CASSATION, sur le pourvoi de la dame veuve A..., d'un arrêt rendu, le 31 mai 1915, par la Cour d'appel de Montpellier, au profit du sieur Y....
ARRET.
Du 20 Février 1917.
LA COUR,
Ouï, en l'audience publique du 19 février 1917 et en celle de ce jour, M. le conseiller Rau, en son rapport, Maître Z..., substituant Maître X... et Maître Le Marois, avocats des parties, en leurs observations respectives, ainsi que Maître Sarrut procureur général en ses conclusions, et après en avoir délibéré en la chambre du Conseil,
Sur le moyen unique de cassation :
Vu l'article 2 du Code civil ;
Attendu que toute loi nouvelle régit, en principe, même les situations établies ou les rapports juridiques formés dès avant sa promulgation ;
Qu'il n'est fait échec à ce principe par la règle de la non-rétroactivité des lois formulée dans l'article 2 du Code civil qu'autant que l'application de la loi nouvelle porterait atteinte à des droits acquis sous l'empire de la législation antérieure ;
Attendu que l'article 340 du Code civil prohibant, sauf dans un cas particulier, la recherche de la paternité conférait éventuellement au père naturel la faculté d'opposer une fin de non-recevoir à l'action en déclaration de paternité qui serait intentée contre lui ;
Mais que ce texte ne lui faisait pas acquérir, pour toujours, le droit de se soustraire à la constatation du lien l'unissant à son enfant, et à l'exécution des obligations naturelles en dérivant ;
Attendu, dès lors, que la loi du 16 novembre 1912 n'ayant, par la suppression de la faculté résultant de l'ancien article 340, enlevé au père naturel qu'une simple expectative, doit conformément au principe susénoncé, être appliquée même aux enfants nés avant sa promulgation ;
Attendu qu'il résulte des constatations de l'arrêt attaqué que la dame A..., se fondant sur les dispositions du nouvel article 340 du Code civil, a, dans le délai prévu par ce texte, formé au nom de son fils mineur contre le sieur Y... une action en déclaration de paternité ;
Attendu que, sans examiner au fond cette demande, la Cour de Montpellier l'a déclarée irrecevable par le motif que l'enfant qui en faisait l'objet était né antérieurement à la promulgation de la loi de 1912 ;
Mais attendu que cette circonstance, ainsi qu'il vient d'être établi, était inopérante pour faire écarter l'application à la cause de la loi actuellement en vigueur ;
Attendu que l'arrêt attaqué objecte, en outre, que la possibilité pour les enfants dont il s'agit d'invoquer les dispositions de la loi nouvelle serait contraire à la règle de la non-rétroactivité des lois à un double point de vue : 1° En ce qu'elle permettrait à ces enfants d'établir leur filiation par des actes de preuve irrecevables sous l'ancienne législation ; 2° En ce qu'elle aurait pour conséquence, en dehors de l'hypothèse prévue par l'article 337 du Code civil, de léser les droits acquis des héritiers légitimes du père naturel, dans le cas où l'action en déclaration de paternité serait introduite après le décès de ce dernier ;
Mais attendu, sur le premier point, que si pour établir l'existence ou l'extinction d'un droit né sous l'empire d'une ancienne législation il n'est permis, en général, de recourir qu'aux modes de preuve admis par celle-ci, une semblable règle est étrangère à l'espèce, dans laquelle le père naturel ne pouvait pas se prévaloir d'un droit à l'encontre de l'enfant ;
Attendu, sur le second point, que le fait par certains héritiers d'avoir appréhendé une succession ne suffit pas pour leur conférer un droit acquis vis-à-vis d'autres héritiers, dont l'existence serait ultérieurement établie ;
Que, dès lors, l'enfant naturel qui, après le décès du père, invoquerait contre les héritiers de ce dernier le nouvel article 340, pour obtenir sa part dans l'hérédité, ne saurait être considéré comme lésant un droit acquis,
Et qu'il importe peu que le décès du père ait eu lieu avant la promulgation de la loi de 1912, celle-ci n'ayant apporté aucune modification au régime successoral antérieur ;
D'où il suit, qu'en statuant comme il l'a fait, l'arrêt attaqué a faussement appliqué l'article 2 du Code civil, et violé l'article 340 nouveau du même Code ;
Par ces motifs, CASSE,