SF/CD
Numéro 24/01648
COUR D'APPEL DE PAU
EXPROPRIATIONS
ARRÊT DU 16/05/2024
Dossier : N° RG 22/03224 - N° Portalis DBVV-V-B7G-IMF6
Nature affaire :
Demande de fixation de l'indemnité d'expropriation
Affaire :
[X] [A] épouse [L]
[Y] [A] épouse [D]
C/
Syndicat Intercommunal d'Alimentation des Eaux Potables (SIAEP) d'[Localité 47]
[B] [A]
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
A R R Ê T
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 16 Mai 2024, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.
* * * * *
APRES DÉBATS
à l'audience publique tenue le 14 Mars 2024, devant :
Madame de FRAMOND, Conseillère faisant fonction de Présidente
Madame GUIROY, Conseillère
Madame BLANCHARD, Conseillère
qui en ont délibéré conformément à la loi.
En présence de Madame [E], Commissaire du Gouvernement représentant le Directeur départemental des Finances Publiques des Pyrénées-Atlantiques.
Assistées de Madame DEBON, faisant fonction de Greffière.
dans l'affaire opposant :
APPELANTES :
Madame [X] [A] épouse [L]
[Adresse 17]
[Localité 19]
Madame [Y] [A] épouse [D]
[Adresse 14]
[Localité 30]
Représentés et assistés de Maître CAMBOT de la SELARL CABINET CAMBOT, avocat au barreau de PAU
INTIMES :
Syndicat Intercommunal d'Alimentation des Eaux Potables (SIAEP) d'[Localité 47]
[Adresse 18]
[Localité 31]
Représenté de Maître LEPLAT de la SELARL J & LAW, avocat au barreau de PAU
Assisté de Maître BELLEGARDE de l'AARPI RIVIERE AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de BORDEAUX
Monsieur [B] [A]
[Adresse 41]
[Localité 31]
Non comparant, non représenté
sur appel de la décision
en date du 04 NOVEMBRE 2022
rendue par le TRIBUNAL JUDICIAIRE, JUGE DE L'EXPROPRIATION DU DÉPARTEMENT DES PYRÉNÉES-ATLANTIQUES
EXPOSÉ DU LITIGE
M. [B] [A], Mme [X] [L] née [A] et Mme [Y] [D] née [A] (ci-après les consorts [A]) sont propriétaires indivis, en leur qualité d'ayants droit de M. et Mme [H] [A], d'un ensemble de parcelles sur la commune d'[Localité 47] comprenant notamment une maison d'habitation sise [Adresse 41], des bâtiments et des terres de diverses natures (la ferme [Localité 46]), pour une contenance totale de 41 ha 6 a 41 ca, dont une partie (environ 31 ha) fait l'objet d'un bail agricole conclu avec M. [B] [A], le reste des parcelles n'étant pas exploitées.
Un arrêté préfectoral en date du 28 février 2006 a déclaré d'utilité publique des travaux de dérivation des eaux souterraines et l'instauration des périmètres de protection autour de la source du Lavoir dans la commune d'[Localité 47] et la réalisation de la voie d'accès à un réservoir. Les consorts [A] ont attaqué cet arrêté devant le tribunal administratif puis devant la Cour administrative d'appel de Bordeaux qui l'a annulé le 15 juin 2009 au motif que l'appréciation sommaire des dépenses figurant au dossier d'enquête publique présentait un caractère erroné (non actualisation de l'indemnisation évaluée à 76'225 €).
Un arrêté préfectoral du 5 mars 2019 s'est substitué à l'arrêté précédent du 28 février 2006.
Ce nouvel arrêté de 2019 a instauré un périmètre de protection immédiate autour de la source du Lavoir, au niveau des parcelles cadastrées section [Cadastre 44], [Cadastre 11], [Cadastre 12] et [Cadastre 13] dont le Syndicat Intercommunal d'Alimentation des Eaux Potables (ci-après le SIAEP) d'[Localité 47] est pleinement propriétaire.
Ce périmètre de protection immédiate (PPI) a été complété d'un périmètre de protection rapprochée (PPR) au niveau de parcelles qui appartiennent notamment à des propriétaires privés, dont les consorts [A] pour 60 % de leurs parcelles, section [Cadastre 43], [Cadastre 20], [Cadastre 21], [Cadastre 22], [Cadastre 23], [Cadastre 24], [Cadastre 25], [Cadastre 26], [Cadastre 27], [Cadastre 28], [Cadastre 29], [Cadastre 32], [Cadastre 34], [Cadastre 35], [Cadastre 36], [Cadastre 37], [Cadastre 38], [Cadastre 39], [Cadastre 40], [Cadastre 1], [Cadastre 2], [Cadastre 3], [Cadastre 4], [Cadastre 5], [Cadastre 6], [Cadastre 7], [Cadastre 8], [Cadastre 9], [Cadastre 10], et [Cadastre 15] et [Cadastre 16] (issues de la parcelle [Cadastre 33]).
Un protocole d'accord avait été conclu le 14 avril 2005 entre le SIAEP d'[Localité 47] et M. et Mme [B] [A] en leur qualité de fermiers, afin de compenser financièrement la modification des conditions d'exploitation agricole et la perte de leurs revenus dans le cadre du bail à ferme, liée à la mise en 'uvre du périmètre de protection (passage de l'élevage laitier à celui de brebis en extensif). Cet accord porte sur le versement d'une indemnité de 152 450 €.
Par courrier du 3 juin 2021, le SIAEP a proposé à l'indivision successorale composée de [X], [Y] et [B] [A] la somme totale arrondie à 125 000 € à titre d'indemnité décomposée comme suit : 97 629 € en leur qualité de propriétaires et 27 216 € en leur qualité d'exploitants des parcelles.
M. [B] [A] a accepté la proposition d'indemnisation contrairement à Mesdames [L] et [D], nées [A].
Par requête reçue le 13 décembre 2021 et en application des articles L 1321-3 du code de la santé publique, L311-1- et R 311-1 et suivants du code de l'expropriation, le SIAEP d'[Localité 47] a saisi le juge de l'expropriation afin de voir fixer le montant des indemnités qui sont dues aux consorts [A] en leur qualité de propriétaires indivis des parcelles litigieuses au titre des servitudes liées à la mise en place du périmètre de protection de la source du Lavoir.
Le transport sur les lieux a eu lieu le 30 septembre 2022 auquel ont participé les dames [L] et [D] née [A] et M. [B] [A].
Par jugement du 4 novembre 2022, le juge chargé de l'expropriation au tribunal judiciaire de Pau a :
- Fixé les indemnités dues à Mme [X] [A] épouse [L], Mme [Y] [A] épouse [D], M. [B] [A], en leur qualité de co-indivisaires, par le Syndicat Intercommunal d'Alimentation des Eaux Potables d'[Localité 47] à raison de l'instauration de périmètres de protection immédiate et rapprochée de la source du Lavoir la somme de 125 000 €, cette somme devant être répartie en fonction des droits respectifs de chacun, et cette somme étant décomposée comme suit :
- 97 629 € au titre de la dépréciation de la valeur vénale des parcelles,
- 27 217 € au titre des contraintes et du déséquilibre d'exploitation.
- Débouté Mme [X] [A] épouse [L] et Mme [Y] [A] épouse [D] de leur demande d'indemnisation fondée sur la valeur du tréfonds des parcelles cadastrées section [Cadastre 43], [Cadastre 20], [Cadastre 21], [Cadastre 22], [Cadastre 23], [Cadastre 24], [Cadastre 25], [Cadastre 26], [Cadastre 27], [Cadastre 28], [Cadastre 29], [Cadastre 32], 700, [Cadastre 34], [Cadastre 35], [Cadastre 36], [Cadastre 37], [Cadastre 38], [Cadastre 39], [Cadastre 40], [Cadastre 1], [Cadastre 2], [Cadastre 3], [Cadastre 4], [Cadastre 5], [Cadastre 6], [Cadastre 7], [Cadastre 8], [Cadastre 9] et [Cadastre 10] et sur la privation de la possibilité de réaliser un nouveau forage.
- Débouté Mme [X] [A] épouse [L] et Mme [Y] [A] épouse [D] de leur demande d'expertise.
- Condamné le Syndicat Intercommunal d'Alimentation des Eaux Potables d'[Localité 47] à verser à Mme [X] [A] épouse [L] et Mme [Y] [A] la somme de 2 100 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
- Dit que le Syndicat Intercommunal d'Alimentation des Eaux Potables d'[Localité 47] supportera la totalité des dépens de la présente instance.
Dans sa décision, le juge de l'expropriation a retenu notamment que :
- seul le juge de l'expropriation est compétent pour fixer l'indemnisation du préjudice résultant de l'instauration d'un périmètre de protection de captage, la décision de la cour administrative d'appel du 15 juin 2009 estimant insuffisante l'appréciation sommaire des dépenses figurant au dossier d'enquête publique est donc sans incidence sur le présent litige ;
- les interdictions et restrictions relatives aux activités exercées sur les zones sensibles du périmètre définies par l'arrêté du 5 mars 2019 opposable aux parties, n'exclut pas toute activité agricole, puisque [B] [A] continue d'exploiter ses parcelles, après adaptation et modifications';
- les parcelles litigieuses, propriété des consorts [A], se situent à quelques mètres du forage C, exploité par la SEMO, et de la source du Lavoir, exploitée par le SIAEP, et sont donc affectées de restrictions ou d'interdictions quant à certains travaux, activités, installations ou aménagements ; pour autant, les consorts [A] ne sont pas expropriés de leur propriété ; le juge a retenu le mode de calcul du SIAEP appliquant une valeur de 8,86 € en moyenne par hectare pour les terres agricoles, avec un abattement de 20 % sur la partie mise en fermage à M. [A]. Le premier juge a écarté la méthode de l'expert amiable sollicité par les dames [A], M. [P] et du commissaire du gouvernement dont les résultats sont moins favorables aux appelants, pour retenir l'offre faite par le SIAEP d'[Localité 47] ;
- si l'ensemble de ces parcelles se trouvent sur le même aquifère, sollicite la même ressource souterraine et qu'il existe une ressource potentielle en eau souterraine sur la propriété [A], son exploitation exigerait l'instauration d'un ouvrage non existant. Or, à la date de l'arrêté du 5 mars 2019, déclarant d'utilité publique les travaux de dérivation des eaux souterraines de la source du Lavoir ainsi que l'instauration des périmètres de protection, le tréfonds de la propriété [A] n'était pas exploité, n'était pas juridiquement exploitable puisque les parcelles concernées sont situées au sein d'une zone Nps du PLU d'[Localité 47], PLU approuvé le 24 novembre 2011, non contesté par les consorts [A] et qui leur est donc opposable sans que le permis de construire délivré à la SEMO le 18 août 2017 ne puisse influer sur ce point, le forage de celle-ci étant antérieur à l'adoption du PLU en 2011 ;
- l'indemnisation des consorts [A] ne peut donc porter sur leur impossibilité d'exploiter le tréfonds des parcelles, ils ne souffrent pas de la dépossession de leur bien, et l'indemnisation de leur préjudice suppose donc d'évaluer leurs parcelles, retenue à 192 257 € (terrain non exploité + terrain exploité) puis d'appliquer un abattement de moitié pour ne prendre en compte que les contraintes posées à l'utilisation de leur bien par la servitude créée par le périmètre de protection rapprochée et non une dépossession, soit une dépréciation de 97 629 €.
Par mémoire adressé par LRAR du 29 novembre 2022 au greffe de la Cour et reçu le 1er décembre 2022, Mmes [X] et [Y] [A] (ci-après les dames [A]) ont relevé appel de la décision, la critiquant en toutes ses dispositions.
Dans leur mémoire reçu au greffe le 13 février 2023, complété par des mémoires responsifs du 5 octobre 2023 et du 28 février 2024, Mmes [A] appelantes, demandent à la cour de réformer le jugement rendu et
à titre principal :
- Condamner le SIAEP d'OGEU à verser aux consorts [A] une indemnité globale de 2'100'000 € à répartir entre les co-indivisaires en fonction de leurs droits respectifs, à savoir 3/8 chacune pour [X] et [Y] [K] [A], et de 2/8e pour [B] [A] ;
A titre subsidiaire,
- désigner tel expert qu'il plaira avec la mission d'évaluer le préjudice subi par l'indivision [A] du fait de l'indisponibilité du tréfonds en raison de l'instauration du périmètre de protection rapprochée de la source du Lavoir ;
- Mettre les frais d'expertise à la charge du SIAEP d'OGEU ;
Dans tous les cas,
- condamner le SIAEP à verser aux consorts [A] une somme de 4 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Au soutien de leurs prétentions, Mmes [A] font valoir en se fondant sur l'article 552 du code civil et R126-1 du code de l'urbanisme que :
- elles sont recevables à contester le jugement rendu même si leur frère [B] ne s'est pas joint à elles, la jurisprudence admettant le caractère divisible de leurs créances d'indemnité ;
- le propriétaire du sol est propriétaire du dessus et du dessous et peut faire toute plantation et construction qu'il juge à propos, faire des fouilles et en tirer tous les produits qu'ils peuvent fournir sauf modification résultant des lois et règlements ;
- le caractère exploitable du sous-sol ' justifiant l'indemnisation ' est distinct de la volonté d'exploiter ainsi que l'a confirmé la jurisprudence ;
- il appartient au juge de l'expropriation de vérifier si la source présente dans le tréfonds du bien exproprié était exploitée ou même seulement exploitable économiquement ou juridiquement par son propriétaire à la date de référence, indépendamment de tout projet effectifs d'exploitation ; la jurisprudence vérifie que les restrictions d'exploitation ont un autre motif que l'expropriation ou l'instauration des périmètres de protection ;
- or, en l'espèce, le zonage Nps du PLU n'est que la conséquence de l'arrêté préfectoral en date du 28 février 2006 ayant fixé les périmètres de protection des sources, arrêté qui a ensuite été annulé par la cour administrative d'appel de Bordeaux le 15 juin 2009 et n'est donc plus opposable aux consorts [A] ;
- même si ce zonage a été repris par le PLU approuvé le 24 novembre 2011, antérieurement à l'arrêté préfectoral du 5 mars 2019 imposant les périmètres de protection des sources, dès lors que le PLU concerne les eaux potables devant être protégées, c'est toujours dans la perspective de la mise en 'uvre de ces périmètres dits immédiats et rapprochés, et de manière donc illégale que ce PLU de 2011 s'est entièrement fondé sur un zonage de protection des sources tiré d'un arrêté préfectoral annulé, et constituant donc une servitude d'utilité publique affectant l'utilisation du sol en causant un préjudice aux consorts [A] en rendant les eaux de leur tréfonds inexploitables et justifiant donc au regard de la jurisprudence que ces restrictions soient indemnisées à hauteur de la plus-value générée par la présence de l'aquifère dans le sous-sol de leurs parcelles ;
- au besoin la cour pourra poser une question préjudicielle au tribunal administratif sur la légalité du PLU de 2011 à la suite de l'annulation de l'arrêté du 28 février 2006 ;
- l'aquifère exploité par la SEMO (société des eaux minérales d'OGEU) et par le SIAEP est présent dans le tréfonds de la propriété [A], ce qui avait conduit la SEMO à envisager de racheter leurs parcelles, démontrant la valeur de celles-ci en vue d'une exploitation ;
- selon l'expertise réalisée par M. [P], la méthode par comparaison n'est pas possible faute de termes pertinents ; leur tréfonds disposant de cette source peut être valorisé par la méthode de la productivité de la rentabilité (excédent brut d'exploitation) à 1 104 139 € pour les 26 ha 65 a 10 ca concernés, et par la méthode par actualisation des revenus à 2'100'000 € (paiement d'une redevance) après pondération ;
- le premier juge ayant estimé ces méthodes d'évaluation comme peu probantes, il devait alors recourir à une expertise judiciaire pour évaluer le préjudice ;
- c'est en leur qualité de propriétaires dépossédées de l'exploitation de leur tréfonds ou de la possibilité de la vente pour exploitation que les dames [A] contestent l'indemnisation fixée par le premier juge.
Dans son mémoire reçu au greffe le 7 mai 2023, le SIAEP intimée, demande à la cour de :
- Débouter Mme [X] [A] épouse [L] et Mme [Y] [A] épouse [D] de l'ensemble de leurs demandes ;
- Confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 4 novembre 2022 par la juridiction départementale de l'expropriation près le tribunal judiciaire de Pau (RG n° 21/00022) ;
- Condamner Mme [X] [A] épouse [L] et Mme [Y] [A] épouse [D] à verser au Syndicat Intercommunal d'Alimentation des Eaux Potables d'[Localité 47] la somme de 3 500 € à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Le SIAEP fait valoir principalement, sur le fondement des articles L1321-2 et L1321-3 du code de la santé publique, L321-1 et R311-9 du code de l'expropriation et 552 du code civil que :
- l'indemnité de 125'000 € proposée tient compte de la qualité de propriétaires et de la qualité d'exploitants des [A] et les indemnise à ces titres ;
- seules doivent être indemnisées les servitudes liées à la mise en place du périmètre de protection de la source qui restreignent l'utilisation de leurs parcelles et non une dépossession de leurs biens puisqu'il n'y a aucune expropriation en l'espèce (qui n'est prévue que pour le périmètre de protection immédiat) ; si M. [B] [A] est bien exploitant agricole, les dames [A] ne le sont pas ;
- en outre, le tréfonds de leur propriété ne saurait donner lieu à une indemnisation dès lors que le sous-sol n'était pas exploitable par les consorts [A] à la date de l'arrêté préfectoral en date du 5 mars 2019 instaurant le périmètre de protection autour de la source ; le dernier PLU approuvé date du 24 novembre 2011 est postérieur à l'annulation par arrêt du 15 juin 2009 par la cour administrative d'appel de Bordeaux de l'arrêté du 28 février 2006 et plaçait les parcelles des appelantes en zone Nps qui interdit expressément l'ouverture d'excavation ou les constructions autres que celles nécessaires à l'exploitation effectives du point d'eau, or, elles n'exploitaient pas leur tréfonds et ne démontrent pas qu'elles en avaient le projet ;
- la date de référence pour apprécier la nature juridique des parcelles est fixée à un an avant l'ouverture de l'enquête publique ayant eu lieu le 20 août 2018, soit au 20 août 2017 ;
- les appelantes réclament l'indemnisation d'un préjudice potentiel et futur au titre de la rentabilité de leur tréfonds qui de toute façon dans leur cas, n'est pas indemnisable, les jurisprudences citées par elle concernent toutes des situations d'expropriation.
Dans son mémoire reçu au Greffe le 12 mai 2023, Mme la Commissaire du Gouvernement propose d'évaluer comme en première instance le préjudice causé aux consorts [A] par les restrictions posées à l'utilisation des parcelles en leur qualité de propriétaires, propose des termes de comparaison sur des cessions de terrains non bâtis en nature de terre dans un périmètre proche, en distinguant le prix moyen au mètre carré des terres agricoles ou des prés et en appliquant à la valeur totale des terres cultivables (non comprises les Landes ou taillis) un coefficient de 30 % correspondant à la dépréciation du fait de la servitude (plus favorable que 0,25 €/m² correspondant aux pertes de récolte sur 3 années classiquement retenues dans le département en matière d'expropriation des surfaces agricoles) donnant une valeur vénale arrondie à 49'100 €. Mme la Commissaire du Gouvernement constate donc que l'offre du SIAEP d'[Localité 47] est plus favorable aux consorts [A] et conclut à la confirmation du jugement.
À l'audience du 19 octobre 2023 l'affaire a été renvoyée à l'audience du 14 mars 2024 pour mise en cause de M. [B] [A], membre de l'indivision successorale mais non représenté par le conseil de Mesdames [X] et [Y] [A].
Celles-ci ont fait signifier leurs conclusions et pièces à leur frère [B] [A] le 27 novembre 2023, reçues par lui le 12 décembre 2023.
M. [B] [A] n'a déposé aucun mémoire dans le délai de 3 mois.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la recevabilité de l'appel interjeté par les dames [A] et provoqué à l'égard de [B] [A] :
La jurisprudence admet la dérogation au principe d'unanimité de l'action des indivisaires en matière de procédure d'expropriation :
La créance d'indemnité d'expropriation n'est pas indivisible (civile 3, du 9 mai 1978 n° 77-70.205 et Civ 3 du 13 décembre 1995, 93-70.208) la créance se divise, de sorte que chacun des indivisaires a la faculté d'interjeter seul appel du jugement qui liquide l'indemnité d'expropriation.
Mais ce droit d'appel individuel ne contredit pas le caractère indivisible à l'égard de l'expropriant de la procédure d'expropriation en ce qu'elle a pour objet de fixer un prix global pour la valeur du bien exproprié indivis. Il est donc nécessaire de désigner comme intimés dans la procédure les autres indivisaires, dès lors que la décision fixera le montant de la valeur du bien dû par l'expropriant qui ne sera tenu que du montant de cette somme à l'égard des expropriés. Ainsi la créance n'est certes pas indivisible entre les coindivisaires, mais le litige en fixation de cette créance l'est et impose d'appeler en la cause, en appel comme en première instance, tous les propriétaires indivis afin que le jugement ou l'arrêt leur soit opposable.
Dès lors, aux termes de l'article 553 du code de procédure civile, en cas d'indivisibilité à l'égard de plusieurs parties, l'appel formé contre l'une n'est recevable que si toutes sont appelées à l'instance et l'irrecevabilité doit être relevée d'office Civ. 2ème, 17 novembre 2022 n° 20-19.782.
Mais dès lors que l'appelant principal (ici les dames [A]) est recevable en son appel à l'encontre d'une partie (le SIAEP d'[Localité 47]) et que la matière est indivisible, il peut donc appeler les autres parties à la cause (M. [B] [A]) après l'expiration du délai pour interjeter appel (Cass. Civ. 2ème 7 septembre 2017 n° 16-20.463).
En l'espèce, il ressort de l'acte notarié du 24 mai 2012, suite au décès de Mme [G] [R], veuve de M. [H] [F] [A] que celle-ci laisse à sa succession ses trois enfants, dont les droits dans sa succession sont de :
- [B], [H] [A] de 2/8ème, en qualité de réservataire,
- [X], [U] [A] 2/8ème, en qualité de réservataire et 1/8ème à titre de préciput soit 3/8ème,
- et [Y], [O] [A], 2/8ème en qualité de réservataire et 1/8ème à titre de préciput soit 3/8ème.
L'appel interjeté dans les délais par [X] et [Y] [A] contre le SIAEP d'[Localité 47] est recevable, et la signification de leurs conclusions en date du 12 décembre 2023 à M. [B] [A] régularise la procédure à l'égard de l'ensemble des parties concernées.
Sur l'indemnisation due aux consorts [A] en leur qualité de propriétaires indivis :
En application de l'article L1321-3 du code de la santé publique, les indemnités qui peuvent être dues au propriétaire ou occupant de terrain compris dans un périmètre de protection de prélèvement d'eau destinée à l'alimentation des collectivités humaines, à la suite de mesures prises pour assurer la protection de cette eau, sont fixées selon les règles applicables en matière d'expropriation pour cause d'utilité publique.
Lorsque les indemnités visées au premier alinéa sont dues à raison de l'instauration d'un périmètre de protection rapprochée visée à l'article L1321-2-1, celles-ci sont à la charge du propriétaire du captage.
Selon l'article L321-1 du code de l'expropriation, les indemnités allouées couvrent l'intégralité du préjudice direct, matériel et certain causé par l'expropriation.
En vertu des dispositions de l'article L1321-2 du code de la santé publique dans sa version en vigueur en mars 2019, en vue d'assurer la protection de la qualité des eaux, l'acte portant déclaration d'utilité publique des travaux de prélèvement d'eau destinée à l'alimentation des collectivités humaines mentionné à l'article L. 215-13 du code de l'environnement détermine autour du point de prélèvement un périmètre de protection immédiate dont les terrains sont à acquérir en pleine propriété, un périmètre de protection rapprochée (PPR) à l'intérieur duquel peuvent être interdits ou réglementés toutes sortes d'installations, travaux, activités, dépôts, ouvrages, aménagement ou occupation des sols de nature à nuire directement ou indirectement à la qualité des eaux et, le cas échéant, un périmètre de protection éloignée à l'intérieur duquel peuvent être réglementés les installations, travaux, activités, dépôts, ouvrages, aménagement ou occupation des sols et dépôts ci-dessus mentionnés.[...]
Sur la date de référence pour définir la nature juridique des biens affectés par le PPR :
Selon l'article L322-2 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique':
En matière d'expropriation, les biens sont estimés à la date de la décision de première instance, et selon leur nature juridique à une date de référence qui est sauf dispositions dérogatoires (L322-3 à L322-6),'un an avant l'ouverture de l'enquête préalable à la déclaration d'utilité publique [...]
Il est tenu compte des servitudes et des restrictions administratives affectant de façon permanente l'utilisation ou l'exploitation des biens à la date de référence, sauf si leur institution révèle, de la part de l'expropriant, une intention dolosive.
Si la présente procédure ne vise pas à une expropriation des parcelles, l'arrêté du 5 mars 2019 portant création d'un périmètre de protection rapprochée incriminé crée des servitudes et restrictions affectant les biens des consorts [A] donc ils demandent indemnisation.
L'enquête publique en vue de l'arrêté créant le périmètre de protection rapprochée de la source s'est ouverte le 20 août 2018. La date de référence à considérer pour déterminer la nature et la consistance juridique des parcelles des requérantes est donc le 20 août 2017.
Sur l'indemnisation de l'impossibilité d'exploiter le tréfonds des parcelles des consorts [A] résultant de l'arrêté du 5 mars 2019 :
À la date du 20 août 2017, les parcelles des consorts [A] sont situées en zonage Nps au PLU du 24 novembre 2011 qui définit donc leur consistance juridique.
Est visé en annexe du PLU du 24 novembre 2011 produit aux débats mais dans sa version du 28 juillet 2020, l'arrêté préfectoral du 28 février 2006 qui avait défini les périmètres de protection des eaux destinées à la consommation et des eaux minérales de la source du Lavoir, mais dont il est bien précisé que cet arrêté a été annulé et remplacé par l'arrêté du 5 mars 2019 qui figure en annexe.
L'extrait du PLU du 24 novembre 2011 produit aux débats dans sa version initiale (pièce 14 des dames [A]) ne fait pas référence expressément à l'arrêté du 28 février 2006.
Dans ce PLU de 2011, est institué en page 124, un secteur Nps reprenant, dans la zone N, les limites du périmètre rapproché de protection des sources du Lavoir, ainsi que les dispositions d'occupation et d'utilisation des sols. Aucune construction n'est possible, afin de conserver ses espaces naturels et de limiter les risques de pollution.
Figure dans les pièces versées aux débats un avis hydrogéologique relatif à l'établissement des périmètres de protection de la source du Lavoir, établi par M. [M] [Z] portant la mention 'révision d'octobre 2001 du rapport de mars 1994' ; dans sa page 14, figure la proposition d'inscription dans le périmètre de protection rapprochée l'ensemble des parcelles qui ont figuré ensuite dans l'arrêté de 2006 puis dans l'arrêté de 2019 dont celle des dames [A].
Les mêmes prescriptions et restrictions y sont déjà préconisées, et il est ainsi démontré que le projet d'aménagement de la zone de la source du Lavoir, bien antérieur à l'arrêté de 2006 qui mettait en 'uvre ces préconisations en créant les zones de protection immédiate et rapprochée, avait bien vocation à servir à la redéfinition des zones dans le PLU adopté le 24 novembre 2011.
Il en résulte que ce PLU, créant la zone Nps qui concerne les parcelles des consorts [A], n'est pas fondé sur l'arrêté préfectoral de 2006 qui avait été annulé mais sur les études et les diagnostics effectués depuis le début des années 1990 à la demande du SIAEP d'[Localité 47] pour garantir l'approvisionnement et la qualité de l'alimentation en eau des communes concernées en imposant des restrictions sur les parcelles voisines de la source du Lavoir.
Il ne peut donc être soutenu que ce PLU du 24 novembre 2011 serait illégal concernant cette zone Nps en raison de l'annulation de l'arrêté préfectoral de 2006, dès lors que cet arrêté n'en est pas le fondement juridique, et il appartenait aux consorts [A] d'exercer les voies de recours légales devant le tribunal administratif contre l'adoption du PLU qui leur faisait grief en 2011, indépendamment de l'annulation en 2009 de l'arrêté de 2006.
La jurisprudence considère que la plus-value conférée à un terrain en raison des ressources situées dans son tréfonds n'est prise en compte dans l'indemnité d'expropriation ou dans l'indemnisation des restrictions qu'il subit que si le tréfonds est exploité ou exploitable économiquement, juridiquement et matériellement par ses propriétaires un an avant la date de l'ouverture de l'enquête publique de la DUP instaurant les périmètres de protection. (Civ 3ème 20 juin 1984 n° 83-70.207 Aucune indemnisation ne peut être accordée du chef de la présence de sables et graves dans le tréfonds dès lors qu'à la date de référence fixée[...], le plan d'occupation des sols publié[...] et en vigueur à cette date, avait classé les terrains en cause en zone NA-1 dans laquelle sont interdites l'ouverture et l'exploitation de carrières... Egalement arrêt CE ch réunies 30 décembre 2020 n° 426098)
Or, à la date du 20 août 2017, les prescriptions du PLU du 24 novembre 2011 interdisaient notamment toute construction afin de conserver les espaces naturels et de limiter les risques de pollution des sources, l'ouverture d'excavations autres que celles nécessaires à l'exploitation du point d'eau, l'établissement de toute construction superficielle ou souterraine même provisoire, autre que celle strictement nécessaires à l'exploitation et à l'entretien du point d'eau.
Ce zonage du PLU rendait donc juridiquement impossible toute nouvelle exploitation du tréfonds des consorts [A] bien avant l'arrêté pris le 5 mars 2019 qui n'a pas modifié le classement en zone Nps de leurs parcelles.
La jurisprudence visée par les dames [A] de la Cour de cassation (Civ. 3 du 9 octobre 2013 n° 12-13694 ) est inapplicable à l'espèce en ce que la cour avait constaté que le classement en une zone impliquant des restrictions importantes à l'utilisation du bien résultait directement de l'inclusion des terrains dans le périmètre de protection rapprochée définie par l'arrêté préfectoral pris antérieurement au POS.
Or, en ce qui concerne les parcelles de l'indivision [A], l'impossibilité d'exploiter leur tréfonds ne résulte pas de l'arrêté du 5 mars 2019 en vertu duquel elle sollicite cette indemnisation mais du PLU du 24 novembre 2011, qui leur est définitivement opposable.
Soutenant que le zonage de ce PLU serait illégal, elles se fondent sur un courrier du préfet daté du 18 décembre 2017 précisant que le périmètre de protection rapprochée arrêtée le 28 février 2006 n'était plus applicable dès lors que celui-ci avait été annulé en 2009, et que par conséquent le règlement du POS du secteur Uyp (ou donc aussi Nps) s'appuyant sur ce périmètre de protection rapprochée ne serait pas non plus applicable.
Mais ce courrier adressé à titre particulier en réponse à une contestation par les dames [A] du permis de construire délivré par la commune d'[Localité 47] à la SEMO le 18 août 2017 dans le cadre de son exploitation des Eaux minérales d'OGEU, ne constitue pas la reconnaissance de l'illégalité du PLU du 24 novembre 2011 mais un simple avis sans effet ni portée juridique pour les dames [A].
Faute d'avoir contesté l'adoption du PLU du 24 novembre 2011, les dames [A] ne justifient plus aujourd'hui d'un droit à indemnisation de l'impossibilité d'exploiter le tréfonds de leurs parcelles situées en zone Nps dans le périmètre de protection rapprochée de la source du Lavoir arrêté le 5 mars 2019.
Sur l'indemnisation des restrictions à l'exploitation des parcelles situées dans le périmètre de protection rapprochée :
Les parcelles cultivables des consorts [A] affectées par la servitude ont une superficie globale de 207 571 m² (20,75 ha) aux lieux-dits [Localité 46], [Localité 45], et [Adresse 42] sur la commune d'[Localité 47] en nature de terres pour 91'649 m² et de prés pour 115'922 m², outre la présence d'un corps de ferme situé au milieu des terres.
Seul M. [B] [A] exploite réellement le fonds inclus au sein du périmètre de protection rapprochée en sa qualité de fermier, il a déjà été indemnisé comme indiqué ci-dessus, au titre de son exploitation par la somme de 152'450 € non remise en question par le présent litige.
Mmes [A] ne sont pas exploitantes ; elles ne justifient donc pas d'un préjudice économique lié aux interdictions ou restrictions relatives à l'exploitation du domaine visé par l'article 7 de l'arrêté du 5 mars 2019 qui interdit notamment :
à l'intérieur du périmètre de protection rapprochée, les activités, travaux, installations, dépôts, ouvrages, aménagements, occupations des sols suivants sont interdits :
- les forages et puits entraînant une détérioration tant quantitative que qualitative des captages et exutoires naturelles existantes,
- l'ouverture et l'exploitation de carrière,
- l'ouverture d'excavation autre que carrière...[...],
- le stockage des matières fermentescibles destinées à l'alimentation du bétail (ensilage),
- le stockage, l'épandage et la préparation des produits et substances destinées à la fertilisation des sols ou à la lutte contre les ennemis animaux et végétaux des cultures et désherbage,
- l'installation d'abreuvoir fixe et d'abris destinés au bétail,
- le défrichement et le déçu fauchage,
- la création d'étangs et de plans d'eau,
- l'entretien des fossés des chemins etc. Par des produits chimiques type désherbant déconseillant, etc,
- la coupe de bois,
- la réalisation de fossés,
- le stockage, l'épandage et la préparation des produits et substances destinées à la fertilisation des sols ou la lutte contre les ennemis animaux végétaux des cultures et des herbages.
Cependant le SIAEP accepte d'indemniser l'indivision [A] au titre des restrictions d'exploitation sur lesquelles les dames [A] ne développent pas d'argumentation ni de moyens pour évaluer cette indemnisation.
Mme la commissaire du gouvernement a établi que le prix d'une terre agricole (sans considération du tréfonds donc) est de 0,90 € le mètre carré et la valeur des prés est de 0,70 € le mètre carré, donnant, compte tenu des surfaces respectives une valeur globale des parcelles cultivables de 163'629,50 € auxquelles les restrictions d'exploitation ou d'usage sont estimées à hauteur de 30 % de cette somme. Soit une perte de valeur de 49'088,85 € arrondie à 49'100 €.
Le SIAEP offre cependant une indemnisation d'un montant arrondi à la somme de 125'000 € à l'indivision, (97 629 € en qualité de propriétaires et 27'216 € en qualité d'exploitants).
En vertu de l'article L213-11 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, le juge de l'expropriation statue sur les indemnités dans la limite des conclusions des parties.
Dès lors, il y a lieu de confirmer le jugement de première instance en ce qu'il a fixé à la somme de 125'000 € le montant de l'indemnité due à M. [B] [A], Mesdames [X] et [Y] [A] en leur qualité de propriétaires indivis des parcelles situées dans le périmètre de protection rapprochée de la source du Lavoir, à répartir entre eux selon leurs droits respectifs dans l'indivision successorale.
En conséquence, le jugement déféré doit être confirmé en toutes ses dispositions.
Y ajoutant, la cour condamne les dames [A] aux dépens de la procédure en appel et déboute les parties de leur demande fondées sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
'''''''''''''''''''''''''''
''''''
'' PAR CES MOTIFS
La cour, après en avoir délibéré, statuant, publiquement, par décision réputée contradictoire, en dernier ressort et par arrêt mis à disposition au greffe,
Confirme le jugement rendu le 4 novembre 2022 en toutes ces dispositions,
Y ajoutant,
Condamne Mme [X] [A] épouse [L] et Mme [Y] [A] épouse [D] aux entiers dépens de la procédure en appel ;
Rejette les demandes des parties fondées sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Arrêt signé par Madame de FRAMOND, Conseillère faisant fonction de Présidente, et par Madame DEBON, faisant fonction de greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,