La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

05/05/2022 | FRANCE | N°19/03858

France | France, Cour d'appel de Pau, Chambre sociale, 05 mai 2022, 19/03858


JN / MS



Numéro 22/1800





COUR D'APPEL DE PAU

Chambre sociale







ARRÊT DU 05/05/2022







Dossier : N° RG 19/03858 - N° Portalis DBVV-V-B7D-HOOD





Nature affaire :



A.T.M.P. : recours contre une décision d'une caisse motivée par une faute inexcusable ou intentionnelle de la victime ou d'un de ses ayants-droit









Affaire :



S.A.S. [8]



C/



CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE, [P

] [Y]













Grosse délivrée le

à :





















RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS











A R R Ê T



Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 05 Mai 2022, le...

JN / MS

Numéro 22/1800

COUR D'APPEL DE PAU

Chambre sociale

ARRÊT DU 05/05/2022

Dossier : N° RG 19/03858 - N° Portalis DBVV-V-B7D-HOOD

Nature affaire :

A.T.M.P. : recours contre une décision d'une caisse motivée par une faute inexcusable ou intentionnelle de la victime ou d'un de ses ayants-droit

Affaire :

S.A.S. [8]

C/

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE, [P] [Y]

Grosse délivrée le

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

A R R Ê T

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 05 Mai 2022, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.

* * * * *

APRES DÉBATS

à l'audience publique tenue le 17 Mars 2022, devant :

Madame NICOLAS, magistrat chargé du rapport,

assistée de Madame BARRERE, faisant fonction de greffière.

Madame NICOLAS, en application de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile et à défaut d'opposition a tenu l'audience pour entendre les plaidoiries et en a rendu compte à la Cour composée de :

Madame NICOLAS, Présidente

Monsieur LAJOURNADE, Conseiller

Madame SORONDO, Conseiller

qui en ont délibéré conformément à la loi.

dans l'affaire opposant :

APPELANTE :

S.A.S. [8]

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représentée par Maître DUALE de la SELARL DUALE-LIGNEY-BOURDALLE, avocat au barreau de PAU

Assistée de Maître PONCIN-AUGAGNEUR, avocat au barreau de LYON

INTIMES :

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE

[Adresse 5]

[Localité 4]

Représentée par Madame [T] munie d'un pouvoir régulier.

Monsieur [P] [Y]

[Adresse 1]

[Localité 6]

Représenté par Maître LEDAIN de la SELARL ABL ASSOCIES, avocat au barreau de PAU

Assisté de Maître CHAMBOLLE, avocat au barreau de BORDEAUX

sur appel de la décision

en date du 08 NOVEMBRE 2019

rendue par le POLE SOCIAL DU TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE BAYONNE

RG numéro : 16/00673

FAITS ET PROCÉDURE

Le 26 décembre 2014, M. [P] [Y] (le salarié), salarié de la société [8] (l'employeur) en qualité d'agent de service, a été victime d'un accident pris en charge par la caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 6] (la caisse ou l'organisme social) au titre de la législation sur les risques professionnels.

Le 19 décembre 2016, le salarié a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de Bayonne, devenu le pôle social du tribunal de grande instance de Bayonne, d'une action en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, afin d'indemnisation.

Le 30 avril 2017, l'état de santé du salarié a été déclaré consolidé et son taux d'IPP a été fixé à 30 %.

Par jugement du 27 avril 2018, le tribunal des affaires de sécurité sociale de Bayonne a notamment :

- dit que l'accident de travail dont a été victime le salarié est dû à la faute inexcusable de l'employeur,

- fixé au maximum prévu par la loi la majoration de la rente servie au salarié par la caisse qui en récupérera le montant conformément aux articles L 452-2 et L 452-3 du code de la sécurité sociale, sur l'employeur,

- ordonné une expertise médicale confiée au Docteur [V], aux frais avancés de la caisse,

- alloué au salarié une provision de 10 000 € dont la caisse fera l'avance,

- condamné l'employeur à rembourser à la caisse ladite provision,

- condamné l'employeur à régler au salarié une somme de 2 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- prononcé l'exécution provisoire de la décision.

Par jugement en date du 8 novembre 2019, le pôle social du tribunal de grande instance de Bayonne, au vu du rapport du Docteur [V] en date du 26 novembre 2018, et omettant de retranscrire en son dispositif l'indemnisation allouée au titre de la tierce personne avant consolidation (14'940 €), a :

- fixé le préjudice du salarié comme suit :

- 12 207,50 € au titre du déficit fonctionnel temporaire,

- 20 000 € au titre du retentissement professionnel de l'accident,

- 20 000 € au titre des souffrances endurées,

- 10 000 € au titre du préjudice d'agrément,

- 5 000 € au titre du préjudice sexuel,

- dit que la demande au titre des frais divers sera traitée avec la demande des frais irrépétibles (article 700 du code de procédure civile),

- dit que la CPAM fera l'avance des sommes ainsi allouées au salarié, après déduction de la provision déjà allouée,

- condamné l'employeur à rembourser à la caisse les sommes ainsi avancées par elle, avec intérêt légal à compter du jour du règlement,

- ordonné l'exécution provisoire de cette décision,

- condamné l'employeur à verser au salarié la somme de 2 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit que les dépens, en ce compris les frais d'expertise avancés par la caisse seront à la charge de l'employeur, condamné à rembourser ces frais d'expertise.

Cette décision a été notifiée aux parties, par lettre recommandée avec accusé de réception, reçue de l'employeur le 18 novembre 2019.

Le 12 décembre 2019, par déclaration au guichet unique du greffe de la cour d'appel, l'employeur, par son conseil, en a régulièrement interjeté appel.

Selon avis de convocation en date du 3 novembre 2021, contenant calendrier de procédure, les parties ont été régulièrement convoquées à l'audience du 17 mars 2022, à laquelle elles ont comparu.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Selon ses dernières conclusions visées par le greffe le 11 mars 2022, reprises oralement à l'audience de plaidoirie, et auxquelles il est expressément renvoyé, l'employeur, la société [8], appelant demande à la cour de :

I. Sur les préjudices patrimoniaux

1.1 Sur la tierce personne avant consolidation

- confirmer le jugement initial,

- déclarer satisfactoire la somme de 14 940 €.

1.2 Sur la perte de chance de promotion professionnelle

- réformer le jugement initial et débouter le salarié de cette demande.

II. Sur les préjudices extra-patrimoniaux

2.1 Déficit fonctionnel

- confirmer le jugement initial,

- déclarer satisfactoire la somme de 12 207, 50 €,

2.2 Sur les souffrances endurées

- réformer le jugement initial,

- allouer au salarié la somme de 4 500 €,

2.3 Sur le préjudice sexuel

- confirmer le jugement initial,

- déclarer satisfactoire la somme de 5 000 €.

2.4 Sur le préjudice d'agrément

- réformer le jugement initial et débouter le salarié de cette demande ;

- A titre subsidiaire, allouer au salarié la somme de 500 €.

Selon ses conclusions visées par le greffe le 28 février 2022, reprises oralement à l'audience de plaidoirie, et auxquelles il est expressément renvoyé, l'organisme social, la CPAM des Landes, intimée, demande à la cour de :

- prendre acte qu'elle s'en remet pour la fixation des préjudices,

- dans le cas d'une majoration des préjudices alloués en première instance, condamner l'employeur à lui rembourser les sommes avancées au salarié dans le cadre de cette procédure,

- dans le cas d'une minoration, condamner le salarié à rembourser à la caisse les sommes versées à tort.

Selon ses conclusions visées par le greffe le 11 janvier 2022, reprises oralement à l'audience de plaidoirie, et auxquelles il est expressément renvoyé, le salarié, M. [P] [Y], intimé formant appel incident, demande à la cour de:

$gt; confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a été indemnisé de :

- 20 000 € au titre de ses souffrances endurées,

- 10 000 € au titre de son préjudice d'agrément,

$gt; l'infirmer pour le surplus comme suit :

- condamner l'employeur à l'indemniser du fait de la faute inexcusable dont il s'est rendu coupable de la façon suivante :

- Frais divers : 1 074,95 €

- Tierce personne avant consolidation : 16 600 €

- Perte de chance de promotion professionnelle : 50 000 €

- Déficit fonctionnel temporaire : 12 695,80 €

- Préjudice sexuel : 10 000 €

Soit un montant total de 120 370,75 €

- condamner l'employeur à lui verser la somme de 3 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- dire que la caisse fera l'avance des sommes susvisées,

- condamner l'employeur aux entiers dépens,

- ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir nonobstant appel et sans caution.

SUR QUOI LA COUR

Les contestations soumises à la cour ne portent que sur les sommes allouées en réparation du préjudice du salarié.

Pour mémoire, il sera rappelé que :

- le 26 décembre 2014, le salarié, né le 20 février 1973, agent de service, à l'occasion d'un nettoyage de vitres du casino Barrière à [Localité 7], a fait une chute d'une échelle de 3 à 4,5 m de hauteur ( selon les éléments du dossier) ,

- l'organisme social a reconnu le caractère professionnel de l'accident,

- son taux d'incapacité permanente partielle a été reconnu à concurrence de 30%,

Le rapport d'expertise du Docteur [V] du 26 novembre 2018, retient que le salarié, âgé de 41 ans, a du fait du sinistre, présenté un traumatisme cranio-cérébral avec perte de connaissance, fracture de la base du crâne, lame d'épanchement sous-dural et lésions parenchymateuses bi- frontales, retenant :

- la date de consolidation médicolégale fixée au 30 avril 2017,

- un déficit fonctionnel total du 16 décembre 2014 au 22 janvier 2015,

- un déficit fonctionnel partiel:

' de 65 %, du 23 janvier 2015 au 4 janvier 2016,

' de 50% , du 5 janvier au 9 juin 2016,

' de 45% du 10 juin 2016 au 30 avril 2017,

- des souffrances endurées jusqu'à consolidation évaluées à 4/7,

- la nécessité d'une assistance humaine de 1 heure par jour en raison des séquelles avant consolidation et de 2 heures après,

- l'expert retient également que :

- les capacités et actuelles du salarié ne s'opposent pas à la reprise de ses activités sportives et d'agrément antérieures, l'absence de reprise devant être recherchée dans un manque d'envie et d'entrain inhérent aux séquelles neuropsychologiques,

- ces mêmes séquelles neuropsychologiques sont à l'origine d'une baisse significative de la qualité des relations sociales et familiales, de même qu'à une baisse ressentie de la libido, éléments laissés à l'appréciation de la cour quant à un retentissement familial et sexuel,

- professionnellement, le salarié est inapte à la reprise d'une activité professionnelle ; à terme (...), il est peu vraisemblable qu'il puisse accéder à un emploi en dehors d'une structure protégée,

- les séquelles supportées par le salarié imposent qu'il bénéficie d'une aide humaine non spécialisée, quotidienne, essentiellement axée sur la motivation et le contrôle, actuellement exercée par son épouse et évaluée à une heure par jour.

Au vu de ces éléments, les prétentions respectives des parties seront résumées par le tableau suivant :

Postes de préjudice

décision déférée

prétentions de l'employeur

prétentions du salarié

déficit fonctionnel temporaire

12 207,50 €

confirmation

réformation

12'695,80 €

souffrances endurées

20 000 €

réformation

4500 €

confirmation

préjudice agrément

10 000 €

réformation

principal : débouté

subsidiaire : 500 €

confirmation

'retentissement professionnel de l'accident' requalifié par les parties en « perte de chance de promotion professionnelle »

20 000 €

réformation

demande qualifiée de « perte de chance de promotion professionnelle » débouté

réformation

demande qualifiée de « perte de chance de promotion professionnelle »

50'000 €

tierce personne

avant consolidation

14 940 € (condamnation omise dans le dispositif)

confirmation

réformation

16'600 €

préjudice sexuel

5000 €

confirmation

réformation

10'000 €

frais divers

traités avec les frais irrépétibles

ne conclut pas

réformation

1074,95 €

Il s'en déduit que l'intégralité des postes indemnitaires retenus par le premier juge, est contestée.

1-Sur le déficit fonctionnel temporaire

Les parties sont en désaccord sur la base indemnitaire à appliquer, sollicitée à raison de 26 € par jour de déficit fonctionnel temporaire total par l'intimé au titre de son appel incident, et appliquée à hauteur de 25 € par jour, par le premier juge, ce dont l'employeur sollicite confirmation.

Ce poste de préjudice a été justement réparé, sur la base indemnitaire de 25 € par jour ou 750 € par mois, de déficit fonctionnel temporaire total, soit une réparation s'élevant à la somme de 12 207,50 € , décomposée ainsi :

- déficit fonctionnel temporaire total : 25 € x 38 jours = 950€

- déficit fonctionnel temporaire partiel (65 %) : 347 jours x (25 € x 65 %) = 5638,75 €

- déficit fonctionnel temporaire partiel (50 %) : 157 jours x (25 € x 50 %) = 1962,50 €

- déficit fonctionnel temporaire partiel (45 %) : 325 jours x (25 € x 45 %) = 3656,25 €

L'indemnisation allouée par le premier juge sera confirmée.

2-Sur les souffrances endurées ( avant consolidation)

Ce poste de préjudice est évalué à 4/7 par l'expertise.

Pour solliciter que la somme allouée par le premier juge (20 000 €) soit minorée à la somme de 4500 €, l'appelant soutient que selon l'évaluation expertale, il s'agit de souffrances moyennes dont la juste évaluation correspondrait à la somme qu'il propose.

L'intimé sollicite au contraire la confirmation de la somme de 20'000 € allouée par le premier juge, rappelant que selon le référentiel Mornet, une telle indemnisation est comprise entre 8000 et 20'000 €, et qu'il ressort du parcours médical du salarié (dont il rappelle le détail pages 14 à 17 de ses conclusions), qu'il a compris un accident initial particulièrement violent avec une chute de 3 mètres, un long parcours en rééducation, en hôpital de jour, avec suivi de kinésithérapie, suivi neuropsychologique, suivi psychiatrique, des traitements médicamenteux antalgiques et psychiatriques, ainsi que de très importantes douleurs physiques et psychologiques.

Il ressort de l'expertise, que :

- le salarié, dans les suites immédiates de son accident, lui ayant occasionné un traumatisme crânien avec perte de connaissance, a été pris en charge par les pompiers et le SAMU, pour être évacué au centre hospitalier de [Localité 6], où un scanner réalisé dès son admission, a révélé une fracture de la base du crâne, des contusions cérébrales bi frontales,

- ces lésions ont nécessité une surveillance radio clinique en secteur neurochirurgical, réalisée les 29 décembre (scanner), 31 décembre 2014 (I.R.M. cérébrale) et 5 janvier 2015 (nouvelle exploration radiologique), l'indication opératoire n'ayant pas été retenue, devant la bonne tolérance et l'importance modérée des différents saignements en lien avec les contusion hémorragiques bi frontales et temporale droite,

- le 7 janvier 2015, le patient a été transféré en centre de neuro rééducation de [Localité 9], alors qu'il restait « très céphalalgique, très photophobe, très plaintif», « très ralenti, somnolent, désorienté dans le temps. Les céphalées restent intenses et mal supportées, imposant une majoration du traitement antalgique' il peut se verticaliser seul, mais la station bipodale est difficile' avec sensation vertigineuse risque de chute'»,

- le bilan neuropsychologique réalisé le 21 janvier 2015, à un mois des lésions traumatiques, est en concordance avec ses plaintes (déficit de l'attention, importante fatigabilité, profond ralentissement cognitif, troubles mnésiques, troubles de la flexibilité mentale pour passer d'une chose à une autre...),

- le 22 janvier 2015, après un week-end thérapeutique de plus de 48 heures à domicile, s'étant déroulé sans problème particulier, et au vu du fait que le patient était bien entouré par sa famille, il a été autorisé à regagner son domicile, avec poursuite de la prise en charge en hôpital de jour, à raison de quatre séances hebdomadaires, où le travail en kinésithérapie et le travail cognitif seront poursuivis,

- nonobstant la poursuite de ce suivi, le bilan neurologique effectué du 14 au 18 mars 2016, soit à plus de 14 mois de l'accident, « est inquiétant puisqu'il met en évidence la persistance (et nulle amélioration) des troubles cognitifs qui avaient été révélés un an plus tôt' troubles attentionnels extrêmement sévères' fatigabilité très invalidante' ressources attentionnelles très faibles impactant directement le fonctionnement des fonctions adaptatives' les différents troubles neuropsychologiques identifiés sont certainement majorés par un état anxiodépressif majeur réactionnel'

- ces constatations entraîneront la préconisation d'une prise en charge non seulement médicamenteuse, mais également non médicamenteuse, sous type d'accompagnement psychologique et psychosomatique, avec mise en place d'une neuro stimulation transcutanée, consultations psychiatriques, mettant en évidence, une thymie triste, quelques idéations morbides, des angoisses, des ruminations anxieuses, une irritabilité, un ralentissement idéomoteur, les troubles du sommeil ' une asthénie importante, un vécu de préjudice en lien avec son accident et les répercussions sur sa santé et sa qualité de vie' avec faible élan vital, tendance au repli, projection inquiète sur l'avenir' état dépressif encore évolutif malgré le traitement'

L'ensemble de ses souffrances physiques et morales, eu égard à leur consistance, à leur durée jusqu'à la consolidation, a été justement indemnisé par le premier juge, à concurrence de la somme de 20'000 €.

La contestation de l'appelant à ce titre sera rejetée, par confirmation de la décision déférée.

3-Sur le préjudice d'agrément

Le préjudice d'agrément est constitué par l'impossibilité pour la victime de continuer à pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisirs et inclut la limitation de la pratique antérieure.

L'employeur appelant, conclut au rejet d'une telle demande, au motif que l'indemnisation d'un tel préjudice, serait intégrée à l'indemnisation du déficit fonctionnel temporaire.

À titre subsidiaire, il estime que l'indemnité ne saurait dépasser la somme de 500 €, au vu des mentions du rapport d'expertise, et de l'absence de justificatifs des activités pratiquées par le salarié.

Au contraire, le salarié intimé rappelle que l'expert a retenu à juste titre qu'il n'avait repris aucune activité sportive et d'agrément, en raison de ses séquelles neuro cognitives, alors même qu'il justifie d'une licence d'un club d'aviron, et de ses activités antérieures de course, cyclisme et randonnée.

Il s'agit ici d'indemniser un préjudice postérieur à la consolidation, si bien que contrairement à ce que soutient l'employeur, le poste de réparation relative au déficit fonctionnel temporaire ne comporte pas une telle indemnisation.

Le salarié produit sa carte d'adhésion au club d'aviron de [Localité 6], pour l'année 2008 /2009, ainsi qu'un courrier du 13 février 2014, par lequel ce club s'adresse à lui en qualité de « licencié », pour lui adresser la plaquette club et le passeport de la saison 2013/ 2014.

Il justifie ainsi qu'il pratiquait avant l'accident du travail, l'aviron à titre d'activité spécifique de loisirs.

Il démontre également, par la photocopie d'un dossard, et un certificat d'inscription, sa participation à des activités de semi-marathon.

Or, si l'expert relève qu'il n'a aucune impossibilité physique à la poursuite de ces activités, il retient néanmoins que les séquelles psychologiques, induisant un manque d'envie et d'entrain, sont en lien avec l'absence de reprise de ces activités.

Le préjudice d'agrément est caractérisé.

Au vu de sa consistance, chez un homme de 43 ans au jour de la consolidation, ce préjudice a été justement indemnisé par le premier juge, par la somme de 10'000 €.

La contestation de l'appelant à ce titre sera rejetée, par confirmation de la décision déférée.

4-Sur le préjudice sexuel

Le salarié intimé, au titre de son appel incident, conteste le premier juge en ce qu'il a alloué la somme de 5000 € à ce titre, pour conclure à l'octroi de la somme de 10'000 €, alors que l'appelant sollicite la confirmation de la décision déférée.

L'expert a retenu que les séquelles neuropsychologiques du salarié, sont à l'origine d'une baisse sensible de sa libido.

Ce préjudice n'est pas autrement caractérisé que par l'expertise.

Aucun élément du dossier, ne justifie une majoration de la juste évaluation faite par le premier juge, de la réparation de ce préjudice à concurrence de la somme de 5000€.

La contestation de l'intimé à ce titre sera rejetée, par confirmation de la décision déférée.

5-Sur l'assistance par tierce personne

Le premier juge a indemnisé ce poste de préjudice, pendant 830 jours, du 22 janvier 2015 au 30 avril 2017, c'est-à-dire à compter du retour du salarié à son domicile, et jusqu'à la consolidation de son état de santé, à raison d'une heure par jour ainsi que retenu par l'expert, sur la base indemnitaire de 18 € de l'heure .

La contestation de l'intimée, porte sur la base indemnitaire de l'assistance par tierce personne, dont il estime, conformément à ses prétentions devant le premier juge, et au visa d'une séance du Sénat du 9 novembre 2021, qu'elle doit être portée à 20 € de l'heure.

S'il n'est pas contestable, que doit être rémunérée l'assistance par tierce personne, lorsque comme au cas particulier, il s'agit d'une aide familiale, il n'en demeure pas moins que cette assistance ne nécessite pas l'intervention d'une personne spécialisée, et que par le coût horaire retenu par le premier juge, ce poste de préjudice a été justement réparé.

La contestation de l'intimé à ce titre sera rejetée, par confirmation de la décision déférée.

6-Sur la perte de chance de promotion professionnelle

Pour allouer une indemnité au titre d'un « retentissement professionnel de l'accident », le jugement déféré a retenu que « son accident violent à 42 ans, empêche la reprise d'une activité professionnelle stable, qui aurait pu favorablement évoluer, compte tenu de son âge' les troubles cognitifs dont il souffre constituent un obstacle à une reconversion dans un milieu autre que protégé ».

L'appelant, qui rappelle que le salarié a déjà obtenu réparation par le versement de la rente, conteste cette décision, au motif que ne peut être indemnisée que la perte de chance de promotion professionnelle, et conclut au rejet de toutes demandes à ce titre, faute pour le salarié de démontrer un tel préjudice.

L'intimé, pour réclamer, au visa des dispositions de l'article L 452-3 du code de la sécurité sociale, indemnisation au titre de la perte de chance de promotion professionnelle, à concurrence de la somme de 50'000 €, estime que le premier juge, a parfaitement caractérisé la diminution de promotion professionnelle, en rappelant notamment que le salarié est inapte à la reprise d'une activité professionnelle, que l'expert a retenu qu'il était peu vraisemblable qu'il puisse accéder à un emploi en dehors d'une structure protégée, alors même qu'il détient un diplôme de dessin « bâtiment technicien option architecture », obtenu en juin 1999, à Casablanca, qu'il est en France depuis 2001, et a toujours travaillé.

Si l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale permet au salarié victime d'un accident du travail imputé à la faute inexcusable de l'employeur de demander réparation de la perte et/ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle, c'est à la condition d'apporter la preuve qu'à la date de la demande en réparation, il bénéficiait d'une formation ou d'une situation professionnelle de nature à lui laisser espérer une promotion.

Il doit s'agir, en outre, de chances sérieuses et pas simplement hypothétiques, d'obtenir une telle promotion.

Enfin, le préjudice doit être distinct de celui résultant d'un déclassement professionnel déjà compensé par l'attribution de la rente majorée.

Au cas particulier, et selon les éléments du dossier, le salarié, né le 20 février 1973, justifie qu'il avait, au mois de juin 1999, et donc à l'âge de 26 ans, « subi avec succès les épreuves de l'examen du dessin bâtiment (technicien) option architecture », et avait obtenu la mention assez bien.

Il démontre également, que le 15 décembre 2011, lui a été délivré un « certificat de qualification professionnelle en qualité de laveur de vitres spécialisé, travaux en hauteur, option échafaudage », constituant une preuve de son savoir-faire, et étant reconnue par tous les professionnels de la branche propreté.

Enfin, selon les propos non contestés retranscrits par l'expert, le salarié est en France depuis 2001, a été formé au dessin d'architecture, a débuté en cuisine, et depuis 2011, était salarié en contrat à durée indéterminée comme laveur de carreaux au sein de la société [8], dont il a été licencié pour inaptitude, à la suite d'un entretien préalable en date du 20 mars 2018.

Aucun élément relatif à l'évolution de sa profession de laveur de vitres spécialisé, travaux en hauteur, que ce soit au sein de la société où il travaillait, ou dans une perspective plus générale, ne permet de retenir, que sa formation ou sa situation professionnelle était de nature à lui laisser espérer une promotion.

Les éléments du dossier ne démontrent donc pas que la formation et les aptitudes professionnelles du salarié lui auraient permis de prétendre à une promotion professionnelle dont il aurait été privé du fait de l'accident.

La demande d'indemnisation au titre de la perte de chance de promotion professionnelle, n'est pas fondée et sera rejetée.

Le premier juge sera infirmé, en ce qu'il a alloué une somme de 20'000 € au titre du « retentissement professionnel de l'accident ».

7-Sur la demande d'indemnisation des frais restés à charge

En application de l'article L 452-3 du code de la sécurité sociale, interprété à la lumière de la décision du conseil constitutionnel n° 2010-8 QPC du 18 juin 2010, en cas de faute inexcusable de l'employeur, et indépendamment de la majoration de rente servie à la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle, celle-ci peut demander à l'employeur, devant la juridiction de sécurité sociale, la réparation non seulement des chefs de préjudices énumérés par le texte susvisé, mais aussi de l'ensemble des dommages non couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale.

Ainsi, les frais ne sont indemnisables, qu'en ce qu'ils ne sont pas couverts par les dispositions du livre IV du code de la sécurité sociale.

Tel n'est pas le cas des frais médicaux, chirurgicaux, pharmaceutiques et accessoires, les frais de transport et d'une façon générale, les frais nécessités par le traitement, la réadaptation fonctionnelle, la rééducation professionnelle, le reclassement de la victime ensuite de l'accident du travail, puisque ces frais sont au contraire pris en charge par la caisse primaire d'assurance-maladie au titre de l'article L 431-1 du code de la sécurité sociale.

En revanche, les frais pour se rendre à l'expertise médicale, réclamés et justifiés à concurrence de 20 €, de même que les frais versés au médecin ayant assisté le salarié en qualité de médecin-conseil dans le cadre de l'expertise, et justifiés à concurrence de la somme de 1050 €, ne sont pas couverts par les dispositions du livre IV du code de la sécurité sociale, et doivent être indemnisés.

Il sera fait droit à la demande, à concurrence de la somme de 1070 €, par infirmation partielle du jugement déféré.

En revanche, c'est à juste titre que les frais de copie du dossier médical, réclamés à concurrence de la somme de 14,95 €, et exposés au titre des frais de procédure, ont été intégrés par le premier juge, à la condamnation prononcée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

8-Sur la charge de l'indemnisation

Le premier juge n'est pas contesté, en ce qu'il a jugé que la caisse CPAM fera l'avance des sommes allouées au salarié, après déduction de la provision déjà allouée, et en ce qu'il a condamné l'employeur à rembourser à la caisse les sommes ainsi avancées par elle, avec intérêt légal à compter du jour du règlement.

Il sera confirmé.

9-Sur les demandes de restitution

La caisse, demande que soit ordonnée la restitution des sommes qu'elle aurait versées en vertu du jugement déféré assorti de l'exécution provisoire à l'assuré social et qui ne sont pas confirmées par la cour.

Cependant le présent arrêt, partiellement infirmatif, constitue le titre ouvrant droit à la restitution des sommes versées en exécution du jugement, étant précisé que les sommes devant être restituées portent intérêt au taux légal à compter de la notification, valant mise en demeure, de la décision ouvrant droit à restitution .

En conséquence, il n'y a pas lieu de statuer sur ces demandes .

10-Sur le surplus des demandes

Le recours à l'encontre de la présente décision, s'agissant du pourvoi en cassation, n'a pas d'effet suspensif, si bien qu'il n'y a pas lieu de prononcer l'exécution provisoire du présent arrêt.

La disparité dans la situation respective des parties, justifie, nonobstant leur succombance respective, que l'employeur soit condamné à payer au salarié, la somme de 1000 €, sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure .

L'employeur, auteur de la faute inexcusable, supportera les dépens exposés en appel.

PAR CES MOTIFS :

La cour, après en avoir délibéré, statuant, publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Répare l'omission matérielle affectant le dispositif du jugement déféré, en jugeant qu'au paragraphe par lequel le premier juge « fixe le préjudice de M. [P] [Y] comme suit », il doit être ajouté la mention suivante :

- 14'940 €, au titre de l'indemnisation de l'assistance par tierce personne avant consolidation,

Infirme le jugement déféré, mais seulement en ce qu'il a :

- alloué au salarié, M. [P] [Y] au titre du retentissement professionnel de l'accident, la somme de 20'000 €,

- dit que la demande au titre des frais divers sera traitée pour le tout avec la demande des frais irrépétibles (article 700 du code de procédure civile),

Et statuant à nouveau des seuls chefs infirmés,

Déboute le salarié, M. [P] [Y] de sa demande d'indemnisation au titre de la perte de chance de promotion professionnelle,

Alloue au salarié, M. [P] [Y] au titre de remboursement des frais restés à sa charge, la somme de 1070 €,

Dit que la demande au titre des frais divers, pour la somme de 14,95 €, sera traitée avec la demande des frais irrépétibles,

Confirme le jugement déféré pour le surplus,

Dit n'y avoir lieu à statuer sur les demandes de restitution des sommes versées en vertu de l'exécution provisoire attachée au jugement déféré à la cour,

Dit n'y avoir lieu à prononcer de l'exécution provisoire,

Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne l'employeur, la société [8], à payer au salarié, M. [P] [Y] ,la somme de 1000€ en cause d'appel,

Condamne l'employeur, la société [8] aux entiers dépens exposés en appel.

Arrêt signé par Madame NICOLAS, Présidente, et par Madame LAUBIE, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LA GREFFIÈRE,LA PRÉSIDENTE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Pau
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 19/03858
Date de la décision : 05/05/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-05-05;19.03858 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award