AC/JD
Numéro 22/3949
COUR D'APPEL DE PAU
Chambre sociale
ARRÊT DU 10/11/2022
Dossier : N° RG 19/02013 - N° Portalis DBVV-V-B7D-HI7D
Nature affaire :
Demande de paiement de créances salariales sans contestation du motif de la rupture du contrat de travail
Affaire :
[O] [L] [V], [Y] [K] [U] veuve [L] [V], [J] [S], [Z] [L] [V], [D] [L] [V]
C/
SAS VIVIERS DE SARRANCE
Grosse délivrée le
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
A R R Ê T
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 10 Novembre 2022, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.
* * * * *
APRES DÉBATS
à l'audience publique tenue le 12 Septembre 2022, devant :
Madame CAUTRES, magistrat chargé du rapport,
assistée de Madame BARRERE, faisant fonction de greffière.
Madame CAUTRES, en application des articles 805 et 907 du Code de Procédure Civile et à défaut d'opposition a tenu l'audience pour entendre les plaidoiries et en a rendu compte à la Cour composée de :
Madame CAUTRES, Présidente
Madame SORONDO, Conseiller
Madame PACTEAU,Conseiller
qui en ont délibéré conformément à la loi.
dans l'affaire opposant :
APPELANTS :
Monsieur [O] [L] [V], décédé le 27 décembre 2021
[Adresse 2]
[Localité 6]
Représenté par Maître GALLARDO, avocat au barreau de PAU et par Maître GOGUYER-LALANDE de la SCP GOGUYER-LALANDE DEGIOANNI PONTACQ, avocat au barreau d'ARIEGE
Madame [Y] [K] [U] veuve [L] [V] venant aux droits de Monsieur [O] [L] [V] en qualité de conjoint survivant
[Adresse 2]
[Localité 6]
Représenté par Maître GALLARDO, avocat au barreau de PAU et par Maître GOGUYER-LALANDE de la SCP GOGUYER-LALANDE DEGIOANNI PONTACQ, avocat au barreau d'ARIEGE
Madame [J] [S], [Z] [L] [V] venant aux droits de Monsieur [O] [L] [V] en qualité d'héritière
[Adresse 3]
[Localité 5]
Représenté par Maître GALLARDO, avocat au barreau de PAU et par Maître GOGUYER-LALANDE de la SCP GOGUYER-LALANDE DEGIOANNI PONTACQ, avocat au barreau d'ARIEGE
Madame [D] [L] [V] venant aux droits de Monsieur [O] [L] [V] en qualité d'héritière
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représenté par Maître GALLARDO, avocat au barreau de PAU et par Maître GOGUYER-LALANDE de la SCP GOGUYER-LALANDE DEGIOANNI PONTACQ, avocat au barreau d'ARIEGE
INTIMEE :
SAS VIVIERS DE SARRANCE agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux en exercice
[Adresse 7]
[Localité 6]
Représentée par Maître LIGNEY de la SELARL DUALE-LIGNEY-BOURDALLE, avocat au barreau de PAU, et par Maître PERUILHE de la SCP BARTHÉLÉMY AVOCATS, avocat au barreau de PAU
sur appel de la décision
en date du 16 MAI 2019
rendue par le CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE PAU
RG numéro : F 18/00011
EXPOSÉ DU LITIGE
M. [O] [L] [V] a été embauché le 1er janvier 2009, avec reprise d'ancienneté au 25 octobre 1982, par la société Viviers de Sarrance en qualité de technicien piscicole, niveau 1, coefficient 185, suivant contrat à durée indéterminée régi par la convention collective nationale des élevages aquacoles.
À compter du 2 avril 2014, M. [O] [L] [V] a fait l'objet d'arrêts de travail.
Par décisions des 10 septembre 2014 et 20 janvier 2015, la Mutualité Sociale Agricole (MSA ) a reconnu l'existence de deux maladies professionnelles.
Pour la première maladie professionnelle en lien avec la coiffe des rotateurs, celle-ci a été consolidée au 14 octobre 2015.
La deuxième maladie professionnelle en lien avec la lombalgie a été consolidée au 31 août 2016.
Le 28 septembre 2016, à l'issue d'une visite de reprise, le médecin du travail a rendu l'avis suivant «'limitation du mouvement du bras gauche au-delà du niveau de l'épaule ; limitation du travail en force sollicitant le bras gauche, limitation des ports de charge à 10 kg, limitation du mouvement de flexion-extension du tronc une procédure d'inaptitude à envisager'».
La société Viviers de Sarrance a formulé des propositions d'aménagement du poste de travail qui ont été validées par le médecin du travail le 12 octobre 2016.
Le 20 octobre 2016, le médecin du travail a déclaré M. [O] [L] [V] apte à son poste.
Le 24 octobre 2016, lors de la reprise effective du travail, la société Viviers de Sarrance a proposé à M. [O] [L] [V] un avenant au contrat de travail actant les aménagements de poste réalisés.
Le 3 novembre 2016, M. [O] [L] [V] a adressé un certificat de rechute avec prolongation jusqu'au 31 décembre 2016.
Le 1er décembre 2016, le médecin conseil a conclu que la rechute sollicitée au 3 novembre 2016 ne présente pas un caractère professionnel.
Le 2 décembre 2016, M. [O] [L] [V] a sollicité auprès de la société Viviers de Sarrance une visite de reprise.
Le 4 janvier 2017, le médecin du travail l'a déclaré apte à son poste.
Le 16 février 2017, le médecin du travail a conclu que l'état de santé du demandeur relevait de la médecine de soins.
Le 17 février 2017, M. [O] [L] [V] a été placé en en arrêt de travail pour maladie simple et jusqu'au 17 mars 2017.
Le 22 février 2017, le terme de son arrêt de travail a été avancé au 1er mars 2017.
Le 2 mars 2017, le médecin du travail l'a déclaré définitivement inapte à son poste de travail.
Le 10 mars 2017, la société Viviers de Sarrance l'a informé de l'impossibilité de procéder à son reclassement.
Le 13 mars 2017, il a été convoqué à un entretien préalable.
Le 16 mars 2017, M. [O] [L] [V] a saisi la juridiction prud'homale en la forme des référés pour 'contester la décision de Maladie ou accident non professionnel. C'est suite à son arrêt de maladie professionnelle qu'il est devenu inapte'.
Le 31 mars 2017, M. [O] [L] [V] s'est désisté de son action.
Le 10 avril 2017, il a été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
Le 11 janvier 2018, il a saisi la juridiction prud'homale.
Par jugement du 16 mai 2019, le conseil de prud'hommes de Pau a notamment':
- débouté M. [O] [L] [V] de l'ensemble de ses demandes,
- débouté la société Viviers de Sarrance de sa demande reconventionnelle au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné M. [O] [L] [V] aux dépens.
Le 13 juin 2019, M. [O] [L] [V] a interjeté appel de ce jugement dans des conditions de forme et de délai qui ne sont pas contestées.
Le 27 décembre 2021, il est décédé. Ses héritiers et ayants droits, Mme [Y] [L] [V], Mme [J] [L] [V] et Mme [D] [L] [V], ont repris l'instance.
Dans leurs dernières conclusions adressées au greffe par voie électronique le 18 février 2022, auxquelles il y a lieu de se référer pour l'exposé des faits et des moyens, Mme [Y] [L] [V], Mme [J] [L] [V] et Mme [D] [L] [V] demandent à la cour de :
- réformer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté M. [O] [L] [V] de l'ensemble de ses demandes et l'a condamné aux entiers dépens,
- statuant à nouveau,
- dire et juger que l'inaptitude dont a fait l'objet M. [O] [L] [V] a au moins partiellement pour origine une de ses maladies d'origine professionnelle,
- en conséquence,
- condamner la société Viviers de Sarrance à leur payer les sommes suivantes :
* 26'109,65'€ au titre du solde de l'indemnité spéciale de licenciement en application de l'article L.'1226-14 du code du travail,
* 3'363,44'€ au titre de l'indemnité compensatrice équivalente au préavis en application de l'article L.'1226-14 du code du travail,
- 1'500'€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure devant le conseil de prud'hommes de Pau,
- 1'500'€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure devant la cour d'appel de Pau,
- condamner la société Viviers de Sarrance aux entiers dépens.
Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par voie électronique le 14 mars 2022, auxquelles il y a lieu de se référer pour l'exposé des faits et des moyens, la société Viviers de Sarrance demande à la cour de':
- rejetant toutes conclusions contraires comme injustes et mal-fondées :
- confirmer intégralement la décision attaquée en ce qu'elle a débouté M. [O] [L] [V] de l'ensemble de ses demandes,
- y ajoutant,
- condamner solidairement Mme [Y] [L] [V], Mme [J] [L] [V] et Mme [D] [L] [V] à lui verser la somme de 3'000'€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 12 août 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur le caractère professionnel de l'inaptitude
Attendu que les règles protectrices des victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle s'appliquent dès lors que l'inaptitude du salarié, quelque soit le moment où elle est constatée ou invoquée, a, au moins partiellement pour origine cet accident ou cette maladie et que l'employeur avait connaissance de cette maladie ou cet accident lors du licenciement';
Qu'en cas de litige, il convient d'apprécier la réalité du caractère professionnel de l'accident ou la maladie et de sa connaissance ou non par l'employeur de ce caractère en fonction des circonstances propres à l'espèce et des éléments de preuve soumis';
Attendu qu'il résulte des pièces du dossier les éléments suivants':
le premier avis d'inaptitude en date du 28 septembre 2016 du médecin du travail mentionne «'limitation des mouvements du bras gauche au delà du niveau de l'épaule, limitation du travail en face sollicitant le bras gauche. Limitation de port de charges à 10kg. Limitation des mouvements de flexion-extension du tronc. Procédure d'inaptitude à envisager'»';
la fiche d'aptitude du salarié rédigée par le médecin du travail le 20 octobre 2016 mentionne « apte après aménagement du poste tenant compte des restrictions suivantes : limitation des mouvements du bras gauche au-delà du niveau de l'épaule, limitation du travail en force sollicitant le bras gauche, limitation du port de charges à 10 kg, limitation des mouvements de flexion-extension du tronc. Préconisations reprise à temps partiel thérapeutique'»';
un avenant au contrat de travail a été signé par les parties le 24 octobre 2016 avec une fiche de poste de technicien piscicole ne comportant pas de manipulation à l'épuisette et de sollicitation du bras gauche quant à la gestion des opérations de production de ponte des poissons';
une nouvelle fiche d'aptitude médicale rédigée par le médecin du travail le 16 février 2017 suite à un examen médical mentionne que le salarié doit être revu en situation de travail et relève de la médecine de soins';
dès le lendemain de cet examen médical le salarié a été placé en arrêt de travail jusqu'au 14 mars 2017. Cependant dès le 22 février 2017 la date de la fin de l'arrêt de travail a été avancée au 1er mars 2017';
le second avis d'inaptitude en date du 2 mars 2017 mentionne explicitement une inaptitude au poste de travail «'même après l'aménagement selon les limitations du 28 septembre 2016'». Il est explicitement mentionné que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans son emploi ;
les éléments de la Mutualité Sociale Agricole concernant les deux maladies professionnelles du salarié consolidées en octobre 2015 et août 2016 concernent la lombalgie de l'intéressé, la coiffe rotateur droite ainsi que la tendinopathie de la coiffe des rotateurs côté gauche';
Attendu que même si la Mutualité Sociale Agricole a refusé le 23 décembre 2016 de prendre en charge l'arrêt de travail du 3 novembre 2016 aux 31 décembre 2016 au titre de la législation professionnelle, il n'en demeure pas moins que ceux-ci sont liés à des lombalgies ;
Attendu qu'il est important de souligner que malgré l'aptitude avec restriction délivrée par le médecin du travail de septembre 2016 et l'avenant au contrat de travail permettant un aménagement du poste du salarié, celui-ci est demeuré sans discontinuer en arrêt de travail depuis la maladie professionnelle déclarée le 2 avril 2016';
Attendu que l'employeur ne pouvait ignorer que le salarié n'a jamais repris le travail malgré les déclarations d'aptitude avec restriction et les aménagements de poste pour tenir compte des séquelles de sa maladie professionnelle';
Qu'en effet malgré la consolidation de la dernière maladie professionnelle au 31 août 2016 le médecin du travail a conclu, le 28 septembre 2016, à une inaptitude pour les motifs évoqués plus haut ;
Que cette inaptitude a été transformée le 20 octobre 2016 en «'aptitude après aménagement'» compte tenu de l'adaptation par l'employeur du poste de travail du salarié';
Attendu que compte tenu de l'ensemble de ces éléments l'inaptitude du salarié a, au moins partiellement, une origine professionnelle, l'employeur ayant connaissance de cette maladie ou cet accident lors du licenciement';
Attendu que dès lors les règles protectrices des victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle s'appliquent à l'inaptitude de M. [L] [V], le jugement déféré devant être infirmé sur ce point';
Sur les conséquences de l'inaptitude d'origine professionnelle
Sur l'indemnité spéciale de licenciement
Attendu que conformément à l'article L 1226-16 du code du travail', L'indemnité compensant le préavis et l'indemnité spéciale de licenciement «'sont calculées sur la base du salaire moyen qui aurait été perçu par l'intéressé au cours des trois derniers mois s'il avait continué à travailler au poste qu'il occupait avant la suspension du contrat de travail provoquée par l'accident du travail ou la maladie professionnelle'»';
Que «'pour le calcul de ces indemnités, la notion de salaire est définie'par le taux personnel, les primes, les avantages de toute nature, les indemnités et les gratifications qui composent le revenu'»';
Attendu que les ayants droits du salarié ont conclu, à juste titre, que le salaire de référence à prendre en considération pour le calcul de l'indemnité de licenciement est, selon la formule la plus avantageuse pour le salarié, celui des 12 ou des trois derniers mois précédant l'arrêt de travail pour maladie';
Attendu que le calcul opéré par le salarié respecte les dispositions légales susvisées et l'ancienneté de celui-ci';
Qu'il sera donc alloué à ce titre la somme de 26'109,65 € au titre du reliquat de l'indemnité spéciale de licenciement';
Attendu que le jugement déféré sera infirmé de ce chef';
Sur l'indemnité équivalente à l'indemnité compensatrice de préavis
Attendu qu'il sera alloué de ce chef la somme de 3363,44 € de l'indemnité équivalente à l'indemnité compensatrice de préavis conformément à l'article L. 1226-14 du code du travail, le salarié ayant fait un calcul exact de cette somme non réellement contredit en son quantum par l'employeur';
Que le jugement déféré sera infirmé sur ce point ;
Sur les demandes accessoires
Attendu que l'employeur qui succombe devra supporter les dépens de première instance et d'appel ;
Attendu qu'il apparaît équitable en l'espèce d'allouer aux ayants droits du salarié la somme de 1500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile';
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt mis à disposition au greffe, publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
INFIRME en toutes ses dispositions le jugement du conseil de prud'hommes de Pau en date du 16 mai 2019 ;
Et statuant à nouveau et y ajoutant,
DIT que l'inaptitude de Monsieur [O] [L] [V] est d'origine professionnelle ;
CONDAMNE la SAS Viviers de Sarrance à payer à Mesdames [Y] [U], [J] [L] [V] et [D] [L] [V], ayants droits de Monsieur [O] [L] [V] les sommes suivantes :
- 26'109,65 € au titre du solde de l'indemnité spéciale de licenciement ;
- 3363,44 € au titre de l'indemnité équivalente à l'indemnité compensatrice de préavis';
CONDAMNE la SAS Viviers de Sarrance aux entiers dépens et à payer à Mesdames [Y] [U], [J] [L] [V] et [D] [L] [V], ayants droits de Monsieur [O] [L] [V] la somme de 1500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Arrêt signé par Madame CAUTRES, Présidente, et par Madame LAUBIE, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,