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09/02/2023 | FRANCE | N°21/00675

France | France, Cour d'appel de Pau, Chambre sociale, 09 février 2023, 21/00675


ME/SB



Numéro 23/513





COUR D'APPEL DE PAU

Chambre sociale







ARRÊT DU 09/02/2023









Dossier : N° RG 21/00675 - N° Portalis DBVV-V-B7F-HZKV





Nature affaire :



Contestation du motif non économique de la rupture du contrat de travail















Affaire :



Fondation [W] [I] [B]



C/



[J] [P]















G

rosse délivrée le

à :













RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS











A R R Ê T



Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 09 Février 2023, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de ...

ME/SB

Numéro 23/513

COUR D'APPEL DE PAU

Chambre sociale

ARRÊT DU 09/02/2023

Dossier : N° RG 21/00675 - N° Portalis DBVV-V-B7F-HZKV

Nature affaire :

Contestation du motif non économique de la rupture du contrat de travail

Affaire :

Fondation [W] [I] [B]

C/

[J] [P]

Grosse délivrée le

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

A R R Ê T

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 09 Février 2023, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.

* * * * *

APRES DÉBATS

à l'audience publique tenue le 07 Décembre 2022, devant :

Madame CAUTRES-LACHAUD, Président

Madame PACTEAU, Conseiller

Madame ESARTE, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles

assistées de Madame LAUBIE, Greffière.

Les magistrats du siège ayant assisté aux débats ont délibéré conformément à la loi.

dans l'affaire opposant :

APPELANTE :

Fondation [W] [I] GLASBERGet représentée par son Président en exercice domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 4]

[Localité 3]

Représentée par Maître DUALE de la SELARL DUALE-LIGNEY-BOURDALLE, avocat au barreau de PAU et Maître TUAL, avocat au barreau de PARIS

INTIMEE :

Mademoiselle [J] [P]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Maître MARIOL de la SCP LONGIN/MARIOL, avocat au barreau de PAU et Maître BLANCO, avocat au barreau de PAU

sur appel de la décision

en date du 19 FEVRIER 2021

rendue par le CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE PAU

RG numéro : F 19/00219

EXPOSÉ DU LITIGE

Après deux contrats à durée déterminée successifs en date du 24 octobre 2017 et du 1er mai 2018, Mme [J] [P] a été embauchée le 1er janvier 2019 par la fondation [W] [I] [B] en qualité d'éducatrice spécialisée, suivant contrat à durée indéterminée.

Mme [J] [P] a rédigé une note interne relative à la garde à vue par la police de l'air et des frontières d'un mineur étranger pris en charge par la fondation [W] [I] [B]. Elle l'a ultérieurement transmise à un avocat.

Le 20 juin 2019, elle a été convoquée à un entretien préalable fixé le 9 juillet 2019.

Le 15 juillet 2019, elle a été licenciée pour faute grave.

Le 23 juillet 2019, elle a saisi la juridiction prud'homale.

Par jugement du 19 février 2021, le conseil de prud'hommes de Pau a notamment':

-dit que le licenciement de Mme [J] [P] est nul,

- ordonné sa réintégration sous astreinte de 50 € par jour de retard à compter du 31ème jour suivant la notification du présent jugement,

- condamné la fondation [W] [I] [B] à payer à Mme [J] [P]  :

* ses salaires bruts depuis la rupture du 18 juillet 2019 jusqu'à la notification du présent jugement,

* 3 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice matériel et moral,

* 1 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- rappelé que l'exécution provisoire est de droit pour les condamnations de remise de documents que l'employeur est tenu de délivrer et celles en paiement de créances salariales ou assimilées dans la limite de neuf mois de salaire calculée sur la moyenne des trois derniers mois de salaire (art. R.'1454-28 du code du travail),

- l'a ordonné pour le surplus,

- débouté Mme [J] [P] de ses autres demandes,

- débouté la fondation [W] [I] [B] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et l'a condamné aux entiers dépens.

Le 2 mars 2021, la fondation [W] [I] [B] a interjeté appel de ce jugement dans des conditions de forme et de délai qui ne sont pas contestées.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par voie électronique le 25 août 2022, auxquelles il y a lieu de se référer pour l'exposé des faits et des moyens, la fondation [W] [I] [B] demande à la cour de :

- la déclarer recevable et bien fondée en son appel,

- et y faisant droit, par voie de conséquence,

- déclarer Mme [J] [P] irrecevable et mal fondée en ses appels incidents, et partant l'en débouter,

- juger que les conditions du dispositif protecteur du lanceur d'alerte salarié ne sont pas remplies,

- juger que le licenciement n'a pas violé les libertés fondamentales, et n'est pas non plus discriminatoire,

- juger qu'il ne peut donc y avoir de nullité du licenciement,

- en toutes hypothèses,

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

* dit que le licenciement de Mme [J] [P] était nul,

* a ordonné sa réintégration sous astreinte de 50 € par jour de retard à compter du 31ème jour suivant la notification du présent jugement

* l'a condamnée à payer à Mme [J] [P] :

o ses salaires bruts depuis la rupture du 18 juillet 2019 jusqu'à notification du présent jugement,

o 3'000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral et matériel,

o 1'000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- et statuant à nouveau,

- juger le licenciement de Mme [J] [P] pour faute grave justifié,

- débouter Mme [J] [P] de ses demandes,

- subsidiairement, si par impossible la cour devait requalifier la faute grave en simple cause réelle et sérieuse, fixer à 2 258,38 € l'indemnité compensatrice de préavis et à 225,83'€ l'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis,

- infiniment subsidiairement, si par impossible la cour devait considérer le licenciement de Mme [J] [P] dépourvu de cause réelle et sérieuse, faire une stricte application du barème indemnitaire prévu à l'article L. 1235-3 du code du travail et débouter Mme [J] [P] de toutes demandes dépassant ce barème,

- en tout état de cause, débouter Mme [J] [P] de toute demande indemnitaire sur le fondement de l'article 1240 du code civil,

- condamner Mme [J] [P] à lui payer la somme forfaitaire de 5'000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner Mme [J] [P] aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de selarl Duale-Ligney-Bourdalle selon l'article 699 du code de procédure civile,

- rejeter toutes demandes et conclusions de Mme [J] [P] contraires au présent dispositif.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par voie électronique le 16 février 2022, auxquelles il y a lieu de se référer pour l'exposé des faits et des moyens, Mme [J] [P] demande à la cour de':

- à titre principal confirmer le jugement entrepris qui a annulé son licenciement, a condamné la fondation [W] [I] [B] à la réintégrer sous astreinte définitive de 500euros par jour de retard à compter de la notification du jugement et paiement du salaire depuis la rupture du 18 juillet 2019 jusqu'à la réintégration outre une indemnité de 1 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Infirmant «'in parte qua'»

- toujours en cas d'annulation du licenciement et faisant droit à son appel incident, condamner la fondation [W] [I] [B] à lui verser la somme de 30 000 € à titre de dommages et intérêts pour rupture vexatoire au titre de l'article 1240 du code civil,

- à titre subsidiaire et faisant droit à l'appel incident de la concluante, dire et juger irrégulier et injustifié le licenciement de la concluante et condamner l'appelante à verser :

* l'indemnité de préavis': 4 302,82 €,

* l'indemnité de congés payés sur préavis': 430,82 €,

* l'indemnité conventionnelle de licenciement': 2 151,41 €,

* une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse sur le fondement de l'article L.'1235-3 du code du travail': 30 000 €,

* des dommages et intérêts pour rupture vexatoire par application de l'article 1240 du code civil': 10'000 €,

- condamner la fondation [W] [I] [B] à lui verser une indemnité de 4'000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la fondation [W] [I] [B] aux entiers frais et dépens.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 7 novembre 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur le licenciement':

La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations découlant du contrat de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié au sein de l'entreprise ; la charge de la preuve de la faute grave pèse sur l'employeur.

Selon les termes de la lettre de licenciement, la rupture du contrat de travail de Mme [P] est fondée sur les griefs suivants':

«'En date du 06/06/2019, le [W] est alerté de la parution d'un article dans le journal'«'sud-ouest'» qui précise qu'une association d'avocats a déposé un signalement auprès du procureur de Pau et dénonce des faits de maltraitance de la part de la police de l'air et des frontières (PAF) sur un jeune mineur non accompagné lors d'une audition.

Ce jeune est pris en charge par le service SAEMNA au sein duquel vous occupez le poste d'éducatrice spécialisée.

L'article du journal évoque des faits précis, provenant, entre autres, d'une note sociale interne que vous avez rédigée le 16'/04/2019 et transmise par mail le même jour, à votre chef de service.

A titre complémentaire, il apparait que vous avez rédigé cette note après un échange avec le jeune [R] [U], à sa sortie de son audition suivie d'une garde à vue.

Vous vous êtes montrée particulièrement réactive, face à des paroles des jeunes de votre service, face à des agissements prétendus de la police, cela sans la distance nécessaire qu'impose votre métier. Pour mémoire, j'ai déjà eu à vous répondre par mail le 28/05/19, alors que vous vous étiez interposée dans le cadre d'une procédure judicaire, qui amenait la police à une perquisition dans la chambre d'hôtel du jeune.

Par mail en date du 06/06/2019, la PAF interpelle le [W]':

«'Une note sociale de «'l'équipe éducative du SAEMNA'» concernant [U] [R] a été remise à l'association des avocats pour la défense des étrangers de [Localité 5] et transmise au procureur de la République pour signaler un certain nombre de faits impliquant mon service.'»

Comme le permet l'article 2.2 du règlement intérieur du [W] dans sa charte de l'utilisation des systèmes d'information associatifs centralisés, relatif aux obligations du personnel sur l'utilisation des boites mails professionnelles, le directeur général a demandé au service informatique interne au [W], de diligenter une enquête interne afin de vérifier votre boite mail.

Dans le cadre de cette enquête interne, nous avons retracé l'envoi de la note sociale, évoquée en infra, auprès de Maître [V] à la date du 17/04/2019.Cette même note ayant par la suite servi à l'association d'avocats à dénoncer les faits.

Alors même que c'est à partir de votre messagerie professionnelle, que ce document a été adressé avec pour destinataire, l'association d'avocats ayant rédigé l'article publié, vous avez nié l'ensemble des faits qui vous sont reprochés lors de l'entretien préalable.

Il vous a été rappelé que vous êtes pourtant la seule à disposer des identifiants.

Votre attitude est d'autant plus inacceptable que la direction a régulièrement rappelé au personnel les points de vigilance qu'il convient de respecter et qu'il a été demandé au personnel de ne pas communiquer en externe, sans l'accord préalable du chef de service.

Il vous est rappelé que de tels agissements contreviennent':

-à l'article 8 de votre contrat de travail qui prévoit sans aucune équivoque':

«'Pendant toute la durée du présent engagement, Madame [J] [P] s'engage à respecter les consignes qui lui seront données, à se conformer aux règles de fonctionnement de la Fondation [W] A. [B], et à faire preuve de la discrétion la plus absolue sur tout ce qui a trait à l'activité à la Fondation ou de ses partenaires, et dont elle pourrait avoir connaissance dans l'exercice de ses fonctions.'»

- aux disposition du règlement intérieur [W] et notamment':

L'article 20 de la charte de l'utilisateur des systèmes d'informations associatifs centralisés «'la charte de l'utilisateur des systèmes d'information associatifs centralisés est annexée au présent règlement. Elle doit être strictement respectée par l'utilisateur, faute de quoi il s'expose, le cas échéant, à une sanction disciplinaire prévue au présent règlement intérieur.'»

- l'article 2.2 Messagerie électronique indique expressément':'»la messagerie électronique mise à disposition des utilisateurs revêt un caractère exclusivement professionnel [']'»

L'article 26 relatif à l'obligation de discrétion, de confidentialité et de respect du secret professionnel':'«'le personnel quels que soient sa fonction et son poste est tenu à une obligation de secret de discrétion et de confidentialité pour toutes les informations dont il a eu connaissance dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions.

Toutefois, dans le cadre de la réglementation en vigueur, ces informations peuvent être partagées entre professionnels pour leur permettre d'élaborer des réponses adaptées aux besoins et attentes des usagers, et dans cette seule mesure.

Les documents de travail mis à la disposition du personnel dans le cadre de leur mission sont confidentiels et à ce titre, ils ne peuvent faire l'objet d'aucune diffusion à des tiers sans l'autorisation préalable de la Direction.

-d'autre part à la charte d'éthique professionnelle des éducateurs spécialisés qui précise en son article 15 Traitement des données que «'pour l'éducateur spécialisé, toute donnée qu'il recueille, transmet ou produit concernant les personnes qu'il accompagne ne peut être utilisée que lorsque sa finalité respecte leurs droits fondamentaux et concorde aux missions du service ou de l'établissement dans lequel il intervient.'»

Or, si la rédaction de la note interne relève de vos missions, la transmission de cette dernière en externe et sans validation préalable de la direction, relève d'une faute grave.

En effet':

Vous avez outrepassé les règles élémentaires liées à votre obligation de discrétion, puisque vous avez transmis cette note, hors autorisation de votre hiérarchie et hors toute injonction de la communication dans le cadre d'une procédure légale.

Vous avez utilisé le logo du [W] dans cette transmission impliquant ainsi directement l'Institution.

Vous avez transmis un document interne avec pour signature'«'l'équipe sociale du SAEMNA'» impliquant de ce fait l'ensemble de vos collègues du service.

Vous avez utilisé votre boite mail professionnelle à des fins personnelles.

Les conséquences de vos manquements sont graves et préjudiciables au [W]':

L'utilisation d'une photo du [W] dans l'article publié par la presse suite à la transmission de la note par vos soins à l'association d'avocats, constitue nécessairement un préjudice d'image, puisque ladite photo est sortie du contexte et prise lors d'un tout autre évènement, antérieur de surcroît et au cours duquel les lieux étaient occupés par un groupe militant.

De même, la PAF qui est mise en cause dans cet article, s'interroge sur le rôle du OCS et s position quant à la transmission de la note. Le procureur de la République a indiqué qu'un possible procès en diffamation est envisagé. Enfin, la Préfecture, principal interlocuteur du [W] pour l'ensemble des actions menées dans le cadre d'une mission de service public délégué, s'interroge sur la position militante du [W] et pourrait remettre en cause la qualité des relations qui nous lient.

Le Conseil Départemental s'étonne également de nos positions suite à cet acte alors que nous évoquons en permanence un positionnement professionnel et non militant.

Cette situation est d'autant plus préjudiciable, que le [W] répond actuellement à un appel à projets et que tout évènement jugé malencontreux peut nuire à la décision de le retenir, ce qui imposerait de fermer le service et subséquemment de supprimer ses emplois.

L'ensemble de vos manquements sont parfaitement inacceptables et ils constituent une violation répétée de vos obligations professionnelles';

Ils ont de plus nui à l'image de notre Fondation et engagé sa responsabilité.

*****

[W] fait, pour l'essentiel, grief aux premiers juges d'avoir considéré à tort que Mme [P] avait vu sa liberté d'expression atteinte et qu'elle pouvait se voir appliquer la législation protectrice du lanceur d'alerte, les faits évoqués dans la note sociale ne concernant pas directement l'association et sa façon d'agir .

Mme [P], de son côté',soutient qu'en réalité son licenciement est nul en ce qu'il viole ses libertés fondamentales et la liberté d'informer de la presse. Le fait déclencheur du licenciement est selon elle la publication d'un article du quotidien Sud Ouest ce qui constitue une atteinte à la liberté de la presse et à la liberté d'information et d'expression. C'est aussi une discrimination car Mme [P] se voit reprocher ses opinions qui auraient été à l'origine de l'article incriminé';enfin elle vient dire qu'il ne peut lui être reproché d'avoir communiqué avec l'avocat du mineur.

*****

Les faits tels qu'ils résultent des pièces versées aux débats par les parties sont les suivants':

-1-Mme [P] éducatrice spécialisée est l'éducatrice référente d'un mineur non accompagné [R] [U] (aujourd'hui âgé de 20 ans comme en fait foi la date de naissance indiquée dans la note sociale) lequel a fait l'objet d'un accueil depuis le 5 mars 2019 dans le service d'accompagnement et d'évaluation des mineurs non accompagnés (SAEMNA) qui est l'un des services du [W].

2-la chaine hiérarchique telle qu'elle ressort des mails et de la fiche de présentation est d'abord le chef de service M. [H], puis le directeur adjoint [M] [Z] et enfin le directeur [G] [F]. Dans son contrat de travail à durée indéterminée qui est le dernier en date liant les parties il est indiqué dans l'article 2 que «'dans l'exercice de ses fonctions, [J] [P] est placée sous l'autorité de [G] [F] directeur, ou de toute autre personne qui lui serait substituée.'»

3-le 11 avril 2019, [R] [U] est placé en garde à vue par la police de l'air et des frontières. En sa qualité de mineur, il sera assisté par Maître [V], avocat, qui le rencontre dans la matinée.

4- à 18 heures, Mme [P] est avisée qu'elle peut venir rechercher le jeune homme dans les locaux de la PAF.

5-Mme [P] établit en suivant une note sociale dans laquelle elle reproduit tout ce que le mineur lui déclare être arrivé lors de sa garde à vue. Elle présente les faits décrits comme avérés (intimidations diverses des policiers, enfermement dans une cellule glaciale, manipulations du jeune par les policiers). La note sociale est à en-tête du [W] avec le logo de cette association, les références d'adresses postales et électronique du [W]'; elle est signé': «'l'équipe éducative du SAEMNA.'»

6-le 16 avril 2019, à 17 heures 24, Mme [P] adresse la note qu'elle vient de rédiger à son chef de service M. [H] en faisant le message d'accompagnement suivant':'«'bonjour, ci-joint la note sociale concernant la garde à vue de [R] [U]. Cordialement.'» Elle signe de son nom et de sa qualité. Ce message ne comporte aucune alerte particulière, aucune demande précise à la hiérarchie.

7-le 17 avril 2019, à 9 heures 57, Mme [P] envoie une note anonyme à Maitre [V] relative à la garde à vue du mineur'; ce fait ne lui est pas reproché. Le message d'accompagnement est ainsi libellé «'vous remerciant par avance pour lui, bien à vous.'» Le message est signé de son nom et sa qualité.

8- le 18 avril 2019 à 10 heures 15, Mme [P] adresse à Me [V] la note sociale [R] [U] en pièce jointe et l'accompagne du message suivant qu'elle signe de son nom et sa qualité':'«'Bonjour, je vous prie de m'excuser il y a eu une erreur de P.J. lors du mail précédent. Voici la note sociale de [R] [U]. Bien à vous.'»

Ainsi, quarante-huit heures après avoir adressé à sa hiérarchie la note de service social Mme [P] a cru bon de l'adresser de son propre mouvement, sans l'aval de sa direction à l'avocat du mineur durant la garde à vue, sans procéder à la moindre relance de sa hiérarchie si elle souhaitait qu'une réponse institutionnelle, dans l'intérêt supérieur du mineur soit apportée et sans même attendre une réponse de la direction qu'elle était en droit d'interpeller dès lors qu'elle s'appropriait les dires du mineur.

Se faisant, elle a privé son employeur de procéder à sa propre analyse de la situation décrite dans la note d'autant qu'elle n'a formulé aucune alerte particulière, aucune demande précise à la hiérarchie.

C'est en attirant spécialement l'attention de sa direction sur les graves accusations du mineur qu'elle tenait pour avérées et en réclamant une réaction, ce qu'elle n'a pas fait, qu'elle aurait été en droit, faute de cette réaction, d'exercer sa liberté d'expression et d'affirmer sa propre opinion sur cette garde à vue, le cas échéant en alertant la presse locale.

Par suite, aucune entrave à sa liberté d'expression au travail non plus qu'à une autre liberté fondamentale n'est caractérisée et [W] n'étant en rien responsable de la garde à vue, Mme [P] n'est pas un lanceur d'alerte.

A cet égard, la cour relèvera que quelques semaines plus tard Mme [P] a adressé à sa hiérarchie, à propos d'une autre situation, une note qu'elle a qualifiée note d'incident et qui a entrainé une réaction rapide de la hiérarchie à savoir un mail de recadrage argumenté du directeur M. [F] qui lui a rappelé la nécessité d'en référer immédiatement à un cadre pour décider de la conduite à tenir.

En diffusant sciemment à un tiers un document destiné à sa hiérarchie Mme [P] a contrevenu à ses obligations professionnelles et elle a exposé son employeur à une possible diffusion de la note ce qui est survenu, quelques semaines plus tard, par le biais d'un article de presse.

Son contrat de travail énonce dans l'article 8 que la salariée a pris connaissance du règlement intérieur et s'engage à s'y conformer. En outre elle, s'engage à faire preuve de la discrétion la plus absolue sur tout ce qui a trait à l'activité du CO ou de ses partenaires et dont elle pourrait avoir connaissance dans l'exercice de ses fonctions.

L'article 26 de ce règlement intérieur et qui est relatif à l'obligation de discrétion, de confidentialité et de respect du secret professionnel rappelle :'«'le personnel quels que soient sa fonction et son poste est tenu à une obligation de secret de discrétion et de confidentialité pour toutes les informations dont il a eu connaissance dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions. Toutefois, dans le cadre de la réglementation en vigueur, ces informations peuvent être partagées entre professionnels pour leur permettre d'élaborer des réponses adaptées aux besoins et attentes des usagers, et dans cette seule mesure. Les documents de travail mis à la disposition du personnel dans le cadre de leur mission sont confidentiels et à ce titre, ils ne peuvent faire l'objet d'aucune diffusion à des tiers sans l'autorisation préalable de la Direction.

Au surplus Mme [P] était contractuellement tenue de n'utiliser la messagerie mise à disposition qu'à des fins professionnelles.

En outre, en sa qualité d'éducatrice spécialisée Mme [P] est tenue au secret professionnel dont elle ne peut s'affranchir que dans de strictes conditions et cas qui ne sont pas réunis en l'espèce.

En effet, la charte d'éthique professionnelle des éducateurs spécialisés rappelle dans son article 12 que la levée du secret professionnel d'un éducateur spécialisé est autorisée par la loi dans un nombre limité de cas et selon une procédure d'information des autorités médicales judiciaires ou administratives.

De même,la notion de secret partagé ou de partage d'information évoquée dans cette charte renvoie aux dispositions de l'article L226-2-2 du code de l'action social et des familles qui dispose que «Par exception à l'article 226-13 du code pénal, les personnes soumises au secret professionnel qui mettent en 'uvre la politique de protection de l'enfance définie à l'article L.112-3ou qui lui apportent leur concours sont autorisées à partager entre elles des informations à caractère secret afin d'évaluer une situation individuelle, de déterminer et de mettre en 'uvre les actions de protection et d'aide dont les mineurs et leur famille peuvent bénéficier. Le partage des informations relatives à une situation individuelle est strictement limité à ce qui est nécessaire à l'accomplissement de la mission de protection de l'enfance. Le père, la mère, toute autre personne exerçant l'autorité parentale, le tuteur, l'enfant en fonction de son âge et de sa maturité sont préalablement informés, selon des modalités adaptées, sauf si cette information est contraire à l'intérêt de l'enfant.'»

Au cas particulier, il ne s'est pas agi de partager des informations entre éducateurs spécialisés.

Enfin, cette même charte énonce dans son article 14 intitulé partage des informations ce qui suit':

«'l'éducateur spécialisé qui intervient avec d'autres professionnels auprès d'une même personne est autorisé à partager avec ces professionnels une information relative à sa prise en charge et strictement nécessaire à celle 'ci'; ce partage d'informations ne peut se faire que si les professionnels concernés travaillent autour des mêmes objectifs.

Dans ce cas l'éducateur spécialisé s'assure que le partage d'informations soit nécessaire raisonnable et modéré':

-nécessaire lorsque le partage est strictement utile à la prise en charge

-raisonnable lorsqu'il y a partage d'informations non subjectives et dénué de jugement de valeur

-modéré lorsque le partage respecte les droits fondamentaux de la personne

Dès lors quel se trouve en situation de transmettre une information l'éducateur spécialisé veille à s'assurer du consentement de la personne concernée par la transmission de cette information dans les limites définies par les articles 11 et suivants de la présente charte'»

En diffusant sans précaution et garantie une note officielle qu'elle avait rédigée en reprenant les dires du mineur mais non validée par la hiérarchie, Mme [P] n'a pas procédé à un partage d'information nécessaire raisonnable et modéré.

La diffusion de cette note caractérise un manque de discernement qui a effectivement eu des conséquences dommageables pour l'employeur qui s'est trouvé directement mêlé à cette affaire de garde à vue à la fois par l'association des mineurs qui a saisi le procureur, par la PAF qui s'est étonnée du contenu de cette note, par la presse locale qui a repris à son compte la teneur de la note et par le parquet qui a évoqué auprès des journalistes un possible procès en diffamation .

Sa credibilité vis-à-vis de ses deux financeurs le département et l'Etat s'en est trouvée atteinte .

Mme [P], professionnelle chevronnée, a de la sorte commis une faute grave rendant impossible son maintien dans l'entreprise .

En conséquence le jugement est infirmé en toutes ses dispositions et la cour dira que le licenciement pour faute grave est justifié. Les demandes de Mme [P] directement liées à ce licenciement sont rejetées.

Sur la demande de dommages et intérêts pour licenciement vexatoire':

La rupture du contrat de travail peut causer au salarié indépendamment de l'existence ou non d'une cause réelle et sérieuse un préjudice distinct de celui lié à la perte de son emploi, en raison des circonstances brutales ou vexatoires qui l'ont accompagnée, permettant au salarié de demander réparation de son préjudice moral, sur le fondement de la responsabilité civile prévue aux articles 1240 et suivants du code civil.

Toutefois, le caractère vexatoire de la rupture ne peut se déduire du seul fait qu'elle repose sur une faute grave.

Au cas particulier, Mme [P] ne fournit aucun élément permettant de caractériser le caractère vexatoire du licenciement, la publicité donnée au licenciement par articles de presse n'étant pas le fait de l'employeur. En conséquence, le jugement sera infirmé de ce chef.

Sur les dépens et les indemnités au titre de l'article 700 du code de procédure civile':

Chaque partie conservera la charge de ses dépens tant en première instance qu'en appel et aucune considération d'équité n'appelle l'application de l'article 700 du code de procédure civile pour aucune des parties tant en première instance qu'en appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement contradictoirement et en dernier ressort

Infirme le jugement en toutes ses dispositions

Statuant à nouveau,

Dit le licenciement de Mme [J] [P] pour faute grave justifié

Déboute Mme [J] [P] de l'ensemble de ses demandes

Déboute la fondation [W] [I] [B] et Mme [J] [P] de leur demande respective au titre de l'article 700 du code de procédure civile tant en premier instance qu'en appel

Laisse à chaque partie la charge de ses dépens de première instance et d'appel

Arrêt signé par Madame CAUTRES-LACHAUD, Présidente, et par Madame LAUBIE, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Pau
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 21/00675
Date de la décision : 09/02/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-02-09;21.00675 ?
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