AC/SB
Numéro 23/1691
COUR D'APPEL DE PAU
Chambre sociale
ARRÊT DU 17/05/2023
Dossier : N° RG 21/01641 - N° Portalis DBVV-V-B7F-H32R
Nature affaire :
Contestation du motif non économique de la rupture du contrat de travail
Affaire :
[H] [L]
C/
S.A.S. BIEN A LA MAISON
Grosse délivrée le
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
A R R Ê T
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 17 Mai 2023, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.
* * * * *
APRES DÉBATS
à l'audience publique tenue le 11 Janvier 2023, devant :
Madame CAUTRES-LACHAUD, Président
Madame SORONDO, Conseiller
Madame ESARTE, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles
assistées de Madame LAUBIE, Greffière.
Les magistrats du siège ayant assisté aux débats ont délibéré conformément à la loi.
dans l'affaire opposant :
APPELANTE :
Madame [H] [L]
née le 03 Octobre 1968 à [Localité 5] (CANADA) (99)
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Localité 3]
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2021/3421 du 11/06/2021 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de PAU)
Représentée par Maître GUILLOT, avocat au barreau de BAYONNE
INTIMEE :
S.A.S. BIEN A LA MAISON agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Maître CREPIN de la SELARL LEXAVOUE, avocat au barreau de PAU et Maître FERRE de la SELARL ABEILLE & ASSOCIES, avocat au barreau de MARSEILLE
sur appel de la décision
en date du 29 AVRIL 2021
rendue par le CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION DE DEPARTAGE DE BAYONNE
RG numéro : F19/00189
EXPOSÉ DU LITIGE
Le 15 juillet 2015, Mme [H] [L] a été reconnue travailleur handicapée.
Elle a été embauchée le 19 octobre 2017 par la société Bien à la maison en qualité d'aide à domicile, suivant contrat à durée indéterminée à temps partiel régi par la convention collective nationale des services à la personne.
Le 10 août 2019, elle a pris acte de la rupture de son contrat de travail.
Le 27 août 2019, elle a saisi la juridiction prud'homale.
Par jugement du 29 avril 2021, le conseil de prud'hommes de Bayonne a notamment :
- dit que la prise d'acte de rupture du contrat de travail par Mme [H] [L] est une démission,
- rejeté les demandes de Mme [H] [L],
- condamné Mme [H] [L] aux dépens,
- condamné Mme [H] [L] à verser à la société Bien à la maison une indemnité de 300 € au titre de l'article 700 du « code civil ».
Le 14 mai 2021, Mme [H] [L] a interjeté appel de ce jugement dans des conditions de forme et de délai qui ne sont pas contestées.
Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par voie électronique le 2 août 2021, auxquelles il y a lieu de se référer pour l'exposé des faits et des moyens, Mme [H] [L] demande à la cour de :
- infirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris,
- et statuant à nouveau :
- requalifier la prise d'acte de rupture du contrat de travail du 10 août 2019 en licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- condamner la société Bien à la maison à lui verser les sommes suivantes :
* 4 000 € nets à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* 251 € nets à titre d'indemnité de licenciement,
* 3 006 € bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
* 300,60 € bruts à titre d'indemnité de congés payés sur préavis.
- condamner la société Bien à la maison à lui verser la somme de 1 000 € pour non respect par l'employeur de son obligation de résultat en matière de protection de la santé des salariés,
- condamner la société Bien à la maison à lui verser la somme de 3 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- ordonner l'exécution provisoire,
- condamner la société Bien à la maison aux dépens.
Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par voie électronique le 19 octobre 2021, auxquelles il y a lieu de se référer pour l'exposé des faits et des moyens, la société Bien à la maison demande à la cour de :
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit et jugé que la prise d'acte devait s'analyser en une démission, en ce qu'il a débouté Mme [H] [L] de toutes ses demandes et en ce qu'il l'a condamnée à verser à la société 300 € au titre des dispositions de l'article l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner reconventionnellement Mme [H] [L] à lui verser la somme de 2 000 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 12 décembre 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la prise d'acte de rupture du contrat de travail
Attendu que la prise d'acte de rupture du contrat de travail produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse en cas de manquement suffisamment grave de l'employeur empêchant la poursuite du contrat de travail ou, dans le cas contraire, d'une démission ;
Attendu qu'à l'appui de sa prise d'acte de rupture du contrat de travail la salariée fait état qu'elle n'a pas fait l'objet d'une visite médicale de reprise malgré un arrêt de travail du 13 mars au 28 avril 2018 et qu'elle subissait des modifications répétées sans délai de prévenance de ses horaires de travail ;
Attendu que conformément à l'article R.4624-31 du code du travail le travailleur bénéficie d'un examen de reprise du travail après une absence d'au moins 30 jours pour cause de maladie non professionnelle ;
Attendu que cet examen de reprise a pour objet, en référence à l'article R.4624-32 du code du travail :
de vérifier si le poste de travail que doit reprendre le travailleur est compatible avec son état de santé ;
d'examiner les propositions d'aménagement ou d'adaptation du poste repris par le travailleur ;
de préconiser l'aménagement, l'adaptation du poste ou le reclassement du travailleur ;
d'émettre le cas échéant un avis d'inaptitude ;
Attendu que selon le dossier médical de la médecine du travail fait ressortir les éléments suivants :
que l'arrêt de travail de mars et avril 2018 avait pour origine une lombalgie ;
qu'elle a été reconnue travailleur handicapé à compter de 2015 et jusqu'en 2020 pour le genou droit ;
qu'elle n'a fait l'objet d'aucune visite médicale de reprise à l'issue de son arrêt de travail à l'initiative de l'employeur ;
qu'elle a bénéficié d'une visite médicale périodique le 13 mars 2019 où les conclusions médicales mentionnent « Chondropathie rotulienne D, difficulté à l'accroupissement. Lombalgie chronique ». Il est également spécifiquement mentionné que la salariée ne désire pas de restriction dans son travail ;
Attendu que Mme [L] produit également au dossier :
une décision de reconnaissance de travailleur handicapé du 15 juillet 2015 au 31 juillet 2020 ;
une attestation de paiement d'indemnités journalières du 14 mars 2018 au 26 avril 2018 ;
Attendu qu'il convient de constater que la salariée a pris acte de la rupture de son contrat de travail par courrier du 10 août 2019, soit plus d'un an après la fin de son arrêt de travail ;
Attendu que si l'employeur n'a pas rempli ses obligations à ce titre, il est indéniable que ce manquement, matériellement établi, n'a nullement empêché la poursuite du contrat de travail durant plus d'une année ;
Attendu que la salariée produit également au dossier un certain nombre de SMS du 30 novembre 2017 au mois d'août 2019 ;
Qu'un certain nombre de ces messages concernent des modifications d'emploi du temps en raison d'urgences invoquées ;
Attendu que l'article 3 du contrat de travail signé entre les parties prévoit « 7 jours au plus tard avant sa prise de fonction, le salarié se verra remettre par courrier électronique un planning organisant son travail mensuellement. Ce planning se répète chaque mois à l'identique. La répartition de la durée du travail du salarié pourra être modifiée moyennant respect par la société d'un préavis minimal de 7 jours, ramené à 3 jours en cas d'événement exceptionnel. Toutefois un préavis de deux heures sera à respecter, conformément à l'article 14 de l'accord du 11 mars 2016 dans les cas suivants : aggravation de l'état de santé du bénéficiaire du service, décès du bénéficiaire du service, hospitalisation ou urgence médicale d'un bénéficiaire du service entraînant son absence, arrivée en urgence non programmée d'un bénéficiaire du service, maladie de l'enfant gardé, carence du mode de garde habituel ou des services assurant habituellement cette garde, absence non prévue d'un salarié intervenant auprès d'un public fragile ou dépendant, besoin immédiat d'intervention auprès d'enfants dû à l'absence non prévisible de son parent. Dans ce dernier cas, un nouveau planning modificatif remplacera et annulera alors le précédent planning pour le mois en cours seulement. Il est envoyé par courrier électronique ou disponible via l'intranet, ou à défaut envoyé en SMS au salarié » ;
Attendu que la lecture des SMS produits par la salariée démontre que les demandes de changement de planning correspondaient au cadre du contrat de travail ;
Que les nombreuses demandes de changement n'entrant pas dans le cadre des modifications urgentes ont été soumises à l'accord préalable de la salariée qui a su, à de nombreuses reprises, décliner les propositions de son employeur ;
Attendu que la salariée produit également une attestation de Mme [J], psychologue, qui fait état qu'elle a reçu en consultation la salariée pour surmenage et qui retranscrit les doléances de la salariée, sans avoir été témoin d'aucun fait ;
Attendu que ce manquement n'est donc pas suffisamment établi en sa matérialité ;
Attendu que c'est donc par une très exacte appréciation du droit applicable aux éléments de l'espèce que les premiers juges ont dit que la prise d'acte de rupture du contrat de travail produisait les effets d'une démission et ont débouté Mme [L] de ses demandes de ce chef ;
Sur la demande de dommages et intérêts pour manquement par l'employeur à son obligation de sécurité
Attendu que le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité est avéré en ce qu'il n'a pas fait procéder à une visite médicale de reprise comme indiqué plus haut alors que Mme [L] avait la qualité de travailleur handicapé ;
Que ce manque de vigilance face aux objectifs fixés par l'article R.4624-32 du code du travail a causé un préjudice à la salariée qui, au vu des pièces du dossier déjà citées, doit être évalué à la somme de 1 000 euros ;
Attendu que le jugement déféré sera infirmé sur ce point ;
Sur les demandes accessoires
Attendu que chacune des parties supportera la charge de ses propres dépens de première instance et d'appel ;
Attendu qu'il apparaît équitable en l'espèce de laisser à la charge de chacune des parties les frais irrépétibles non compris dans les dépens de première instance et d'appel;
PAR CES MOTIFS
La Cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort
CONFIRME le jugement du conseil de prud'hommes de Bayonne en date du 29 avril 2021 sauf en ce qui concerne les dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité, les dépens et l'article 700 du code de procédure civile ;
Et statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,
CONDAMNE la SAS Bien à la Maison à payer à Mme [H] [L] la somme de 1 000 euros de dommages et intérêts pour manquement de l'employeur à son obligation de sécurité ;
DIT que chacune des parties supportera la charge de ses propres dépens de première instance et d'appel et dit n'y avoir lieu à condamnation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Arrêt signé par Madame CAUTRES-LACHAUD, Présidente, et par Madame LAUBIE, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,