AC/SB
Numéro 23/521
COUR D'APPEL DE PAU
Chambre sociale
ARRÊT DU 09/02/2023
Dossier : N° RG 21/00359 - N° Portalis DBVV-V-B7F-HYMJ
Nature affaire :
Demande d'indemnités ou de salaires liée à la rupture autorisée ou non d'un contrat de travail d'un salarié protégé
Affaire :
[A] [P]
C/
Association AIDER
Grosse délivrée le
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
A R R Ê T
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 09 Février 2023, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.
* * * * *
APRES DÉBATS
à l'audience publique tenue le 09 Novembre 2022, devant :
Madame CAUTRES-LACHAUD, Président
Madame SORONDO, Conseiller
Madame ESARTE, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles
assistées de Madame LAUBIE, Greffière.
Les magistrats du siège ayant assisté aux débats ont délibéré conformément à la loi.
dans l'affaire opposant :
APPELANTE :
Madame [A] [P]
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentée par Maître DIEUDONNÉ de la SELARL DTN AVOCATS, avocat au barreau de TARBES
INTIMEE :
Association AIDER
[Adresse 3]
[Localité 2]
Représentée par Maître RONCUCCI, avocat au barreau de PAU et Maître CLAVERIE de la SCP CLAVERIE-BAGET ASSOCIES, avocat au barreau de TARBES,
sur appel de la décision
en date du 28 JANVIER 2021
rendue par le CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE TARBES
RG numéro : 19/00116
EXPOSÉ DU LITIGE
Mme [A] [P] a été embauchée en 1994 par l'association Aider en qualité d'aide à domicile.
Au mois de décembre 2009, elle a été licenciée pour inaptitude professionnelle.
Elle a été reconnue travailleur handicapé et a suivi une formation en secrétariat.
Par trois contrats à durée déterminée du 28 octobre 2010 au 4 janvier 2011 puis par contrat à durée indéterminée à compter du 7 février 2011, Mme [A] [P] a été embauchée par l'association Aider en qualité de secrétaire.
À l'initiative de la direction de l'association Aider, elle s'est présentée aux élections des délégués du personnel sous l'étiquette du syndicat FO et a été élue.
Elle a été désignée déléguée syndicale jusqu'à mai 2018.
Entre le 13 novembre et le 19 décembre 2017, elle a suivi une formation certifiante sur «'les compétences managériales ».
Le 4 juillet 2018, elle a été convoquée à un entretien préalable à sanction disciplinaire fixé le 30 juillet suivant. Ce courrier a été remis en main propre à la salariée le 5 juillet 2018.
Du 9 au 27 juillet 2018, elle a été en congés payés.
Le 24 juillet 2018, elle a été convoquée à un entretien préalable à sanction disciplinaire fixé le 2 août suivant.
Le 25 juillet 2018, elle a été convoquée à un entretien préalable à sanction disciplinaire fixé le 3 août suivant.
Le 27 juillet 2018, elle a été convoquée à un entretien préalable à sanction pouvant aller jusqu'au licenciement fixé le 20 août suivant.
À compter du 3 août, elle a été placée en arrêt de travail.
Les 3 et 6 août 2018, elle a fait l'objet de deux avertissements qu'elle a contestés le 30 août 2018.
Le 6 septembre 2018, le comité social et économique a rendu un avis favorable à son licenciement pour faute grave.
Par courrier à l'inspecteur du travail en date du 18 septembre 2018 l'employeur a sollicité l'autorisation de procéder au licenciement de Mme [P]
Le 29 octobre 2018, l'inspectrice du travail a refusé d'autoriser le licenciement de Mme [A] [P] pour les motifs suivants «'le licenciement envisagé par l'employeur d'un délégué du personnel est soumis au comité social et économique, qui donne un avis sur le projet de licenciement, cet avis étant exprimé au scrutin secret après audition de l'intéressé. Lors de la réunion du comité social et économique du 6 septembre 2018, au cours de laquelle le projet de licenciement de Madame [P] était examiné, le comité social et économique a procédé au vote oralement en émettant un avis favorable au licenciement. Ainsi cette irrégularité constitutive d'un vice substantiel de procédure, s'oppose en conséquence à ce qu'il soit fait droit à la demande d'autorisation de licenciement présentée par l'employeur, sans qu'il y ait lieu en tout état de cause, d'examiner le bien-fondé des motifs invoqués à l'appui de cette demande. Considérant, par ailleurs, s'agissant de la matérialité des faits ce qui suit : selon l'article L.1331-1 du code du travail, si un doute subsiste, il profite au salarié. À l'appui de sa demande, l'employeur ne produit aucun élément prouvant que Madame [P] n'a effectivement pas transmis l'ordre de mission au service gestion des contrats, alors même que Madame [P], affirme avoir rédigé l'ordre de mission de Madame [Y], lui avoir remis cet ordre de mission le 29 juin 2018, puis avoir déposé le même jour dans la matinée cet ordre de mission dans la bannette destinée au service de gestion des contrats. L'employeur déclare que le service gestion des contrats n'a pas pu égarer cet ordre de mission. Il se contente d'affirmer que le grief reproché à Madame [P] est établi, sans toutefois apporter les éléments à partir desquels il conclut sur leur matérialité, l'absence d'éléments factuels introduits un doute sur le fait que la faute doit être imputée à Madame [P], lequel doit profiter à la salariée. En présence de ce doute, la matérialité des faits ne peut être regardée comme établie'».
Le 11 décembre 2018, le médecin du travail a déclaré Mme [P] inapte et a indiqué que «'son état de santé fait obstacle à tout reclassement dans un emploi dans cette association'».
Le 18 janvier 2019, l'inspecteur du travail a autorisé le licenciement de Mme [P].
Le 31 janvier 2019, elle a été licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
Le 12 juillet 2019, elle a saisi la juridiction prud'homale.
Par jugement du 28 janvier 2021, le conseil de prud'hommes de Tarbes a notamment':
- dit qu'il n'y a pas harcèlement moral envers Mme [A] [P],
- débouté à ce titre Mme [A] [P] de sa demande en dommages et intérêts de 30 000 €,
- dit que les jours de fractionnement sont réglés et débouté Mme [A] [P] de cette demande,
- débouté les parties de toutes les autres demandes,
- dit qu'il n'y a pas lieu à dépens.
Le 5 février 2021, Mme [A] [P] a interjeté appel de ce jugement dans des conditions de forme et de délai qui ne sont pas contestées.
Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par voie électronique le 1er avril 2021, auxquelles il y a lieu de se référer pour l'exposé des faits et des moyens, Mme [A] [P] demande à la cour de :
- réformer le jugement entrepris,
- juger qu'elle a été victime de harcèlement.
- condamner l'association Aider à réparer son préjudice par le versement d'une somme de 30 000'€ à titre de dommages et intérêts,
- condamner la même à régler la somme de 2 500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par voie électronique le 21 juin 2021, auxquelles il y a lieu de se référer pour l'exposé des faits et des moyens, l'association Aider demande à la cour de':
- débouter Mme [A] [P] de toutes ses demandes, fins et conclusions,
- la condamner au paiement de la somme de 2 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- la condamner aux dépens.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 10 octobre 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur le harcèlement moral
Attendu que l'article L 1152-1 du code du travail dispose qu'aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ';
Attendu que l'article L 1154-1 du code du travail, prévoit qu'en cas de litige, le salarié concerné doit établir des faits qui permettent de supposer l'existence d'un harcèlement et il incombe alors à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement';
Attendu que Mme [P] fait valoir qu'elle a été victime de la part de son employeur de faits de harcèlement moral, caractérisés par de multiples convocations à entretiens préalables sur une période d'un mois ayant eu pour effet une dégradation de son état de santé et pour but de la licencier injustement ;
Mme [P] produit notamment au dossier les éléments suivants':
ses différents contrats et avenants ;
son certificat professionnel en date de janvier 2018 sur les compétences managériales ;
ses différentes convocations à entretien préalable développées dans l'exposé du litige';
un courrier d'avertissement en date du 3 août 2018 faisant état des faits suivants «'le 21 juin 2018, nous avons eu à regretter les faits suivants : deux salariés se sont présentés sur le même poste de travail chez Madame [R]. L'une d'entre elle est donc repartie. Or vous n'êtes pas sans savoir que vous devez contrôler vos tableaux de bord avant de réaliser un remplacement de personnel en congé et le noter dès qu'il est fait. Cet incident a un impact financier mais également sur l'image de la structure. Ce comportement est inacceptable et entrave le bon fonctionnement de l'entreprise'». Cette sanction disciplinaire fait suite à l'entretien préalable s'étend déroulée le 30 juillet 2018 ;
un courrier d'avertissement en date du 6 août 2018 faisant état des faits suivants «'le 5 juillet 2018 nous avons eu à regretter les faits suivants : lors de la réunion d'équipe animée par Madame [N], directrice de l'établissement, afin de présenter le projet CPOM, vous avez eu un comportement irrespectueux envers votre responsable hiérarchique. En effet vous avez haussé le ton et a dû vous demander de quitter la réunion. Ce comportement est inacceptable et entrave le bon fonctionnement de l'entreprise'». Cette sanction disciplinaire fait suite à l'entretien préalable s'étend déroulé le 2 août 2018 ;
les deux courriers de contestation par la salariée des sanctions disciplinaires prononcées';
un certificat médical du Docteur [F] en date du 11 septembre 2018 faisant état que la salariée présente un état dépressif réactionnel depuis le 3 août 2018';
un rapport médico-psychologique du docteur [H] en date du 7 décembre 2018';
des ordonnances médicales doutent et décembre 2018 prescrivant à la salariée des antidépresseurs';
une attestation de Madame [C] indiquant «'lors de la réunion d'équipe administrative du 5 juillet 2018 Madame [N], directrice et Madame [P] responsable de secteur ont eu un différend. Madame [N] nous a informé en début de réunion que des informations ont été dites en dehors de l'association donc n'en dira pas plus afin que ce ne soit pas déformé. Madame [P] étant visée des accusations a donc demandé des explications. Pendant l'échange verbal Mme [N] a demandé à Madame [P] de se taire. Puis lui a dit qu'elle pouvait partir, Madame [P] a donc donné son accord et a quitté la réunion'»';
une attestation de Madame [W] qui déclare «' lors de la réunion d'équipe en date du 2 août 2018 Madame [N], directrice nous a exposé l'ordre du jour de la réunion puis a émis des attaques verbales et virulentes et à peine voilées envers Madame [P]. Elle a accusé Madame [P] de colporter des ragots concernant l'association. Madame [P] a essayé de répondre à ses dires mais Madame [N] à haussé la voix et lui a demandé de sortir de la salle, ce que Madame [P] a fait et elle a donc quitté la réunion'»';
deux comptes rendus d'entretien préalable au licenciement de la salariée';
une attestation de Madame [S], ancienne gestionnaire de paie qui indique «'j'ai reçu un avertissement car d'après Madame [N] j'ai transmis un ordre de mission concernant l'embauche de Madame [E] le 31 octobre 2017. Or j'ai réalisé et fait signer l'ordre de mission le 24 octobre 2017. J'ai contacté Madame [E] afin d'effectuer le remplacement d'un des salariés chez Madame [O] du 26 au 30 octobre 2017. Pour cela, j'ai préparé l'ordre de mission le 24 octobre pour qu'elle puisse venir le chercher dans l'après-midi. N'étant pas présente au bureau l'après-midi j'ai prévenu mes collègues que Mme [E] allait passer pour signer l'ordre de mission et récupérer les clés afin d'effectuer sa mission. Lorsque les ordres de mission sont signés, ils sont automatiquement mis dans la navette. De ce fait la comptable devait être informée le 25 octobre dans la matinée'»';
une autre attestation de Madame [W] qui déclare que lors de sa présence sur le poste des dysfonctionnements ont pu être constatés quant à la perte de certains documents';
la reconnaissance de travailleur handicapé de Madame [P] depuis 2012';
Attendu que ces éléments, pris dans leur ensemble avec analyse de leur chronologie, établissent des faits qui permettent de supposer l'existence d'un harcèlement moral';
Qu'il incombe donc à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement';
Attendu que l'employeur produit au dossier notamment les éléments suivants':
des attestations de formation de la salariée';
un courrier de l'association félicitant les lauréats à la certification';
une fiche de contact en date du 24 avril 2018 mentionnant une erreur de la part de Madame [P] dans son travail';
une fiche de contact en date du 21 juin 2018 concernant le fait que deux salariées se sont présentées chez Madame [R] le 21 juin 2018. La réponse de Madame [P] est que l'erreur tient sûrement du fait de ne pas pouvoir saisir le planning de Mme [V]';
une fiche de contact en date du 10 juillet 2018 concernant Madame [Y] qui a travaillé sans contrat en l'absence d'ordre de mission';
les attestations déjà produites par la salariée';
la décision de l'inspecteur du travail quant à la demande de licenciement pour faute grave de Madame [P]';
une attestation de Madame [U] qui indique que Madame [P] ne s'est jamais plaint d'un harcèlement moral. Elle conclut en disant «'je n'ai moi-même pas constaté d'attitudes répétées de la part de Madame [N] à l'égard de Madame [P] pouvant s'apparenter à une forme de harcèlement'»';
des attestations de Madame [D], Mme [L] et [T] qui indiquent elles aussi qu'elles n'ont pas constaté d'agissements malveillants et répétés de la part de la directrice à l'encontre de la salariée';
Attendu que l'employeur ne démontre aucunement que les décisions prises à l'égard de Mme [P] sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement, faute de justification, comme l'a mentionné l'inspecteur du travail quant à la procédure de licenciement, de la réalité des fautes imputables à Mme [P] dans le cadre de ses nombreuses poursuites disciplinaires en un temps extrêmement court';
Attendu que compte tenu de l'ensemble de ces éléments le harcèlement moral est bien caractérisé à l'encontre de Mme [P]';
Attendu que compte tenu des pièces médicales et personnelles du dossier il lui sera alloué de ce chef la somme de 15 000 € à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral';
Que le jugement déféré sera infirmé de ce chef';
Sur les demandes accessoires
Attendu que l'employeur qui succombe doit supporter les dépens de l'instance d'appel';
Attendu qu'il apparaît équitable en l'espèce de condamner l'employeur à verser à Madame [P] la somme de 1800 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile';
PAR CES MOTIFS
La Cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort
INFIRME le jugement du conseil de prud'hommes de Tarbes en date du 28 janvier 2021';
Et statuant à nouveau y ajoutant,
CONDAMNE l'association Aider à payer à Madame [A] [P] la somme de 15'000 € au titre des dommages et intérêts pour harcèlement moral';
CONDAMNE l'association Aider aux entiers dépens et à payer à Madame [A] [P] la somme de 1800 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Arrêt signé par Madame CAUTRES-LACHAUD, Présidente, et par Madame LAUBIE, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,