COUR D'APPEL D'ORLÉANS
CHAMBRE CIVILE
GROSSES + EXPÉDITIONS
Me Estelle GARNIER Me Jean-Michel DAUDÉ
30 / 06 / 2008
ARRÊT du : 30 JUIN 2008
N° RG : 07 / 01518
DÉCISION DE PREMIÈRE INSTANCE : Jugement du Tribunal de Grande Instance de BLOIS en date du 3 Mai 2007
PARTIES EN CAUSE
APPELANTS :
Monsieur Gérard X... ...
Madame Chantal Y... épouse X... ...
Monsieur Damien X... ...
Représentés par Maître Estelle GARNIER avoué à la Cour Ayant pour avocat Maître Jane WILLEMS du barreau de PARIS
D'UNE PART
INTIMÉE :
SOCIÉTÉ GÉNÉRALE prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège 29 Boulevard Haussmann 75009 PARIS
Représentée par Maître Jean-Michel DAUDÉ avoué à la Cour Ayant pour avocat la SELARL SEBAUX-DEREC du barreau de BLOIS
D'AUTRE PART
DÉCLARATION D'APPEL EN DATE DU 13 Juin 2007
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU 26 Mars 2008
COMPOSITION DE LA COUR
Lors des débats, à l'audience publique du 13 MAI 2008, Madame Elisabeth HOURS, Conseiller, a entendu les avocats des parties, avec leur accord, par application des articles 786 et 910 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.
Lors du délibéré :
Monsieur Bernard BUREAU, Président de Chambre,
Madame Marie-Brigitte NOLLET, Conseiller,
Madame Elisabeth HOURS, Conseiller, Rapporteur, qui en a rendu compte à la collégialité.
Greffier :
Mademoiselle Nathalie MAGNIER faisant fonction de greffier.
ARRÊT :
Prononcé publiquement le 30 JUIN 2008 par mise à la disposition des parties au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
Exposé du litige :
Par acte du 27 septembre 2003, Monsieur Gérard X... et son épouse, Madame Chantal Y..., ont consenti à leur fils, Damien, la donation en nue-propriété du tiers indivis de l'ensemble de leurs biens immobiliers comprenant un immeuble sis à MOLINEUF et cadastré section F numéros 227, 630, 674, et 675. Soutenant que la donation d'une partie de ce bien immobilier, sur lequel elle avait fait inscrire une hypothèque en garantie de sa créance provisoire de 222. 682, 62 euros sur Monsieur X..., avait été consentie pour faire fraude à ses droits, la société anonyme SOCIÉTÉ GÉNÉRALE (la banque) a, le 11 mars 2004, assigné les époux X... et leur fils devant le tribunal de grande instance de Blois afin de voir juger que cet acte lui est inopposable.
Par jugement en date du 3 mai 2007, le tribunal a fait droit à cette demande et a condamné les consorts X... à verser à la banque une indemnité de procédure de 2. 000 euros.
Les consorts X... ont relevé appel de ce jugement par déclaration en date du 13 juin 2007. Les dernières écritures des parties, prises en compte par la cour au titre de l'article 954 du Code de procédure civile, ont été déposées :- le 12 mars 2008 pour les consorts X...,- le 21 mars 2008 pour la SOCIÉTÉ GÉNÉRALE.
Les appelants, qui concluent à l'infirmation de la décision entreprise, excipent tout d'abord de l'irrecevabilité de l'action paulienne engagée par la SOCIÉTÉ GÉNÉRALE aux motifs, d'une part, que la banque ne rapporte pas la preuve de l'insolvabilité des donateurs au moment de la donation, d'autre part, qu'elle a méconnu les dispositions de l'article L. 621-48 du Code de commerce qui font interdiction au créancier d'intenter toute action à l'encontre des cautions d'un commerçant pendant la période d'observation. Ils soulignent que Monsieur X... est débiteur de la SOCIÉTÉ GÉNÉRALE en sa qualité de caution de la société Gérard X... et associés (GCA), placée en redressement judiciaire, et que toute action à l'encontre de la caution devait être suspendue jusqu'à l'adoption du plan de redressement. Sur le fond, ils affirment que la créance de la banque à l'égard du débiteur principal est éteinte et que, par jugement du 8 juin 2007, le tribunal de commerce de Blois a accordé à Monsieur X... un délai de 2 ans pour s'acquitter de cette même dette. Enfin, ils soutiennent que les conditions exigées par l'article 1167 du Code civil ne sont pas remplies.
Les consorts X... sollicitent en conséquence le rejet de toutes les demandes formées à leur encontre et la condamnation de l'intimée à leur verser 5. 000 euros de dommages et intérêts pour procédure abusive et 3. 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
La SOCIÉTÉ GÉNÉRALE sollicite la confirmation du jugement entrepris et la condamnation des consorts X... au paiement de la somme de 2. 500 euros au titre des frais irrépétibles.
CELA ETANT EXPOSE, LA COUR :
- Sur la recevabilité de l'action engagée par la SOCIÉTÉ GÉNÉRALE :
Attendu que l'article 1167 du Code civil permet aux créanciers d'attaquer les actes faits " en fraude de leurs droits " ; Que les appelants soutiennent que la recevabilité d'une telle action, dite " paulienne ", exige que soient démontrés une fraude, l'insolvabilité du débiteur et la qualité de créancier du demandeur à l'action ; Que, cependant, seule l'absence de qualité de créancier peut rendre une telle action irrecevable, l'existence d'une insolvabilité du débiteur et d'une fraude étant des conditions de fond rendant l'action bien ou mal fondée ; Que l'argumentation des époux X... quant à leur solvabilité doit donc être examinée en même temps que leur argumentation sur le fond ;
Attendu que les consorts X... affirment tout d'abord que la SOCIÉTÉ GÉNÉRALE n'est pas créancière de Monsieur X... puisque, les poursuites envers celui-ci étant suspendues durant la période d'observation de la société GCA, la banque ne pouvait faire reconnaître l'existence d'une créance pendant cette période ; Que cependant, l'article L. 621-48 du Code de commerce sur lequel les appelants fondent cette argumentation n'interdit pas à un créancier de prendre un titre exécutoire à l'encontre de la caution d'une société en période d'observation mais suspend seulement une telle action jusqu'au jugement arrêtant le plan de redressement ; que l'assignation délivrée à la caution durant la période d'observation n'est donc entachée d'aucune irrégularité, le tribunal devant seulement ne prononcer condamnation qu'à compter du jugement ayant arrêté le plan de redressement ; Qu'en l'espèce, ce plan a été arrêté en 2004 ;
Que Monsieur X... a été condamné par jugement du tribunal de commerce de Blois en date du 8 juin 2007 à payer à la banque, en sa qualité de caution de la société GCA, la somme de 219. 626, 58 euros ; Que cette condamnation, postérieure à l'arrêt du plan de redressement, n'a pas été frappée d'appel et est désormais définitive ; Que ce premier argument des appelants sera donc rejeté ;
Attendu que les appelants affirment de plus que la SOCIÉTÉ GÉNÉRALE n'est pas créancière de Monsieur X... en faisant valoir, de manière quelque peu contradictoire, d'une part que la créance alléguée est éteinte, d'autre part qu'elle n'est pas exigible ; Qu'il suffit qu'une créance soit certaine pour conférer à l'une des parties la qualité de créancier et qu'il importe peu qu'elle ne soit pas exigible au moment où est intervenu l'acte attaqué et a été engagée l'action paulienne, l'obligation de la caution étant née au jour du cautionnement et le créancier possédant en conséquence un principe certain de créance ; Qu'il est constant que la SOCIÉTÉ GÉNÉRALE a déclaré au passif de la société GCA une créance qui a été définitivement admise à hauteur de 219. 256 euros ; Que le jugement définitif susvisé du tribunal de commerce de Blois a condamné Monsieur X... à payer 219. 626, 58 euros à l'intimée et lui a accordé le bénéfice des délais de paiement qu'il sollicitait ; Que l'ensemble de l'argumentation des consorts X... sur la non-régularité de la déchéance du terme prononcée par la SOCIÉTÉ GÉNÉRALE n'a donc pas à être examinée, cette question ayant été nécessairement tranchée par la décision de condamnation à paiement ayant l'autorité de la chose jugée ;
Que la créance de l'intimée sur Monsieur X... étant certaine, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a déclaré recevable l'action engagée par la SOCIÉTÉ GÉNÉRALE ;
- Sur le fond :
Attendu que c'est à tort que le tribunal, retenant l'argumentation de la banque, a considéré que la SOCIÉTÉ GÉNÉRALE était titulaire d'un gage spécial et que la donation rendait impossible l'exercice du droit dont elle disposait sur le bien, objet de la donation partielle ; Que cette dernière est en effet intervenue le 27 septembre 2003, soit antérieurement à l'inscription d'hypothèque à laquelle il n'a été procédé qu'en mars 2004 ;
Que la banque ne disposait en conséquence d'aucune garantie sur l'immeuble donné au moment de la signature de l'acte de donation attaqué et qu'elle ne peut être considérée que comme un créancier disposant d'un droit général sur l'ensemble du patrimoine de Monsieur X... ;
Attendu cependant que c'est également à tort que les consorts X... demandent à la cour de prendre en compte leur situation au jour de leurs dernières écritures en soulignant qu'une partie de la dette était, à cette date, apurée ; Qu'en effet, leur situation d'insolvabilité doit être établie par l'intimée uniquement à la date de la donation ainsi qu'à celle de l'introduction de son action paulienne et qu'il suffit que le créancier démontre, à ces deux dates, l'insolvabilité apparente de son débiteur et l'existence d'une fraude pour rendre son action fondée ; Qu'il est donc indifférent qu'en 2008 le montant de la créance de la SOCIÉTÉ GÉNÉRALE ait diminué en raison des paiements intervenus dans le cadre du plan de redressement de la société GCA ; Qu'il convient uniquement de vérifier si, le 27 septembre 2003 et le 11 mars 2004, le patrimoine de Monsieur X... permettait, après donation, à la société Générale d'être assurée du paiement de sa dette dans des conditions aussi favorables qu'avant l'acte attaqué ;
Attendu que les appelants reprochent à la créancière de tenir compte de l'ensemble des engagements de Monsieur X... et notamment de ceux souscrits au titre de la société GCM2R, dont il est président du conseil d'administration et dont la société Générale souligne la mauvaise santé financière ; Qu'ils affirment qu'il n'existe aucun lien entre GCA et la GCM2R et que ni l'intimée ni le tribunal ne pouvaient faire état d'éléments concernant cette dernière société ; Que, cependant, le jugement ouvrant la procédure de redressement judiciaire concernant la société GCA précise qu'en raison des liens étroits qui l'unissent à la société CGM2R, il convient de désigner les mêmes organes de procédure collective dans ces deux sociétés afin de leur donner des chances de redressement ; Que les liens entre les deux sociétés au titre desquelles Monsieur X... a pu souscrire des engagements personnels sont donc établis ;
Attendu que c'est en faisant une exacte analyse de la situation financière de son débiteur que l'intimée fait valoir qu'elle ne peut tenir compte de la valeur de l'appartement sis à Tours puisque celui-ci est grevé d'une hypothèque prise antérieurement jusqu'en 2009 et qu'il a fait l'objet d'une deuxième inscription hypothécaire prise par la BRO ;
Que, si les consorts X... versent aux débats une estimation de la valeur de leur immeuble de MOLINEUF effectuée par expert en 2001, cette estimation est trop ancienne pour être retenue ; que la valeur de ce bien ne peut être calculée qu'en fonction de son prix d'évaluation lors de la donation, soit 304. 889 euros ; Que les appelants ne sauraient sérieusement soutenir que le montant de leur patrimoine n'est diminué que de la valeur d'un tiers de la nue-propriété dont ils ont fait donation à leur fils, alors qu'il est évident que, si ce calcul est théoriquement exact, il est concrètement invraisemblable, aucun acheteur potentiel ne pouvant souhaiter acquérir pour un tel prix un immeuble partiellement indivis alors qu'une remise en vente de l'ensemble de l'immeuble ne dépendrait même pas de la bonne volonté de l'usufruitier, la donation faite à celui-ci étant assortie d'une clause d'inaliénabilité ; Que, surtout, les sûretés dont pouvaient disposer les créanciers sont réduites à néant puisqu'il est en principe impossible, sauf circonstances très exceptionnelles, de procéder à la vente forcée d'un bien grevé d'un usufruit sans l'accord de l'usufruitier ; Que les consorts X... soutiennent cependant que l'immeuble sur lequel la SOCIÉTÉ GÉNÉRALE a inscrit une hypothèque est mis en vente amiable par leurs soins, ce qui permettra à la créancière d'être assurée d'un paiement ; Que l'honnêteté d'un tel argument apparaît plus qu'incertaine puisque n'est versé aux débats qu'un mandat de vente exclusif au profit d'une agence immobilière, signé en 2005 par Monsieur et Madame X..., mais non par leur fils, pourtant usufruitier d'une partie de ce même bien ; Que Damien X... ne pourrait d'ailleurs signer un tel mandat puisque la donation qui lui a été consentie comporte une clause d'inaliénabilité ; Qu'en se déclarant seuls vendeurs de la totalité de l'immeuble, les époux X... ont donc donné à l'agence un mandat dépourvu de toute valeur juridique ;
Attendu que l'ensemble de ces éléments établit l'insolvabilité apparente des débiteurs de l'intimée ; Que Monsieur et Madame X... n'alléguant pas posséder, en sus des immeubles donnés pour partie en usufruit à leur fils, des fonds leur permettant de garantir un paiement, la condition d'insolvabilité exigée par l'article 1167 pour fonder l'action est bien remplie ;
Attendu que la fraude exigée par ce même texte législatif n'implique pas l'intention de nuire ; Qu'il suffit que le débiteur ait conscience que l'acte qu'il conclut causera un préjudice à son créancier ;
Que la fraude est caractérisée quand le débiteur sait que l'acte qu'il accomplit rend ses biens difficiles à appréhender ; Que c'est avec une totale mauvaise foi que les époux X... font valoir qu'ils souhaitaient uniquement assurer à leur fils une transmission de leur patrimoine avantageuse fiscalement et qu'ils n'ont pas pensé qu'ils allaient, par la donation intervenue, diminuer les sûretés des créanciers de Monsieur X... ; Qu'en effet, s'ils avaient, entre 1996 et 2001, interrogé leur notaire et leur banque sur les possibilités fiscalement avantageuses de création d'une société avec leur fils ou de transmission à celui-ci de leur patrimoine, ils n'avaient jamais donné de suite à ces vagues projets ; Que Monsieur X... ne pouvait ignorer, le 27 septembre 2003, que la société GCA, dont il s'était porté personnellement caution, serait très prochainement placée en redressement judiciaire, puisque, si le jugement ouvrant cette procédure collective est intervenu le 8 janvier 2004, GCA avait sollicité la désignation d'un mandataire ad hoc dès le 24 novembre 2003 et que le tribunal a fait remonter la date de cessation des paiements en décembre 2003, soit à une date très proche de celle de la donation attaquée ; Que les liens entre GCA et GCM2R dont Monsieur X... est président du conseil d'administration étaient tels que les donateurs ne pouvaient qu'être entièrement informés de la situation de la société GCA ; Que Monsieur et Madame X... ne pouvaient pas plus ignorer que la SOCIÉTÉ GÉNÉRALE, bénéficiaire d'une caution solidaire donnée par Monsieur X... avec le consentement exprès de son épouse, allait, même en cas d'élaboration d'un plan de redressement de GCA, s'assurer, sur leur patrimoine commun, de l'entier recouvrement des sommes dues par sa débitrice principale ; Qu'à la date de la donation, c'est donc en toute connaissance de cause que Monsieur X... a effectué, conjointement avec son épouse, une donation du tiers indivis de leurs deux immeubles communs, cette donation étant assortie d'une clause d'inaliénabilité s'imposant au donataire ; Que, conseillé par un notaire, Monsieur et Madame X... ne pouvaient pas ignorer que ce démembrement de leurs propriétés rendrait impossibles leurs ventes sur saisie ; Qu'ils savaient donc que la donation attaquée diminuait des chances de la SOCIÉTÉ GÉNÉRALE de recouvrer l'intégralité de sa créance, et lui causait ainsi un préjudice ;
Attendu que l'action engagée par la SOCIÉTÉ GÉNÉRALE étant entièrement fondée, il convient de confirmer intégralement le jugement entrepris ; Qu'il y a lieu de faire application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
CONFIRME la décision entreprise,
Y AJOUTANT,
CONDAMNE in solidum Messieurs Gérard et Damien X... et Madame Chantal Y..., épouse X..., à payer à la société anonyme SOCIÉTÉ GÉNÉRALE la somme de 2. 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,
CONDAMNE in solidum Monsieur Gérard et Damien X... et Madame Chantal Y..., épouse X..., aux dépens d'appel,
ACCORDE à Maître DAUDE, avoué, le bénéfice des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
Arrêt signé par Monsieur Bernard BUREAU, président, et Mademoiselle Nathalie MAGNIER, faisant fonction de greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.