AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIERE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par M. Guy X..., en cassation d'un arrêt rendu le 13 décembre 1990 par la cour d'appel de Nancy (1re Chambre civile), au profit de Mme Paulette Y..., veuve de M. Edmond X..., défenderesse à la cassation ;
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
LA COUR, composée selon l'article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 30 juin 1993, où étaient présents : M. Grégoire, conseiller le plus ancien faisant fonctions de président et rapporteur, MM. Thierry, Renard-Payen, conseillers, M. Lupi, avocat général, Mlle Ydrac, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. le conseiller Grégoire, les observations de Me Brouchot, avocat de M. X..., de la SCP Nicolay et deLanouvelle, avocat de Mme Y...-X..., les conclusions de M. Lupi, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu, selon les énonciations des juges du fond, que Edmond X..., victime d'un ictus cérébral en octobre 1983, a été placé provisoirement sous sauvegarde de justice le 22 décembre 1983 ; que, par acte authentique du 30 décembre, il a fait donation à Mme Y...-X..., son épouse en secondes noces, de la pleine propriété de la moitié de ses biens au jour de son décès ; que, placé sous curatelle le 10 avril 1984, il a fait, par acte authentique du 28 avril, un testament révoquant toutes dispositions de dernière volonté antérieures, mais confirmant les termes de la donation du 30 décembre 1983 ; qu'après son décès, survenu le 15 septembre 1987, son fils M. Guy X..., issu d'une première union, a introduit contre sa belle-mère une action en nullité de la donation du 30 décembre 1983 ainsi que du testament du 10 avril 1984, en invoquant l'incapacité mentale de son père et le fait que les libéralités auraient été consenties sous l'empire de "captation et de suggestion" ; que l'arrêt confirmatif attaqué (Nancy, 13 décembre 1990) a rejeté ces prétentions et condamné M. X... à 10 000 francs de dommages-intérêts ;
Sur le premier moyen, pris en ses trois branches :
Attendu que M. Guy X... fait d'abord grief à la cour d'appel de n'avoir pas retenu la nullité des libéralités litigieuses, alors, selon le moyen, d'une part, qu'elle avait relevé qu'au cours de la période où Ernest X... se trouvait intellectuellement démuni, son épouse, imitant sa signature, avait fait virer à son compte les sommes de 50 000 francs et de 20 000 francs, de sorte qu'en décidant que ces manoeuvres frauduleuses, qui caractérisaient une captation, étaient sans rapport avec la question de nullité des actes contestés, l'arrêt attaqué a violé l'article 901 du Code civil ;
alors, d'autre part, que, dans ses conclusions d'appel, M. Guy X... faisait valoir qu'il y avait également eu des manoeuvres frauduleuses de la part de Mme Y...-X..., qui avait tenté de s'approprier le capital d'une assurance souscrite au profit de son époux et procédé sur le compte de ce dernier à des retraits considérables et injustifiés durant la période où il était particulièrement suggestible, de sorte qu'en tenant cet acte pour valide, l'arrêt attaqué a violé l'article 513 du Code civil ;
Mais attendu qu'en ses deux premiers griefs, le moyen ne tend qu'à remettre en discussion les appréciations des juges du fond qui ont souverainement estimé qu'aucun fait de suggestion ou de captation n'étaient établis à l'encontre de Mme Y...-X... et que l'argumentation développée par M. Guy X... de ce chef était sans rapport direct avec la nullité ou la validité des actes contestés ;
D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli en ses deux premières branches ;
Et attendu que, par motifs adoptés, la cour d'appel a justement retenu qu'en vertu de l'article 513, alinéa 1er, du Code civil, le testament d'Edmond X..., placé sous curatelle, était valable, le régime de protection institué à son bénéfice ne faisant pas présumer son insanité d'esprit au regard de l'article 901 du Code civil ; que le moyen manque donc en fait dans sa troisième branche ;
Sur le second moyen :
Attendu que M. Guy X... reproche encore à la cour d'appel de ne pas avoir prononcé la nullité des libéralités des 30 décembre 1983 et 28 avril 1984, en retenant que les documents et certificats produits sur l'état déficient d'Edmond X... concernaient la période ayant suivi immédiatement l'attaque subie par lui, mais non l'époque à laquelle avait été consentie la première de ces donations, alors, selon le moyen, qu'ont été ainsi dénaturés les termes clairs et précis d'un procès-verbal du juge des tutelles comportant des déclarations du médecin traitant de l'intéressé, suivant lesquelles le praticien, qui n'avait plus vu son patient depuis le 28 ou le 29 décembre 1983, indiquait que, durant les deux mois et demi écoulés à partir du 8 octobre 1983, Edmond X... était incapable de pourvoir seul à ses intérêts et ne pouvait pas écrire ;
Mais attendu que c'est après avoir analysé et comparé les divers documents et attestations concernant l'état mental d'Edmond X... que la cour d'appel a, dans l'exercice de son pouvoir souverain, estimé sans dénaturation, par motifs propres et adoptés, que M. Guy X... n'avait pas rapporté la preuve que son père était, lors de la donation incriminée, ou même dans un temps proche de celle-ci, dans un état de trouble mental tel que cette libéralité se trouvait entachée de nullité ; que le moyen n'est donc pas fondé ;
Et sur le troisième moyen :
Attendu, enfin, que M. Guy X... reproche à la cour d'appel de l'avoir condamné à des dommages-intérêts pour procédure abusive et d'avoir ainsi privé sa décision de base légale en retenant le caractère fautif de son appel, sans constater que l'exercice de cette voie de recours dégénérait en un abus du droit d'agir en justice ;
Mais attendu qu'ayant constaté que l'appel de M. Guy X... avait pour unique objet de remettre en cause un jugement dont la motivation parfaitement explicite ne justifiait pas un recours et à faire valoir une argumentation apparaissant, dès l'abord, dénuée de consistance, la cour d'appel a pu en déduire que constituait une initiative fautive l'exercice de cette voie de recours qui avait retardé la solution du litige ; que, par ces motifs, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; d'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;
Et attendu que le pourvoi revêt un caractère abusif ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. X... à une amende civile de cinq mille francs, envers le Trésor public ; le condamne, envers Mme Y...-X..., aux dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Première chambre civile, et prononcé par M. le président en son audience publique du vingt sept octobre mil neuf cent quatre vingt treize.