Sur le premier moyen :
Attendu qu'il est fait grief au jugement infirmatif attaqué de n'avoir pas constaté que lecture du rapport écrit avait été donnée avant les plaidoiries et de ne pas permettre, par suite, de vérifier si l'ordre légal des formalités a été respecté ;
Mais attendu que si le dispositif du jugement porte seulement : "Le Tribunal statuant publiquement et contradictoirement sur le rapport de M. Piéri, juge chargé de suivre la procédure : Ouï le ministère public en ses conclusions ...", les qualités précisent qu'à l'audience où l'affaire fut appelée, "les avoués des parties déposèrent leurs conclusions ... que le juge chargé de suivre la procédure fut entendu en la lecture de son rapport écrit ... que les avocats s'avancèrent alors à la barre et furent entendus en leurs explications, puis le procureur de la République en ses conclusions ... ;
Que ces énonciations, qui complètent celles non contraires de la décision attaquée, établissent que les débats se sont bien déroulés selon l'ordre prévu par la loi :
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le deuxième moyen :
Attendu que, selon les énonciations du jugement, lors d'un concours de bovins organisé dans la commune de Villedieu, le jury ayant constaté qu'une génisse appartenant à Rube ne correspondait pas à la catégorie dans laquelle elle avait été présentée, demanda qu'une sanction fût prise contre le propriétaire : que le Comité d'organisation du concours, composé de Quintin, maire de la commune, Fortain, adjoint, et Lemaître, conseiller municipal, décida de supprimer tous les prix décernés à Rube : que Quintin, sans d'ailleurs prononcer aucun nom, annonça publiquement, en proclamant les résultats, que "ces prix étaient supprimés pour fraude" ; qu'il ajouta qu'une telle mesure avait été prise en raison de "faits inadmissibles" ; que s'estimant ainsi publiquement atteint dans son honneur et sa considération, Rube a assigné Quintin, Fortain et Lemaître devant les juges civils en réparation du préjudice résultant du délit de diffamation dont il soutenait avoir été victime :
Attendu que le moyen fait grief au Tribunal de ne pas avoir recherché, au besoin d'office, si la faute imputée aux demandeurs - lequels n'avaient agi qu'en leur qualité de membres de la Commission des foires et marchés de la commune, elle-même organisatrice de la manifestation - n'avait pas en réalité été commise par des fonctionnaires appartenant à un service public, et si cette prétendue faute constituait une faute personnelle détachable du service, auquel cas seulement les Tribunaux de l'ordre judiciaire auraient été compétents pour connaître du litige ;
Mais attendu qu'il résulte des pièces de la procédure que les demandeurs en cassation n'ont, à aucun moment, prétendu que la manifestation avait été organisée par la commune et qu'ils y avaient personnellement participé en qualité de magistrats municipaux, agissant en vue du fonctionnement d'un service public, et, comme tels, non justiciables des tribunaux judiciaires.
D'où il suit que le moyen, mélangé de fait et de droit, est nouveau et ne peut être présenté pour la première fois devant la Cour de Cassation ;
Qu'il y a lieu de le déclarer irrecevable ;
Mais, sur le troisième moyen :
Vu les articles 23, 29, 32 et 46 de la loi du 29 juillet 1881, ensemble les articles 59 et 60 du Code pénal ;
Attendu que l'action civile exercée en réparation d'un délit de diffamation ne peut donner lieu à condamnation qu'à l'encontre de ceux qui en ont été les auteurs ou les complices ;
Attendu que le Tribunal, après avoir constaté que Quintin avait proclamé le palmarès dressé par le Comité d'organisation dont il était le président, en assortissant sa lecture de commentaires attentatoires à l'honneur et à la considération de Rube et qu'il s'était ainsi rendu coupable d'une diffamation publique, l'a condamné solidairement avec Fortain et Lemaître à réparer le préjudice qui en était résulté pour le diffamé, au motif que tous trois "étaient incontestablement responsables de tels faits, à raison de la part active qu'ils ont prise à la délibération du comité et de leur plein accord pour la lecture du palmarès dans les formes reprochées" ;
Mais attendu que ces seules constatations n'établissent pas que Fortain et Lemaître aient participé, comme co-auteurs ou complices, à la diffamation retenue contre Quintin : qu'en effet, le délit se consommant par le seul fait de la publication, Quintin en a été l'auteur unique : qu'il ne peut être fait grief aux demandeurs, dès lors qu'ils étaient membres du comité chargé de dresser le palmarès d'avoir concouru aux travaux de ce comité : qu'enfin, l'accord qu'ils ont pu donner par avance aux commentaires dont Quintin allait accompagner la lecture du palmarès, ne révèle pas à leur charge un fait positif de nature à caractériser la complicité par aide ou assistance ou par fourniture de moyens et n'établit pas davantage qu'ils aient provoqué au délit ou donné des instructions pour le commettre ;
D'où il suit qu'à l'égard de Fortain et de Lemaître, seuls demandeurs au pourvoi, les juges du fond n'ont pas légalement justifié leur décision ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement du chef qui a déclaré Fortain et Lemaître coupables de diffamation publique à l'égard de Rube et les a condamnés, in solidum avec Quintin, à réparer le préjudice subi par ledit Rube, le jugement rendu entre les parties par le Tribunal de grande instance d'Avranches le 8 octobre 1959 remet en conséquence, quant à ce, la cause et les parties au même et semblable état où elles étaient avant ledit jugement et, pour être fait droit, les renvoie devant le Tribunal de grande instance de Coutances.