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19/05/2022 | FRANCE | N°19/01882

France | France, Cour d'appel d'Orléans, Chambre sociale, 19 mai 2022, 19/01882


C O U R D ' A P P E L D ' O R L É A N S

CHAMBRE SOCIALE - A -

Section 2

PRUD'HOMMES

Exp +GROSSES le 19 MAI 2022 à

la SCP VALERIE DESPLANQUES

Me Claudine DEFFARGES



-XA-







ARRÊT du : 19 MAI 2022



MINUTE N° : - 22



N° RG 19/01882 - N° Portalis DBVN-V-B7D-F6IR



DÉCISION DE PREMIÈRE INSTANCE : CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION DE DEPARTAGE DE BLOIS en date du 09 Mai 2019 - Section : INDUSTRIE







APPELANTE :



S.A.R.L. MÉ

CANIQUE DE PRECISION INDUSTRIELLE

62 rue André Boulle

41000 BLOIS



représentée par Me Valerie DESPLANQUES de la SCP VALERIE DESPLANQUES, avocat au barreau d'ORLEANS,

Ayant pour avocat plaidant M...

C O U R D ' A P P E L D ' O R L É A N S

CHAMBRE SOCIALE - A -

Section 2

PRUD'HOMMES

Exp +GROSSES le 19 MAI 2022 à

la SCP VALERIE DESPLANQUES

Me Claudine DEFFARGES

-XA-

ARRÊT du : 19 MAI 2022

MINUTE N° : - 22

N° RG 19/01882 - N° Portalis DBVN-V-B7D-F6IR

DÉCISION DE PREMIÈRE INSTANCE : CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION DE DEPARTAGE DE BLOIS en date du 09 Mai 2019 - Section : INDUSTRIE

APPELANTE :

S.A.R.L. MÉCANIQUE DE PRECISION INDUSTRIELLE

62 rue André Boulle

41000 BLOIS

représentée par Me Valerie DESPLANQUES de la SCP VALERIE DESPLANQUES, avocat au barreau d'ORLEANS,

Ayant pour avocat plaidant Me Flora OLIVEREAU, avocat au barreau de BLOIS

ET

INTIMÉ :

Monsieur [N] [M]

né le 03 Février 1969 à TURQUIE

11 rue Duguay Trouin

41000 BLOIS

représenté par Me Claudine DEFFARGES, avocat au barreau de BLOIS, Me Estelle GARNIER, avocat au barreau d'ORLEANS

Ordonnance de clôture : 31 MARS 2022 à 9H00

Audience publique du 31 Mars 2022 tenue par Monsieur Xavier AUGIRON, Conseiller, et ce, en l'absence d'opposition des parties, assisté lors des débats de Mme Fanny ANDREJEWSKI-PICARD, Greffier,

Après délibéré au cours duquel Monsieur Xavier AUGIRON, Conseiller a rendu compte des débats à la Cour composée de :

Madame Laurence DUVALLET, présidente de chambre, présidente de la collégialité,

Monsieur Alexandre DAVID, président de chambre,

Monsieur Xavier AUGIRON, conseiller.

Puis le 19 Mai 2022, Madame Laurence Duvallet, présidente de Chambre, présidente de la collégialité, assistée de Mme Fanny ANDREJEWSKI-PICARD, Greffier a rendu l'arrêt par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

FAITS ET PROCÉDURE

M. [N] [M] a été engagé par la société Mécanique de Précision Industrielle (MPI SARL) selon contrat à durée indéterminée, à compter du 1er octobre 2012, en qualité de régleur.

La société emploie plus de 11 salariés.

Une convocation à entretien préalable avec mise à pied à titre conservatoire lui a été adressée par courrier du 7 septembre 2016, et, après un entretien réalisé le 16 septembre 2016, la société MPI lui a signifié une mise à pied à titre disciplinaire pour une durée de 16 jours, par courrier du 23 septembre 2016 pour diverses fautes professionnelles.

Après avoir, par lettre recommandée avec accusé de réception du 28 octobre 2016, convoqué M. [M] un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 8 novembre 2016, la société MPI lui a notifié par lettre recommandée avec accusé de réception du 21 novembre 2016 son licenciement pour faute grave, lui imputant la responsabilité de nouveaux dysfonctionnements constatés sur une machine-outil, ayant nécessité une reprogrammation intégrale.

Par requête enregistrée au greffe le 14 février 2017, M.[M] a saisi le conseil de prud'hommes de Blois pour contester la sanction disciplinaire qui lui a été infligée, ainsi que son licenciement et obtenir le paiement de diverses indemnités.

Par jugement du 9 mai 2019, le conseil de prud'hommes de Blois a :

-Dit que la rupture du contrat de travail de M.[M] s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse

-condamné en conséquence la société MPI à payer à M.[M] les sommes de :

-2240 euros à titre d'indemnité de licenciement

-5802 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis

-580,20 euros à titre d'indemnité de congés payés afférents au préavis

-35 000 euros à titre de dommages-intérêts pour rupture abusive du contrat de travail

-annulé la mise à pied disciplinaire prononcé à l'encontre de M.[M] le 23 septembre 2016

-condamné en conséquence la société MPI à payer à M.[M] les sommes de :

-1400 euros à titre de rappel de salaire correspondant la période de mise à pied

-140 euros à titre de congés payés afférents à la période de mise à pied

-5000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure disciplinaire abusive

-condamné en outre la société MPI à payer à M.[M] les sommes de :

-2756,05 euro à titre d'indemnité compensatrice de congés payés

-3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

-débouté la société MPI de sa demande reconventionnelle tendant à voir condamner M.[M] à lui payer une somme de 5546,36 euros correspondant conséquences financières prétendument subies par elle suite aux manquements graves de M. [M] par elle allégués

-dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de la société MPI

-ordonné l'exécution provisoire de la décision

-condamné la société MPI aux dépens.

La société MPI a relevé appel du jugement par déclaration notifiée par voie électronique le 29 mai 2019 au greffe de la cour d'appel.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Vu les dernières conclusions enregistrées au greffe le 30 mars 2022 auxquelles il est renvoyé pour l'exposé détaillé des prétentions et moyens présentés conformément à l'article 455 du code de procédure civile, aux termes desquelles la société MPI demande à la cour de :

-À titre liminaire, juger que l'appel interjeté par la société MPI est recevable et bien fondé

-y faisant droit, infirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Blois le 9 mai 2019

-statuant à nouveau,

-au titre du licenciement, à titre principal,

-constater que la société MPI a fait une exacte utilisation de son pouvoir disciplinaire

-constater les manquements fautifs commis par M.[M],

-juger que le licenciement pour faute grave mise en 'uvre à l'encontre de société MPI est fondé,

-en conséquence, débouter M.[M] de l'ensemble de ses demandes,

-à titre subsidiaire, si par impossible la cour devait juger que le licenciement de société MPI n'était pas justifié par une faute grave,

-constater que son salaire moyen brut mensuel était de 2366,05 euros

-constater qu'il ne justifie d'aucun préjudice que ce soit, alors qu'il sollicite la somme de 35 000 euros, représentant plus de 14 mois de salaire,

-constater qu'il a retrouvé un emploi à compter du 21 mai 2018 au sein de la société SMOP spécialisée dans la fabrication de pièces de machinerie,

-en conséquence, ramener à d'infinies plus justes proportions les demandes de M.[M] et, en tout état de cause, tout au plus à la somme de 7098,15 euros bruts correspondant à quatre mois de salaire,

-au titre de la sanction disciplinaire du 23 septembre 2016,

-constater que la sanction de la société MPI est régulière, justifiée et proportionnée,

-en conséquence, juger que la sanction disciplinaire de M.[M] du 23 septembre 2016 est justifiée,

-débouter M.[M] de toutes ses demandes,

-au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés,

-constater que la demande de M.[M] est irrecevable et non fondée,

-en conséquence, débouter M.[M] de sa demande,

-au titre de l'article 700 du code de procédure civile, débouter M.[M] de sa demande à voir condamner la société MPI à lui régler la somme de 3000 euros à ce titre,

-au titre des demandes reconventionnelles de la société MPI,

-l'accueillir en ses demandes,

-condamner M.[M] à verser à la société MPI la somme de 7970,77 euros à titre d'indemnité, correspondant aux conséquences financières subies par la société MPI suite aux manquements graves de M.[M]

-condamner M.[M] à verser à la société MPI la somme de 5000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles,

-condamner M.[M] aux dépens, y compris en cas d'exécution forcée de la décision.

Vu les dernières conclusions enregistrées au greffe le 31 mars 2022, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé détaillé des prétentions et moyens présentés conformément à l'article 455 du code de procédure civile, aux termes desquelles M.[M] demande à la cour de :

-Confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Blois le 9 mai 2019 en ce qu'il a dit et jugé dépourvu de toute cause réelle et sérieuse le licenciement prononcé à l'encontre de M.[M]

-confirmer ce jugement en ce qu'il a condamné la société MPI à régler au profit de M.[M] les sommes suivantes :

-au titre de licenciement :

-35 000 euros à titre de dommages-intérêts pour rupture abusive du contrat de travail,

-2240 euros à titre d'indemnité de licenciement,

-5802 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

-580,20 euros à titre d'indemnité de congés payés afférents au préavis,

-au titre de l'annulation de la sanction :

-1400 euros à titre de rappel de salaire correspondant la période de mise à pied

-140 euros à titre de congés payés afférents à la période de mise à pied

-5000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure disciplinaire abusive,

-3000 euros au titre article 700 du code de procédure civile,

-confirmer ce jugement en ce qu'il a déclaré recevable la demande de rappel au titre des congés payés et condamné la société MPI à verser à M.[M] le solde de ses droits à congés payés indûment soustraits, soit la somme de 2756,05 euros

-confirmer ce jugement en ce qu'il a débouté la société MPI de sa demande reconventionnelle

-y ajoutant,

-condamner la société MPI à régler à M.[M] la somme complémentaire de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens de première instance et d'appel.

La société MPI a fait parvenir le 3 mai 2022 une note en délibéré.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

- Sur la note en délibéré du 3 mai 2022

La société MPI n'ayant pas été autorisée à faire parvenir une note en délibéré, celle qu'elle a fait parvenir à la cour le 3 mai 2022 doit être écartée des débats.

- Sur la demande d'indemnité compensatrice de congés payés

M.[M] réclame à ce titre une somme équivalente à 26 jours de congés payés qui ne lui auraient pas été réglés lors de la rupture du contrat de travail.

La société MPI invoque l'irrecevabilité de cette demande au visa des articles 563 à 566 du code de procédure civile, qui notamment prohibe les prétentions nouvelles en cause d'appel.

Cependant, cette demande avait été formée en première instance, le conseil de prud'hommes y ayant d'ailleurs répondu favorablement.

Il ne s'agit donc aucunement d'une demande nouvelle en cause d'appel.

Si, comme le relève par ailleurs la société MPI, cette demande n'avait pas été formée par M.[M] lors de la saisine initiale du conseil de prud'hommes, mais seulement en cours de procédure, il s'agissait donc d'une demande additionnelle au sens de l'article 70 du code de procédure civile.

Cette demande se rattachait aux prétentions initiales, liées à l'exécution du même contrat de travail, par un lien suffisant.

Elle est donc recevable.

Sur le fond, la société MPI indique que M.[M] " rechignait " à prendre ses congés et qu'elle avait " les plus grandes difficultés à faire entendre raison à M.[M] et lui imposer la prise régulière de congés " que ce dernier avait refusé de poser, de sorte qu'il était " ainsi parvenu à cumuler plus de 56 jours de congés en août 2016 ".

Il n'en demeure pas moins que M.[M], lors de la rupture du contrat de travail, totalisait 56 jours de congés non pris, ce qui n'est pas contesté par l'employeur.

Il appartenait à la société MPI soit de les lui imposer, la période de congés devant être fixée par l'employeur, ou à défaut de les lui indemniser en application de l'article L.3141-28 du code du travail.

Il n'est pas excipé du fait qu'une partie au moins de ces 56 jours aient été pris.

Il est constant qu'une indemnité équivalente à 30 jours de congés seulement lui a été versée.

La demande de M.[M] visant au paiement d'une indemnité compensatrice équivalente à 26 jours de congés payés, soit 2756,05 euros, devra être accueillie et la décision du conseil de prud'hommes confirmée sur ce point.

- Sur la sanction disciplinaire délivrée par la société MPI à M.[M] le 23 septembre 2016 :

L'article L.1331-1 du code du travail définit la sanction disciplinaire comme suit : " Constitue une sanction toute mesure, autre que les observations verbales, prise par l'employeur à la suite d'un agissement du salarié considéré par l'employeur comme fautif, que cette mesure soit de nature à affecter immédiatement ou non la présence du salarié dans l'entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération ".

La mise à pied constitue une sanction disciplinaire au sens de ce texte.

Par ailleurs, l'article L.1332-1 du code du travail prévoit qu'aucune sanction ne peut être prise à l'encontre du salarié sans que celui-ci soit informé, dans le même temps et par écrit, des griefs retenus contre lui.

M.[M] soutient qu'en l'espèce, aucun motif n'est évoqué à l'appui de la sanction qui lui a été infligée le 23 septembre 2016.

La société MPI se réfère quant à elle à l'ensemble des griefs mentionnés dans la lettre de convocation à entretien préalable du 7 septembre 2016 délivrée au salarié préalablement à la notification de cette sanction.

La cour constate que la lettre de convocation à entretien préalable du 7 septembre 2016 évoque les faits suivants, reprochés à M.[M] à l'appui de la mise à pied qui lui a été infligée à titre conservatoire :

-le 8 juillet 2016, temps de programmation excessif et temps d'usinage excessif

-le 25 juillet 2016, mélange de pièces, temps de programmation et d'usinage excessivement longs, accusations infondées à l'encontre d'un collègue

-le 11 août 2016 : temps d'usinage excessivement long, mauvais réglage d'un centre d'usinage, mauvais perçage sur une série

-le 12 août 2016 : abandon de poste avant l'horaire contractuel, refus d'exécuter les ordres de la hiérarchie, montage, démontage et remontage du taraudeur inefficaces, propos diffamatoires à l'égard d'un collègue et absence totale d'entretien sur le centre d'usinage ayant provoqué une panne

Ces griefs ne sont pas repris dans la lettre prononçant la mise à pied disciplinaire de M.[M] le 23 septembre 2016 pour une durée de 16 jours, pas plus qu'aucun autre document. Elle porte la mention " transformation de mise à pied conservatoire en mise à pied disciplinaire ", mais seules des recommandations étaient précisées pour l'avenir, sur la nécessité de respecter les ordres édictés par la hiérarchie, l'obligation de demander des autorisations d'absence, de noter ses horaires sur des feuilles de présence ou l'interdiction de toute modification des paramètres constructeurs des machines-outils sans autorisation préalable. Il lui était en outre rappelé que la société faisait désormais l'objet d'une certification nécessitant l'obligation de se conforter à des règles de procédure rappelées dans le détail.

La lettre prononçant la sanction disciplinaire infligée à M.[M] n'est donc pas motivée, quand bien même des griefs avaient été mentionnés dans la lettre de convocation préalable, de sorte que cette sanction est nulle.

Le jugement entrepris sera confirmé sur ce point.

S'agissant des sommes réclamées au titre de l'annulation de cette sanction, il convient de confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a condamné la société MPI à payer à M.[M] la somme de 1400 euros à titre de rappel de salaire, outre 140 euros de congés payés afférents.

Le montant des dommages-intérêts alloués à M.[M] pour sanction injustifiée doit par contre être limité, par voie d'infirmation, à 500 euros.

- Sur le licenciement pour faute grave

Il résulte de l'article L.1232-1 du code du travail que tout licenciement pour motif personnel est justifié par une cause réelle et sérieuse.

Le motif inhérent à la personne du salarié doit reposer sur des faits objectifs, matériellement vérifiables et qui lui sont imputables.

L'article L.1235-1 du code du travail prévoit qu'en cas de litige, le juge, à qui il appartient d'apprécier le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties.

Enfin, la faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise et qui justifie la rupture immédiate de son contrat de travail, sans préavis ; la charge de la preuve pèse sur l'employeur.

Le courrier de licenciement du 21 novembre 2016 invoque des faits découverts à l'occasion d'une formation " qui s'est déroulée la semaine 37 (du 12 au 16 septembre 2016) ", le formateur ayant " constaté de nombreux dysfonctionnements sur la machine MORI SEIKI MH 40 ", " liés à une intervention dans le réglage des paramétrages ", dont M.[M] est rendu responsable. Il lui est reproché en outre que la classification et la sauvegarde des programmes était illisible et incompréhensible par ses collègues, les obligeant à tout reprogrammer. Il est par ailleurs fait référence à des manquements précédemment constatés et visés dans la lettre de convocation préalable à la sanction infligée le 23 septembre 2016.

M.[M] soutient que la lettre de licenciement se réfère " nécessairement " à des faits antérieurs à cette sanction puisqu'il indique que lorsqu'il a été licencié, il n'avait pas repris de travail depuis le 12 août 2016, date à laquelle il a été en congés, période suivie de la mise à pied puis d'un arrêt de travail pour maladie.

La société MPI réplique que si la formation s'est initialement déroulée du 12 au 16 septembre 2016, ce n'est qu'au cours d'une seconde formation qui a eu lieu du 19 au 21 octobre 2016 que le formateur a relevé des incohérences dans les commandes de machines-outils et a détecté des modifications de paramétrage des machines-outils, soit après avoir infligé la sanction du 23 septembre 2016. Elle soutient également, de manière d'ailleurs contradictoire, que c'est la société Repmo, sollicitée pour répondre à une panne sur la machine MORI SEIKI, qui dans un rapport d'intervention du 4 octobre 2016 a révélé les anomalies résultant de défaillances dans le paramétrage ou l'entretien des machines. Elle ajoute, au visa de l'article L.1332-4 du code du travail, que l'employeur dispose d'un délai de deux mois pour engager la procédure disciplinaire à compter seulement du jour où il a connaissance des faits fautifs.

La cour rappelle qu'après avoir infligé une première sanction, l'employeur est considéré comme ayant épuisé son pouvoir disciplinaire à l'égard des faits fautifs dont il a connaissance au moment du prononcé de la sanction. Il ne peut invoquer la faute déjà sanctionnée que pour souligner la persistance d'un comportement fautif.

En l'espèce, il est constant que M.[M] a été sanctionné une première fois par une mise à pied disciplinaire pour divers manquements à ses obligations professionnelles.

L'employeur, à l'appui du licenciement, invoque de nouveaux faits caractérisant la persistance de ces manquements, rappelés dans la lettre de licenciement qui indique : " ces manquements ne sont pas isolés puisque depuis plusieurs mois, nous avons eu à déplorer des manquements importants et similaires dans l'exécution de votre contrat de travail, manquements qui ont été sanctionnés ".

Or, M.[M] n'a pas repris son travail après le 12 août 2016 jusqu'à son licenciement, survenu le 21 novembre 2016, de sorte que les faits invoqués à l'appui du licenciement, s'ils sont établis, ont été commis avant la sanction infligée le 23 septembre 2016.

Dès lors, il appartient à l'employeur d'apporter la preuve qu'il n'en a eu connaissance que postérieurement au 23 septembre 2016.

A cet égard, la société MPI, dans le courrier de licenciement, indique que les dysfonctionnements reprochés à M.[M] ont été constatés lors d'une formation délivrée par la société FEECS ayant eu lieu à partir du 12 septembre 2016.

Des justificatifs de l'existence de cette formation sont versés aux débats (feuilles d'émargement, rapport d'intervention). Une demande d'assistance au fabriquant a été adressée par l'intermédiaire d'une hotline dès le 15 septembre 2016. Puis le réparateur Repmo est intervenu sur demande de la société MPI le 4 octobre 2016, qui décrit les anomalies constatées.

Il est donc démontré que si les dysfonctionnements reprochés à M.[M] ont été découverts par l'employeur au plus tard le 15 septembre 2016 (soit avant le prononcé de la mise à pied disciplinaire), leur description précise n'a en revanche pu être établie que le 4 octobre 2016, soit postérieurement à cette sanction, à l'occasion de laquelle l'employeur ne disposait pas encore de suffisamment d'éléments pour éventuellement les imputer à M.[M].

La société MPI n'avait donc pas épuisé son pouvoir disciplinaire relativement à ces derniers faits lorsqu'il a engagé la procédure de licenciement.

La question demeure néanmoins de savoir si les anomalies constatées sur la machine MORI SEIKI en septembre et octobre 2016 peuvent être effectivement imputées à M.[M].

A cet égard, selon les écritures de la société MPI, " la survenance de ces anomalies résultait de modifications des paramétrages constructeurs ainsi que d'une défaillance dans la réalisation des opérations courantes d'entretien des machines ", alors que " ces machines étaient jusqu'alors uniquement utilisées par M.[M] qui détenait seul le niveau de compétence requis pour une telle mission ".

Cependant, la fiche d'intervention de la société Repmo du 4 octobre 2016 indique : " suite casse taraud, alarme EX4415 au démarrage de la machine. Procédure de retrait taraud ne fonctionne pas quand Z+ demandé. L'entrée XCA5 ne disparaît qu'après départ d'un cycle taraudage en auto, sinon elle crée un interlock sur tous les axes. Machine fonctionnelle mais alarme EX4415 réapparaît à la mise sous tension. Voir si procédure MORI écrite, à suivre avec le client ".

Cette fiche d'intervention se contente de décrire les anomalies constatées sur la machine, mais n'en détermine aucunement l'origine et n'incrimine en rien un quelconque défaut de paramétrage ou d'entretien de la part de l'opérateur.

La société MPI ne produit aucun autre élément susceptible d'éclairer la cour sur l'origine de ces anomalies et rien ne démontre que ce soit M.[M] qui en soit à l'origine.

D'ailleurs, ce dernier étant absent depuis le 12 août 2016, d'autres salariés ont pu intervenir sur la machine, et notamment M.[R], apprenti, qui dans une attestation indique avoir travaillé notamment sur la MORI SEIKI MH 40 après le départ en congés de M.[M], et M.[J], qui indique que M.[M] lui avait donné des consignes sur les deux machines qui " fonctionnaient parfaitement " lors de son départ.

Dans ses écritures, la société MPI indique que M.[J] a été formé à la maîtrise des machines et à leur programmation à partir du 12 septembre 2016. Il est donc établi que M.[J] a fait fonctionner la machine défectueuse sans formation idoine pendant le mois suivant le départ de M.[M]. Selon M.[H], " c'est M.[J] qui a été nommé par la direction pour prendre en charge la programmation sur les centres MORI SEIKI ".

Certes, M.[H] indique que M.[J] a eu des difficultés de " reprendre derrière M.[M] " notamment parce que les " fiches de réglage établies par M.[M] étaient soit incompréhensibles, soit incomplètes, soit inexistantes ", ce qui est visé dans la lettre de licenciement. La cour remarque cependant que M.[J], dans son attestation, ne se plaint pas de telles difficultés, vante les mérites de M.[M] et indique : " pour ma part, je n'ai jamais eu de soucis de sauvegarde de programmes sur les deux machines ".

Enfin, si la société MPI insiste dans ses écritures sur le fait que seul M.[M] disposait des compétences nécessaires au paramétrage des machines, cela interroge sur les raisons pour lesquelles d'autres salariés sont intervenus sans la formation nécessaire après son départ, et notamment M.[H], qui, selon M.[J], " n'était pas apte sur ces deux machines ".

Dans ces conditions, la faute professionnelle commise par M.[M] invoquée par la société MPI à l'appui du licenciement, n'est pas clairement établie, étant rappelé que si un doute subsiste, il profite au salarié.

Dès lors, on ne peut reprocher à ce dernier la persistance du comportement fautif qui avait déjà été reproché et sanctionné par la mise à pied disciplinaire antérieurement infligée.

C'est pourquoi le licenciement de M.[M] est dénué de cause réelle et sérieuse.

Le jugement entrepris sera confirmé sur ce point.

- Sur les conséquences financières du licenciement sans cause réelle et sérieuse

- sur l'indemnité de préavis et les congés payés afférents :

L'article L.1234-5 du code du travail prévoit que l'indemnité de préavis correspond aux salaires et avantages que le salarié aurait perçus s'il avait accompli son travail jusqu'à l'expiration du préavis, indemnité de congés payés comprise.

Elle doit tenir compte notamment des heures supplémentaires habituellement accomplies.

La cour, au vu des bulletins de salaire produits, constate que M.[M] accomplissait de manière régulière des heures supplémentaires qui doivent être prises en compte, de sorte que le salaire de référence à retenir sera fixé à 2901 euros, comme l'a retenu le conseil de prud'hommes et non à 2366,05 euros, salaire de base de M.[M], comme le réclame la société MPI, qui reconnaît d'ailleurs dans ses écritures que " M.[M] cumulait énormément d'heures supplémentaires jusqu'à parfois 60 heures par mois ".

C'est pourquoi le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a condamné la société MPI à payer à M.[M] la somme de 5802 euros au titre de l'indemnité de préavis, outre 580,20 euros de congés payés afférents.

- Sur l'indemnité de licenciement

Les articles L.1234-9 et R.1234-2 du code du travail, dans leur version applicable au litige, prévoient une indemnité de licenciement égale à 1/5 de mois de salaire par année d'ancienneté, auquel s'ajoutent 2/15èmes de mois année au-delà de 10 ans d'ancienneté.

Le montant de cette indemnité, fixée par le conseil de prud'hommes à 2240 euros, conformément à ce que réclame M.[M], sera confirmé.

-Sur l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

M.[M] comptant plus de deux ans d'ancienneté dans l'entreprise, et celle-ci comportant habituellement plus de 11 salariés, trouvent à s'appliquer les dispositions de l'article L.1235-3 du code du travail, dans sa version antérieure à l'ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017, selon laquelle, en cas de de licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, le salarié peut prétendre à une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des 6 derniers mois. Cette indemnité est due sans préjudice, le cas échéant, de l'indemnité de licenciement prévue à l'article L.1234-9.

M.[M] se contente de relever le caractère vexatoire du licenciement et ne justifie d'aucun élément sur sa situation professionnelle après celui-ci.

Au regard des seuls éléments soumis à la cour, compte tenu de l'âge du salarié, de son ancienneté, de ses perspectives de retrouver un emploi, il y a lieu d'évaluer, par voie d'infirmation, à 18 000 euros le préjudice consécutif au licenciement abusif.

-Sur la demande reconventionnelle de la société MPI liée aux " conséquences financières des manquements graves de M.[M] "

Ces manquements n'étant pas démontrés, cette demande sera, par voie de confirmation, rejetée.

- Sur le remboursement des allocations versées par Pôle emploi

L'article L.1235-4 du code du travail dans sa version issue de la loi n°2016-1088 du 8 août 2016, énonce que dans les cas prévus aux articles L. 1132-4, L. 1134-4, L. 1144-3, L. 1152-3, L. 1153-4, L. 1235-3 et L. 1235-11, le juge ordonne le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de 6 mois d'indemnités de chômage par salarié intéressé.

Ce remboursement est ordonné d'office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l'instance ou n'ont pas fait connaître le montant des indemnités versées.

Il convient d'ordonner le remboursement par la société MPI aux organismes concernés les indemnités de chômage versées à M. [M] dans la limite de 3 mois.

- Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens

La solution donnée au litige commande de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société MPI à payer à M.[M] la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et de la condamner à lui payer en sus celle de 1500 euros pour les frais irrépétibles engagés en cause d'appel, la société MPI étant déboutée de sa propre demande et condamnée aux dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en dernier ressort,

Confirme le jugement rendu le 9 mai 2019 par le conseil de prud'hommes de Blois en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a condamné la société MPI à payer à M.[M] la somme de 5000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure disciplinaire abusive et celle de 35 000 euros à titre de dommages-intérêts pour rupture abusive du contrat de travail ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

Condamne la société MPI à payer à M.[M] :

-La somme de 500 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure disciplinaire abusive,

-La somme de 18 000 euros à titre de dommages-intérêts pour rupture abusive du contrat de travail,

-La somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

Condamne la société MPI à rembourser aux organismes concernés les indemnités de chômage versées à M. [M] dans la limite de 3 mois.

Condamne la société MPI aux dépens de première instance et d'appel.

Et le présent arrêt a été signé par le président de chambre et par le greffier.

Et le présent arrêt a été signé par le président de chambre, président de la collégialité, et par le greffier

Fanny ANDREJEWSKI-PICARD Laurence DUVALLET


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Orléans
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 19/01882
Date de la décision : 19/05/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-05-19;19.01882 ?
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