ME/JD
Numéro 22/3946
COUR D'APPEL DE PAU
Chambre sociale
ARRÊT DU 10/11/2022
Dossier : N° RG 20/02396 - N° Portalis DBVV-V-B7E-HVDI
Nature affaire :
Contestation du motif non économique de la rupture du contrat de travail
Affaire :
S.A. AUTOROUTES DU SUD DE LA FRANCE
C/
[X] [I]
Grosse délivrée le
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
A R R Ê T
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 10 Novembre 2022, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.
* * * * *
APRES DÉBATS
à l'audience publique tenue le 14 Septembre 2022, devant :
Madame CAUTRES-LACHAUD, Président
Madame SORONDO, Conseiller
Madame ESARTE, magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles
assistées de Madame LAUBIE, Greffière.
Les magistrats du siège ayant assisté aux débats ont délibéré conformément à la loi.
dans l'affaire opposant :
APPELANTE :
S.A. AUTOROUTES DU SUD DE LA FRANCE prise en sa Direction Régionale d'Exploitation Sud Atlantique Pyrénées elle-même prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Maître DUALE de la SELARL DUALE-LIGNEY-BOURDALLE, avocat au barreau de PAUet par Maître ANQUEZ, avocat au barreau de PARIS
INTIMEE :
Madame [X] [I]
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Maître GALLARDO, avocat au barreau de PAU et par Maître DEGIOANNI de la SCP GOGUYER-LALANDE DEGIOANNI PONTACQ, avocat au barreau de l'ARIEGE
sur appel des décisions
en date du 06 OCTOBRE 2020
rendue par le CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE TARBES
RG numéro : F 18/00192
et du 23 NOVEMBRE 2021
rendue par le CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE TARBES
RG numéro : F 19/00016
EXPOSÉ DU LITIGE
Mme [X] [I] a été embauchée le 14 décembre 1988 par la société Autoroutes du sud de la France, ci-après la société ASF, en qualité de receveur péage, suivant contrat à durée indéterminée régi par la convention collective nationale de sociétés concessionnaires ou exploitantes d'autoroutes ou d'ouvrages routiers.
En 2003 et 2004, la société ASF a pris l'engagement de permettre à Mme [X] [I] de travailler sans contact avec M. [Y] [L].
Le 12 novembre 2014, Mme [X] [I] a déclaré avoir fait l'objet d'un accident du travail, lequel a été pris en charge comme tel par décision de la CPAM du 13 février 2015, étant précisé que par arrêt du 11 février 2021, la cour a jugé cette décision inopposable à l'employeur.
Le 1er mars 2016, Mme [X] [I] a saisi la juridiction prud'homale de demandes relatives à l'exécution de son contrat de travail.
Par jugement du 14 février 2017, le conseil de prud'hommes de Tarbes a radié l'affaire du rôle.
Le 2 novembre 2017, le médecin du travail l'a déclarée inapte et a précisé que son état de santé faisait obstacle à tout reclassement à un emploi dans l'entreprise.
Le 9 novembre 2017, la société ASF l'a informée qu'elle prenait acte de l'impossibilité de la reclasser compte tenu de l'avis du médecin du travail.
Le 15 novembre 2017, Mme [X] [I] a été convoquée à un entretien préalable fixé le 24 novembre suivant.
Le 30 novembre 2017, elle a été licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement
Le 2 novembre 2018, elle a saisi la juridiction prud'homale de demandes relatives à la rupture de son contrat de travail.
Par jugement du 6 octobre 2020, le conseil de prud'hommes de Tarbes a notamment':
- dit que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse,
- condamné la société ASF au paiement de :
* 20'992,31'€ au titre du reliquat de l'indemnité de licenciement,
* 4'800'€ au titre de l'indemnité équivalente au préavis,
* 500'€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté les parties du surplus des demandes.
Le 16 octobre 2020, la société ASF a interjeté appel de ce jugement dans des conditions de forme et de délai qui ne sont pas contestées.
Par jugement du 23 novembre 2021, le conseil de prud'hommes de Tarbes a notamment':
- dit qu'il est compétent pour connaître du litige,
- dit que les faits reprochés par Mme [X] [I] à la société ASF ne sont pas prescrits,
- dit que la demande au titre du harcèlement est recevable,
- condamné la société ASF, au paiement de :
* 5000 € au titre de dommages et intérêts pour harcèlement et défaut de sécurité,
* 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la société ASF aux entiers dépens.
Le 16 décembre 2021, la société ASF a interjeté appel de ce jugement dans des conditions de forme et de délai qui ne sont pas contestées.
Les deux affaires ont été jointes le 13 juin 2022.
Dans ses dernières conclusions adressées dans le cadre de l'affaire n° 20/2396 au greffe par voie électronique le 12 avril 2021, auxquelles il y a lieu de se référer pour l'exposé des faits et des moyens, la société ASF demande à la cour de :
- réformer le jugement du conseil de prud'hommes de Tarbes du 6 octobre 2020 en ce qu'il :
* a jugé que l'inaptitude de Mme [X] [I] prononcée par le médecin du travail le 2 novembre 2017 est d'origine professionnelle et y faisant droit,
* l'a condamnée au paiement de :
- 20.992,31 € au titre du reliquat de l'indemnité de licenciement,
- 4.800,00 € au titre de l'indemnité équivalente à l'indemnité de préavis,
- 500,00 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
* l'a déboutée du surplus de ses demandes,
- et y faisant droit et statuant à nouveau :
- juger que l'inaptitude de Mme [X] [I] n'est pas d'origine professionnelle,
- juger que le licenciement de Mme [X] [I] du 30 novembre 2017 est régulier, justifié et conforme aux dispositions de l'article L. 1226-2-1 du code du travail,
- juger que le licenciement est fondé sur une cause réelle et sérieuse,
- en conséquence,
- débouter Mme [X] [I] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
- condamner Mme [X] [I] aux entiers dépens d'instance,
- ordonner le remboursement des sommes qu'elle a versées en exécution du jugement rendu en première instance,
- à défaut,
- limiter le montant des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à 7'200'€ (3 mois de salaire),
- débouter Mme [X] [I] de ses demandes subsidiaires au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents si la cour jugeait que l'inaptitude de Mme [X] [I] est d'origine professionnelle.
Dans ses dernières conclusions adressées dans le cadre de l'affaire n° 21/4051 au greffe par voie électronique le 10 mars 2022 auxquelles il y a lieu de se référer pour l'exposé des faits et des moyens, la société ASF demande à la cour de :
- confirmer le jugement rendu en première instance en ce qu'il a été jugé que la demande de requalification du licenciement en licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse est irrecevable,
- à défaut :
- dire et juger que le licenciement est fondé sur une cause réelle et sérieuse et de débouter Mme [X] [I] de ses demandes,
- à défaut :
- limiter le montant des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à la somme de 7 200 € (3 mois de salaire),
- infirmer le jugement rendu en première instance en ce qu'il a été jugé que le conseil de prud'hommes est compétent pour connaître du litige de se déclarer incompétente en faveur du tribunal judiciaire de Tarbes,
- infirmer le jugement rendu en première instance en ce qu'il a été jugé que les faits reprochés par Mme [X] [I] ne sont prescrits,
- infirmer le jugement rendu en première instance en ce qu'il a été jugé que la demande au titre du harcèlement est recevable,
- infirmer le jugement rendu en première instance en ce qu'il l'a condamnée à verser à Mme [X] [I] les sommes de 5.000 € à titre de dommages et intérêts pour harcèlement et défaut de sécurité et de 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- en conséquence,
- débouter Mme [X] [I] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
- à titre subsidiaire :
- constater que Mme [X] [I] ne justifie pas de ses prétendus préjudices,
- débouter Mme [X] [I] de ses demandes indemnitaires.
Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par voie électronique le 17 juin 2022, auxquelles il y a lieu de se référer pour l'exposé des faits et des moyens, Mme [X] [I] demande à la cour de':
- confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Tarbes en date du 6 octobre 2020 en ce qu'il a :
* dit et jugé que son inaptitude déclarée le 2 novembre 2017 présente un lien de causalité ne serait-ce que partiel avec l'accident du travail du 12 novembre 2014,
* et en conséquence,
* condamné la société ASF à lui payer les sommes suivantes :
- 20 992.31 € au titre de l'indemnité spéciale de licenciement,
4 800 € au titre de l'indemnité compensatrice équivalente au préavis,
- le confirmer également en ce qu'il a condamné la société ASF à lui payer la somme de 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Tarbes en date du 23 novembre 2021 en ce qu'il s'est déclaré compétent, en ce qu'il a considéré que les faits reprochés par elle à la société ASF n'étaient pas prescrits, considéré que la demande au titre du harcèlement est recevable et lui a octroyé des dommages et intérêts pour harcèlement et défaut de sécurité ainsi qu'une somme de 500'€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et condamné la société ASF aux entiers dépens,
VU l'appel incident de Mme [I] concernant ces deux jugements,
- les reformer pour le surplus et statuant à nouveau :
- condamner la société ASF à lui payer une somme de 50 000 € à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité et pour harcèlement moral subi,
- dire et juger que son licenciement est nul et/ou dépourvu de cause réelle et sérieuse,
- en conséquence,
- condamner la société ASF à lui payer la somme de 48 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul et/ou dépourvu de cause réelle et sérieuse,
- condamner la société ASF à lui payer la somme de 4 800 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et la somme de 480 € au titre des congés payés y afférents, (demande subsidiaire dès lors qu'il ne serait pas alloué l'indemnité compensatrice équivalente au préavis de l'article L. 1226-14 du code du travail),
- en toute hypothèse,
- condamner la société ASF à lui délivrer les documents de fin de contrat conformes à la décision à intervenir sous astreinte de 300 € par jour de retard,
- condamner la société ASF à lui payer la somme de 5 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 16 août 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la compétence du conseil des prudhommes pour juger de la demande de dommages et intérêts à raison de la violation d'une obligation de sécurité':
La société ASF (ci-après ASF) maintient que le pôle social du tribunal judiciaire de Tarbes (auparavant le TASS) est seul compétent pour apprécier la réparation du préjudice résultant de l'accident du travail. En réalité, ainsi que l'a énoncé à bon droit le Conseil des prud'hommes la demande porte sur le préjudice lié à un harcèlement et un manquement à l'obligation de sécurité. Au surplus,la cour rappellera qu'elle dispose d'une plénitude de juridiction et peut connaitre de tout litige relevant en première instance des juridictions de son ressort et par suite du tribunal judiciaire de telle sorte que le moyen de l'appelante ne peut prospérer.
Le jugement sera confirmé de ce chef';
Sur la litispendance':
La cour n'est saisie d'aucun appel sur ce point tranché par le Conseil dans sa décision mais omis dans son dispositif. En tout état de cause, la jonction des deux affaires à hauteur d'appel soumet à la cour toutes les demandes de Mme [I].
Sur la prescription'relativement au harcèlement:
ASF soutient que les faits qui auraient pu servir de fondement à une action en responsabilité contre l'employeur au titre d'un harcèlement moral sont prescrits à tout le moins depuis le 16 mars 2009 en sorte que le fait allégué en date du 12 novembre 2014 n'est pas de nature à rouvrir une prescription acquise. ASF précise à cet égard qu'aucun fait n'est avéré depuis que l'employeur a réorganisé le 14 novembre 2003 le poste de Mme [I] puis lui avait écrit pour lui en faire part le 8 mars 2004 et que cette dernière avait repris le travail.
En application de l'article 2224 du code civil, en matière de responsabilité civile, le point de départ du délai de prescription est le jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaitre les faits lui permettant de l'exercer.
Mme [I] soutient avoir été victime d'un agissement de harcèlement moral le 12 novembre 2014 en sorte qu'en saisissant la juridiction prud'homale le 28 février 2019 son action n'était pas prescrite'; le jugement sera confirmé de ce chef.
Sur l'inaptitude':
ASF soutient à l'appui de son moyen qu'il n'y a pas de lien entre le prétendu accident de travail du 12 novembre 2014 et la déclaration d'inaptitude et qu'en réalité la salariée souffrait d'une dépression sévère et ancienne. Elle se serait confiée le 23 octobre 2014 sur cette maladie auprès d'un supérieur hiérarchique lequel aurait fait convoquer l'intéressée par la médecine du travail pour le 18 novembre 2014.
Ni les confidences de Mme [I] ni l'existence d'une dépression ancienne ne sont objectivées.
Mme [I] a été victime le 12 novembre 2014 sur son lieu de travail d'un choc émotionnel lié à la proximité redoutée avec un salarié M. [L] qu'elle considérait comme harceleur.
Ce choc émotionnel a eu pour témoin une collègue de travail [F] [H] laquelle explique que le 12 novembre 2014 alors qu'elle travaillait elle-même à la téléopération elle avait regardé le «'tour le service'» pour voir qui travaillait sur le terrain'; quand elle s'était aperçue que c'était Mme [I] [X] elle était «'vite descendue lui porter les clefs afin qu'elle ne croise pas M. [L] [Y] qui se trouvait avec [elle]
Car elle a eu par le passé une histoire de harcèlement moral dont j'ai été témoin'».
Le témoin poursuivait':'«'quand elle a su qu'il était là, elle est entrée dans un tel état de panique qu'elle ne pouvait prendre son poste'; j'ai averti ma hiérarchie qui m'a demandé de lui dire de faire les heures pour lesquelles elle était payée, ce qui a fini de l'achever. Elle était dans un tel état qu'il a fallu l'intervention des pompiers'».
Il est constant que Mme [I] a été conduite aux urgences pour une crise de tétanie, placée en arrêt de travail par le médecin des urgences. L'employeur a effectué la déclaration d'accident du travail le 14 novembre suivant. L'arrêt de travail a duré 23 jours et l'altération de la santé de Mme [I] à raison des faits du 12 novembre 2014 a été médicalement constatée. Le docteur [J], médecin psychiatre a ainsi certifié le 2 mars 2015 que «'depuis son accident du travail cette patiente présente toutes les manifestations d'angoisse au plan somatique et psychique'; elle peut présenter des états crépusculaires, des états de panique anxieuse'»
De même, le médecin du travail certifiera le 7 novembre 2017 qu'il a établi un avis d'inaptitude pour Mme [I] , susceptible d'être en lien avec l'accident du travail ou la maladie professionnelle en date du 12 novembre 2014.
Les arrêts-maladie des 26 juillet et 28 septembre 2017 évoquent un syndrome dépressif réactionnel «'lié au trauma du 12/11/2014'». De fait, Mme [I] a enchainé des arrêts de travail et des arrêts maladie jusqu'à la déclaration d'inaptitude.
Au surplus, la caisse primaire d'assurance maladie a reconnu le caractère professionnel du sinistre du 12 novembre 2014 et cette décision a été confirmée par la commission de recours amiable saisie par l'employeur étant précisé qu'une instance est pendante devant le pôle social du tribunal judiciaire.
Il ressort de l'ensemble de ces éléments que les deux conditions cumulatives sont remplies c'est-à-dire d'une part un lien de causalité, même partiel, entre l'inaptitude et l'accident du travail et d'autre part la connaissance qu'avait l'employeur de cette origine professionnelle au moment du licenciement.
En conséquence, la cour confirmera la décision du Conseil des prud'hommes en date du 6 octobre 2020 qui a, après avoir reconnu le caractère professionnel de l'inaptitude, alloué à Mme [I] l'indemnité spéciale de licenciement qui est égale au double de l'indemnité légale ainsi que l'indemnité compensatrice équivalente au préavis soit les sommes de 20992,31 euros et celle de 4800 euros, cela en tenant compte des sommes d'ores et déjà percues par l'intéressée.
Sur le harcèlement moral'et l'obligation de sécurité':
Devant le premier juge, Mme [I] avait formé une demande indemnitaire à raison du fait qu'elle avait subi un harcèlement moral et que l'employeur l'avait exposée à un danger qui s'était réalisé en ne respectant pas les propres mesures de prévention qu'il avait mises en place en sorte que ces manquements constituaient une violation de l'obligation de sécurité de résultat.
Pour accueillir cette demande à hauteur de 5000 euros, le Conseil des prud'hommes, dans sa décision du 23 novembre 2021, a considéré d'abord que l'employeur devait veiller à ce que les deux salariés n'aient pas la possibilité de se croiser dans leur travail, que cela avait été fait jusqu'en août 2014.
Ensuite, le premier juge a indiqué que le 12 novembre 2014 lorsqu'elle [Mme [I]] a su qu'elle devrait aller chercher dans un local ses instructions, clés, local où se trouvait également M. [L], son état de panique et de stress n'a pas été pris en compte par M. [B]. Le conseil poursuit':'«'il y a eu manquement à l'obligation de sécurité par sa hiérarchie ce qui compte tenu du contexte et du passif s'apparente à du harcèlement.'»
A hauteur d'appel, Mme [I] maintient sa demande indemnitaire du chef du harcèlement et de l'obligation corrélative de sécurité de l'employeur.
Elle vient dire que le comportement harcelant d'un collègue de travail M. [L] a débuté en 1994 et s'est poursuivi jusqu'en 2003 et que le 12 novembre 2014 elle a été exposée aux risques en étant avisée par une collègue que M. [L] se trouvait dans le local où elle devait récupérer clés et consignes. La hiérarchie en la personne de M. [B], interpellée sur ce fait a rétorqué':'«'elle a signé pour un travail, elle le fait point.'»
Mme [I] s'appuie sur les dispositions de l'article L1152-1 du code du travail dans sa rédaction en vigueur depuis le 10 aout 2016 alors qu'elle demande à la cour de se pencher sur des faits courants de 1994 jusqu'au 12 novembre 2014.
Toutefois, les conditions dans lesquelles le harcèlement moral doit être prouvé n'a pas évolué substantiellement depuis l'entrée en vigueur de la loi du 8 aout 2016 en sorte qu'il revient toujours à la salariée d'apporter des éléments laissant présumer l'existence d'un harcèlement (cass.soc. 19 décembre 2018 n°17-18.190).
A cet égard, Mme [I] ne verse aux débats aucun élément, document médical, témoignages de collèges pour la période antérieure au 12 novembre 2014 qui viendrait donner corps au «'comportement harcelant'»'de M. [L] qui aurait proféré à son endroit des propos déplacés et offensants concernant son apparence mais également sa vie personnelle.
Sont produits essentiellement des courriers qu'il convient d'examiner.
Le 22 juin 1999, Mme [I] écrit au directeur de la direction régionale de l'entreprise pour avoir un rendez-vous afin de «'discuter d'un problème de harcèlement moral que je subis de la part d'un agent de contrôle M [Y] [L].'» Dans cette lettre l'intéressée ne donne aucun détail. Le 5 mai 2003 elle renouvelle sa démarche auprès de la même autorité et menace de porter plainte toujours sans fournir de précision sur les faits allégués'.
Le 27 juin 2003, le responsable du service juridique du syndicat CGT écrit également au directeur régional pour relayer la demande de Mme [I] en indiquant que cette dernière se plaint d'être harcelée moralement par un membre de sa hiérarchie M. [L]. Le courrier précise':'«'ce harcèlement a commencé par des petites phrases vulgaires et en tout état de cause déplacées dans un contexte de travail (salope, tu n'es pas une femme, tu n'as aucune féminité même lorsque tu te maquilles) puis cela a continué par des abus incessants de pouvoir et ceci jusqu'à l'arrêt de travail de [X] [I].'» Le courrier affirme que «'tous ces faits sont relayés par des témoins'»
Il ne s'agit pourtant de la part de ce syndicaliste que d'un témoignage de seconde main, le rédacteur du courrier se bornant à reprendre les dires de Mme [I] et ne permettant pas d'identifier les témoins.
De son côté, par courriers successifs du 14 novembre 2003 au service juridique de la CGT, du 19 février 2004 et 8 mars 2004 à Mme [I], l'employeur détaille les mesures concrètes qu'il prend relativement à l'organisation de service permettant d'éviter les contacts avec M. [L] à savoir par des prises de postes se déroulant de manière non concomitantes avec M. [Y] [L].
Ainsi, Mme [I] ne fournit aucun détail sur les termes offensants qu'aurait proféré son collègue ni les circonstances qui l'aurait amenée à agir de la sorte.
L'employeur dans ses courriers portant information sur l'organisation du travail de la salariée ne fait aucunement référence à un harcèlement.
Sur ce point, l'inspecteur du travail des Transports, après avoir attiré l'attention sur le cas de Mme [I] ,écrit le 20 aout 2004 à l'employeur pour cette fois mettre en avant la situation de M. [L] en indiquant ceci':'«'l'attention portée à madame [I] certainement justifiée au vu de son état de santé , ne doit pas porter préjudice à Monsieur [L] , je vous demanderais donc de veiller à ce que la situation professionnelle de monsieur [L] ne soit pas affectée par la gestion de la situation de Madame [I] et que le travail quotidien et les fonctions de Monsieur [L] ne soient nullement modifiées.»
Par ailleurs, dans sa décision du 12 janvier 2016 statuant sur le recours formé par ASF à l'encontre de la décision de la CPAM reconnaissant le caractère professionnel du sinistre survenu le 12 novembre 2014, l'enquêtrice agréée et assermentée de la Caisse évoque le fait que Mme [I] a rencontré en 1999 des problèmes relationnels avec Mr [L] qu'elle (Mme [I]) a qualifié de harcèlement.
Quant aux faits du 12 novembre 2014 , ainsi qu'il a été évoqué plus haut , nous disposons du témoignage de Mme [F] [H] ,collègue de Mme [I], laquelle expose que le 12 novembre 2014 alors qu'elle travaillait elle-même à la téléopération elle avait regardé le «'tour le service'» pour voir qui travaillait sur le terrain'; quand elle s'était aperçue que c'était Mme [I] [X] elle était «'vite descendue lui porter les clefs afin qu'elle ne croise pas M. [L] [Y] qui se trouvait avec [elle] car elle a eu par le passé une histoire de harcèlement moral dont j'ai été témoin'».
Le témoin poursuit':'«'quand elle a su qu'il était là, elle est entrée dans un tel état de panique qu'elle ne pouvait prendre son poste'; j'ai averti ma hiérarchie qui m'a demandé de lui dire de faire les heures pour lesquelles elle était payée, ce qui a fini de l'achever. Elle était dans un tel état qu'il a fallu l'intervention des pompiers'».
Il résulte de ce témoignage que Mme [I] n'a pas été un seul instant en contact avec M. [L] qui travaillait dans un autre bâtiment que celui ou était affectée Mme [I] laquelle était seulement conduite à venir chercher clés et documents dans ledit bâtiment, la remise de ces objets ayant été faite précisément par le témoin Mme [H].
Au surplus, le recours au supérieur hiérarchique,'«'pour résoudre les problèmes pouvant se poser'» selon les termes du courrier de l'employeur en date du 19 février 2004 a été mis en 'uvre'; la saisine de la hiérarchie en «'cas de soucis'» pour reprendre l'expression du courrier d'ASF du 8 mars 2004 a été effectuée par Mme [H] et il en est résulté une consigne adressée à Mme [I] de prendre son service. Ce faisant, Mme [I] ne risquait en aucune façon d'être en contact avec M. [L] dans la mesure où la lecture du témoignage de Mme [H] montre à suffisance que ce jour-là Mme [I] et M. [L], s'ils étaient de service diurne tous les deux ne pouvaient se rencontrer chacun travaillant dans un lieu distinct, un bâtiment pour ce qui concerne M. [L] et un local différent pour ce qui concerne Mme [I].
Ainsi, les faits matériellement établis pris dans leur ensemble ne permettent pas de présumer ou laisser supposer l'existence d'un harcèlement moral.
***
Sur le terrain de l'obligation de sécurité qui pèse sur l'employeur , Mme [I] soutient que le manquement est avéré cela au triple visa de l'article L1222-1 du code du travail dans sa version en vigueur depuis le 01 mai 2008 et qui énonce que':'«'Le contrat de travail est exécuté de bonne foi.'» , l'article L4121-1 du même code dans sa version applicable à l'espèce et qui dispose':'«'L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
Ces mesures comprennent :
1° Des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail ;
2° Des actions d'information et de formation ;
3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.
L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.'» et enfin de l'article L1152-4 du même code, dans sa version applicable à l'espèce et qui édicte dans son premier alinéa que':'«'L'employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral.'»
ASF qui est assujetti à une obligation générale de sécurité justifie par production des lettres évoquées plus haut qu'il a pris en considération les affirmations de Mme [I] relativement à un prétendu harcèlement moral et qu'il a dès 2003-2004 mis en 'uvre une organisation du travail de la salariée plaignante la mettant à l'abri de toute rencontre avec M'.[L] et , au surplus , en prévoyant en tant que de besoin la possibilité pour Mme [I] d'en référer à la hiérarchie si survenait «'un problème'» ou «'un souci'» . A cet égard la cour observera que le dispositif de protection a été effectivement mis en 'uvre d'une part en ce que Mme [I] n'a formulé aucune plainte entre 2003 et 2014 et d'autre part en ce que l'employeur justifie être demeuré vigilant pendant toute la période en alertant par mail Mme [I] lorsque les emplois du temps des deux salariés antagonistes venaient à coïncider et encore en mettant en 'uvre le 12 novembre le protocole décidé dix ans plus tôt à savoir signalement à la hiérarchie en cas de survenue d'un problème.
En outre, Mme [I] a pu participer à une action de formation les 5, 6 et 7 juillet 2005 organisée par une association des victimes de harcèlement moral psychologique et sexuel, prolongé par un soutien téléphonique. Par ailleurs, l'employeur justifie d'une manière plus générale avoir mis en place des actions de préventions des risques professionnels notamment en dotant les salariés d'un dispositif de soutien psychologique via le service social. Enfin, la mauvaise foi de l'employeur dans l'exécution du contrat de travail n'est pas établie.
Ainsi, la cour dira que la société ASF a effectivement pris des mesures destinées à s'assurer de la sécurité et la santé physique et mentale des salariés et à mettre fin à la situation rencontrée par Mme [I]. Les manquements allégués ne sont pas caractérisés.
En conséquence, le jugement du 23 novembre 2021 sera infirmé du chef de la condamnation d'ASF à dommages et intérêts du chef du harcèlement moral et du manquement à l'obligation de sécurité. Mme [I] sera débouté de sa demande indemnitaire de ces chefs.
Sur la nullité/illégalité du licenciement pour inaptitude':
Pour contester le licenciement, Mme [I] développe deux moyens':
- l'inaptitude a été entrainée par le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité.
-l'employeur a manqué à son obligation de reclassement.
En ce qui concerne le premier moyen, la cour vient de dire que ce manquement n'est pas caractérisé'; il ne peut donc prospérer.
En ce qui concerne l'obligation de reclassement, il convient d'abord de se reporter au certificat médical établi par le médecin du travail le 2 novembre 2017, il est ainsi libellé':
Avis d'inaptitude': INAPTE
Conclusions': inapte'; Inapte au poste de technicienne de péage. L'état de santé de Mme [I] fait obstacle à tout reclassement dans un emploi dans l'entreprise.
Mme [I] objecte que la formulation du médecin n'est pas conforme aux dispositions de l'article L1226-2-1 du code du travail dans sa rédaction applicable à l'espèce et qui énonce dans son deuxième alinéa que «'L'employeur ne peut rompre le contrat de travail que s'il justifie soit de son impossibilité de proposer un emploi dans les conditions prévues à l'article L. 1226-2, soit du refus par le salarié de l'emploi proposé dans ces conditions, soit de la mention expresse dans l'avis du médecin du travail que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi.'»
En précisant «'emploi dans l'entreprise'»'le médecin sous-entend que Mme [I] peut être le cas échéant reclassée dans une autre entreprise du groupe.
Toutefois , le médecin certificateur qui s'est placé dans le cadre de l'article L1226-2-1 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi du 8 aout 2016 ,applicable à l'espèce , après avoir examiné Mme [I] et fait procéder ou procédé lui-même a une étude de poste par application de l'article L4624-4 du code du travail , n'a rédigé ni une attestation de suivi qui équivaut à un avis d'aptitude implicite , ni une fiche d'avis d'aptitude ni une fiche de préconisation mais bien un avis d'inaptitude à tout emploi dans l'entreprise, la jurisprudence antérieure à la loi du 8 aout 2016 n'ayant plus vocation à s'appliquer à l'article L1226-2-1 du code du travail.
Pour le dire autrement',dans le cas expressément visé par le médecin',l'obligation de reclassement disparait de sorte que les développements sur la notion de groupe sont sans portée.
Le licenciement pour inaptitude est exempt de toute illégalité ou nullité.
En conséquence, la cour confirmera le chef du jugement du 6 octobre 2020 qui a dit que le licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse et a débouté Mme [I] de ses demandes indemnitaires de ce chef.
Sur la demande de remboursement des sommes versées par la société ASF en exécution du jugement rendu le 6 octobre 2020':
Cette demande ne peut prospérer car la présente décision de la cour constitue un titre exécutoire qui ouvre droit, s'il échet , à restitution sans que la cour ait à statuer sur ce point.
Sur les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile':
La cour confirmera les jugements des 6 octobre 2020 et 23 novembre 2021
Aucune considération d'équité ne justifie l'application de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles exposés en appel
Sur les dépens':
La cour confirmera les décisions susvisées quant à la charge des dépens. A hauteur d'appel, chaque partie supportera la charge de ses propres dépens.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant publiquement contradictoirement et en dernier ressort,
confirme le jugement du 6 octobre 2020
confirme le jugement du 23 novembre 2021 sauf en ce qui concerne le chef de condamnation de la société Autoroutes du sud de la France au paiement de la somme de 5000 euros pour harcèlement et défaut de sécurité.
l'infirme de ce chef et statuant à nouveau,
déboute Mme [X] [I] de ses demandes du chef de harcèlement et du chef de manquement à l'obligation de sécurité
dit n'y avoir lieu à condamnation à restitution de sommes, le présent arrêt constituant un titre exécutoire
déboute les parties de leur demande d'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais d'appel
laisse à chaque partie la charge de ses dépens d'appel
Arrêt signé par Madame CAUTRES-LACHAUD, Présidente, et par Madame LAUBIE, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,