AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, TROISIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par la société anonyme Chevigny, dont le siège est ... (9e), actuellement en liquidation amiable et représentée par Mme René Chevigny, sa liquidatrice, demeurant en cette qualité ... (17e),
en cassation d'un arrêt rendu le 28 septembre 1989 par la cour d'appel de Caen (1e chambre civile, au profit de :
1°) le syndicat des copropriétaires de Charmettes, dont le siège est boulevard Paul Chalvet à Bagnoles de l'Orne (Orne), pris en la personne de son syndic, M. A..., demeurant en cette qualité place de la Gare à Bagnoles de l'Orne (Orne),
2°) M. Jean-Michel X..., demeurant ... (Mayenne),
3°) M. Fernand Z..., demeurant la Chapelle d'Andaine à Bagnoles de l'Orne (Orne),
4°) la société d'Exploitation
Z...
, société à responsabilité limitée, dont le siège est rue de Domfront, la Chapelle d'Andaine à Bagnoles de l'Orne (Orne),
5°) M. Maurice Y..., demeurant Saint-Georges des Groseillers à Flers (Orne),
défendeurs à la cassation ;
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
LA COUR, en l'audience publique du 2 juillet 1991, où étaient présents : M. Senselme, président, M. Darbon, conseiller rapporteur, MM. Paulot, Vaissette, Valdès, Peyre, Beauvois, Mlle Fossereau, M. Chemin, conseillers, MM. Chollet, Chapron, conseillers référendaires, M. Sodini, avocat général, Mme Pacanowski, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. le conseiller Darbon, les observations de la SCP Le Bret et Laugier, avocat de la société Chevigny, de la SCP Guiguet, Bachellier et Potier de la Varde, avocat du syndicat des copropriétaires des Charmettes, de la SCP Boré et Xavier, avocat de M. X..., de Me Choucroy, avocat de M. Z... et la société Z..., les conclusions de M. Sodini, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Donne acte à la société Chevigny de son désistement de pourvoi, en ce qu'il est dirigé contre M. Y... ;
Sur le premier moyen :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Caen, 28 septembre 1989), qu'ayant fait construire en 1978, sous la maîtrise d'oeuvre de M. X..., avec le concours, pour l'étanchéité, de M. Z..., entrepreneur, un groupe d'habitations dénommé, Résidence des Charmettes, qu'elle a vendu par lots, la société Chevigny, sur demande du syndicat des copropriétaires, a été condamnée, par jugement du 19 septembre 1985 devenu irrévocable, à procéder aux travaux préconisés par M. B..., expert judiciaire,
pour remédier à des infiltrations affectant les terrasses du troisième étage et certains garages, le maître d'oeuvre et l'entrepreneur d'étanchéité étant condamnés in solidum à la garantir ; qu'à la suite d'une seconde expertise confiée en
octobre 1986 à M. B..., laquelle a révélé de nouveaux désordres, la société Chevigny, assignée en réparation par le syndicat des copropriétaires, a appelé en garantie MM. X... et Z... ;
Attendu que la société Chevigny fait grief à l'arrêt, qui l'a condamnée à payer au syndicat demandeur des indemnités pour la réfection des infiltrations en terrasses et des décollements affectant les carrelages de certains balcons, de mettre hors de cause M. Z... pour l'ensemble des désordres et M. X... pour l'aggravation des désordres intéressant les terrasses du troisième étage, alors, selon le moyen, "1°) que la cour d'appel n'a pu retenir à l'encontre de la société anonyme Chevigny, maître de l'ouvrage, un manque de diligence dans l'exécution des réfections auxquelles elle avait été condamnée par le jugement du 19 septembre 1985, sans répondre aux conclusions de l'expertise Petit homologuées par le jugement entrepris et d'où ressortait que, lorsqu'il s'était agi d'entreprendre, au mois de juillet 1986, l'exécution de la réfection des terrasses, une dégradation très sérieuse des feutres d'étanchéité, due à une humidité depuis plusieurs années, avait été alors découverte et avait fait obstacle à cette exécution ; que dès lors, ces éléments démontrant que l'aggravation litigieuse devait être située pendant le cours de l'instance précédente et qu'elle n'avait donc pas son origine dans la prétendue carence fautive de la société Chevigny depuis le jugement du 19 septembre 1985, l'arrêt attaqué, qui n'est pas motivé, a violé ensemble les articles 455 du nouveau Code de procédure civile et 2270 du Code civil ; 2°) que le maître de l'ouvrage dispose de la faculté d'exercer l'action en garantie décennale lorsque, sur l'action des acquéreurs de l'immeuble, il a été condamné à réparer les vices de celui-ci ; que dès lors, en l'état du jugement définitif du 19 septembre 1985 ayant condamné, à la suite de l'action exercée par le syndicat des copropriétaires des Charmettes, le maître d'oeuvre et les entrepreneurs concernés à garantir totalement la société Chevigny des
condamnations prononcées à son encontre, la cour d'appel, statuant ensuite sur l'aggravation des mêmes désordres survenue en cours d'instance, n'a pu déclarer suffisants les paiements déjà effectués par lesdits constructeurs, ou retenir qu'en l'absence de mise en demeure en temps utile, ceux-ci n'étaient pas tenus de réparer les conséquences de cette aggravation ; que par suite, l'arrêt attaqué a violé, par fausse application, les articles 1792 et 2270 du Code civil" ;
Mais attendu qu'après avoir constaté l'apparition de désordres nouveaux consistant en un décollement des revêtements en carrelage des balcons, et l'aggravation des infiltrations antérieurement relevées sur les terrasses du troisième étage, la cour d'appel a légalement justifié sa décision de ce chef en retenant souverainement que M. Z... était étranger aux désordres des balcons sur lesquels il n'était pas intervenu, et que l'aggravation des infiltrations provenait de la non-exécution en temps utile des travaux prescrits par le jugement du 19 septembre 1985, imputable à la société Chevigny seule, dès lors que le maître d'oeuvre affirmait, sans être démenti, avoir réglé à cette dernière, dans le délai imparti par le jugement, la somme dont il était redevable et que rien n'établissait que l'entrepreneur d'étanchéité avait refusé
d'exécuter les obligations mises à sa charge ;
Mais sur le second moyen :
Vu l'articles 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Attendu que l'arrêt limite aux désordres affectant les balcons du seul deuxième étage, la garantie due par M. X..., maître d'oeuvre, à la société Chevigny du chef de la réfection des revêtements en carrelage ;
Qu'en statuant ainsi, sans s'expliquer sur les énonciations du rapport d'expertise dont se prévalait la société Chevigny et qui avait constaté, pour l'ensemble des balcons des différents niveaux, l'utilisation de joints poreux et l'absence de joints
de retrait, relevant de la mission de conception et de surveillance du maître d'oeuvre, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a limité à 7 248,85 francs la garantie due par M. X..., maître d'oeuvre, à la société Chevigny du chef des condamnations prononcées contre cette dernière au titre de la réfection des revêtements en carrelage, l'arrêt (n° 739) de la cour d'appel de Caen du 28 septembre 1989 ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Rouen ;
Condamne M. X... aux dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt ;
Ordonne qu'à la diligence de M. le procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit sur les registres de la cour d'appel de Caen, en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Troisième chambre civile, et prononcé par M. le président en son audience publique du neuf octobre mil neuf cent quatre vingt onze.