable et en tout état de cause infondée en application du principe de l'Estoppel.
Ils exposent également que l'incompétence du tribunal arbitral a été soulevée par une partie des intimées.
En application de ce principe, il est interdit à une partie de se contredire au détriment de son adversaire, sous peine d'une fin de non-recevoir de sa prétention.
Nul ne peut se contredire au détriment d'autrui.
Toutefois, ce principe n'a pas vocation à s'appliquer à un litige qui oppose des parties dans des actions distinctes.
En effet, ce principe qui consacre une obligation de loyauté procédurale des plaideurs impose une cohérence à ces derniers au cours du débat judiciaire.
Ainsi, l'incohérence d'un plaideur ne peut être sanctionnée qu'à la double condition que la contradiction porte sur des prétentions et qu'elle s'opère dans le cadre d'une seule et même procédure.
En l'espèce, force est de considérer que les moyens opposés par les intimés devant le tribunal arbitral n'étaient pas des prétentions et surtout que les positions adoptées l'ont été dans le cadre de deux procédures distinctes .
Ainsi, en l'absence de l'existence d'une même instance, il doit être admis que l'estoppel n'est pas caractérisé.
Cette fin de non-recevoir sera donc écartée.
En troisième lieu, les appelants soutiennent que les intimées ne sont pas fondées à invoquer le principe de compétence-compétence.
Ils exposent que dès lors que leurs demandes devant le tribunal arbitral ont été retirées, les parties se retrouvent dans la même situation que si le tribunal arbitral n'avait pas été saisi.
À cet égard, il doit être constaté que les appelants ne s'expliquent nullement sur le caractère manifestement nul de la convention d'arbitrage.
Surtout, le fait que leurs demandes aient été retirées révèle que le tribunal arbitral a bien été saisi.
Dans ces conditions, il ne peut être considéré que la juridiction de l'État est compétente en raison de l'absence de saisine du tribunal arbitral.
D'autre part, il doit être rappelé qu'en application de l'article 1465 du code de procédure civile, le tribunal arbitral est le seul compétent pour statuer sur les contestations relatives à son pouvoir juridictionnel.
Ainsi, la juridiction étatique doit se déclarer incompétente à moins que la convention d'arbitrage ne soit manifestement nulle.
En l'occurrence, il n'est nullement allégué d'une nullité manifeste de la convention d'arbitrage.
À cet égard, les intimées font utilement valoir que c'est en pleine connaissance de la clause d'arbitrage contenue au contrat de franchise que les appelants ont sollicité l'ouverture d'une procédure d'arbitrage le 29 avril 2016. Par cette action, ils ont nécessairement admis la validité de cette clause.
En quatrième lieu, les intimées rappellent le principe d'autonomie de la clause compromissoire au regard du contrat de franchise.
Enfin, les appelants font valoir que leur impécuniosité rend également la clause compromissoire inapplicable en l'espèce. Ils excipent de l'obligation pour le juge arbitre d'assurer un accès à la justice.
Ils exposent que leur situation actuelle ne leur permet pas de poursuivre devant le tribunal arbitral, ce qui retire toute efficacité à la convention d'arbitrage.
Ils font valoir qu'après avoir payé leur quote-part des frais d'arbitrage, leurs demandes ont été finalement retirées du fait de l'inexécution intentionnelle par les défendeurs de leurs obligations en vertu du règlement CCI.
Si la compétence du tribunal de commerce n'était pas retenue, ils soutiennent être dans une situation de déni de justice.
Sur ce point, les intimées rappellent utilement que les frais d'arbitrage et donc les provisions comprennent les honoraires et frais des arbitres, les frais administratifs de la CCI, les honoraires et frais des experts nommés par le tribunal arbitral ainsi que les frais exposés par les parties pour leur défense à l'occasion de l'arbitrage.
Tous ces frais se calculent proportionnellement au montant des sommes demandées dans le cadre du litige.
Dès lors, les parties qui ont présenté des demandes surévaluées peuvent être sanctionnées au moment de l'allocation des frais d'arbitrage.
Ainsi, les intimées font valoir que les demandes financières exorbitantes des appelants d'un montant en principal de plus de 2 millions d'euros ont directement et nécessairement augmenté les frais d'arbitrage, qui sont proportionnels, pour aboutir à des provisions d'un montant de 245 000 $.
En application du règlement d'arbitrage, toute partie a toujours la faculté de payer la part de la provision due par toute autre partie si cette dernière ne verse pas la part qui lui incombe.
À cet égard il doit être considéré que la procédure du règlement a été respectée puisque lorsqu'une demande de provision n'est pas satisfaite, le Secrétaire général peut, après consultation du tribunal arbitral, l'inviter à suspendre ses activités et fixer un délai qui ne saurait être inférieur à 15 jours, à l'expiration duquel les demandes auxquelles correspond cette provision seront considérées comme retirées. Toutefois un tel retrait ne prive pas la partie concernée du droit de réintroduire ultérieurement la même demande dans une autre procédure.
Effectivement il doit être constaté que le règlement CCI ne prive pas les parties n'ayant pas satisfait au versement des provisions de réintroduire ultérieurement une demande d'arbitrage, la clause compromissoire gardant ainsi tous ses effets, les parties n'étant pas réputées y avoir renoncé.
En outre, la force obligatoire de la clause compromissoire est indépendante de la santé financière de l'une des parties signataires.
Dans cette mesure, la clause d'arbitrage ne peut être considérée comme manifestement inapplicable au sens de l'article 1448 du seul fait de l'impossibilité alléguée par le liquidateur judiciaire de faire face au coût de la procédure d'arbitrage.
La partie qui fait état de son impécuniosité ne peut donc tirer argument de ce fait pour se soustraire à la compétence arbitrale.
Ainsi, le tribunal a, à bon droit, rappelé qu'il appartient au tribunal arbitral de permettre l'accès au juge alors qu'au terme de l'article 37.6 du règlement CCI, « si les parties ne sont pas convenues du partage des frais de l'arbitrage ou d'autres questions pertinentes relatives aux frais, ceux-ci sont tranchés par le tribunal arbitral. Toute partie peut demander à la Cour de procéder à la constitution du tribunal arbitral conformément au Règlement afin qu'ils puissent se prononcer sur les frais ».
Les intimées font justement valoir qu'en application de l'article 36 du Règlement d'arbitrage, la partie demanderesse à la procédure assume seule les frais de provisions. D'autre part, les demandes reconventionnelles qui sont formées peuvent donner lieu à la fixation de provisions distinctes pour la partie défenderesse.
Dans ces conditions, les intimées pouvaient valablement ne pas avancer leur quote-part de provision étant précisé qu'elles ont produit un mémoire en défense à la procédure d'arbitrage ce qui confirme toute absence de renonciation à cette clause.
De surcroît, aucune disposition du règlement ne leur impose de justifier leur abstention alors que ce même règlement leur permet de ne pas être contraintes d'assumer le paiement d'une provision au regard des demandes qui conditionnent, par leur montant, la fixation des frais.
Surtout, le règlement d'arbitrage permet aux parties demanderesses de contester la décision de retrait de ses demandes devant l'institution d'arbitrage.
En effet, en application de l'article 36.6 du règlement, lorsqu'une demande est considérée comme retirée, la partie concernée qui entend s'y opposer, peut demander, dans le délai de 15 jours, que la question soit tranchée par la Cour. Le retrait ne prive pas la partie concernée du droit de réintroduire ultérieurement la même demande dans une procédure.
Il convient de constater que les appelantes n'ont nullement introduit de demande afin de faire trancher par la Cour les contestations relatives au paiement des frais.
En considération de ces motifs, le jugement sera donc confirmé en ce qu'il s'est déclaré incompétent pour connaître du litige portant sur le contrat de franchise entre la SAS LA TAGLIATELLA et la SAS TAGLI'APAU et renvoyé les parties à mieux se pourvoir.
Le jugement sera également confirmé en ses autres dispositions sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile.
Les dépens d'appel seront laissés à la charge des parties qui succombent sur les mérites de leur action. Leur demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile sera donc écartée.
Aucune raison d'équité ne commande l'application de l'article 700 du code de procédure civile au profit des parties intimées.
PAR CES MOTIFS,
La cour après en avoir délibéré, statuant publiquement, par mise à dispsition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort
Confirme le jugement rendu pour le tribunal de commerce de Pau le 26 mai 2020 en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Laisse les dépens à la charge de la SELARL EKIP' ès qualité de liquidateur judiciaire de la SAS TAGLI'APAU et M.[X] [K],
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile.
Le présent arrêt a été signé par Madame Marie-Paule ALZEARI, Présidente, et par Madame Nathalène DENIS, greffière suivant les dispositions de l'article 456 du Code de Procédure Civile.
LA GREFFIÈRE,LA PRÉSIDENTE,