LA COUR DE CASSATION, TROISIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par :
1°/ les Assurances générales de France "AGF", dont le siège est à Paris (1er) ..., agissant poursuites et diligences de leurs représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège,
2°/ la compagnie d'assurances Groupe Concorde, dont le siège est à Paris (9e), ..., agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège,
3°/ la société anonyme Union des assurances de Paris UAP, dont le siège est à Paris (1er), 9, place Vendôme, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège,
en cassation d'un arrêt rendu le 30 octobre 1989 par la cour d'appel de Douai (1re chambre civile), au profit :
1°/ de la société à responsabilité limitée Gibello, dont le siège est à Henin-Beaumont (Pas-de-Calais), ..., prise en la personne de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège,
2°/ de la société à responsabilité limitée Charles Miroux, dont le siège est à Harnes (Pas-de-Calais), ..., prise en la personne de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège,
3°/ de la société anonyme
Y...
, dont le siège est à Noyelles-sous-Lens (Pas-de-Calais), rue Sadi Carnot, prise en la personne de son liquidateur, M. Charles Y..., demeurant à Montreuil (Seine-Saint-Denis), Château Saint-Josse,
4°/ de M. A..., demeurant à Béthune (Pas-de-Calais), résidence de France, rue Emile Zola, pris en sa qualité de syndic à la liquidation des biens de la société à responsabilité limitée entreprise Dussart, dont le siège est à Loison-sous-Lens (Pas-de-Calais), rue de la Couronne,
5°/ de la société anonyme d'HLM Le logement du travailleur, dont le siège est à Oignies (Pas-de-Calais), résidence Ernest Delmon, ..., prise en la personne de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège,
6°/ de M. F..., demeurant à Béthune (Pas-de-Calais), 202, place Lamartine, pris en sa qualité de syndic de la liquidation des biens de l'entreprise Policante, dont le siège est à Henin-Beaumont (Pas-de-Calais),
défendeurs à la cassation ; Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ; LA COUR, en l'audience publique du 3 juillet 1991, où étaient présents :
M. Senselme, président, M. Chapron, conseiller référendaire rapporteur, MM. D..., G..., H..., E..., X..., Z...,
Mlle B..., M. Chemin, conseillers, M. Chollet, conseiller référendaire, M. Sodini, avocat général, Mlle Jacomy, greffier de chambre ; Sur le rapport de M. le conseiller référendaire Chapron, les observations de la SCP Masse-Dessen, Georges et Thouvenin, avocat des Assurances générales de France, de la compagnie d'assurances Groupe Concorde et de la société anonyme Union des assurances de Paris, de Me Jacoupy, avocat de la société Gibello et de la société Charles Miroux, de la SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, avocat de la société d'HLM Le logement du travailleur, les conclusions de M. Sodini, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ; Sur le premier moyen :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Douai, 30 octobre 1989), que la société d'habitations à loyer modéré "Le logement du travailleur" a confié la construction de plusieurs immeubles aux sociétés Gibello, Policante et Miroux, assurées, respectivement, auprès des compagnies groupe Concorde, Union des assurances de Paris (UAP) et Assurances générales de France (AGF) ; que les réceptions sont intervenues entre le 30 juin 1969 et le 30 mai 1970 ; qu'en 1975, des désordres ont fait l'objet de déclarations auprès des entrepreneurs et de leurs assureurs et que des reprises ont été effectuées ; qu'en mars 1980, la société d'HLM, invoquant l'existence de désordres, a assigné les constructeurs en réparation ; Attendu que le groupe Concorde, l'UAP et les AGF font grief à l'arrêt d'avoir, pour condamner les constructeurs, rejeté la fin de non-recevoir tirée de l'expiration du délai de la garantie décennale, alors, selon le moyen, 1°) que le délai de la garantie décennale étant un délai d'épreuve et non de prescription, toute action fondée sur cette garantie ne peut être exercée plus de dix ans après la réception ; que ce délai n'est donc pas susceptible d'être interrompu ou suspendu ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les articles 1792 et 2270 du Code civil (dans leur rédaction antérieure à la loi du 4 janvier 1978) ; 2°) que la renonciation à un droit ne se présume pas et doit résulter d'actes manifestant de façon non équivoque, de la part de son auteur, la volonté de renoncer ; que le fait d'avoir accepté de remédier à des désordres dans le délai de la garantie décennale n'implique pas à lui seul reconnaisance de responsabilité et n'est donc pas de nature à
caractériser la volonté non équivoque de renoncer au
droit de se prévaloir de l'expiration du délai décennal ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles 1134, 1792 et 2270 du Code civil ; 3°) que s'il appartient aux constructeurs et à leurs assureurs
d'établir que le délai de la garantie décennale est expiré en raison de la date de la réception des travaux, c'est au maître de l'ouvrage, demandeur à "l'exception", qu'il incombe de prouver que ce délai a été interrompu par une reconnaissance de responsabilité ; qu'en déclarant qu'il appartenait aux constructeurs et à leurs assureurs de rapporter la preuve qu'en réalité ils n'avaient pas eu connaissance entière du sinistre, la cour d'appel a interverti le fardeau de la preuve, en violation de l'article 1315 du Code civil ; 4°) que les juges sont tenus de statuer dans les limites du débat telles que fixées par les conclusions des parties ; que le maître de l'ouvrage, rappelant sur ce point les constatations de l'expert, admettait parfaitement que les travaux entrepris en 1975 avaient concerné seulement les parties verticales de la maçonnerie tandis que, selon l'expert judiciaire, les désordres actuels avaient leur siège au niveau des parties horizontales et des allèges, les infiltrations actuelles provenant bien des parties non traitées en 1975 ; qu'en décidant que les travaux exécutés à cette date impliquaient une reconnaissance de responsabilité de la part des constructeurs et de leurs assureurs au motif que les désordres actuels étaient les mêmes que ceux constatés en 1975, se manifestaient sous la même forme et aux mêmes lieux que ceux actuellement poursuivis, la cour d'appel a méconnu les termes du litige, en violation des articles 4 et 5 du nouveau Code de procédure civile ; 5°) que dans sa lettre du 4 septembre 1975, adressée au groupement pour la gestion des risques de la construction (GECO), M. C... indiquait que les désordres constatés en 1975 étaient caractérisés par des fissures du béton et ne faisait aucune allusion aux défauts d'étanchéité des bandeaux entre baies de chaque étage et des plaques d'altuglas ou de glasal posées dans les dormants des allèges au-dessus des parties ouvrantes ; que, par ailleurs, dans ses déclarations à l'expert, M. C... n'avait nullement indiqué que les désordres constatés en 1975 auraient été identiques aux désordres actuels ; qu'aussi bien l'expert avait admis que les infiltrations actuelles provenaient d'autres parties d'ouvrages qui n'avaient pas été traitées en 1975 ; qu'en affirmant qu'il résultait des déclarations faites par M. C... à l'expert judiciaire et du contenu de
sa lettre du 4 septembre 1975 que les désordres actuels étaient les mêmes que ceux qui avaient été relevés par
M. C... en 1975, se manifestaient sous la même forme et aux mêmes lieux, la cour d'appel a dénaturé tant le rapport d'expertise que la lettre de M. C... du 4 septembre 1975, en violation de l'article 1134 du Code civil ; Mais attendu qu'après avoir relevé que l'action avait été intentée dans le délai de 10 ans à compter de la réception pour deux des immeubles, la cour d'appel, qui a retenu, sans dénaturation, sans modifier l'objet du litige et sans inverser la charge de la preuve, qu'en l'absence de production du rapport établi en 1975 par l'expert des assurances, il résultait des autres éléments de preuve que les
désordres, dont la réparation était sollicitée, étaient les mêmes que ceux réparés en 1975, et que l'exécution, en 1975, après réclamations du maître de l'ouvrage, d'importants travaux de reprise, avait été prise en charge pour partie par les assureurs et, pour la partie correspondant aux franchises contractuelles, par les entreprises, a pu en déduire qu'il y avait eu reconnaissance de responsabilité interruptive du délai de forclusion et a légalement justifié sa décision de ce chef ; Sur le second moyen :
Attendu que le groupe Concorde,, l'UAP et les AGF font grief à l'arrêt de les avoir déboutés de leur demande d'application des franchises contractuellement prévues, alors, selon le moyen, que la franchise stipulée au contrat d'assurance n'était pas fixe mais proportionnelle au coût total du sinistre, lequel s'entend nécessairement de toutes les condamnations qui ont été prononcées à l'encontre des constructeurs au profit du maître de l'ouvrage ; qu'aussi bien l'UAP et les AGF ne sollicitaient pas l'application d'une nouvelle franchise, mais celle d'un complément pour tenir compte de ce que le montant du sinistre, tel qu'il avait été déterminé à l'amiable en 1975, avait en réalité été supérieur puisque devait s'y ajouter les condamnations désormais prononcées ; qu'en refusant de faire application à ces condamnations de la franchise contractuelle, la cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil ; Mais attendu que les polices d'assurances litigieuses stipulant "qu'en cas de sinistres successifs affectant une même construction ou un
ensemble de constructions faisant l'objet d'un même marché, et ayant leur origine dans une même cause, il ne sera décompté qu'une seule franchise découlant des conditions applicables à la date de déclaration du premier sinistre", la cour d'appel a retenu, sans dénaturation, que les assureurs, qui avaient déjà fait application en 1975 de la franchise contractuelle, ne pouvaient prétendre, s'agissant des mêmes désordres, à une seconde application de la franchise ; D'où il suit que le moyen n'est pas fondé; PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;